«Printemps arabes en Tunisie, au Maroc et en Mauritanie : où en sont les revendications sociales?»



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Transcription:

Conseil d Administration du 19 avril 2012 Note de veille stratégique «Printemps arabes en Tunisie, au Maroc et en Mauritanie : où en sont les revendications sociales?» Compte-rendu réalisé par le GIP SPSI du séminaire organisé par l Agence Française de Développement (AFD) et le Fonds d Analyse des Sociétés Politiques (FASOPO) 1 er février 2012 Ce séminaire, organisé par l AFD et le FASOPO en collaboration avec le CERI-SciencesPo, avait pour objet la restitution de trois études qui analysent les revendications sociales en Tunisie, au Maroc et en Mauritanie sous-jacentes aux revendications politiques des «printemps arabes» et de les confronter à des acteurs sociaux maghrébins qui se sont trouvés au cœur des évènements. A retenir : - La réactivité de l AFD aux évènements, sa volonté de comprendre les dynamiques en cours et son intérêt pour la finance islamique - L intérêt d analyser les évènements à l aune des revendications sociales portées, dont les ressorts sont similaires mais qui font référence à des modes d exercice du pouvoir et à des trajectoires nationales très différentes. o Au Maroc, le mouvement du 20 février s attaque à la culture de la rente qui prédomine et est source d inégalités. o En Tunisie, la révolution de Jasmin met en lumière les questions de l inégalité et de l injustice révélatrices de la formation asymétrique de l Etat. o En Mauritanie, les revendications contre la vie chère sont dirigées elles aussi vers la culture de rente des grands commerçants tandis que la question de l esclavage réapparait sur la scène politique. - L absence de femmes dans le panel d acteurs sociaux que l on peut signaler au regard de la forte présence féminine dans les mouvements sociaux des printemps maghrébins, et l absence également de non-francophones. Page1 Dov ZERAH, directeur général de l Agence française de développement, a introduit le séminaire en mettant en valeur l importance accordée par l AFD à ces pays et sa réactivité à prendre en compte la nouvelle donne politique, sociale et économique de cette zone. Ainsi, le premier prêt signé dans le cadre du partenariat de Deauville l a été par l AFD qui a également pris des décisions d engagement à l égard de l Egypte et de la Jordanie. L AFD a totalement revu sa stratégie, davantage axée sur une croissance génératrice de revenus, une meilleure répartition des ressources et une amélioration du fonctionnement du système financier avec, notamment, le développement de la microfinance. Des évènements, l AFD tire également la conclusion qu elle doit être de plus en plus à l écoute de la société civile, qu elle doit renforcer sa présence auprès d elle car, dit Dov Zerah, «nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans un dialogue avec les Etats structurés». L AFD prend également note de l élection de gouvernements islamiques, qui 1

rend obligatoire la connaissance de la finance islamique. Elle a signé un partenariat avec la Banque islamique de développement et organise à ses côtés, le 30 avril à Djeddah, une conférence sur la microfinance islamique. «Nous cherchons à coller à la réalité pour être plus justes dans nos réponses». Béatrice HIBOU, directrice de recherche au CNRS, a présenté le cadre général des trois études. Alors que les évènements sont beaucoup commentés sous l angle des réformes constitutionnelles, des élections et des transformations politiques, il est intéressant de les analyser sous le prisme des mouvements sociaux et de leurs revendications. Si la demande d un nouvel ordre politique est forte, des revendications sociales ont largement été portées : emplois pour tous, contre la vie chère, pour l intégration dans les rouages fondamentaux de la société, pour des services publics moins défaillants Les trois études partent de l idée que l on ne peut comprendre les transformations politiques en cours si l on ne comprend pas les questions sociales et économiques qui sont posées. Les études ont révélé trois thèmes fédérateurs : l émergence de la question de la trajectoire asymétrique entre l Etat et la nation, un ordre sociopolitique critiqué comme facteur d inégalités et en même temps des modalités de gestion des mécontentements qui révèlent la nature du pouvoir (clivages régionaux en Tunisie, prix et esclavage en Mauritanie, question de la rente au Maroc) et l émergence de la question de l Etat avec l échec de l Etat-providence et des interrogations sur les nouvelles formes d Etat (délégation au Maroc et en Tunisie, accroissement de la surface de l Etat social en Mauritanie). Le cas du Maroc : «contestation sociale et gestion politique de la corruption et du chômage au Maroc» Mohamed TOZY, chercheur en sciences politiques, s est réjoui de cette collaboration entre le temps long de la recherche et l urgence d une demande opérationnelle. Au Maroc, le mouvement du 20 février, comme dans les autres pays, n a pas de leader reconnu, mais il a été réapproprié par les acteurs classiques de la contestation : Al Adl Wal Ihsane 1 et l extrême gauche (PSU notamment). Le paradoxe est que le Parti Justice et Développement qui a gagné les élections ne s est pas rallié spontanément au Mouvement du 20 février mais il en a récolté les fruits. Les motivations électorales sont à la fois un vote de conviction, un pari pascalien (pourquoi pas le PJD?), un vote sanction et un vote du pire (pour faire chanceler le système). M. Tozy ne pense pas que l analyse qui consiste à affirmer que le Makhzen a changé les choses pour ne rien changer aide à comprendre les évènements. L étude qu il a menée s attache à développer une autre grille de lecture, celle du rapport entre gouvernants et gouvernés qui traduit une logique impériale de gouvernement autour de principes différents de ceux d une relation étatique. La logique impériale fait prévaloir l autorité sur le pouvoir et s accommode d une gestion discontinue dans le temps et dans l espace (décentralisation), de la délégation, de la décharge et de la non prise en compte des malheurs de la société. Le périmètre de son gouvernement peut être restreint tant que le périmètre de gouvernement symbolique est très large. C est la raison pour laquelle la monarchie joue le jeu d une décentralisation extrême. Hassan II avait dit qu il pouvait céder au Sahara occidental toutes les prérogatives politiques mais qu il voulait y voir le drapeau marocain, le timbre et la monnaie. Pour M. Tozy, une autre caractéristique de la logique de pouvoir marocain est sa culture partagée de la rente. Page2 Irène BONO, chercheuse en Sciences Politiques, a poursuivi la présentation des résultats de l étude en s appuyant sur l exemple de la gestion du chômage et de l éducation/formation. Le 1 Mouvement islamiste «Justice et bienfaisance» du Cheikh Yassine 2

chômage est perçu comme un problème démographique (accès des jeunes au marché de l emploi) et le modèle de développement marocain n est pas mis en débat. L application et la mise en œuvre des discours politiques sont liés à la nature du capitalisme marocain caractérisé par la logique rentière. L industrie de l employabilité est intrinsèquement rentière : pour avoir un bon travail, il faut une formation, ce qui entraine une demande quasiment inépuisable de formations et une multiplication des écoles privées. L incohérence des cadres règlementaires crée des zones d ambigüités donc des décisions arbitraires et des situations privilégiées, pour certains, de proximité avec l administration. Au final, on perçoit dans l étude que les mouvements sociaux traditionnels (diplômés chômeurs par exemple) ne remettaient pas en cause la culture de la rente, plutôt ses bénéficiaires, alors que le Mouvement du 20 février s attaque directement aux rentes, passe-droits et clientélismes. Mohamed SOUAL, conseiller du président de l Office Chérifien des Phosphates pour les questions sociales, affirme que l une des fonctions de l Etat est l organisation de la distribution de la rente et que le problème est plutôt de savoir si cela est fait de manière transparente ou discriminatoire. Il est vrai que les enjeux inhérents aux luttes de pouvoir au Maroc étaient des enjeux liés à l accès aux ressources, notamment publiques. Il y a une telle évolution institutionnelle, politique que nous allons vers une organisation plus institutionnalisée de cette rente, ajoute M. Soual. Kamal LAHBIB, Vice-Président du Forum des alternatives, a noté pour sa part le paradoxe entre un mouvement social laïc et séculaire et des élections qui amènent au pouvoir ceux qui l ont toujours rejeté, les islamistes. Il garde un goût d inachevé car la constitution reste très ambigüe sur la liberté de conscience et sur la hiérarchie des normes. Il estime par ailleurs que la culture de la rente est intégrée dans la mentalité marocaine à tous niveaux. A chaque difficulté, on donne un privilège. Le recrutement des diplômés chômeurs s est fait hors du cadre légal, c'est-à-dire sans passer le concours. Cela n a d ailleurs pas affaibli le mouvement, ça l a renforcé. La revendication n est pas «un travail pour tous», mais «puisque j ai un diplôme, je demande le droit d intégrer la fonction publique». Un participant a interrogé les intervenants sur le périmètre de la rente et si l on pouvait considérer l aide apportée par l AFD, l aide publique au développement comme une rente. Aucune réponse n a été apportée mais la définition suivante de la rente a été donnée : «accès privilégié et agrée à une ressource». Page3 Le cas de la Tunisie : «Dynamiques économiques et sociales du printemps arabe en Tunisie» Jean-François BAYART, directeur de recherche au CNRS, président du FASOPO et ancien directeur du CERI-SciencesPo, a introduit la session en recommandant d être prudent sur l utilisation du terme «révolution» ou de l expression «transition démocratique» : c est un processus qui a revétu un caractère révolutionnaire et qui n est pas fini, qui peut être réversible. Il a invité à sortir de l opposition entre religieux=tradition et laïc=modernisme en rappelant que des régions profondément religieuses comme la Bavière ou la Bretagne ont été à la pointe du modernisme. M. Bayart s est attaché ensuite à bien historiciser l opposition entre le littoral et l intérieur en Tunisie. L asymétrie de la formation de l Etat est quelque chose de très répandu : l unité allemande s est faite à partir de la Prusse. La spécificité du cas tunisien est que l asymétrie 3

n a pas été compensée par une politique d aménagement du territoire, ni par des transferts massifs. L Ouest et le Sud sont dominés par une économie de la frontière, éminemment sensible sur le plan politique, sécuritaire et économique. Adnane HAJJI, syndicaliste, leader de la révolte du bassin minier de Gafsa en 2008, tient à souligner que la révolution a commencé avant Bouazizi, qu une chaine d évènements en est à l origine depuis 2008. Les revendications qu il portait en 2008 sont toujours valables aujourd hui, «on a reçu que des menaces, que de la violence». Il ajoute qu une personne de l assemblée constituante s est appuyé sur le Coran pour affirmer que les gens qui organisaient des sit-in étaient des ennemis de Dieu et qu ils méritaient la mort. Interrogé sur «les droits» que les mineurs revendiquent comme les leurs vis-à-vis de la compagnie de phosphates, M. Hajji répond : le droit au recrutement des fils des gens qui sont devenus invalides à cause de leur travail, comme indemnisation. Slim TISSAOUI, secrétaire général de la fédération régionale de l UGTT de Jendouba, a joué un rôle déterminant dans l extension de la mobilisation révolutionnaire de décembre 2010 au-delà de Sidi Bouzid. Il a une expression étonnante pour décrire les évènements : «on était là et une révolution nous est rentrée dedans!». Lui aussi souhaite faire remonter les origines de la révolution de jasmin bien en deçà de l immolation de Mohamed Bouazizi. Il est également d avis que la seule transformation tangible est la liberté d expression, mais que rien n a changé au niveau économique et social. Il reconnait que ce qui a été tissé pendant tant d années va prendre du temps à être détricoté. Samir RABHI, membre de l UGTT, a été l un des acteurs clefs du soulèvement à Kasserine. C est sans doute la ville la plus pauvre de Tunisie, une ville oubliée par le modèle néolibéral. Elle s est soulevée en écho à la vague de protestations partie de Sidi Bouzid, pour l amplifier. Ridha RADDAOUI est avocat, militant des droits de l homme et défend des syndicalistes emprisonnés lors de la répression du mouvement. «Avant, on avait 4 oreilles et pas de bouche. Aujourd hui on a 4 bouches et plus d oreilles!» L ère Ben Ali avait brisé les structures associatives, syndicales et politiques. Les réseaux sociaux sont venus apporter une nouvelle dynamique. M. RADDAOUI estime qu Ennahda a un projet en relation avec la religion, mais pas avec la société musulmane, n a pas de sensibilité économique et sociale. Le cas de la Mauritanie : «Contestation et exercice du pouvoir en Mauritanie : dénonciation de la vie chère et résurgence de la question de l esclavage». Boris SAMUEL, chercheur au CERI-SciencesPo, et Zekeria OOULD AHMED SALEM, chercheur à l université de Nouakchott, ont présenté le contexte d instabilité chronique qui prévaut en Mauritanie depuis le début des années 2000 et des revendications sociales qui reviennent régulièrement avec force. Il n y a pas eu véritablement de printemps mauritanien, mais un pic des revendications et la création d un «mouvement du 25 février», avec deux caractéristiques principales : la résurgence de la question de l esclavage dans le débat politique et la lutte contre la vie chère comme revendication principale. Page4 4

Le mouvement le plus emblématique est celui qui revendique une place sociale, la dignité, le partage du pouvoir avec la communauté arabophone des hrâtîn, ancien esclaves affranchis qui représentent 40 à 50% de la population mauritanienne. Bien que l esclavage ait été aboli en 1981, il n y a pas eu de réelle émancipation et les pratiques esclavagistes et discriminatoires persistent. Deux nouvelles organisations ont été créées en 2007 pour l accès aux droits des hrâtîn. Des crises, des émeutes de la faim, ont eu lieu de manière récurrente en Mauritanie depuis le début des années 90. Il est intéressant de constater que les dernières émeutes sont nées d une mesure politique qui augmentait largement la TVA en échange de la suppression d un autre impôt. L effet aurait du être neutre pour la population mais les commerçants ont augmenté les prix. Les revendications se sont tournées contre les commerçants et l accès à la rente. Les parts de marché se resserrent de plus en plus autour de quelques figures proches du régime. La 1 ère mesure prise par les autorités pour éteindre le printemps mauritanien a été de baisser de 30% les prix des denrées de 1 ère nécessité. Page5 5