Évaluation d une interface centrée activité pour la gestion des alertes médicales dans un système de prescription informatisée



Documents pareils
L impact des alertes médicales dans la prescription médicamenteuse : une analyse de l activité.

La raison d être des systèmes d information

Le Focus Group. - Bases de données, personnes ayant déjà participé à des expériences et acceptant de participer à des études ultérieures.

Prescription informatisée de médicaments: pourquoi et comment

LA GESTION DES INFORMATIONS ET DES SAVOIRS EN ENTREPRISE : USAGE ET UTILISABILITÉ D UN PORTAIL INTRANET

CONTRAINTES PSYCHOLOGIQUES ET ORGANISATIONNELLES AU TRAVAIL ET SANTE CHEZ LE PERSONNEL SOIGNANT DES CENTRES HOSPITALIERS:

Pour une mobilité sure et durable des

Item 169 : Évaluation thérapeutique et niveau de preuve

Modalités d évaluation en Simulation

Déclarations européennes de la pharmacie hospitalière

La gestion des risques en hygiène hospitalière

SOMMAIRE I. INTRODUCTION 4 II. SOURCES D INFORMATION 5

Chapitre 6 Test de comparaison de pourcentages χ². José LABARERE

ÉVALUATION PRIMAIRE D UN SYSTÈME D AIDE AU CONTRÔLE AÉRIEN EN ROUTE

L USAGE DES TABLETTES NUMÉRIQUES : ÉVALUATION ERGONOMIQUE

La Menace du Stéréotype

d évaluation de la toux chez l enfant

Analyse des incidents

Utilisation du DSQ. 2. Principales fonctions associées au DSQ

La gestion des contraintes pour modéliser les stratégies humaines d'ordonnancement et concevoir des interfaces homme-machine ergonomiques

Rapport d'expérience final

Lecture critique et pratique de la médecine

C. Cohen, Inf. M.Sc. Professeure HEdS La Source & Intervenante à l IUFRS

Tests paramétriques de comparaison de 2 moyennes Exercices commentés José LABARERE

LA SIMULATION: INTERETS EN FORMATIION MEDICALE CONTINUE. C Assouline

Le bilan comparatif des médicaments (BCM): où en sommes-nous?

DÉFINITION ET INSCRIPTION DE LA PRATIQUE AVANCÉE DANS LE PAYSAGE SUISSE DES SOINS INFIRMIERS

GESTION PARTICIPATIVE: DES GAINS GARANTIS POUR TOUS!

Education Thérapeutique (ETP)

L3 Psychologie «Ergonomie : travail, innovations et formation» Les enjeux et éléments historiques. Principaux concepts et théories sous-jacentes

METHODOLOGIE GENERALE DE LA RECHERCHE EPIDEMIOLOGIQUE : LES ENQUETES EPIDEMIOLOGIQUES

Un centre de simulation : pourquoi et comment? Conférence Management, CHU Toulouse Anne-Claude Allin 9 avril 2014

LES USAGES DES TECHNOLOGIES NUMERIQUES : DES EXPERIENCES INTERACTIVES EN CONTEXTE MUSEAL

Internautes sous surveillance. Retours de la réalité pour un web meilleur

Différenciation de fonction

Module 3: Enseignement et évaluation clinique

Evidence-based medicine en français

Jour 1 : Les concepts Les forces du système de santé québécois Comparaisons internationales. 22 octobre Pause réseautage et visite des exposants

*Dans tout le document lire : infirmier/infirmière

Nouveaux rôles infirmiers : une nécessité pour la santé publique et la sécurité des soins, un avenir pour la profession

UN DISPOSITIF DE FORMATION PARENTALE DANS UN MUSEE

Intervenir sur les interactions parents-enfants dans un contexte muséal scientifique

e-santé du transplanté rénal : la télémédecine au service du greffé

Sciences de Gestion Spécialité : SYSTÈMES D INFORMATION DE GESTION

Essais cliniques de phase 0 : état de la littérature

La recherche d informations sur le Web par les lycéens : Pourquoi et comment faciliter le travail collaboratif?

"Formation et évaluation de la compétence du pharmacien clinicien expérience suisse"

Articulation entre mesures sociales du casino et lieux d aide spécialisés lors des mesures de limitation et d exclusion Lisiane SCHÜRMANN

STACCINI Pascal UFR Médecine Nice Université Nice-Sophia Antipolis

FORMATION CONTINUE RECHERCHE APPLIQUÉE OUTILS PÉDAGOGIQUES. Promouvoir les soins pharmaceutiques

RAPPORT SYNTHÈSE. En santé après 50 ans. Évaluation des effets du programme Les médicaments :

ÉVALUATION ET AMÉLIORATION DES PRATIQUES. Développement professionnel continu. Simulation en santé. Fiche technique méthode

Insuffisance cardiaque

REFERENTIEL D AUTO-EVALUATION DES PRATIQUES EN ODONTOLOGIE

L impact des avis des usagers sur l amélioration de la prise en charge du patient dans un CHU

DOCUMENT DE TRAVAIL DES SERVICES DE LA COMMISSION RÉSUMÉ DE L'ANALYSE D'IMPACT. accompagnant le document:

Évaluation expérimentale de l application de la théorie «Vision-Compréhension» aux patrons de conception

Modélisation d un réseau sociotechnique Application à la gestion de crise. Guillaume Philippe (UBS / CAMKA System) Christine Chauvin (UBS)

EVALUATION DE LA QUALITE DES SONDAGES EN LIGNE : CAS D UN SONDAGE D OPINION AU BURKINA FASO

Test d Indépendance au Contexte (TIC) et Structure des Représentations Sociales

Hospices cantonaux Centre Hospitalier Universitaire Vaudois DOSSIER DE PRESSE. Création du Centre romand hospitalo-universitaire de neurochirurgie

Deborah Arnold, Chef de projet Vidéoscop-Université Nancy 2, France

Analyse des logiciels d application spécialisée pour le courtage en épargne collective

Étude de cas «CICAD»

Comment le Health 2.0 peut contribuer à l'autonomie éclairée du citoyen. Sarah Cruchet, Célia Boyer, Maria-Ana Simonet et Vincent Baujard

L observation des aspects non techniques d une simulation

Evaluation de la Dissémination du Niger. d amélioration des soins obstétricaux et

Présentation du projet de la médiathèque de Mauguio

Simulation en aviation

Conférence invitée Anne-Sophie Nyssen

CHARTE POUR L ACCUEIL DES INTERNES

Les débats sur l évolution des

Direction générale de l offre de soin

Lutin Laboratoire des Usages en Technologies

Dossier de Presse Mars 2010

! " # $ % & '! % & & # # # # % & (

«Quelle information aux patients en recherche biomédicale? Quels enseignements en retirer pour la pratique quotidienne?»

REFLEXIONS POUR LE DEVELOPPEMENT D UNE PRATIQUE DE CONCERTATION PROFESSIONNELLE ENTRE MEDECINS ET PHARMACIENS DANS L INTERET DES MALADES

Master ès Sciences en sciences infirmières

Programme de formation continue en Chirurgie Orthopédique et Traumatologie de l Appareil Moteur

LECTURE CRITIQUE. Accompagner les enseignants et formateurs dans la conception d une formation en ligne

LA FIN DE VIE AUX URGENCES: LES LIMITATIONS ET ARRÊTS DES THÉRAPEUTIQUES ACTIVES. Dr Marion DOUPLAT SAMU- Urgences Timone

PACTE : Programme d Amélioration Continue du Travail en Equipe Phase d expérimentation

LES OUTILS DU TRAVAIL COLLABORATIF

Application de la méthode QFD comme outil d'extraction des connaissances métier en conception intégrée

d évaluation Objectifs Processus d élaboration

R E G L E M E N T G E N E R I Q U E DES F O R M A T I O N S E P D E S S P E C I A L I S E E S E N S O I N S

CliniPACS : distribution sécurisée d'images DICOM en réseau local hospitalier

Evaluation des stages hospitaliers par les étudiants en médecine

Qualité des soins Campagne de sensibilisation

IFT3913 Qualité du logiciel et métriques. Chapitre 2 Modèles de processus du développement du logiciel. Plan du cours

«Les jeux en ligne, quelle influence en France?»

Annexe 2 Les expressions du HCAAM sur la coordination des interventions des professionnels autour du patient

FORMATION CONTINUE SUR L UTILISATION D EXCEL DANS L ENSEIGNEMENT Expérience de l E.N.S de Tétouan (Maroc)

Chirurgie assistée par robot et laparoscopie en 3D à l avantage des patients?

SYMPOSIA 11. Thursday, September 12 th. Room : Salle des conférences à 15h00

L évaluation et l amélioration de l expérience patient en milieu hospitalier : impact du Comité des usagers

RECHERCHE ET ANALYSE QUALITATIVE :

Développement de la pratique infirmière avancée en Romandie

Transcription:

In C. van de Leemput, Chauvin, C. Heelemans, C. (eds.) Activités humaines, Technologies et Bien- être. Actes de la conférence EPIQUE 2013 (pp. 449-455). Bruxelles : Arpege Science Publishing. Évaluation d une interface centrée activité pour la gestion des alertes médicales dans un système de prescription informatisée Rolf Wipfli Hôpitaux Universitaires de Genève, Rue Gabrielle- Perret- Gentil 4, 1211 Genève 14, Suisse rolf@wipfli.ch Mireille Betrancourt Université de Genève, Pont d Arve 40, 1211 Genève 4, Suisse Mireille.Betrancourt@unige.ch Christian Lovis Hôpitaux Universitaires de Genève, Rue Gabrielle- Perret- Gentil 4, 1211 Genève 14, Suisse Christian.Lovis@hcuge.ch RÉSUMÉ Pour des raisons de sécurité médicale, les systèmes de prescription informatisée en milieu hospitalier incluent un grand nombre d alertes, dont la plupart ne sont pas suivies d action par le praticien, ce qui nuit à l efficience et à l acceptation de ces systèmes. Nous proposons ici des principes de gestion des alertes, élaborés sur la base de recherches en psychologie ergonomique, et en particulier les modèles de gestion de l interruption et de prise de décision en situation dynamique. Ces principes ont été implémentés dans un prototype simulant un système de prescription informatisé (version adaptée) qui a été comparé à une version présentant le mode de gestion des alertes du système actuel. Les résultats de l évaluation expérimentale montrent que les praticiens sont plus efficients avec la version adaptée mais préfèrent la version actuelle de l interface. Les enregistrements oculaires des participants permettent de suggérer des améliorations aux principes de conception. MOTS- CLÉS Gestion des situations dynamiques, aspects psycho- ergonomiques des TIC, alertes médicales, systèmes d information clinique 1 CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE Dans les hôpitaux, les systèmes d information clinique se sont largement développés pour faciliter le suivi des actes médicaux opérés sur un patient dans différents services et par différents praticiens, dans un objectif d amélioration de l efficacité, de l efficience et de la sécurité. Certains de ces systèmes implémentent même des outils d aide à la décision, qui ont un impact direct sur l activité, comme les systèmes de prescription informatisés (Pelayo et al., 2004). Ces systèmes intègrent différentes règles «standard» de prescription, aboutissant à des alertes lorsque la prescription va à l encontre de ces règles. Kuperman et al. (2007) divisent ces alertes en deux catégories : les alertes basiques, qui vérifient que le dosage, la voie et la fréquence d administration sont conformes aux normes, et les alertes d aide à la décision qui intègrent des informations liées au dossier patient (présence d un autre traitement incompatible, données physiologiques, etc.). Garg et

al. (2005) ont établi un effet positif des alertes sur les comportements de prescription et plus modestement, sur le résultat patient. Cependant, pour des raisons de renforcement de la sécurité médicale et de la législation sur la traçabilité, on assiste à une prolifération des règles générant une abondance de fausses alertes, qui ne sont pas pertinentes pour le cas particulier ou déjà connues par le praticien (Phansalkar et al., 2010). Par conséquent, la majorité des alertes ne sont pas suivies d action et sont tout simplement ignorées (Wipfli, Bétrancourt, & Lovis, 2011). Il apparaît un manque de confiance dans le système et une préférence pour ses propres connaissances et pour des règles établies dans le service (Parasaruman, & Manzey, 2010). Il s en suit deux conséquences négatives : 1) le nombre croissant de fausses alertes augmente la probabilité de rater une information importante et 2) ces alertes créent une interruption de l activité de prescription, ce qui diminue l efficience et l acceptabilité du système. La présente étude propose de s inspirer des résultats et modèles de la psychologie ergonomique pour proposer des principes de conception de l interface qui facilitent le traitement de ces alertes par le praticien et diminue le caractère interruptif de leur apparition. Une méthode de conception centrée sur l activité inspirée de Vicente (1999) a été mise en place, comprenant quatre étapes : 1) analyse de l activité et modélisation de la tâche 2) construction de principes à partir des résultats de la littérature ; 3) implémentation d un système simulé selon ces principes et 4) évaluation du système. La phase 1 ayant été décrite en détail dans Wipfli, Bétrancourt, & Lovis (2011), nous rapportons ici principalement les phases 2, 3 et 4. 2 CONCEPTION D UN NOUVEAU MODE DE GESTION DES ALERTES 2.1 Analyse de l activité et identification des recherches pertinentes Une analyse de l activité de prescription réalisée auprès de neufs médecins en cardiologie et chirurgie pédiatrique aux HUG a permis de modéliser le workflow de la tâche de prescription et de connaître l usage et perception du système de prescription informatisé (Wipfli, Bétrancourt, & Lovis, 2011). Cette étude a également permis de construire les scénarios et alertes utilisés dans le simulateur. Outre la littérature sur les activités cognitives en situation dynamique (e.g. Hoc et Amalberti, 1999), deux modèles ont été identifiés comme particulièrement pertinents dans le cas présent. D une part, le modèle de McFarlane et Latorella (2002) sur la gestion de tâches interruptives dans une activité, et d autre part, le modèle de Rasmussen (1986) qui identifie trois niveaux de régulation cognitive d une activité impliquant des processus de détection et de décision différents. 2.2 Principes de gestion des alertes et implémentation du simulateur Deux principes de conception ont été implémentés dans un simulateur de système de prescription informatisée adapté du système actuellement en usage aux HUG Principe 1 : pour faciliter une gestion plus individualisée et donc plus efficiente du besoin d information, distinguer trois niveaux d information selon l échelle de Rasmussen (1986) : procédure (que faire), règle (quelle règle est appliquée) et connaissance (sur la base de quels éléments de connaissance médicale). Principe 2 : s agissant d une situation de double tâche, rassembler les alertes dans une dans une zone dédiée de l interface, afin de diminuer l effet de distraction provoqué par une tâche interruptive (McFarlane et Latorella, 2002), en l occurrence l apparition inopinée des alertes. L implémentation de ces principes est décrite dans la partie 3.2.

3 ÉVALUATION EXPÉRIMENTALE DE LA VERSION ADAPTÉE DU SIMULATEUR DE SYSTÈME DE PRESCRIPTION : MÉTHODE 3.1 Participants et design Les participants à cette étude étaient 22 médecins des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), dont 3 internes, 8 novices et 11 expérimentés ayant leur diplôme depuis plus de 4 ans. Les participants avaient une expérience moyenne du système de prescription des HUG de 2 and et 9 mois. Ils participaient volontairement à cette étude. Chaque participant testait les deux versions de l interface sur des scénarios différents, l ordre de passage de la version de l interface et les scénarios associés à chaque version étant contrebalancés. 3.2 Matériel Deux versions de l interface simulant un système de prescription informatisée étaient utilisées. La version adaptée (Figure 2) implémente les principes de conception présentés en section 2.2, alors que la version classique utilise une présentation des alertes en fenêtre pop- up comme dans le système utilisé aux HUG (Figure 1). Huit scénarios de cas patients fictifs correspondant à une tâche de prescription ont été définis avec l aide d experts. Sur l ensemble des huit scénarios, 19 alertes apparaissaient. Ces alertes correspondaient aux différentes catégories d alertes identifiées dans la littérature et effectivement présentes dans le système réel (par exemple, dosage inapproprié, interaction médicamenteuse, analyse manquante). Pour chaque alerte, les trois niveaux d information (procédure, règle et connaissance, voir 2.2) étaient accessibles en un clic pour la version classique ou en un (règle) ou deux (connaissance) clics pour la version adaptée qui distinguent ces deux niveaux. Deux groupes de scénarios équivalents ont été constitués de façon à contrebalancer les scénarios associés à chaque version. Figure 1. Version classique de l interface : les alertes apparaissent en fenêtres pop- up et comprennent un seul niveau d information.

Figure 2. Version adaptée de l interface selon les deux principes de conception : les alertes apparaissent en base de page et distinguent trois niveaux d information. 3.3 Procédure Chaque participant reçu individuellement répondait d abord à un questionnaire sur son expérience médicale et sa connaissance du système de prescription informatisée. Après calibration de l appareil de suivi des mouvements oculaires (Tobii T 120), le participant résolvait les quatre premiers scénarios avec une version de l interface, puis remplissait les 3 items d un questionnaire concernant l utilisabilité de l interface (ASQ, Lewis, 1995). La procédure se répétait pour l autre version de l interface. A la fin de l expérience, un entretien de debriefing était réalisé avec le participant. 4 RÉSULTATS 4.1 Résolution des scénarios Le temps de résolution variait de façon importante selon la difficulté du scénario, allant de 88 secondes pour le plus simple à 223 secondes pour le plus difficile en moyenne. Conformément à l hypothèse, le temps de résolution moyen d un scénario était plus court avec la version adaptée (M =117.29 s, SD = 36.682) qu avec la version classique (M =145.58 s ; SD = 75.073), la différence étant marginalement significative, t(20) = 2.057, p =.053. Le comportement de prescription (validation ou correction des prescriptions) ne variait pas significativement d une version à l autre. 4.2 Traitement des alertes En ce qui concerne le nombre d alertes dont les participants ont consulté le détail (niveau règle ou connaissance), on observe un nombre significativement plus élevé de clics sur la version classique (M = 7.45, SD = 4.032) par rapport à la version adaptée (M = 4.35, SD = 3.117), t(19) = 4.254, p <.001. Si l on regarde pour un niveau d information équivalent, les informations de niveau «connaissances» (M = 7.10, SD= 4.253) sont ouvertes significativement plus souvent sur la version classique où elles sont accessibles en un clic que sur la version adaptée où il faut exécuter deux clics (M = 1.05, SD = 2.037), t(20) = 5.640), p <.001. Les participants pouvaient également rejeter les alertes, de façon à ce qu elles n apparaissent plus sur le cas traité. Les alertes ont été plus souvent rejetées dans la version adaptée (M = 1.86, SD =

1.389) que dans la version classique (M = 0.67, SD = 0.913), la différence étant significative, t(20) = 2.851, p <.01. En ce qui concerne le comportement oculaire, le temps de fixation sur les zones d alerte est significativement plus important pour la version classique (M = 125.354, SD = 73.723) que pour la version adaptée (M = 70.105, SD = 34.288), t(20) = 3.581, p <.01. En outre, le nombre de transitions entre la zone d alerte et la zone de prescription est plus important pour la version classique (M=57.81, SD = 35.97) que pour la version adaptée (M = 41.29, SD = 21.26) la différence étant marginalement significative, t(20) = 2.000 and p =.059. 4.3 Evaluation subjective des participants Le questionnaire ASQ comprenait 4 échelles de Lickert en 7 points, dont les scores pour les deux conditions sont rapportés dans le Tableau 1. En ce qui concerne la facilité d utilisation, l interface classique a reçu une meilleure évaluation que l interface adaptée, mais la différence n est pas significative. En ce qui concerne l efficience et le support, c est de nouveau l interface classique qui reçoit la meilleure évaluation et ce de manière significative (efficience : t(21) = 2.085, p <.05, support : t(21) = 2.326, p < 0.05). En général, les participants se déclarent plus satisfaits de la version classique que de la version adaptée, t(21) = 2.643, p <.05. Tableau 1. Score moyen aux échelles du questionnaire ASQ Item Version classique Score moyen (ET) Version adaptée Score moyen (ET) Facilité d utilisation 5.36 (1.136) 4.64 (1.529) Efficience 5.55 (1.101) 4.64 (1.432) Support 5.05 (1.463) 3.86 (1.807) Satisfaction générale 5.32 (0.945) 4.38 (1.231) 5 DISCUSSION ET CONCLUSION Cette étude expérimentale explorait l impact de l implémentation de deux principes de conception basés sur la littérature sur le traitement cognitif des alertes en situation dynamique dans un environnement simulant un système de prescription informatisé. Les résultats montrent que les participants sont plus efficients avec le système avec la version adaptée, qui respecte ces principes, qu avec une version classique, sans que cela amène une gestion différente du cas de prescription. Toutefois, les médecins ont manifesté une nette préférence pour la version classique, même au niveau de l efficience perçue alors que les temps de résolution étaient inférieurs avec la version adaptée, et ce de façon marquée. L inconsistance entre performance perçue et effective, qui n est pas rare dans le domaine des interactions humain- machine (Nielsen & Levy, 1994), révèle un décalage entre les attentes des utilisateurs et l interface proposée. Les entretiens suggèrent que la version adaptée a perturbé les participants pour des raisons qui tiennent dans l implémentation de ces principes, comme le nombre de clics élevé pour atteindre le niveau d information connaissance, mais également la non familiarité de l interface par rapport à la version classique. Nous avions sous- estimé l impact de ce facteur dans cette étude, qui a pu nuire à la perception subjective. Le matériel pourrait être adapté de telle manière que la version classique se distingue de la mise en page de la version actuelle du système tout en gardant le principe d interaction. En ce qui concerne l impact des principes de conception sur le traitement des alertes, on observe un nombre significativement plus élevé d actions de rejet des alertes dans la version adaptée, ce qui permet au praticien de diminuer la charge informationnelle de l écran. En outre, le nombre moins important de transitions entre les zones présentant les alertes et les zones de prescription suggère que le coût d intégration des

informations est inférieur dans la version adaptée (Schmidt- Weigand, Kohnert & Glowalla, 2010). Toutefois, le fait que les participants passent moins de temps sur les alertes et en consultent moins le détail peut être à la fois un gain d efficience mais aussi un risque de ne pas consulter une information importante. Cette étude montre que les principes de conception basés sur la prise en compte des processus cognitifs et de l activité réelle ont eu un impact sur la gestion de cette activité. Toutefois, il est complexe de distinguer l impact du principe de celui de son implémentation concrète, par exemple ici l augmentation du nombre de clics dans la version adaptée. Cette étude n a pas pu montrer que l affichage des alertes avec trois niveaux de détail selon les échelles de Rasmussen (principe 1) mène à un une meilleure gestion des alertes. Il faudrait réévaluer les besoins d information des médecins pour offrir l accès le plus adéquat aux différents niveaux d information. Par contre, il est prometteur d afficher les alertes à deux endroits séparés (principe 2). Même si les médecins n avaient pas l habitude de cet affichage, ils ont géré les alertes avec la même efficacité et plus d efficience. Les prochaines études s attacheront à mieux comprendre l impact de la présentation des alertes sur leur traitement par l utilisateur en enrichissant le recueil de données de processus par des protocoles de verbalisation concurrente ou rétrospective. D autre part, cette étude se situait dans le cadre de la psychologie ergonomique consistant à penser la conception d une interface en fonction de l activité cognitive des utilisateurs, ce qui n est pas conforme à l approche classique en informatique médicale qui est de promouvoir l observance des médecins face aux alertes. Finalement, bien que l activité réelle ait été étudiée en amont, la comparaison des deux versions s est effectuée en condition expérimentale, sur des situations fictives. D autres recherches sont donc nécessaires pour évaluer l impact en condition réelle sur l activité et sur la sécurité des patients. 6 RÉFÉRENCES Garg, A.X., Adhikari, N.K.J., McDonald, H, Rosas- Arellano, M.P., Devereaux, P.J., Beyene, J., Sam, J., & Haynes, R.B. (2005). Effects of computerized clinical decision support systems on practitioner performance and patient outcomes: a systematic review. Journal of the American Medical Association, 293(10), 1223 38. Kuperman, G.J., Bobb, A., Payne, T.H., Avery, A.J., Gandhi, T.K., Burns, G., Classen, D.C. & Bates, D.W. (2007). Medication- related clinical decision support in computerized provider order entry systems: a review. Journal of the American Medical Informatics Association, 14, 29 40. Hoc, J.M., & Amalberti, R. (1999). Analyse des activités cognitives en situation dynamique : d'un cadre théorique à une méthode. Le Travail Humain, 62, 97-130. Lewis, J. R. (1995). IBM computer usability satisfaction questionnaires: Psychometric evaluation and instructions for use. International Journal of Human- Computer Interaction, 7, 57-78. McFarlane, D. & Latorella, K. (2002). The Scope and Importance of Human Interruption in Human- Computer Interaction Design. Human- Computer Interaction, 17, 1-61. Parasaruman, R., & Manzey, D.H. (2010). Complacency and Bias in Human Use of Automation: An Attentional Integration. Human Factors, 52, 381-410. Nielsen, J., & Levy, J. (1994). Performance vs. preference. Communication of the ACM, 37, 66 75. Pelayo, S., Leroy, N., Guerlinger, S., Beuscart- Zéphir, M.- C., Degroisse, M., & Meaux, J.- J. (2004). Méthodes ergonomiques appliquées à une situation complexe : évaluation des fonctionnalités de prescriptions thérapeutiques d un Système d Information Clinique. In Actes ErgoIA (pp. 133-140). Biarritz : ESTIA. Phansalkar S., Edworthy J., Hellier, E., Seger, D.L., Schedlbauer, A., Avery, A.J., Bates, D.W. (2010). A review of human factors principles for the design and implementation of medication safety alerts in clinical information systems. Journal of the American Medical Informatics Association, 17(5), 493 501.

Rasmussen, J. (1986). Information processing and human- machine interaction. Amsterdam, The Netherlands: Elsevier Science Publishers. Schmidt- Weigand, F., Kohnert, A., & Glowalla, U. (2010). A closer look at split visual attention in system- and self- paced instruction in multimedia learning. Learning and Instruction, 20(2), 100 110. Vicente, K.J. (1999). Cognitive work analysis toward safe, productive, and healthy computer- based work. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates. Wipfli, R., Bétrancourt, M., & Lovis, C. (2011). L impact des alertes médicales dans la prescription médicamenteuse : une analyse de l activité. In C. Bastien, J. Cegarra, A. Chevalier et al. (eds). Epique 2011, Sixième colloque de Psychologie ergonomique (pp. 41-52), Metz : Presse Universitaire de Nancy.