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Je m appelle Marie-Rose. Je vis dans la banlieue d une grande ville. Je me rends chaque jour à l école à vélo avec Marguerite et Ilse. Ilse est flamande. Elle ne fréquente pas la même école que Marguerite et moi, mais elle nous accompagne un bout de chemin. Nous sommes de super amies. On s envoit tout le temps des textos parce qu on n a pas envie de se quitter après l école. Impossible de s en passer. Nos parents tolèrent, mais c est tout juste. Les parents de Marguerite sont séparés. Le week-end, elle va chez son père. Ilse passe beaucoup de temps à la côte où ses parents ont acheté un appartement. 2 3
Moi, j aime aller chez ma grand-mère. Elle est super cool. On passe des heures à jouer sur ma console. Elle se trompe souvent pour me faire plaisir. Je fais semblant de ne pas le voir. Quand elle en a marre de jouer, elle me raconte des histoires d avant. Grand-mère me dit : Je vais te raconter l histoire de Lisette. Une de nos ancêtres. On la connaît mieux sous le nom de Chaperon Rouge. Ne me dis pas que c est LE Chaperon Rouge! C est vrai? Elle est de ma famille? La petite fille qui transportait des pots de confiture, qui a rencontré un loup, tout ça? Ma grand-mère a souri en me voyant si surprise. Elle est allée chercher une boîte au grenier. C était une très vieille boîte. 24
Quand j ai soufflé la poussière, j ai remarqué des dessins et des papiers collés sur les côtés. Ecoute Marie-Rose, dit sérieusement ma grandmère. Cette boîte est remplie de secrets, de souvenirs et de vieux papiers. C est un trésor. Elle sera à toi plus tard. J étais émue. J ai envoyé un sms à mes amies Marguerite et Ilse. Elles ont répondu aussitôt «trop top ta grandmère»! J étais fière. Toutes les trois, nous avons décidé d écrire l histoire vraie de Chaperon Rouge. Avec des dessins parce qu une histoire sans dessins, c est moins amusant. Incroyable mais vrai. Lisette vit dans une maison à l orée du bois, toute simple, avec deux fenêtres qui encadrent la porte d entrée. Il y a un âtre qui chauffe l unique grande pièce. Un évier est creusé dans le mur en pierre. Le père de Lisette a relié cet évier jusqu à la toilette qui se trouve dehors. Comme ça, l eau de vaisselle rince le pot du cabinet. Ingénieux, son papa. Il n y a pas d eau courante. A côté du vécé, il y a un puits avec une corde et une manivelle pour remonter le seau. C est trop lourd de le hisser à la main et puis on éclabousserait tout autour. 2 5
Il n y a pas d électricité. Des bougies. Nous, on pose des bougies pour créer une ambiance et se chuchoter des secrets. Devoir s éclairer à la bougie, c est moins drôle. Pas de radio. Pas de téléphone. Pas de télé. RIEN. Il y a un plan de la maison de Lisette dans la boîte aux souvenirs de grand-mère. Le papier est tout jaune et un peu déchiré. Je n ai pas pu l emporter. J ai essayé de mémoriser ce que j ai vu. Le lit des parents, derrière, dans la partie la plus sombre de la pièce. Le lit de Lisette près du feu qui garde la soupe au chaud. 26
Lisette a une liste de corvées. Comme celles des filles Ingalls dans «La Petite Maison dans la Prairie». Faire la lessive à la main, puiser de l eau, ramasser du bois J hallucine! Heureusement, je ne vis pas à cette époque. Devant une des deux fenêtres se trouve une petite table sur laquelle sont posés un grand bassin et une cruche en porcelaine. C est là que tout le monde se lave. 2 7
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Devant l autre fenêtre, il y a le fauteuil de la maison. Il est réservé au père de Lisette pour la sieste ou pour fumer sa pipe. Pour lire la gazette aussi. La maman du papa de Lisette s appelle Céleste. La grand-mère paternelle, quoi! Quand Céleste vient en visite, le dimanche, le fauteuil lui est réservé. Céleste a rétréci en vieillissant. Elle disparaît au fond du fauteuil et a beaucoup de mal à en ressortir sans aide. 2 9
Le papa de Lisette dit que c est à cause d une maladie qui s appelle rhume à tismes. Ni Ilse ni Marguerite ni moi ne savions qu on pouvait attraper un rhume de ce genre. Encore moins qu à cause d un rhume, on pouvait avoir du mal à sortir d un fauteuil. Marguerite a demandé des explications à son père qui est infirmier. Il l a envoyée promener parce qu il lisait sa revue de sport. Elle aurait dû choisir un autre moment. Céleste traîne en robe de chambre pendant des heures. Elle a mal au dos quand il faut allumer le feu, mal au ventre quand il faut nettoyer la maison et toujours une bonne excuse pour ne rien faire du tout. La maman de Lisette répond que Céleste exagère et que ce n est qu une maladie «de commodité». Quand elle dit cela, elle prend un air dégoûté. Céleste est une belle-mère qui adore énerver sa belle-fille, dit le papa de Lisette en souriant. La maîtresse nous avait appris que «commodités» était un mot chic pour désigner les vécés. Maman dit toujours qu il faut bien se laver les mains après y avoir été parce que ce sont des nids à microbes. Céleste a donc été attaquée par des tismes en allant aux commodités. Elle a attrapé ce fameux rhume. 210