Sandra Ambrosino Pauline 2
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1 C est une fille! Elle s appellera Pauline : nous avions choisi deux prénoms avant l échographie ; un «garçon» et un «fille». Camille est ravie : elle rêvait d être grande sœur depuis longtemps déjà, et en apprenant qu en plus, ce sera une petite sœur, ma grande contient à peine sa joie. Mais déjà il faut qu elle parte avec Papa, car le spectacle de fin d année scolaire va commencer. Moi, je reste là, au centre de radiologie : le radiologue veut me parler. Il faut revenir dans 3 semaines, il trouve la tête un peu petite. Ah? Qu est-ce que ça peut signifier? Il reste vague, ce n est peut-être rien. Il faut juste revenir. Je pars, rendez-vous dans l agenda et clichés sous le bras. Vite!!! Etre à l heure pour le spectacle de fin d année de l école!!! Je parcours les vingt kilomètres qui séparent le centre de radiologie de notre village au plus vite, en maugréant après les bouchons du vendredi soir, mais j y arrive in-extremis et me signale 2 3
à ma fille pour qu elle ne passe pas son temps à me chercher du regard dans l assistance. Ouf! Je me faufile comme je peux, mon gros bidon de cinq mois de grossesse en avant, au milieu des PAPA-MAMANS modèles, déjà tous installés sur les bancs, caméra, portable ou tablette au poing, et rejoins mon homme. Lui, il avait tellement espéré que ce serait un garçon qu il est un peu déçu. Ça me chagrine. «T en fais pas, me dit-il, le plus important, c est qu elle soit en bonne santé». Les larmes me piquent les yeux. «La tête est un peu petite» ça veut dire quoi, bordel? Je fais bonne figure, et adresse de grands «coucous» à Camille, qui s applique sur la scène. En rentrant, bien plus tard, je fais LA connerie : je regarde sur internet. J y trouve tout et rien. Du coup, je me pose encore plus de questions, et j ai encore moins de réponses. Il est super tard. Ce n est pas bon pour Pauline, si je ne dors pas et si je stresse. Allez, c est sûrement rien, il va refaire ses mesures, et tout ira bien. Je finis par m endormir, la main sur le ventre. 24
2 Il mesure. Il appuie sur le ventre, souffle, se ronge les ongles, me dit de me rhabiller. «Quand est-ce que vous voyez l obstétricien? Dans trois semaines, pourquoi? Il faut y aller plus tôt? Rallongez-vous sur la table» Il remet du gel sur mon ventre, recommence ses mesures, se ronge encore les ongles. «Vous allez revenir me voir dans dix jours. La tête a grandi mais pas assez.» Je pars avec un nouveau rendez-vous, et une angoisse indicible me noue la gorge. Trois semaines que je me ronge les sangs en secret, et j avais vraiment espéré qu il me rassurerait. A l entendre, ce n est pas forcément grave, pourtant son attitude me stresse. Et la secrétaire, avec son air compatissant me donne des sueurs froides. Quand j arrive au travail, je suis en larmes, mais je dis à tout le monde que tout ira bien, que ce n est probablement rien et qu on en rira dans quelques mois. Mais non. 2 5
Dix jours plus tard, la sentence tombe : il faut voir l obstétricien de toute urgence, la tête n a presque pas grandi, il y a vraiment un problème. 26
3 C est le milieu de l été. Enfin, il parait. Il pleut tout le temps, les gens sont moroses. Je suis supposée n avoir que cette semaine de congés en commun avec mon homme, et nous la commençons avec la trouille au ventre. Le dernier rendez-vous avec le radiologue, c était vendredi après-midi. Depuis, les secondes et les minutes s allongent. Mon obstétricien nous reçoit le lundi soir en urgence, après ses rendez-vous. Il m écoute lui raconter le peu qu on a bien voulu me dire, et ce que je crois savoir, puis il étudie en silence tous les clichés précédents. «Ecoutez, je vais faire mes propres mesures avant de me prononcer.» Direction sa table d échographie. Il refait toutes les mesures en silence. Son visage est sombre et je vois sur l écran que c est mauvais : l ordinateur indique un tour de tête de bébé de vingt-trois semaines, or je suis à vingt-sept. Lorsqu il reprend la parole, il est direct : les 2 7
chances que le bébé soit normal sont nulles. Il pense même que si elle vit, ce sera dans des souffrances atroces, car la fontanelle est en train de se refermer et que c est bien trop tôt. Selon lui, Pauline est atteinte de microcéphalie sévère. Et en plus, son cervelet est atrophié. «Il va falloir réfléchir, savoir si vous souhaitez demander l interruption médicale de la grossesse, ou si vous préférez laisser les choses suivre leur cours. Dans tous les cas, avant tout, vous devez aller chez les référents». 28