H.E.G. Mémoire : La publicité, Naissance d une profession (1900-1940)

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Transcription:

Marine 2011 MOATI TC.3 DEGEAD.2 H.E.G. Mémoire : «Les débuts du métier de publicitaire en France (Première moitié du XX siècle)» La publicité, Naissance d une profession (1900-1940) Marie-Emmanuelle CHESSEL CNRS Editions

«La publicité pénètre partout, tout le monde la lit, elle touchera vos clients, elle vous en apportera de nouveaux. C est un procédé moderne pour l affaire moderne que doit être la votre», tel est l un des slogans que le journal français L Ouest Eclair faisait apparaître tous les matins de 1899 à 1944 au milieu de ses articles de presse et autres annonces en tout genre. Si l on se projette au XXI siècle, il est clair que la publicité fait partie intégrante de nos vies. Mais à quel moment celle-ci s est-elle imposée comme élément incontournable du quotidien des français? La période à laquelle ce journal souligne l arrivée fulgurante de ce nouveau phénomène, à savoir la première moitié du XX siècle, mérite une attention particulière. C est en effet au début des années 1900 qu apparaissent les premières instances représentatives des activités de la publicité, et que celle-ci commence alors à amorcer sa propre histoire. Il va de soi que les dimensions de la publicité sont très étendues et que ses multiples facettes aussi bien économique, sociale que culturelle participent à la représentation que l on s en fait aujourd hui. Phénomène caractéristique de l essor des sociétés de masse, c est une profession qui s est construite, et surtout profondément transformée au cours du XX siècle. On comprend alors facilement l importance capitale que constitue l histoire de la publicité pour éclairer la place qu elle occupe actuellement. 1

Pourtant, il apparait que l histoire de la publicité n a en réalité guère suscité un réel intérêt, et qu elle a plutôt fait l objet d ouvrages de vulgarisation que celui de véritables travaux scientifiques. Comment expliquer un tel désintérêt des auteurs à traiter un sujet qui occupe une place aussi importante au sein de nos sociétés industrielles? Certains des rares auteurs à avoir élaboré des travaux sur la publicité ont tenté de répondre à cette question en soulevant différentes hypothèses. Tout d abord, la plupart des chercheurs se seraient plus concentrés sur des domaines tels que l histoire économique que la presse ou les médias. Ensuite, cela pourrait être le reflet du mépris que la société française a longtemps manifesté à l égard de la communication marchande. Il est vrai que, contrairement aux Etats-Unis, la publicité a, en France, longtemps été considérée comme une activité marginale et sans influence. Cela explique sans doute le manque d information qu ont déploré les chercheurs ayant tenté de mener des études sur son histoire. Si beaucoup d historiens ont été découragé par l immense chantier de la question publicitaire, certains passionnés ont, eux, fait partager leurs recherches sur ses acteurs, ses techniques ou encore sur la construction du métier de publicitaire. C est notamment ce à quoi s est entrepris Marie-Emmanuelle CHESSEL, docteur en Histoire et chercheuse au CNRS dont les travaux portent essentiellement sur l histoire des consommateurs et l enseignement de la gestion. Son œuvre, La publicité, Naissance d une profession 1900-1940, retrace la façon dont la publicité est parvenue à faire sa place dans une France en pleine transformation. Avant toute chose, une question essentielle mérite d être posée : Qu est ce que l on entend par «publicité»? Sujet de nombreux débats et controverses, les tentatives de définition d un tel phénomène ont fait couler beaucoup d encre. Au final, si élaborer une définition à laquelle tout le monde adhère semble difficile à obtenir, on peut néanmoins retenir l idée suivante : la publicité est l ensemble des moyens de toutes sortes, destinés à faire connaître les produits du commerce et de l industrie au plus grand nombre de personnes possible, de façon à suggérer le désir d en faire l acquisition au prix d un sacrifice d argent. Aussi, si l on se réfère à la Thèse pratique de publicité de Hémet, il est évident que ces «moyens» varient non seulement à travers le temps, mais aussi à travers l espace. Ils ne sont certainement pas aujourd hui ce qu ils étaient il y a vingt ans, et certainement encore moins ce qu ils seront demain. Ce qui réussit quelque part à un moment donné, ne réussira pas forcément ailleurs à une autre époque. C est certainement là le plus gros enjeu du métier de publicitaire qui se dessine peu à peu et qui prend tout son sens au début du XX siècle. Le métier de publicitaire, né sous la plume d Octave-Jacques Gérin au travers de ses cours à l Ecole technique de publicité, n est pas parvenu à s imposer sans difficultés. 2

S il a non seulement remis en cause tout le métier d affichiste qui existait auparavant, il a surtout fallu qu il impose sa légitimité auprès des autres professions du monde de l entreprise. Démontrer sa nécessité et son efficacité, tel était le projet ambitieux des défenseurs de la publicité. D autre part, si le métier a pu prétendre à une certaine forme de légitimité dans le monde des affaires, qu en est-il du regard de l opinion publique? Si l on s en tient à ce qu écrivait Edgar Morin dans La publicité. De l instrument économique à l institution sociale, la publicité «consiste à transformer le produit en stupéfiant mineur, ou à lui inoculer la substance droguante, de façon que son achat-consommation procure immédiatement l euphoriesoulagement, et à long terme, l asservissement». Une position susceptible d en effrayer plus d un, c est le moins que l on puisse dire. Pourtant, si elle est encore aujourd hui largement critiquée, il semble que plus personne ne remette en cause son caractère essentiel, aussi bien dans le monde des affaires que dans la sphère publique. L œuvre de Marie-Emmanuelle CHESSEL prend ainsi tout son sens et nous conduit à nous poser la question suivante : Comment le publicitaire est-il parvenu, dans la première moitié du XX siècle à imposer sa légitimité aussi bien dans la sphère professionnelle qu auprès du grand public? Le dossier qui suit ne prétend pas répondre à toutes les questions que pose un sujet aussi vaste que celui de la publicité, mais il m a semblé intéressant de traiter le sujet du point de vue de la «légitimité» qu a su acquérir le publicitaire au début du XX siècle. En effet, l objet de notre cours cette année a trait aux différents concepts de gestion de l entreprise, ainsi qu à la mise en place de la firme capitaliste et plus particulièrement à celle de sa légitimité en tant que forme dominante du monde entrepreneurial actuel. J ai ainsi choisi le thème de la légitimité publicitaire car elle constitue la justification et le fondement de cette nouvelle activité, qui a émergé et s est développée en parallèle avec le monde capitaliste. Nous étudierons dans un premier temps l acquisition de la légitimité de la publicité auprès du corps professionnel, en traitant d une part des réticences auxquelles elle a du faire face, puis d autre part de l émergence progressive de la profession. Dans un second temps, nous nous intéresserons à l acquisition de sa légitimité au regard de l opinion publique en nous penchant plus particulièrement sur les difficultés posées par le marché, ainsi qu aux différents mouvements, notamment artistiques, qui l ont aidé à se mettre en place. 3

Sommaire Comment le publicitaire est-il parvenu, dans la première moitié du XX siècle, à imposer sa légitimité aussi bien dans la sphère professionnelle qu auprès du grand public? Introduction 1 I. Acquisition d une légitimité dans le monde des affaires 5 A. Des réticences et des difficultés à faire reconnaître la nécessité du métier 1. Une organisation lente du métier face à des critiques virulentes 2. La création d établissements de formation spécialisés B. L émergence progressive d une profession à part entière 1. La crise des années 30 comme prise de conscience de l importance de la publicité 2. La création du Centre de Préparation aux Affaires, un tremplin pour la publicité 3. Le prix de la «pub», ou la concurrence entre métiers engendrées par la publicité II. Acquisition d une légitimité au regard de l opinion publique 12 A. L effort d adaptation de la publicité face aux difficultés du marché 1. Une société française d abord inadaptée à l intrusion de ce nouveau phénomène 2. Les moyens mis en œuvre pour faire face aux limites posées par le marché B. L art moderne au secours de la publicité 1. Tentatives de réglementation de l affichage au début du XX siècle, un frein à l expansion de l activité du publicitaire? 2. L alliance entre artistes modernes et publicitaires, deux activités en quête de légitimité L exposition internationale de 1937, ou l apogée de la légitimation de la publicité auprès des professionnels et des consommateurs 19 Conclusion 20 4

Bibliographie 21 I. Acquisition d une légitimité dans le monde des affaires : L apparition du métier de publicitaire n est pas indépendante du milieu environnant, et avant de pouvoir s imposer en tant que profession à part entière, il a fallu que les défenseurs de la publicité légitiment leur existence et leur spécialisation, le tout face à la méfiance du monde des professionnels. A. Des réticences et des difficultés à faire reconnaître la nécessité du métier : Au début du XX siècle, c est un véritable tournant qui s effectue dans le milieu des affaires, et plus exactement dans celui de l entreprise, celle-ci prise au cœur de nombreuses transformations. Il faut s adapter à l industrialisation, l émergence des masses, mais aussi à la concentration des pouvoirs et surtout à la nécessite de trouver de nouveaux circuits de créativité. Avec une France qui veut évoluer, les populations entrent dans une nouvelle ère et cherchent à s émanciper dans cette société devenue désormais une véritable société de consommation. La recherche du profit dans une France désormais plus dynamique va devoir trouver de nouvelles méthodes pour la promotion de ses produits. C est ainsi que l activité publicitaire va apparaître. Comme le montre très bien Marie-Emmanuelle CHESSEL dans son ouvrage, dès la première moitié du XXème siècle, les défenseurs de la publicité française s efforcent de définir leur identité, de revendiquer des compétences spécifiques, et surtout de se différencier par rapport aux pratiques précédentes, en somme de construire leur professionnalisme. Mais cette volonté de reconnaissance du milieu de la publicité est un projet délicat, et l organisation de ces futurs publicitaires ne s établit pas sans se heurter à de violentes critiques de la part des autres professions. 1. Une organisation lente du métier face à des critiques virulentes : La première étape de légitimation de la publicité passe par l apparition de syndicats, d associations et de corporations qui cherchent à tout prix à défendre l importance de leur activité. C est ainsi que, dès 1906, on voit apparaître la Chambre syndicale de la publicité (CSP) qui représente alors leur toute première organisation professionnelle. 5

Cependant, il convient de noter que très vite, deux conceptions concurrentes de l activité publicitaire apparaissent. D un côté les partisans de la publicité comme échange d espace au service d un organe de presse, et de l autre les défenseurs d une technique au service de l annonceur. C est cette deuxième position, défendue par Octave-Jacques Gérin, non seulement théoricien mais aussi inventeur de la profession de publicitaire, qui permet de fonder la Corporation des techniciens de la publicité (CTP) en1913. Il cherche réellement à défendre la conception du publicitaire comme une pratique bien distincte de celle des autres professions. Cette promotion d un métier qui se veut représenter la modernité d une société en pleine mutation doit faire face à de nombreuses critiques qui sont véhiculées par les autres professions, déjà elles bien implantées dans le monde des affaires. Ainsi, la publicité est accusée d être un simple outil de manipulation, inutile, symbole du matérialisme, et dont le prix très élevé imposerait aux consommateurs de faux besoins, une véritable «barbarie du confort» (CHESSEL, 1998, p.32). Comment les défenseurs de la publicité peuvent-ils alors imposer leur activité comme légitime s ils ne sont pas soutenus par leurs pairs? Les annonceurs, écrivains ou encore journalistes s empressent de les décrédibiliser, et ce, au sein même des entreprises. Loin de se décourager, ils vont alors tenter de démontrer l efficacité de leur activité comme méthode commerciale, défendre leur projet de modernité en s opposant à l archaïsme des anciennes méthodes comme la réclame, et réaffirmer le rôle économique et social de leur activité. A la recherche d une reconnaissance sociale de la profession, les associations et syndicats se multiplient, hélas sans succès. Il faudra attendre 1934 pour que la CSP modifie ses statuts pour devenir une fédération de syndicats indépendants, la Fédération française de la publicité. La publicité reste une pratique très critiquée et ses représentants comprennent qu ils ont besoin de la légitimer autrement que par des organisations. Pour plus de crédibilité, il faut, comme l ont fait d autres métiers, distinguer les professionnels des amateurs, ce qui doit nécessairement passer par la création d enseignements spécialisés. 2. La création d établissements de formation spécialisés : On connait bien à l heure d aujourd hui, l importance fondamentale accordée aux cours de publicité et marketing qui sont enseignés dans les plus prestigieuses écoles de commerce telles que H.E.C, l ESSEC ou encore l ESCP. Mais cette nécessité de l enseignement de la publicité est en réalité évoquée dès le tout début du XX siècle, et ce notamment par Vergne, secrétaire général de la Chambre syndicale de la publicité, mais aussi par le fameux publicitaire O.-J. Gérin. Si le premier revendique l importance de donner aux commerçants les notions de bases de la publicité, le second, lui, cherche à former de réels professionnels. 6

Quel que soit le but recherché, ils concourent dans tous les cas à renforcer la nécessité et l efficacité de telles formations. Pourtant les enseignements restent encore limités et on assimile leur contenu trop souvent à ceux des cours de vente. Il faut attendre 1927 pour qu apparaisse l Ecole technique de publicité (ETP) et que la formation d un corps de spécialistes, formés par des publicitaires sérieux, puisse enfin se définir. Le président fondateur de cette école, Henri Ruzé, décide de baser le contenu de ses cours sur une compétence générale et sur l acquisition de bases techniques, mais surtout il impose un examen pointu et le nombre de diplômés, futurs professionnels de la publicité, est limité à une trentaine par an. Le critère de sélection contribue alors au renforcement de crédibilité de la profession. L enseignement d une éthique, d un esprit de groupe et l apparition d un titre scolaire et donc professionnel s accompagne dans le même temps de l exigence d une élaboration de règles de conduite internes. Ainsi, si le premier Code relatif aux usages de la publicité apparaît en 1921, c est au cours de l année de la création de l Ecole technique de la publicité qu est mis un réel Code de pratiques communs, à savoir le Code de pratiques loyales en 1927. Plus rigoureux dans leur façon de s affirmer au sein de la sphère professionnelle, les défenseurs de la publicité sont confrontés à une double exigence : se faire accepter par le monde académique, mais aussi améliorer le fonctionnement des entreprises. En effet, il convient de noter que l émergence de la publicité ne peut pas être séparée des événements qui se produisent en France à la même époque. Or, la crise de 1929 qui correspond certainement à la plus grande dépression économique du XX siècle n est évidemment pas sans conséquence sur le mode de gestion des entreprises. Comment améliorer les canaux de distribution des produits et organiser la production dans une telle période de crise? Les publicitaires, forts de leur désir de se rendre utiles, vont utiliser cette crise pour revendiquer la place primordiale de leur activité. B. L émergence progressive d une profession à part entière : Alors qu au lendemain de la première guerre mondiale, et ce durant les années 20, les firmes donnent l illusion d une certaine prospérité, la crise de 1929 remet en question la façon dont est gérer le monde du travail. Les entrepreneurs doivent repenser leurs marchés, on assiste à une prise de conscience de la nécessité de rationnaliser les méthodes commerciales. Basée sur l exemple des Etats-Unis, les publicitaires utilisent ce besoin de rationalisation pour 7

apporter des solutions à ces entreprises en crise, et font pour cela appel aux méthodes d organisation scientifique du travail. 1. La crise des années 30 comme prise de conscience de l importance de la publicité : Le principe est simple : promouvoir et mettre en place des méthodes d organisation scientifique du travail dans l entreprise. On observe alors ici l influence directe des méthodes créées par Taylor et Fayol sur l organisation scientifique du travail, ayant pour but d améliorer les rendements des entreprises. Stade ultime de la division du travail, cette préoccupation à laquelle devaient faire face les ingénieurs descend dans l univers de la vente, et touche ainsi directement le milieu de la publicité. On assiste à une multiplication des réunions et des engagements et c est ainsi que les agences de publicité françaises se développent et possèdent un véritable succès, comme c est le cas des entreprises Damour, Publicis ou encore Synergie. Ainsi, le publicitaire parvient à démontrer sa réelle utilité et sa nécessité pour faire vivre le marché. M-E CHESSEL exprime cette idée en se référant directement à Yoland Mayor qui l explique de façon très explicite dans les Annales d histoire économique et sociale, «La difficulté pour l industriel n est pas de fabriquer des produits nouveaux, mais bien de les vendre. Elle n est pas technique, mais commerciale. La valeur marchande d une spécialité pharmaceutique ne réside pas dans l excellence de sa formule mais dans la publicité pour la lancer [ ], il est plus facile de trouver un chef de fabrication qui permette de produire dans les meilleurs conditions techniques qu un chef de service commercial capable de créer une clientèle» (Mayor, 1936, p.417). S imposant comme les «rationnalisateurs» du marché, et s inspirant très fortement des techniques enseignées par le Taylorisme et le Fordisme, les publicitaires tentent d imposer leur légitimité par le caractère scientifique. 2. La création du Centre de Préparation aux Affaires, un tremplin pour la publicité : Toujours dans un but de rationalisation des méthodes commerciales et publicitaires, la Chambre de commerce de Paris crée en 1930 le Centre de Préparation aux Affaires (CPA), une école de formation des cadres et dirigeants d entreprise. Cet établissement s inscrit dans la continuité des initiatives visant à promouvoir l organisation scientifique du travail amorcée depuis les années 20, le tout basé en grande partie sur le modèle américain de la «Harvard Business School». Là encore, comme pour l Ecole technique de publicité, l accès à l enseignement et surtout l obtention du diplôme sont relativement difficiles, ce qui légitime encore un peu plus la formation. Il s agit bel et bien d une aubaine pour les publicitaires qui cherchent à promouvoir leur activité et à former des cadres commerciaux avertis. 8

Très imprégnée du modèle Fayolien, cette école a l ambition d enseigner une direction rationnelle de l entreprise qui permettrait l adéquation des moyens aux buts, ainsi que la séparation de la fonction administrative des autres fonctions. On retrouve ici la célèbre théorie du PO3C introduite par Fayol : Prévoir, Organiser, Commander, Coordonner et Contrôler. Un nouvel enjeu se présente ensuite au CPA comme une évidence : il faut ouvrir les enseignements sur les réalités pratiques de l entreprise et se dégager des cours trop théoriques. Le CPA va ainsi se charger d expliquer comment rendre l activité de la publicité plus efficace. C est notamment au travers de ses cours que l on s aperçoit de l importance de la nature du marché, et l on prend conscience que la marque constitue un élément phare. C est en effet une garantie pour les consommateurs qui n ont plus de repères, et qui sont rassurés par la qualité du produit qu ils vont acheter. Ici, on peut voir l exemple de la publicité de l entreprise SINGER qui vise à vendre des machines à coudre à un public bien ciblé, les maîtresses de maison. La notoriété de la marque contribue à rassurer les consommateurs dans la qualité de leur produit. 9

Parmi les enseignants du CPA, on compte notamment Léon Jonès ou encore Henri de Boissac qui ont tous deux travaillés dans l agence de publicité Damour. Arrêtons-nous un instant sur celle-ci. Fondée en 1920 par Etienne Damour, elle constitue un élément fondamental à l émergence de la profession du métier de publicitaire. En effet, E. Damour insista toute sa vie sur l aspect social bénéfique de la publicité et a fait franchir à la profession un cap décisif. Certainement l un des premiers théoriciens de la publicité moderne, il a collaboré avec O-J. Gérin dans l élaboration de l œuvre, Le précis intégral de publicité, qui expose les notions essentielles de techniques publicitaires et de vente, et qui restent, aujourd hui encore, fondamentales. C est grâce à lui que le publicitaire est parvenu à s imposer face au courtier et à l affichiste, et qu il a fait comprendre l insuffisance de la réclame pour mieux démontrer la nécessité de la publicité. Un élément que l agence Damour s est employé à transmettre à ses sujets était l importance d étudier le produit destiné à être vendu, ainsi que son organisation dans la distribution. Vendre quoi? A qui? Pour quels besoins et quels goûts de la clientèle? Créer directement la demande des consommateurs par une publicité intense n est applicable qu à des produits de grande série, à cadence déterminée et qui permettent à l industriel de se soumettre à la concurrence des prix. Mais cela implique bien sûr des frais de vente élevés, et démontre ainsi les impératifs financiers qui sont une barrière à l entrée dans le monde publicitaire. C est notamment là l un des points les plus délicats de la profession : la publicité a un coût! 3. Le prix de la «pub», ou la concurrence entre métiers engendrée par la publicité : Les grands magasins qui font la nouveauté du XX siècle l ont bien compris, la publicité a un prix et il faut élaborer des méthodes commerciales en fonction de celui-ci. Dans les années 20, l augmentation des budgets accordés à la publicité et l échec de certaines campagnes entraine une remise en cause : Comment réduire les frais généraux et la concurrence? Plusieurs techniques sont lancées. Les grands magasins élaborent des systèmes de magasins à prix uniques (ex. des Galeries Lafayette qui en 1932 ouvrent leurs magasins Monoprix), il s agit de vendre les articles les plus demandés et d accélérer la rotation des stocks pour réduire les frais généraux. C est également l époque des «ventes-réclames» qui visent à attirer le plus grand nombre d acheteurs par la promotion d articles à petits prix. Mais toutes ces techniques induisent trop de concurrence entre ces promoteurs et l on décide alors de se recentrer sur des clientèles ciblées, et surtout plus aisées. Chez les plus petits commerçants comme les épiciers, on cherche aussi à fidéliser une clientèle, mais cette fois-ci populaire. 10

Les détaillants et distributeurs, quant à eux, donnent naissance à des succursales dites multiples en vue d une décentralisation de la vente des produits de consommation sur l ensemble du territoire. Dès lors, il semple indéniable que l utilisation des méthodes publicitaires provoquent de nouvelles concurrences sur le marché, aussi bien entre grossistes, détaillants que grands magasins. Petit à petit, on s aperçoit de l importance capitale des marques véhiculées par la publicité grâce à la notoriété dont elles font bénéficier leurs commerçants. Les structures de la distribution changent avec l apparition des intermédiaires auprès des détaillants. La concentration et l uniformisation des produits de consommation courante favorisent le développement de la publicité. Il devient indispensable de créer la notoriété d un produit nouveau pour en assurer la distribution. Acteurs essentiels dans la transformation des méthodes publicitaires, ces intermédiaires deviennent des éléments fondamentaux dans l émergence de la profession, ainsi que dans l élaboration de nouvelles techniques sur le marché. La période de l entre-deux-guerres représente un tournant décisif au sein des méthodes commerciales. On abandonne la réclame, simple article inséré dans un journal présenté de façon élogieuse ou recommandant quelque chose à quelqu un, pour dorénavant utiliser la publicité, qui correspond non seulement à faire connaître un produit, mais aussi à inciter pour le faire acheter. Activité fortement décriée à ses débuts, le monde des affaires a pourtant accepté progressivement la place déterminante du publicitaire au sein de l entreprise. Celle-ci est en effet parvenue à renforcer sa crédibilité en créant des instituts de formation spécialisés reconnus, et en montrant l efficacité dont elle savait faire preuve pour rentabiliser les marchés en temps de crise. Entre le professionnel commerçant et le consommateur, tous les intermédiaires tels que les grossistes, détaillants ou encore distributeurs ne peuvent plus se passer d elle et s efforcent de vivre au rythme de ses transformations. Cependant, si le publicitaire est parvenu, à imposer au fil des années son activité non plus comme une simple occupation mais comme profession légitime, comment son travail est-il perçu au regard de l opinion publique? Quelles représentations donne-t-il à l extérieur? S il est parvenu à s insérer tant bien que mal dans la sphère professionnelle, le grand public s est lui aussi montré réticent et méfiant à l égard de l intrusion de cette activité dans son quotidien. 11

II. Acquisition d une légitimité au regard de l opinion publique : «A moins de se promener dans la vie les yeux bouchés, les oreilles fermées, d acheter sans réflexion et sans enquête, on n échappe pas à la publicité.». Ces propos tenus par Jules Arren il y a presque plus d un siècle pourraient sans aucun doute encore s appliquer dans notre monde actuel. Ce journaliste français, qui fut l un des premiers collaborateurs de la Revue d Action française au début du XX siècle, écrit en 1909 un des premiers manuels sur la publicité : La publicité lucrative et raisonnée. Son rôle dans les affaires. Dans cette œuvre, il établit certaines analyses sur la publicité française et américaine pour tenter d en dégager les techniques qui en assurent l efficacité. Au vu de ses résultats, il conclut sur une observation intéressante : par rapport aux autres pays industrialisés, la France a montré nettement plus de résistance à accepter l apparition de la publicité. C est aussi ce constat qui est mis en avant au travers des travaux de M-E CHESSEL. En effet, si la publicité est un concept qui attire les consommateurs, c est aussi une innovation qui effraie les individus. Pourquoi peut-on percevoir une telle méfiance à l égard de ce nouveau phénomène? Comment la publicité parvient-elle à changer l image qu elle transmet au public? A. L effort d adaptation de la publicité face aux difficultés du marché : 1. Une société française d abord inadaptée à l intrusion de ce nouveau phénomène : Lorsqu elle apparait, la publicité est pour le consommateur synonyme de changement et de transformation de ses habitudes, auquel il n est pas près d adhérer. Comment expliquer cela? Tout d abord, il convient de rappeler qu au début du XX siècle, la France est une société encore à dominante rurale. En 1911, près de 60% de la population vit dans les campagnes et il faudra attendre les années 30 pour que la population urbaine dépasse les 50%. De plus, les familles françaises disposent de faibles revenus, dont le poste alimentaire occupe près de 60% des dépenses. Par comparaison, aux Etats-Unis à la même époque, celui-ci n est que 35%. Enfin, on observe une forte inégalité dans la répartition des revenus. Il existe une forte disparité entre les familles bourgeoises et les familles ouvrières moins aisées qui se comportent de façon différente à l égard des produits. Il en résulte que dans les classes les 12

moins favorisées, le développement d un commerce de masse est plus difficile. De fait, la demande reste pendant longtemps concentrée dans les villes et demeure limitée. La publicité ne peut se faire connaître qu en ville, et les populations dans les campagnes voient d un mauvais œil cette nouvelle activité qu ils jugent mensongère, représentante directe de la consommation et de la normalisation capitaliste. Ce plafonnement démographique et la faiblesse du pouvoir d achat sont plus marqués en France qu aux Etats-Unis, et les classes moyennes sont encore peu développées. Or, ce sont ces classes moyennes elles-mêmes qui sont les clients directs de la publicité! Comment faire face à de telles difficultés sur le marché? Comment le publicitaire va-t-il parvenir à ne plus subir le marché, mais à s y imposer de façon à le transformer? 2. Les moyens mis en œuvre pour faire face aux limites posées par le marché : Les publicitaires sont face à des difficultés d insertion qui ne facilitent pas leur acceptation auprès des consommateurs. Cependant, ce cloisonnement des marchés ne signifie par pour autant absence de publicité. Les professionnels du métier vont alors faire preuve de ruse et d habilité pour contourner ces difficultés. La première chose que les publicitaires vont chercher à faire, c est de s adresser à un public toujours sélectionné. Il ne s agit pas pour eux de lancer un produit et d attendre qu un individu quel qu il soit vienne acheter ce bien, mais de cibler une clientèle qui sera intéressée par l objet dont il aura fait la promotion. Quels sont les outils utilisés? L émergence de la presse, l utilisation des périodiques et la multiplication des affiches sont évidemment des facteurs qui jouent une importance capitale. Il s agit, au travers de ces supports, d attirer des clients potentiels pour créer auprès d eux l impression d être dans une position privilégiée, tant sur le plan financier que sur la plan informationnel. En ce sens, on peut dire que le client est en quelque sorte flatté, séduit et qu il a le sentiment de détenir une place spéciale dans le message qu on veut lui faire passer. C est une publicité traditionnelle de notoriété qui a moins pour but de convaincre de nouveaux clients, que de pousser au renouvellement d un marché déjà existant. Elle s appuie sur des agents et des concessionnaires qui constituent de véritables alliés pour l entreprise. Prenons pour illustrer nos propos, un secteur sur lequel notre auteur M-E CHESSEL porte une attention particulière en raison de son utilisation accrue de la publicité : l industrie automobile. La spécificité des marchés de l automobile met en avant les différentes politiques commerciales et publicitaires utilisées, qui sont surtout dirigées vers des consommateurs relativement aisés. Si l on s intéresse plus particulièrement à la firme Peugeot, l un des plus gros constructeurs automobiles encore aujourd hui, le lancement de son célèbre modèle la 13

«601 Peugeot» confirme cette analyse. Les catalogues, photographies, affiches ou encore clichés d annonce présentent cette voiture de luxe comme élégante et féminine et la campagne prône divers slogans tels que «Plaisir des yeux Le choix d une carrosserie 601», ou encore «La 601 n est comparable qu à des voitures deux fois plus chères». Autant d accroches qui visent à atteindre une clientèle bourgeoise où élégance de la mode et performance sportive sont les mots d ordre. La publicité séduit ainsi relativement facilement nos consommateurs issus des classes aisées. Si les politiques publicitaires décrites montrent une certaine adaptation à des marchés constitués de membres de classes moyennes et aisées, d autres entreprises ne vont-elles pas chercher à séduire de nouveaux consommateurs moins riches? Les clientèles ne sont pas toutes les mêmes, et la vraie qualité d un bon publicitaire réside aussi dans sa capacité à savoir s y adapter. Les entreprises doivent faire face à une saturation des marchés qui entraine des difficultés financières. Elles doivent élargir leur gamme. Elles savent que l étendue de leur clientèle n est pas assez large, et doivent repenser leurs cibles commerciales. Dans le même temps, une évolution favorable semble aller à l extension de la consommation : la hausse des revenus et des salaires. Conséquences de l inflation d après-guerre, puis après 1936 des mesures du Front populaire, on observe une sorte de concordance entre désir des firmes d élargir leur gamme de consommateurs et élévation du niveau de vie. Une nouvelle catégorie de consommateurs aux revenus moyens semble apparaître, c est l occasion de la saisir. Si l on reprend notre exemple de l industrie automobile, l apparition de la «Simca 5» produit par le constructeur automobile Fiat illustre parfaitement ce changement de stratégie qui vise à atteindre des nouveaux consommateurs moins fortunés. Partant de l observation qu il existe désormais une saturation du marché et du prix élevé des véhicules, Simca décide de produire un véhicule économique, aussi bien par son prix d achat que par ses caractéristiques d utilisation. Comment faire connaître son projet? Une large utilisation de la presse pour sensibiliser ces nouveaux clients est indispensable. On observe bel et bien ce que M-E CHESSEL décrit comme étant une sorte de «démocratisation» de la consommation. Le cloisonnement social qui existait sur le marché semble être surmonté par l effort des publicitaires à élaborer des stratégies plus adaptées. 14

Notons enfin que parallèlement à ce cloisonnement social, il a également fallu que ces publicitaires surmontent la difficulté d un cloisonnement dit «géographique». En effet, les publicitaires perçoivent qu au-delà des consommateurs eux-mêmes, c est également l endroit où ils habitent qui va déterminer l efficacité d une campagne. Certes, si le lancement en province est considéré comme étant plus facile, la publicité parisienne reste néanmoins incontournable. De plus, vendre au niveau national représente une organisation commerciale non seulement délicate mais aussi rigoureuse et qui possède un coût élevé. Quelle stratégie adopter pour pallier à cette difficulté? Pour les publicitaires, la technique utilisée a alors été la suivante : tester une campagne sur une zone géographique restreinte, observer ses résultats, pour ensuite s élargir de façon plus efficace et garantir des résultats plus sûrs. Pour se faire accepter dans la sphère publique, convaincre les consommateurs de leur nécessité, mais aussi de l information dont ils les font bénéficier, les publicitaires mettent en place diverses stratégies qui leur permettent de s insérer doucement sur le marché. Ils flattent le consommateur, l éduquent et font preuve de multiples techniques pour adapter leur activité selon la clientèle souhaitée. L utilisation la publicité évolue avec la conjoncture : la croissance des années 20 pousse à modifier les conditions de production, élever les revenus et décloisonner les marchés, puis les années 30 bien qu elles réduisent les ressources financières, poussent en fait à chercher de nouveaux débouchés sur le marché intérieur et à modifier les techniques de vente. Rajoutons à cela que nos voisins de l autre côté de l Atlantique ne sont pas non plus sans influence sur l implantation du métier de publicitaire en France. En effet, la profession étant déjà bien acceptée aux Etats-Unis, ce sont des modèles et des techniques qui sont exportés en France, dont nos professionnels s imprègnent tout en sachant bien que le public n est pas le même et qu il va falloir faire preuve de prudence dans leur utilisation. Cette transmission des techniques passent notamment par l influence de la «Harvard Business School» dont les français se gardent bien de choisir les méthodes qu ils vont appliquer chez eux. 15

Les années 30 sont aussi celles de l implantation des agences américaines. L influence de leur méthode suscite un débat dont la presse se fait l écho, en opposant la publicité française dite artistique à la publicité américaine considérée comme plus technique. Cette spécificité artistique d une publicité à la française n est pas seulement une façon de se différencier des autres pays, elle est également un moyen de mieux faire accepter l activité de la publicité dans le monde public. B. L art moderne au secours de la publicité : On l aura bien compris, le publicitaire est parvenu à imposer sa légitimité dans le milieu des affaires ainsi que chez les consommateurs. Mais il reste une dernière catégorie d individus qui entrave l émergence de la profession, celle des défenseurs du paysage et de la nature. Critiquée par de nombreuses associations, la publicité dans la ville est apparue pour certains comme une perversion du paysage et une atteinte au patrimoine historique français. En effet, dès le début du XX siècle, l activité d affichage est en pleine expansion, la publicité murale et les panneaux-réclames ne cessent de se multiplier. Si les plus virulents opposants souhaiteraient aller jusqu à une interdiction complète de la publicité dans les rues, il va de soi que cela semble difficile à faire admettre. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu il ne faut pas mettre en place certaines limites et des réglementations. 1. Tentatives de réglementation de l affichage au début du XX siècle, un frein à l expansion de l activité du publicitaire? : La première loi relative à l affichage date de juillet 1881, prônait une certaine liberté d affichage tout en posant certaines limites à la liberté d expression politique, mais n abordait en aucun cas l affichage commercial. Aussi, l affichage publicitaire devint inévitablement abusif de la part des commerçants qui visaient à faire connaitre leurs produits, et de nouvelles règles devaient être mises en place. Parmi les lois les plus importantes, on peut citer la Loi Beauquier de 1910, relative à l interdiction d affichage dans certains monuments historiques et autres sites dits classés, ou encore la Loi de finances de juillet 1912 qui aborde notamment l idée de mettre en place un timbre spécial annuel progressif visant à empêcher l expansion d un mode d affichage considéré comme nuisant. L initiative d une plus forte réglementation provient de groupes de pression défendant les paysages et les centres historiques de tourisme et qui sont défendus par certaines associations telles que la Société pour la protection des paysages de France (SPPF), le Tourning Club de France (TCF) ou encore la Société des amis des monuments parisiens. Leur 16

but? Protéger les paysages de tout signe extérieur de modernité. En effet, le passage d une société française profondément rurale à une société marquée par l urbanisme effraie. Pour ces conservateurs, la publicité constitue le symbole le de l urbanisation, de la société de consommation, signe de culture urbaine et de modernité. Malgré la multiplication des réglementations, les abus continuent de se multiplier. Les lois mises en place étant limités à certains périmètres géographiques, les publicitaires en profitent donc pour exercer une liberté absolue dans les lieux non interdits. On aurait pu craindre un frein à l expansion de l activité du publicitaire, mais en réalité l affichage parvient à prendre une place considérable, et ce dès les années 20. C est en 1928 que sera enfin crée le premier groupe de parlementaires de la publicité, dont les représentants se regroupent principalement autour de deux membres de la Chambre syndicale de la publicité : Ernest Pezet, député démocrate-chrétien, et Louis Dumas, républicain d union nationale et sociale. Ensemble, ils joueront un rôle déterminant en tant qu intermédiaires entre demandes sociales (comme la réglementation des affiches murales) et propositions des publicitaires. Au-delà des débats autour de cet envahissement de la publicité opposant préservation d un patrimoine historique et développement des méthodes commerciales, il existe en fait un autre débat sous-jacent, celui de l esthétisme de la publicité. 2. L alliance entre artistes modernes et publicitaires, deux activités en quête de légitimité : Au lendemain de la première guerre mondiale, un nouveau courant artistique émerge : celui de l art moderne. Ces nouveaux artistes du XX siècle ont un objectif bien précis, créer un art «pour tous». Il s agirait de faire descendre l art dans la rue, de promouvoir l utilisation de nouveaux matériaux, et d élaborer des créations artistiques innovantes. Cette spécificité de l art moderne qui défend un esthétisme presque industriel correspond tout à fait à la société de consommation qui émerge à la même époque. On note alors une rencontre entre artistes modernes et publicitaires, deux mouvements à la recherche d un soutien et d une légitimité respective. Ils vont combattre ensemble face aux virulents opposants de la modernité. Grâce au soutien de l art moderne, les publicitaires parviennent à défendre leur activité comme s adaptant aux transformations de la société. L augmentation des affiches dans les rues est ainsi moins perçue comme une «pollution urbaine» que comme étant une «décoration nouvelle». Comme le soulignent certains des peintres de l époque, l affichage dans les villes présente de réels bienfaits pour la société. Ils vont même jusqu à se moquer des associations comme la SPPF en se pressant de dire que personne ne peut être tenu de dire ce qui est beau et ce qui ne l est pas. Pour résumer cette prise de position, M-E CHESSEL 17

s exprime de la manière suivante : «Pourquoi le paysage serait-il plus beau et les affiches au contraire laides et nuisibles à l esthétisme des villes?». On observe ainsi une nouvelle définition de la beauté qui se dessine et dans laquelle publicitaires et artistes modernes se retrouvent. L éducation artistique des masses et la démocratisation de l art voulue par ces nouveaux artistes permet aux publicitaires de renforcer leur légitimité auprès du grand public. Parmi les grands acteurs de ce mouvement, on peut citer l Union des artistes modernes, abrégé par le sigle UAM, mouvement d artistes décorateurs et d architectes fondés en France en 1929 par Robert Mallet-Stevens. Ses membres tels que Paul Colin, Etienne Cournault, Jean Carlu ou encore A-M Cassandre, se sont employés tour à tour pendant presque 30 à défendre les causes de la publicité. L iconographie publicitaire française qui se développe s oppose totalement au réalisme des annonces et affiches américaines. Pour illustrer cette liaison étroite entre art moderne et publicité, on peut citer le célèbre cubiste Jean Carlu, à qui l on doit l affiche «Monsavon» en 1925. Comme dans le monde des affaires, on observe bien que le publicitaire est arrivé à imposer la légitimité de son activité dans la sphère publique. Certes, il a fallu qu il fasse preuve de technique et d ingéniosité pour contourner les difficultés que lui ont posées les plus méfiants, mais aujourd hui, on peut conclure par ce que le journaliste Jules Arren exprimait dans son manuel, lorsqu il disait que «l opinion publique, cette force insaisissable et toute-puissante, de laquelle personne ne peut s affranchir, est dominée par la Publicité». Personne ne peut y échapper, aussi bien le monde de l entreprise que dans celui des consommateurs, mais également l Etat. En effet, au-delà des bénéfices qu il retire de 18