L assureur est responsable à l égard des tiers des manquements à ses obligations contractuelles, sans pouvoir leur opposer la prescription biennale



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Transcription:

L assureur est responsable à l égard des tiers des manquements à ses obligations contractuelles, sans pouvoir leur opposer la prescription biennale (à propos de Cass. 2 ème civ., 6 févr. 2014, n 13-10.540 et 13-10.745, à paraître au Bull) Matthieu Robineau Assurance multirisques Inexécution fautive du contrat d assurance reprochée à l assureur Recours des cautions de l assuré contre l assureur Prescription de droit commun Obs. : N'est pas soumise à la prescription biennale l'action en responsabilité délictuelle formée par une caution contre l'assureur, en raison de l inexécution fautive par celui-ci du contrat d'assurance le liant au débiteur principal. Engage sa responsabilité civile délictuelle à l égard de la caution l assureur dont le refus de garantie est directement à l'origine de la liquidation de la société assurée, et en conséquence, de la mise en cause des cautions par les banquiers de la société. L assurance et les tiers : voilà un sujet passionnant (v. déjà, A. Astegiano-La Rizza, L assurance et les tiers. Variations sur le thème de la complexité des relations contractuelles, préf. L. Mayaux, Defrénois, 2004) et qui paraît inépuisable. Au-delà des tiers auxquels on pense immédiatement lorsqu il est question d assurance (la victime en assurance de responsabilité, le créancier muni d une sûreté sur le bien assuré, l assuré pour compte, le bénéficiaire de l assurance vie, etc.), il en est d autres qu il convient de ne pas oublier ainsi que le montre la jurisprudence récente. Ce sont ceux qui, pourrait-on dire, ont un «intérêt» à ce que des contrats d assurance auxquels ils sont étrangers produisent efficacement leurs effets, si l expression n était pas susceptible de conduire à confusion avec un concept aujourd hui discuté (V. M. Robineau, A propos de l intérêt d assurance de l acquéreur d un bien lorsque la vente est résolue postérieurement au sinistre (à propos de Cass. com., 3 déc.,

2013, n 12-26.113 et 12-28.718), www.actuassurance.com, janv-févr. 2014, n 34, analyses et les réf. cit.). Tel est le cas des cautions d une société qui se retrouvent actionnées par les créanciers lorsque la société se retrouve en difficultés, à la suite d un sinistre que l assureur a refusé de prendre en charge, sans perspective de pouvoir se retourner efficacement contre le débiteur définitif. Les cautions en question relèvent-elles de la catégorie de ceux qui doivent rester totalement étrangers au contrat d assurance ou bien peuvent-elles s immiscer dans le jeu de celui-ci et, notamment, contester l exécution qu en a faite l assureur lorsqu elles estiment que celle-ci leur a porté préjudice? Un arrêt rendu le 6 février 2014 par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, promis à la publication au Bulletin (V. aussi, Gaz. Pal. 6 mars 2014, n 62, p. 12, note M. Mignot ; JCP G 2014. 523, note N. Dissaux ; LEDC avr. 2014, n 064, obs. S. Pellet ; LEDB avr. 2014, n 037, obs. M. Mignot ; RGDA avr. 2014, p. 154, note J. Kullmann), apporte en la matière une pierre tout à fait significative à un édifice jurisprudentiel encore inachevé. Ce n est pas le lieu ici de retracer et développer les controverses sur la relativité de la faute contractuelle, non éteintes malgré la position adoptée par la Cour de cassation il y a déjà presque huit ans (Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, 05-13.255 : Bull. civ. 2006, ass. plén., n 9 ; D. 2006, p. 2825, note G. Viney ; JCP G 2006, II, n o 10181, avis M. Gariazzo et note M. Billiau ; RTD civ. 2007, p. 123, obs. P. Jourdain). La Haute Juridiction a en effet posé en règle de principe que «le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage», encore que la jurisprudence ultérieure laisse parfois transparaître quelques hésitations (par ex., D. Mazeaud, La responsabilité du débiteur contractuel à l égard des tiers : évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation? D. 2012.659 adde, G. Viney, La responsabilité du débiteur contractuel à l égard des tiers : divergence de la jurisprudence entre le Conseil d Etat et la Cour de cassation? D. 2012.653). En l espèce, une société fait l acquisition en 1999 d un fonds de commerce, en ayant recours à l emprunt. Le remboursement des deux prêts est garanti par un cautionnement assorti d une affectation hypothécaire. Les cautions sont la gérante de la société et son père. Un incendie survient en mars 2004 qui détruit le fonds de commerce (où l on apprend ainsi qu une universalité peut-être détruite par un incendie). L assureur refuse sa garantie en août 2004 et porte plainte avec constitution de partie civile pour destruction volontaire et tentative d escroquerie. N ayant pu poursuivre son exploitation, la société est mise en liquidation judiciaire en octobre 2004, soit deux mois après l incendie. Une ordonnance de non-lieu est

rendue en décembre 2005. En juillet 2010, les cautions qui ont dû vendre le bien hypothéqué et rembourser le créancier prêteur, assignent l assureur en responsabilité délictuelle sur le fondement de l article 1382 du Code civil. Elles estiment en effet que celui-ci a commis une faute dans l exécution du contrat d assurance et que cette faute a entraîné pour elles divers préjudices. Notamment, elles ont dû supporter à titre définitif une partie du prêt, faute de pouvoir exercer leur recours contre le débiteur définitif, elles ont cédé l immeuble hypothéqué dans de mauvaises conditions en raison de l urgence, elles ont engagé des frais et subi un préjudice moral. La Cour d appel fait droit à leur demande. Elle estime en effet l action recevable car non prescrite et bien fondée au regard de l article 1382 du Code civil. L assureur forme un pourvoi en cassation que la deuxième Chambre civile rejette. L arrêt invite en conséquence à quelques observations sur le domaine de la prescription biennale (I) et sur la responsabilité civile de l assureur à l égard des tiers au contrat (II). I Le domaine de la prescription biennale Quant au grief tiré de la prescription, la Haute juridiction rétorque que l action intentée par les cautions, tiers au contrat d assurance, n était pas soumise à la prescription biennale de l article L. 114-1 du Code des assurances et, par conséquent, n était pas prescrite. Ne s analysant pas comme une action dérivant du contrat d assurance, elle est soumise à la prescription de droit commun. Celle applicable à l espèce était la prescription décennale, en application de l article 2270-1 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 1985. Son point de départ étant fixé au jour du refus de garantie par l assureur (ce qui est contestable dans la mesure où le texte précité retenait comme point de départ non la date du fait dommageable mais celle de la manifestation du dommage ou de son aggravation ce qui est sans incidence en l espèce), l action n était pas prescrite lorsqu elle a été mise en œuvre en 2010. La solution n est, de prime abord, pas surprenante. L article L. 114-1 du Code des assurances dispose : «Toutes actions dérivant d un contrat d assurance sont prescrites par deux ans à compter de l événement qui y donne naissance». Or l action en responsabilité délictuelle exercée par un tiers contre l assureur n est à proprement parler par une action dérivant du contrat d assurance, quand bien même elle a pour contexte l exécution de celui-ci. Toutefois,

elle le devient si l on se souvient que se prescrivent par deux ans, parce qu elles dérivent du contrat d assurance, l'action en responsabilité engagée par l'assuré contre l'assureur ou son représentant en raison d'un manquement à son obligation contractuelle de renseignement et de conseil (Cass. 2 ème civ., 7 oct. 2004, n 03-15.713 : RCA 2004, n o 390; RGDA 2005.51, note M. Bruschi) ainsi que l'action en garantie et en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par l'assureur dans l'exécution du contrat d'assurance (v., mais la rédaction de l arrêt est pour le moins ambiguë ; Cass. 2 ème civ., 28 mars 2013, n 12-16.011 : RCA 2013, n o 201 ; RGDA 2013. 598, note A. Pélissier). Il reste que par son attendu, la Cour de cassation introduit le trouble : ce qui justifie le rejet est la qualité de tiers au contrat d assurance des cautions et non le fait que l action ne dérive pas du contrat d assurance. Voici une façon d éviter d entrer dans des difficultés de frontière (à partir de quand une action ayant pour contexte l exécution du contrat d assurance ne dérive-telle plus dudit contrat?) mais qui malmène le droit des assurances. Pour autant, si l on quitte le droit spécial pour le droit commun, il n y a là aucune anomalie, mais la conséquence à notre sens inéluctable du dualisme de la responsabilité civile et du principe de non-option qui l agrémente (G. Viney, Introduction à la responsabilité, in J. Ghestin, Traité de droit civil, 3 ème éd., 2008, n 178). Lorsque l action est formée par le contractant de l assureur, il s agit de responsabilité contractuelle et si les mots ont en sens, l action dérive du contrat d assurance ; par suite, elle doit être soumise à l article L. 114-1 du Code des assurances. Si elle est formée par un tiers, il s agit de responsabilité délictuelle et, faute dès lors de dériver du contrat d assurance, l action est soumise à la prescription de droit commun, c est-à-dire, depuis l entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, à l article 2224 du Code civil. II La responsabilité civile de l assureur à l égard des tiers au contrat Quant au grief relatif à l admission de la responsabilité délictuelle de l assureur, il consistait pour ce dernier à nier la réunion des conditions de cette responsabilité. A ses yeux manquaient en effet la condition tenant à la faute. Plus précisément, il estimait que l auteur d une inexécution contractuelle engage sa responsabilité envers un tiers au contrat si et seulement si l exécution contractuelle constitue à l égard du tiers une faute quasi-délictuelle. Or, à ses yeux, la Cour d appel s était contentée de relever que le refus de garantie opposé par l assureur était directement à l origine du prononcé de la liquidation judiciaire de la société

débitrice et partant de la mise en cause des cautions. L objection formulée était en outre étayée par la circonstance que par décision du 17 février 2009 devenue définitive, la Cour d appel avait écarté toute hypothèse de résistance abusive de la part de l assureur. La Cour de cassation rejette ce moyen : elle estime que, ayant constaté que c est bien le refus de garantie opposé par l assureur qui est directement à l origine du prononcé de la liquidation judiciaire de la société débitrice et partant de la mise en cause des cautions, la Cour d appel a en pu déduire, sans avoir à procéder à d autres recherches, que le manquement contractuel de l assureur était directement à l origine du préjudice subi par les cautions en ce que, après désintéressement des créanciers, une certaine somme était restée à leur charge. La Cour fait ainsi une application stricte de la jurisprudence de 2006 (supra) dont il résulte, que le manquement contractuel d une partie engage sa responsabilité à l égard des tiers au contrat pour qui cette inexécution a entraîné un préjudice. On osera simplement une question : est-il bien «raisonnable» d admettre l action en responsabilité formée par les cautions contre l assureur du débiteur qui s est retrouvé en liquidation judiciaire faute d avoir vu son sinistre pris en charge par l assureur? En d autres termes, ne faudrait-il pas circonscrire le principe jurisprudentiel posé en 2006 dès lors qu il conduit à ce que l on pourrait appeler une «inégalité des armes»? Est-il admissible que la caution, tiers au contrat, puisse invoquer celui-ci à son profit pour établir la faute de l assureur, sans que ce dernier puisse se prévaloir du même contrat pour lui opposer la prescription biennale? D un côté, l on dira que l assureur a perçu des primes et que s il a mal exécuté le contrat d assurance, il est logique qu il en subisse les conséquences. Reste alors à circonscrire les préjudices réparables. C est ici que l exigence d un caractère direct du préjudice prend toute son importance. En l espèce, les cautions avaient ainsi réclamé remboursement, premièrement, des sommes qu elles avaient versées à titre définitif au créancier de l assuré, deuxièmement, de la moins-value réalisée à l occasion de la vente amiable en urgence du bien qu elles avaient offert en hypothèque aux créanciers, troisièmement, des frais de mise en vente. A cette liste s ajoutait la réparation de leur préjudice moral. Faute de moyen portant sur cette question, la Cour de cassation n a pas eu à se prononcer. On relèvera seulement que seul le remboursement des sommes mises définitivement à la charge des cautions avait été ordonné par les juges du fond, dont l arrêt est approuvé par la Cour de cassation. D un autre côté, l on dira que l existence d une garantie d assurance, fût-elle mal mise en œuvre par l assureur, devrait être indifférente. Il y a comme un opportunisme des cautions à

invoquer une garantie qu elles n ont pas souscrite. Au fond, sur le plan de la causalité, le fait qu elles aient dû satisfaire les créanciers a pour cause déterminante le contrat de cautionnement. Pour autant, d une part, la théorie de l équivalence des conditions conduit à remonter jusqu au sinistre et au fait qu il n ait pas été pris en charge par l assureur alors qu il aurait dû l être. D autre part, les cautions sont généralement des tiers informés de la situation du débiteur principal. C est d autant plus vrai lorsque, comme en l espèce, il s agit du dirigeant et de sa famille. En consentant le cautionnement (et éventuellement, comme ce fut le cas ici, une affectation hypothécaire), non seulement ces personnes savent que le débiteur principal est assuré, mais encore elles connaissent, ou ont la possibilité de connaître, dans les moindres détails l étendue de la couverture souscrite puisqu elles ont entre leurs mains la police d assurance et non une simple attestation. Au fond, tout cela ne serait pas arrivé si l assureur avait versé une provision suffisante en attendant que le juge pénal se prononce sur la plainte avec constitution de partie civile qu il avait déposée pour destruction volontaire et tentative d escroquerie. Un versement assorti des réserves circonstanciées, laissant ouverte une action en répétition, aurait permis à l entreprise de poursuivre son activité et peut-être d éviter une procédure collective. Au lieu de quoi, la liquidation de l entreprise a été prononcée, l assureur a été condamné et l article L. 114-1 du Code des assurances a été quelque peu malmené. L arrêt : Attendu, selon l arrêt attaqué (Pau, 10 septembre 2012), que la société La Txalupa, ayant Mme Nathalie X..., épouse Y..., pour gérante, a acquis, le 12 avril 1999, un fonds de commerce de café-bar-restaurant au moyen de deux prêts souscrits auprès de deux établissements différents et pour le remboursement desquels celle-ci et M. Albert X..., son père (les consorts X...), se sont portés cautions avec affectation hypothécaire d un immeuble leur appartenant ; que dans la nuit du 24 au 25 mars 2004, un incendie ayant détruit le fonds de commerce, la société La Txalupa a demandé la prise en charge du sinistre à la société Generali (l assureur) auprès de laquelle elle avait souscrit une police d assurance multirisque le 24 février 2003 ; que celle-ci a refusé sa garantie et a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile pour destruction volontaire et tentative d escroquerie qui a abouti à une ordonnance de non-lieu du 9 décembre 2005 ; que la société Txalupa a été, entre temps, mise en liquidation judiciaire par jugement du 18 octobre 2004 ; que le 5 juillet 2010, les

consorts X... ont assigné l assureur en indemnisation des préjudices subis du fait de son refus de garantie ; Sur le premier moyen du pourvoi n A 13-10. 540 : Attendu que l assureur fait grief à l arrêt de déclarer recevable, comme non prescrite, l action des consorts X... en paiement de diverses sommes au titre de celles définitivement exposées en remboursement des créanciers de la société La Txalupa, de la moins-value réalisée à l occasion de la vente amiable en urgence du bien hypothéqué, des frais de mise en vente et en réparation de leur préjudice moral, de dire que sa responsabilité délictuelle était engagée sur le fondement de l article 1382 du code civil à l égard des consorts X... en leur qualité de cautions et de le condamner à payer à ceux-ci une certaine somme restée à leur charge après désintéressement des créanciers, alors, selon le moyen : 1 / que la caution de l assuré qui exerce son recours contre l assureur n est pas un tiers au sens de l article L. 114-1 du code des assurances, de sorte que la prescription biennale peut lui être opposée ; qu au cas d espèce, en se bornant, pour écarter l exception de prescription de l assureur, à énoncer que l application de ce texte ne concernait que les parties au contrat d assurance et non les tiers audit contrat quand, précisément, ainsi que le relevait l arrêt, M. X... et Mme Y... agissaient en qualité de cautions de la société La Txalupa, si bien qu ils ne pouvaient être considérés comme des tiers à ce contrat, la cour d appel n a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les dispositions de l article L. 114-1 du code des assurances, ensemble celles des articles 2305 et 2306 du code civil ; 2 / que, toute action dérivant du contrat d assurance est prescrite par deux ans à compter de l événement qui y donne naissance ; que dérive du contrat d assurance au sens de l article L. 114-1 du code des assurances l action en responsabilité délictuelle que prétend exercer un tiers contre l assureur en se fondant, non pas sur la méconnaissance par ce dernier d un devoir d ordre général qui lui serait imposé par la loi, mais sur l inexécution d une stipulation du contrat d assurance ; qu au cas d espèce, en écartant la prescription biennale dont se prévalait l assureur, motif pris de ce que les consorts X...- Y... recherchaient sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l article 1382 du code civil, quand il était par ailleurs constant que la faute délictuelle imputée à l assureur tenait à l inexécution par celui-ci de ses obligations contractuelles au titre de la police d assurance, de sorte que l action devait être réputée dériver du contrat d assurance, la cour d appel a violé l article L. 114-1 du code des assurances ;

Mais attendu que l arrêt retient que les consorts X... agissent en qualité de cautions de la société La Txalupa ; qu ils recherchent la responsabilité délictuelle de l assureur sur le fondement de l article 1382 du code civil en invoquant une inexécution fautive du contrat d assurance garantissant la société La Txalupa comme étant à l origine de leur propre dommage ; qu il convient en conséquence de faire application des dispositions de l article 2270-1 ancien du code civil, issu de la loi du 5 juillet 1985, en vigueur à l époque des faits, que la prescription décennale a commencé à courir le 24 août 2004, date du refus de garantie opposé à la société La Txalupa par l assureur ; Que de ces constatations et énonciations, la cour d appel a exactement déduit que l action intentée par les consorts X..., tiers au contrat d assurance, n était pas soumise à la prescription biennale de l article L. 114-1 du code des assurances et, par conséquent, n était pas prescrite ; D où il suit que le moyen n est pas fondé ; Sur la première branche du second moyen du même pourvoi : Attendu que l assureur fait grief à l arrêt de dire que sa responsabilité délictuelle était engagée sur le fondement de l article 1382 du code civil à l égard des consorts X... en leur qualité de cautions de la société La Txalupa et de le condamner à leur payer une certaine somme, alors, selon le moyen, que l auteur d une inexécution contractuelle n engage sa responsabilité envers un tiers au contrat que si l exécution contractuelle constitue à l égard du tiers une faute quasi-délictuelle ; qu en se bornant à relever, pour condamner l assureur à verser aux consorts X...- Y... la somme de 38 736, 08 euros correspondant au montant définitif laissé à leur charge, que «le refus de garantie opposé» par l assureur «est directement à l origine du prononcé de la liquidation judiciaire de la société La Txalupa et partant de la mise en cause des cautions», quand par décision du 17 février 2009 devenue définitive, la cour d appel avait écarté toute hypothèse de résistance abusive de la part de l assureur à l encontre de la société La Txalupa et avait débouté son cocontractant de sa demande de dommages-intérêts de ce chef de sorte qu il lui appartenait, dans ces conditions, de caractériser en quoi le manquement contractuel qu elle relevait constituait une faute quasi-délictuelle de la part de l assureur à l égard des cautions, la cour d appel a privé sa décision de base légale au regard de l article 1382 du code civil ; Mais attendu que l arrêt retient qu il résulte des éléments du dossier que la société La Txalupa bénéficiait à l époque de la survenance du sinistre d un plan de continuation, qu elle se

trouvait in bonis même si elle devait faire face au paiement de dettes dont une de loyers, que l absence de possibilité d exploitation du fonds par suite du sinistre non indemnisé par l assureur a conduit la société à la liquidation judiciaire prononcée par jugement du tribunal de commerce de Pau du 18 octobre 2004, que la date de cessation des paiements provisoirement fixée au 18 octobre 2004 n a pas fait l objet d une requête du mandataire liquidateur aux fins de report de la date ; qu il est donc acquis que le refus de garantie opposé par l assureur est directement à l origine du prononcé de la liquidation judiciaire de la société La Txalupa et partant de la mise en cause des cautions ; Qu en l état de ces seules énonciations et constatations, la cour d appel a pu déduire, sans avoir à procéder à d autres recherches, que le manquement contractuel de l assureur était directement à l origine du préjudice subi par les cautions en ce que, après désintéressement des créanciers, une certaine somme dont elle a souverainement évalué le montant, était restée à leur charge ; Et attendu que le second moyen du pourvoi n A 13-10. 540, en sa seconde branche et les deux moyens du pourvoi n Y13-10. 745 ne sont de nature à en permettre l admission ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ;