Faute inexcusable : intervention exhaustive
INTRODUCTION Les raisons de la modification (loi du 8 décembre 2009 ; article 34 II devenue L. 133-8) La faute lourde a été chassée du transport terrestre intérieur et de la commission pour deux raisons : 1 ) Tous les autres modes étaient au régime de la faute inexcusable beaucoup plus difficile à caractériser ; 2 ) La faute lourde était fréquemment retenue notamment en matière de vol et appréciée différemment selon les juridictions, d où une insécurité juridique.
I. Historique de l amendement A. Graduation des fautes et leurs effets 1 ) Les différentes fautes a) Le dol et la faute intentionnelle, marque de la déloyauté. Exemple : l acconier qui place délibérément des conteneurs de marchandises convoitées dans un lieu notoirement fréquenté par les malfrats. b) La faute inexcusable : témérité inconsciente. c) La faute lourde : définie par la jurisprudence. En transport terrestre intérieur elle s entend de «la négligence grossière, confinant au dol et témoignant de l inaptitude du transporteur, maître de son action, à accomplir la mission contractuelle qu il a acceptée». d) La faute simple : une banale négligence.
2 ) Effets a) Toutes les fautes qualifiées ont un premier effet : supprimer les limites d indemnités du transporteur b) En CMR, de faire passer la prescription d 1 à 3 ans ; en CIM la faute inexcusable fait échec à la forclusion en l absence de procèsverbal de constat dans les délais et fait passer la prescription d 1 à 2 ans.
B) Inventaire des fautes en transport 1 ) Transport international Maritime a) Convention de Bruxelles du 25 août 1924 (Règles de La Haye) : dol b) Convention de Bruxelles amendée : faute intentionnelle ou inexcusable ; c) Règle de Hambourg : idem d) Règles de Rotterdam : idem Aérien a) Convention de Varsovie : faute intentionnelle ou inexcusable ; b) Convention de Montréal : rien pour les marchandises (hormis le dol qui n est même pas évoqué)
Ferroviaire CIM : faute intentionnelle ou inexcusable ; Fluvial Convention de Budapest (CMNI) : faute intentionnelle ou inexcusable ; Route CMR : dol ou faute équivalente selon la loi de la juridiction saisie. Si c était la France, c était la faute lourde, si c était la Belgique, le dol d où la tentation d aller s y faire juger (forum shopping).
2 ) Régime intérieur Maritime (loi du 18 juin 1966) faute intentionnelle ou inexcusable ; Aérien Article L. 321-4 du Code de l aviation civile (renvoi à Varsovie) devenu L. 6224-3 du CODE DES TRANSPORTS : «pour l application de l article 25 de ladite Convention, la faute considérée comme équipollente au dol est la faute inexcusable. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience du dommage et son acceptation téméraire sans raisons valables»
Transport terrestre (Fleuve, route ; fer encore que les CGV de la SNCF fassent référence à la CIM et donc à la faute inexcusable) : faute lourde qui ne résulte d aucun texte (les articles 1150 et 1151 du Code civil ne parlent que du dol). La faute lourde ne résulte que d un vieil adage latin qui l assimile au dol (culpa lata dolo aequiparatur), la jurisprudence l ayant définie. Cette faute est très souvent retenue en matière de vol quand le chauffeur connaît la nature de la marchandise (ou est censé la connaitre). Quant au commissionnaire, on tend à assimiler faute personnelle et lourde.
Constat : disparité entre les modes, appréciation divergentes de la faute lourde. Conclusion : nécessité d aligner les modes et de faire passer à la faute inexcusable.
II. Elaboration et analyse du nouvel article A. Genèse du texte 1 ) Méthode : a) Le test des contrats types : avant de passer à la chirurgie lourde la loi des ballons d essais ont été lancés via les contrats types. C est ainsi que l on la trouve dans le contrat type voyageurs (pour les marchandises) et qu elle a été introduite dans le contrat type général en cours de révision (à propos de la réduction d un tiers de l indemnité en cas d ordre injustifié de destruction ou d interdiction de sauvetage de la marchandise).
b) Rédaction : l on pouvait se contenter de dire que seule la faute inexcusable était équivalente au dol, ce qui laissait entier le problème de sa définition. Deux questions se posaient : - Fallait-il parler de faute inexcusable (comme en pour les accidents du travail ou dans la loi Badinter) ou employer les périphrases que l on trouve dans les différents textes? La notion étant connue, il a été jugé préférable d appeler un chat un chat
- Pour la définir, était-il préférable d opter pour une création ex-nihilo ou de se caler sur l existant ce qui impliquait un choix entre les diverses rédactions qui divergent peu ou prou, même s il y a en facteur commun la témérité et la conscience du dommage? Par exemple, certaines font état de l acte ou de l omission personnel du transporteur, d autres incluent les préposés. Ou encore, certaines parlent de «dommage» alors que les autres détaillent (voir l article récapitulatif paru au BTL 2007). Le but étant de ne pas trop s écarter de l existant et de protéger au maximum le transporteur et le commissionnaire, c est la version Code de l aviation civile qui a été choisie et qui figure désormais dans le nouvel article L. 133-8 du Code de commerce.
2 ) Amendement originaire «Seule est équipollente au dol, la faute inexcusable du transporteur routier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience effective de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. TOUTE CLAUSE CONTRAIRE EST REPUTEE NON ECRITE».
B. Explications 1 ) Retouches Voici l article L. 133-8 du Code de commerce : «Seule est équipollente au dol, la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. TOUTE CLAUSE CONTRAIRE EST REPUTEE NON ECRITE». Après passage à la Chancellerie, on remarquera deux différences : a) il est fait état du voiturier et non plus du transporteur routier ; b) le terme effectif a disparu.
Pourquoi? Le texte originel avait délibérément employé le terme «transporteur routier» dans le but, peu avouable, de laisser le ferroviaire à la faute lourde. Quant aux fluviaux, ils avaient également été abandonnés, le contentieux étant faible voire inexistant. La Chancellerie a rectifié, pensant soit qu il y avait omission ou perversité des rédacteurs. Elle a estimé également que la conscience du dommage devait s apprécier subjectivement, au cas par cas car telle était la jurisprudence et a donc jugé inutile le terme «effective».
2 ) Autopsie a) En transport terrestre intérieur, désormais seule la faute inexcusable est assimilée au dol. Il en va de même en CMR puisqu elle renvoie à la loi équivalente au dol selon la juridiction saisie. b) Sont concernés : tous les transporteurs terrestres, y compris les déménageurs sauf quand il y a pur contrat d entreprise et les commissionnaires de transport. Que leur faute personnelle soit recherchée ou qu ils doivent répondre du transporteur, ils ne devront indemniser la totalité du dommage qu en cas de faute inexcusable. c) La faute inexcusable doit être prouvée.
d) Elle suppose de démontrer cumulativement quatre conditions : - Une faute délibérée, d où une nuance sérieuse avec la négligence même grossière. Traduction simpliste : «je n ai pas envie d aller au parking situé à 300 mètres de là, je laisse le camion sur l aire d autoroute pas la peine de le verrouiller et je vais voir un ami». - La conscience de la probabilité d un dommage (entendue largement : perte ou avarie) qui s apprécie non «in abstracto» (comportement de tout bon professionnel) mais «in concreto», selon les circonstances. Le transporteur ou le commissionnaire doit avoir vraiment conscience du risque. Traduction simpliste : «je sais, l endroit est mal fréquenté, les vols ou les incendies de poids-lourds sont fréquents». - L acceptation téméraire du risque : Traduction simpliste : «on verra bien» ; - Sans raisons valables (qui pourraient être, par exemple, le respect de la réglementation sociale).
e) Attention! Le texte est d ordre public! Il est donc impossible au chargeur de stipuler une simple faute lourde.
III. Questions/réponses et simulations A. FAQ 1 ) Qu advient-il des autres professions? Pourquoi ne pas les avoir englobées dans l article? Réponse : Les autres professions du transport (commissionnaire en douane, logisticiens, stockeurs, manutentionnaires, transitaires) ont été exclues pour deux raisons : - d abord, elles ressortissent à des contrats spéciaux listés par le Code de civil : dépôt pour le stockeur, mandat pour la commission en douane et le transit, contrat d entreprise pour la manutention : si elles avaient été incluses dans l amendement, l on aurait pris le risque de froisser la Chancellerie en attaquant frontalement les articles 1150 et 1151 de ce Code. D où le danger de faire «capoter» l amendement. C est pourquoi les rédacteurs ont préféré «jouer petit».
- ensuite, la logistique n est pas définie juridiquement. Ces professions-là restent donc soumises au régime de la faute lourde. b) Que se passera-t-il si pour une prestation associant transport et dépôt? Réponse : si le juge estime que la prestation principale est le transport (théorie de l accessoire), elle relèvera de la faute inexcusable. S il décide l inverse, ce sera la faute lourde. Le même raisonnement s applique si la juridiction se fonde sur la prestation ayant généré le dommage.
c) Un dépositaire peut-il stipuler dans ses CGV que seule la faute inexcusable balaie les limites d indemnité? Oui. C est une convention de responsabilité qui n empêche nullement le dépositaire de se mettre contractuellement au régime de la faute inexcusable (si son partenaire en est d accord). Simplement, cette clause aura moins de valeur que la loi. d) Que se passe-t-il si un commissionnaire est recherché du fait d un dépositaire à qui l on reproche une faute lourde? La responsabilité du substitué rejaillissant sur le commissionnaire, celui-ci subira les effets de la faute lourde et ne pourra invoquer la faute inexcusable. En revanche, si sa responsabilité personnelle est en cause, seule cette dernière pourrait balayer ses limites d indemnités.
e) Pourquoi ne pas avoir visé seulement le dol? Pour trois raisons : - d abord, on aurait cassé l argumentaire portant sur l égalité des modes ; - ensuite, la Chancellerie n aurait sûrement pas apprécié ; - enfin, la rédaction aurait été beaucoup plus difficile. f) L article s applique-t-il aux situations passées? Non. Selon l article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l avenir. Peu importe que le texte soit d ordre public. Par ailleurs, les rédacteurs n ont pas voulu lui conférer un caractère interprétatif qui l aurait fait rétroagir.
g) Que se passe-t-il si le juge inflige une faute lourde alors qu elle est normalement inexcusable? Nous avons eu le cas en maritime. Si le juge relève simplement une faute lourde sans en tirer d autres conséquences, le transporteur ou le commissionnaire garderont leurs limites d indemnité. En revanche, s il les en prive alors que la loi nouvelle est applicable, il faudra faire appel.
2 ) Simulations Il est difficile de se mettre à la place des juges et de prédire comment sera appliquée une loi qui vient d être promulguée. On peut toutefois penser à quelques cas, tant en se fondant sur le maritime et l aérien qu en revisitant le contentieux terrestre.
a) Au mépris des instructions de son commettant, le commissionnaire choisit un transport routier plus risqué au lieu du transport aérien demandé. Sa faute personnelle est-elle inexcusable? Voyons si les quatre conditions sont remplies : 1) Y a-t-il eu faute délibérée : oui puisque le commissionnaire a modifié les instructions surtout si elles étaient impératives. 2) Avait-il conscience de la probabilité du dommage? Pas forcément sauf s il a fait partir par route la marchandise dans un lieu notoirement risqué. 3) A-t-il accepté témérairement le risque? Ce n est pas évident mais on peut conclure que oui. 4) Avait-il une raison valable? La raison valable peut être l indisponibilité du transporteur aérien, l absence d appareil de capacité suffisante pour atterrir dans l aéroport choisi ou le souci de faire payer moins cher. Si tel est le cas, la faute inexcusable ne sera pas retenue.
2 ) Un transporteur chargé de sensibles s arrête un bref moment parce que son camion est en panne ou pour faire viser les documents. Quel est son sort? Il n y a pas faute inexcusable, aucun des critères n étant rempli. 3 ) Le transporteur s occupe du chargement et procède à un sanglage insuffisant. En résulte la chute de la marchandise. Qu en est-il? Là aussi, l on ne saurait parler de faute inexcusable, le transporteur n ayant pas conscience de la probabilité du dommage. 4 ) Ne trouvant personne, le transporteur abandonne une marchandise périssable (disons des vaccins) dans le coin d un hôpital. Qu en est-il? L on est dans la faute inexcusable.