par Olivier CRETTÉ, expert-comptable et commissaire aux comptes (Ledouble), docteur en sciences



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Transcription:

Réflexion Communication extra-financière par Olivier CRETTÉ, expert-comptable et commissaire aux comptes (Ledouble), docteur en sciences de gestion (LIRSA) RÉSUMÉ Cette revue de littérature en deux volets apporte plusieurs éclairages sur le concept de performance en Allemagne, dans une réflexion élargie au développement durable et à une comparaison avec la France. Notre premier article est un essai de comparaison entre le Code de développement durable allemand et la loi Grenelle 2, qui malgré des différences conceptuelles poursuivent les mêmes objectifs. ABSTRACT This literature review divided into two parts explores some aspects of the performance concept in Germany, through an approach extended to sustainability and to a comparison with France. Our first article is an attempt of comparison between the German Sustainability Code and the French law Grenelle 2; despite conceptual differences, both follow the same goals. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE COMME CONCEPT DE PERFORMANCE 1? LE CAS DE L ALLEMAGNE (VOLET I) La comparaison de la performance de part et d autre du Rhin, souvent abordée via le prisme de la compétitivité (Hénard, 2012), est ici déplacée sur le terrain du développement durable et de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE ou CSR) 2, sur lequel l Allemagne et la France se distinguent par plusieurs initiatives conduites au cours de la dernière décennie. 1. La spécificité des relations sociales en Allemagne L ancrage de la dimension sociale de la RSE sur le territoire allemand repose sur un concept d économie sociale de marché (Soziale Marktwirtschaft), qui autorise l intervention du gouvernement dans le monde des entreprises (Segal et al., 2003). Suivant cette logique, l Etat fixe des conditions générales, mais les conditions de travail relèvent de la négociation entre les partenaires sociaux (organisations patronales et syndicats). Dans le cadre de la cogestion, les salariés sont en effet représentés non seulement au conseil de surveillance des sociétés anonymes, mais également aux conseils d établissement dans les petites structures, et disposent de droits à la fois d information et de décisions sur des aspects économiques et sociaux de leur entreprise (Hildwein, 2010). L économie sociale de marché sous-tend donc le concept germanique de partenariat social entre les parties prenantes en interne (direction et personnel), auquel concourt également depuis la fin de la seconde guerre mondiale la «participation des travailleurs» 1 Cet article s inscrit dans le cadre d un projet de recherche soutenu par l Autorité des Normes Comptables sur la représentation de la performance et coordonné par Benoît Pigé. 2 La RSE étant considérée comme la traduction des actions de développement durable au sein des entreprises, en lien avec les parties prenantes. 1

(Mitbestimmung), par une incitation au consensus, au dialogue et à la responsabilisation des acteurs (Ferchaud, 2005). A titre comparatif et à la différence de l Allemagne qui délocalise au cas par cas au sein des entreprises les débats autour des relations sociales, l Etat et la loi sont considérés en France comme garants d un principe de responsabilité sociale d application générale. En définitive la France mènerait une politique de contrôle, alors que l Allemagne poursuivrait une politique d incitation en matière de RSE ; l examen du cadre législatif et réglementaire propre aux deux pays peut permettre de corroborer cette assertion. 2. Développement durable et historique du cadre législatif et réglementaire Les principales initiatives menées respectivement en Allemagne et en France dans le domaine de la RSE ont débuté dans les années 2000 (Doucin, 2010). Une politique d incitation pour toutes les entreprises allemandes et une orientation stratégique soutenue autour du concept «ESG» Le programme «Partenariats Public-Privé» visant à renforcer les actions concertées de la coopération officielle au développement et des entreprises privées a été instauré dès 1999 par le gouvernement fédéral (Bund) ; ce dernier a lancé et promu successivement : - en 2002 la stratégie intitulée «Perspectives pour l Allemagne», qui s est fondée sur le Code de gouvernance (Corporate Governance Kodex) incitant les entreprises à publier les informations sur leurs actions en matière de développement durable ; appliqué à l entreprise, le développement durable (Nachhaltigkeit) s est alors focalisé sur les deux critères qui restaient à promouvoir sur le socle social préexistant : le gouvernement d entreprise et l environnement (Stam, 2003). Cette stratégie a été réaffirmée par le Bund jusqu à la fin des années 2000 ; - en 2010 un Plan d action (CSR-Aktionsplan), qui a parachevé la séquence décennale de mise en œuvre du concept «ESG» (Environnement, Social, Gouvernance) autour duquel se construit le reporting sociétal, également dénommé reporting extra-financier (Reisach, 2011 ; Brohier Meuter et Humières (d ), 2011). Si le plan d action, piloté par le Forum de développement durable sous le label «ecosense», coordonne désormais les stratégies des groupes internationaux et de diverses organisations et fédérations professionnelles en matière de développement durable et de RSE, la cogestion (sur le plan social) et la «croissance verte» (sur le plan environnemental) sont cependant portées en Allemagne essentiellement par les PME, qui représentent une part essentielle du tissu économique (Dom, 2012). L Allemagne, au travers de ces diverses actions soutenues par le gouvernement depuis les années 2000, promeut une stratégie nationale de la RSE, par la déclinaison du développement durable au sein des entreprises, sans pour autant avoir à légiférer dans ce domaine, la prise en considération par les entreprises allemandes des questions sociales relevant historiquement, comme évoqué supra, de l acquis culturel. Sous la pression de la crise économique et financière de 2008, le Conseil allemand pour le développement durable (Nachhaltigkeitsrat), que consulte le Bund, a mis en œuvre le processus d élaboration du Code de développement durable allemand (Deutscher Nachhaltigkeitskodex ou «DNK») (Courtois-Sabouret, 2012). Le DNK, finalement adopté fin 2011 sous l égide du Conseil allemand pour le développement durable, est le fruit de la consultation active et de l implication de diverses parties prenantes (dont des représentants 2

d entreprises, de la société civile et des marchés financiers), et revêt la forme d une «norme» pour la transparence dans la «gestion durable» des entreprises, d application volontaire : - il associe, au niveau du contenu (référentiels d engagement et de management) les principes de l initiative «Pacte Global» des Nations Unies, les lignes directrices de l OCDE pour les entreprises multinationales, la norme ISO 26000:2010 3, et, au niveau de l instrumentation (référentiel de reporting), les normes de rapport de la troisième version (G3.1) 4 de la Global Reporting Initiative (GRI 5 ) ou les normes de déclaration de la Fédération Européenne des Associations d Analystes Financiers (EFFAS) 6 ; - il comprend ainsi une vingtaine d indicateurs clés de performance (KPI 7 ) en correspondance avec les indicateurs GRI et EFFAS, et vis-à-vis desquels les entreprises engagées dans la qualité de leur reporting ESG se déclarent conformes. Le DNK, en suscitant une forme d engagement de la part du management des entreprises (par les référentiels d engagement et de management) et en posant des principes de reporting (par le renvoi aux référentiels de reporting GRI ou EFFAS), facilite l évaluation par les analystes des opportunités et des risques non financiers ; il peut donc être considéré comme un instrument au service des marchés financiers, sans avoir cependant cette unique vocation. L application de ce Code, destiné aux entreprises quelle qu en soit la taille, repose sur le principe du volontariat : son utilisation est laissée à la discrétion des entreprises qui déclarent leur degré de conformité au DNK. Les entreprises sont libres de rapporter les KPI selon les indicateurs GRI ou EFFAS 8, et publient sur leur page d accueil une déclaration de conformité, dans laquelle elles rendent compte du respect (comply) des critères du DNK et justifient s il y a lieu les écarts par rapport à ces critères (explain). Un rapport exhaustif correspondant aux normes les plus strictes du GRI (A+) ou de l EFFAS (niveau/level III) vaut conformité au DNK. Cette déclaration de conformité peut également être remise à l aide d un modèle disponible sur le site du Conseil allemand de développement durable (Entsprechenserklärungen) 9. En définitive, le DNK, par nature extra-financier, constitue un complément aux rapports établis selon les normes comptables nationales et internationales. De ce point de vue, il pourrait représenter à terme pour les entreprises qui en font l usage une opportunité d avantage compétitif, par un complément d information attendu de la part des parties prenantes d un profil financier telles les investisseurs, les gestionnaires de portefeuille ou encore les banquiers 10. 3 Cette norme, intitulée «Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale», a été structurante pour la mise en forme des actions de développement durable des entreprises. 4 La quatrième version (G4) de la GRI, lancée le 23 mai 2013, met davantage l accent sur la notion de matérialité, afin d inciter les utilisateurs à rendre compte dans leur reporting des sujets les plus pertinents pour leur secteur d activité et leurs impacts. 5 La GRI est une organisation en réseau qui a développé une norme d application globale pour l établissement des rapports de développement durable ; publiée en 2000, elle est régulièrement actualisée, et est appliquée à l échelle mondiale. 6 Présentés en septembre 2010, les KPI de l EFFAS sont un instrument récent qui, par rapport aux autres cadres ESG, reflète davantage la perspective du marché des capitaux et les préoccupations des investisseurs. 7 Les KPI chiffrés du DNK, en concordance avec les indicateurs GRI et EFFAS, sont censés augmenter la pertinence et améliorer le caractère évaluable et la comparabilité de la gestion durable servant à tous les acteurs. 8 Sous la forme d une table de correspondance. 9 [En ligne], http://www.nachhaltigkeitsrat.de/deutscher-nachhaltigkeitskodex 10 Lors de l attribution de crédits par exemple. 3

Le recours à la loi en France : contraintes et opportunités pour les entreprises d une certaine taille De façon quasiment concomitante aux initiatives allemandes en faveur du développement durable, la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques dite «NRE» a fait obligation aux sociétés françaises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, de faire état dans leur rapport de gestion de la manière dont elles prennent en compte les conséquences environnementales et sociales de leur activité 11. La loi portant «engagement national pour l environnement» dite Grenelle 2, promulguée le 12 juillet 2010, propose des mesures pour respecter les engagements et atteindre les objectifs du Gouvernement en matière d environnement et de développement durable, notamment en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la contribution à un environnement respectueux de la santé. A ce titre, la loi Grenelle 2 a introduit en complément de la loi NRE, pour les entreprises françaises cotées ou celles répondant à certains seuils en termes de taille (appréciée en fonction du chiffre d affaires net, du total bilan et d effectif), de nouvelles obligations de communication de données extrafinancières 12 (sociales, environnementales et sociétales) dans leur rapport de gestion passant par une normalisation des modalités de présentation. Un décret d application en date du 24 avril 2012 a précisé les modalités relatives à ces nouvelles dispositions selon le principe «comply or explain» suscité, un organisme tiers indépendant (OTI) étant appelé à vérifier la présence et la sincérité de des informations publiées ; un arrêté ministériel en date du 13 mai 2013 détermine les modalités dans lesquelles l OTI conduit sa mission. 3. Conclusion : Le DNK et la loi Grenelle 2 sont de conception différente, mais poursuivent la même finalité En synthèse, le DNK est établi sur la base du volontariat, contrairement à la législation française qui rend l application de Grenelle 2 obligatoire ; le premier vise les entreprises de toute taille (alors que la seconde s applique aux sociétés cotées et aux sociétés non cotées, mais dépassant des seuils en termes de taille), et fait référence au GRI et à l EFFAS en tant que référentiels dont le respect au plus haut niveau équivaut à l application pure et simple du DNK (tandis que le dispositif français, inséré dans un arsenal législatif, ne fait que recommander de se référer à ces référentiels, sans se prononcer explicitement sur leur adéquation à la loi). 11 L article 116 de la NRE a introduit un nouvel article (L. 225-102-1) dans le Code de commerce, prévoyant l obligation pour le conseil d administration ou le directoire des sociétés cotées, de présenter annuellement un rapport aux actionnaires «sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité». 12 En matière de publication d informations de RSE, l article 225 de la loi Grenelle 2, amendé par l article 12 de la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification et à l allègement des démarches administratives (loi «Warsmann 4»), modifie, à compter de l exercice 2012, l article L.225-102-1 du Code de commerce tel qu il résultait de l article 116 de la loi NRE. Trois nouveautés sont introduites par ces dispositions refondues (MEDEF, 2012) : - élargissement progressif des obligations au-delà des seules sociétés cotées ; - redéfinition des informations à publier autour de thématiques RSE structurées en trois catégories (informations sociales, environnementales et relatives aux engagements sociétaux en faveur du développement durable) ; sont ainsi requises les informations sur les référentiels nationaux ou internationaux auxquels se conforme la société pour réaliser son reporting, ainsi que les informations utiles à des fins sinon de comparabilité, du moins de rapprochement des informations extra-financières avec les comptes consolidés (informations relatives au périmètre retenu notamment) ; - instauration d une obligation de vérification par un organisme tiers indépendant nommé par la Direction générale ou le Président du Directoire des sociétés concernées. 4

A titre indicatif, nous avons croisé les indicateurs GRI et EFFAS susceptibles de satisfaire aux exigences de l article L. 225 de la loi Grenelle 2 et des thématiques développées dans le DNK (MEDEF 2012 ; Conseil allemand pour le développement durable, 2011) ; il en ressort un socle d indicateurs communs, mais cette comparaison met surtout en évidence l ambition de la loi Grenelle 2 au travers du nombre de KPI qu elle mobilise par rapport au DNK : Nombre d'indicateurs Grenelle 2 Nombre d'indicateurs CDD allemand Actions menées et orientations prises par l'entreprise 8 5 Informations sociales, environnementales et relatives aux exigences sociétales 139 43 en faveur du développement durable Informations sociales 37 13 Emploi 10 2 Organisation du travail 1 1 Relations sociales 2 0 Santé et sécurité 10 3 Formation 4 2 Egalité de traitement 5 4 Promotion et respect des stipulations des conventions fondamentales de l'oit 5 1 Informations environnementales 56 17 Politique générale en matière environnementale 7 1 Pollution et gestion de déchets 13 3 Utilisation durable des ressources 21 7 Changement climatique 10 6 Protection de la biodiversité 5 0 Informations relatives aux engagements sociétaux en faveur du développement durable 46 13 Impact territorial, économique et social de l'activité de la société 10 1 Relations entretenues avec les personnes et les organisations intéressées par l'activité de la société 7 2 Sous-traitance et fournisseurs 7 3 Loyauté des pratiques 22 7 Le principe de subsidiarité allemand qui s inscrit dans un cadre «pragmatique» en vertu duquel les objectifs ont plus de chance d être atteints s ils sont recherchés localement est ici reconnaissable ; il s agit là de la différence conceptuelle majeure entre la loi Grenelle 2 et le DNK, confirmant sur le plan juridique la différenciation des Allemands par rapport à la vision centraliste des Français. Bibliographie BROHIER MEUTER J., HUMIERES (d ) P. (2011). L Etat des politiques publiques de la RSE dans le monde : panorama et tendances de l incitation publique à la RSE. Paris : IRSE, p. 11-12. CONSEIL ALLEMAND POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE (2011). Code de développement durable allemand (DNK). COURTOIS-SABOURET L. (2012). Le Code du développement durable allemand. Lettre des Juristes de l Environnement. DOM J.-P. (coord.) (2012). Responsabilité sociale des entreprises Initiatives et instruments de niveau européen capables d améliorer l efficience juridique dans le champ de la responsabilité sociale des entreprises. Parlement européen Direction générale des politiques internes Département thématique Droits des citoyens et affaires constitutionnelles, p. 72-76 et p. 83. 5

DOUCIN M. (2010). Etude des politiques volontaristes menées par les Etats en matière de Responsabilité sociale des entreprises dans 17 pays européens (UE 16 + Norvège). Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, p. 5-7. FERCHAUD E. (2005). La responsabilité sociale de l entreprise : une comparaison entre la France et l Allemagne. Nantes : Audencia. GRI. Sustainability reporting guidelines, versions 4 et 3.1. HÉNARD J. (2012). L Allemagne : un modèle, mais pour qui? Synthèse critique d études récentes. Paris : Presses des Mines. HILDWEIN F. (2010). Les arguments des débats sur la cogestion allemande. Cahier de recherche Observatoire du Management Alternatif. HEC Paris. MEDEF (2012). Guide méthodologique Reporting RSE. Les nouvelles dispositions légales et réglementaires. Comprendre et appliquer les obligations issues de l article 225 de la loi Grenelle 2. REISACH U. (2011). La responsabilité sociale de l entreprise en Allemagne. Regards sur l économie allemande, n 103, p. 29-37. SEGAL J.-P., SOBCZAK A., TRIOMPHE C.-E. (2003). La responsabilité sociale des entreprises et les conditions de travail. Fondation européenne pour l amélioration des conditions de vie et de travail, p. 29-49. STAM C. (2003). Allemagne : la RSE, un remède à la crise? Novethic. 6