Bulletin Litige commercial Décembre 2007 Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. La Cour suprême du Canada clarifie le droit québécois en matière de responsabilité du fabricant Martin F. Sheehan, Montréal Martin F. Sheehan est co-président de la section de litige commercial. Il agit pour le compte d'entreprises et de leurs assureurs dans les domaines de la responsabilité commerciale, professionnelle et du fabricant. Il travaille régulièrement avec des fabricants, importateurs ou distributeurs de produits industriels et de consommation qui ont à se défendre face à des recours, individuels ou collectifs, faisant suite à la fabrication ou la vente de produits défectueux. Il conseille et aide des dirigeants de corporation à gérer des rappels de produit en collaboration avec leurs départements de relations publiques et de relations avec les investisseurs. Il travaille notamment avec des compagnies pharmaceutiques et biotechnologiques et des organismes de recherche cliniques pour tout ce qui concerne la mise en marché de médicaments. Il agit en outre dans le domaine du droit de l'aviation pour des transporteurs et des manufacturiers poursuivis en responsabilité pour des dommages corporels ou matériels. Il défend aussi un large éventail de professionnels (architectes, ingénieurs, comptables, huissiers, courtiers, avocats, pharmaciens, psychologues et agents immobiliers) dans le cadre de poursuites en responsabilité professionnelle. Il plaide devant les tribunaux du Québec de toutes les juridictions et connaît bien les méthodes de règlement extrajudiciaire des conflits. Vancouver Calgary Toronto Montréal Québec New York Londres Johannesburg www.fasken.com Le 22 novembre dernier, la Cour Suprême du Canada a rendu un important jugement en matière de responsabilité du fabricant en droit québécois. Dans ABB Inc. c. Domtar, 2007 CSC 50, la Cour clarifie les règles qui gouvernent la responsabilité du fabricant au Québec. Cette mise à jour était fort attendue compte tenu que les règles du Code civil sur les vices de qualité s appliquent non seulement au manufacturier mais aussi au vendeur, au distributeur et à l importateur d un produit. En outre, la Cour énonce les conditions en vertu desquelles ces intermédiaires pourront exclure leur responsabilité pour un vice affectant l un de leurs produits. Les Faits : En décembre 1984, Domtar acquiert de Combustion Engineering («C.E.») (maintenant ABB et Alstom) une chaudière de récupération pour sa nouvelle usine de pâte et papier à Windsor au Québec. À l époque, C.E. est le plus important manufacturier de chaudières de récupération au Canada. Le contrat comprend une clause qui limite la responsabilité de C.E. La partie supérieure de la chaudière est munie d un surchauffeur constitué de tubes fixés à l aide d attaches rigides. Au début des années 70, C.E. constate que la conception des attaches rigides de type «A» qu elle utilisait alors pouvait provoquer un problème de fissuration. Pour y remédier, elle conçoit en 1978 des attaches de type «H». De janvier 1983 à 1986, des notes internes sont échangées chez C.E. au sujet des problèmes découlant de l utilisation des attaches rigides de type «H» et de l insatisfaction des clients qui utilisent ces attaches. Au début des années 80, C.E. commence à utiliser des attaches souples qui, dès 1989, deviennent la norme pour le service d ingénierie de C.E.
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Bulletin Litige commercial 2 En mars 1989, environ un an et demi après la mise en opération de la chaudière, Domtar procède à un arrêt imprévu de l appareil. En effectuant des tests, Domtar découvre un nombre important de fissures dans la partie supérieure de la chaudière. C.E. remplace alors environ 800 attaches rigides par des attaches souples mais les parties ne s entendent pas sur une solution permanente au problème. Domtar décide de commander un nouveau surchauffeur d un compétiteur et intente des procédures judiciaires contre C.E. Le juge de première instance conclut que le choix d attaches rigides ne constitue pas un vice de conception mais plutôt une particularité technique du surchauffeur. La Cour retient tout de même la responsabilité de C.E. puisqu elle n a pas rempli son obligation de renseigner Domtar sur les qualités respectives des attaches rigides et des attaches souples. Le juge écarte la clause de limitation de responsabilité puisque, selon lui, une telle clause ne peut faire échec à un manquement à une obligation de renseignement. La Cour d Appel du Québec condamne C.E. sur la double base de la garantie légale contre les vices cachés et de l obligation de renseignement. Puisque, à titre de fabricant, C.E. connaissait ou était présumée connaître le vice qui affectait la chaudière, la Cour conclut que C.E. ne peut invoquer la clause limitative de responsabilité. Devant la Cour Suprême, C.E. plaide essentiellement qu un régime distinct doit régir les contrats de vente négociés entre un vendeur et un acheteur professionnel. Puisque Domtar doit être considérée comme un acheteur professionnel, C.E. soutient qu elle devrait pouvoir se fier sur la clause de limitation de responsabilité librement négociée entre les parties. Le Droit : A. Le droit applicable Même si la Cour Suprême conclut que le litige doit être décidé en fonction des articles du Code civil du Bas Canada (C.c.B.C.), elle remarque que l application des règles du Code civil du Québec (C.c.Q.) aurait mené au même résultat. Dès lors, les principes dégagés par la Cour s appliquent tout autant aux contrats d aujourd hui. B. La garantie contre les vices cachés La Cour Suprême rappelle que pour retenir la responsabilité du vendeur, le vice doit présenter quatre (4) caractéristiques essentielles : il doit être i) caché, ii) sérieux, iii) existant au moment de la vente et iv) inconnu de l acheteur. i. le caractère caché du vice et iv) la connaissance de l acheteur Le vice doit être caché et inconnu de l acheteur [1726(2) C.c.Q.]. Le caractère caché du vice s apprécie selon une norme objective. Il faut comparer l examen fait par l acheteur à celui qu aurait fait un acheteur prudent et diligent de même compétence. Par contre, la connaissance de l acheteur s apprécie selon une norme plutôt subjective. Contrairement à la présomption de connaissance imposée au vendeur, aucune présomption de connaissance ne pèse sur l acheteur qui est toujours présumé de bonne foi. C est au vendeur qu appartient le fardeau de démontrer la connaissance de l acheteur. La Cour Suprême accepte que le surchauffeur était affecté d un vice caché. Même si Domtar était effectivement un acheteur avisé et qu elle était assistée d un expert au moment de l achat, la Cour souligne que l expertise dans l utilisation d un bien n emporte pas automatiquement une expertise dans sa
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Bulletin Litige commercial 3 conception. À titre de fabricant, C.E. possède clairement une connaissance plus approfondie du produit qu elle conçoit. Le tribunal de première instance ayant retenu que la cause de la fissuration excessive demeurait inconnue à la fois pour Domtar et pour son expert, la Cour Suprême conclut que le vice était en l espèce véritablement caché. ii. la gravité du vice Pour que le vice soit sérieux, il doit rendre le bien impropre à l usage auquel il est destiné ou en diminuer tellement l utilité que son acheteur ne l aurait pas acheté à ce prix (1522 C.c.B.C.) [1726 C.c.Q.]. Il n est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien mais seulement qu il en réduise l utilité de façon importante. Observant que la chaudière avait été conçue pour un usage continu, la Cour Suprême conclut que les nombreuses interruptions et la détérioration prématurée causées par les fissures diminuent l usage de la chaudière. Elle retient la conclusion du juge de première instance à l effet que Domtar aurait choisi des attaches souples si on lui en avait proposé. Dès lors, le surchauffeur était affecté d un vice grave qui en diminuait l utilité au point tel que l acheteur ne l aurait pas acheté à ce prix s il avait été avisé du vice. iii. l existence du vice au moment de la vente Troisièmement, le vice doit exister au moment de la vente [1726 C.c.Q.]. En général, ce critère permet au vendeur de repousser sa responsabilité s il démontre que le vice découle d une utilisation anormale ou d un mauvais entretien. Puisque le problème de fissuration ne découlait pas d une utilisation anormale de la chaudière, la Cour Suprême du Canada reconnaît que le vice existait au moment de la vente. C. La limitation de responsabilité En général, le droit québécois permet au vendeur de limiter sa responsabilité (1524 C.c.B.C.) [1732 C.c.Q.]. Par contre, même si une clause limite la responsabilité du vendeur, celui-ci n est pas toujours admis à l invoquer. En effet, le vendeur n est pas admis à exclure les vices qu il connaît ou est présumé connaître [1733 C.c.Q.]. Selon la Cour Suprême, la présomption de connaissance réelle ou présumée du vice par le vendeur l identifie comme un vendeur de mauvaise foi et elle impose non seulement le remboursement du prix de vente, mais aussi l indemnisation de tous les dommages découlant du vice (1527 C.c.B.C.) [1728 C.c.Q.]. Le vendeur non professionnel n est pas légalement présumé connaître les vices du bien vendu. Le vendeur professionnel, quant à lui, est visé par la présomption de connaissance. Or, le fabricant doit être considéré comme un vendeur professionnel. En effet, il est l expert ultime à l égard du bien puisqu il contrôle la conception, la main-d œuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien. Le fabricant est donc assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés. Bien que l expertise de l acheteur représente aussi un élément pertinent de l analyse, cet élément s applique à un niveau différent. L expertise de l acheteur sert plutôt à évaluer si le vice est caché ou apparent. Ainsi, plus l acheteur connaît le bien qu il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d être considéré comme un vice apparent. En effet, un vice apparent est celui que l acheteur a décelé
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Bulletin Litige commercial 4 ou qu il aurait pu déceler au moment de la vente en raison de ses connaissances (1523 C.c.B.C.) [1726(2) C.c.Q.]. Cette exigence impose à l acheteur une obligation de se renseigner en procédant à un examen raisonnable du bien. Rappelant son jugement dans General Motors Products c. Kravitz [1979] 1 R.C.S. 790, la Cour Suprême remarque que le fabricant et le vendeur professionnel sont toujours présumés être de mauvaise foi et que la qualité professionnelle de l acheteur ne modifie pas l apparence de fraude associée à la connaissance réelle ou présumée du vice par le fabricant. Dès lors, l expertise de l acheteur n a pas pour effet d annihiler la présomption qui pèse sur le fabricant. Si le vice est caché, le fabricant ne pourra invoquer une clause de limitation de responsabilité à moins de parvenir à réfuter la présomption de connaissance du vice. La Cour Suprême reconnaît que dans certaines situations, le vendeur professionnel pourra repousser la présomption de connaissance du vice. Par contre, la Cour met en garde les fabricants que ce fardeau ne sera pas facile à rencontrer. En effet, non seulement le fabricant doit-il démontrer qu il ignorait le vice, il devra également démontrer que son ignorance était justifiée, c est-à-dire qu il n aurait pas pu découvrir le vice en prenant toutes les précautions auxquelles l acheteur est en droit de s attendre d un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. La Cour observe que le haut niveau de diligence qui est imposé au fabricant rend très limité le spectre des moyens mis à sa disposition pour renverser la présomption. Elle identifie cependant deux (2) situations ou ce serait possible. D abord, le fabricant peut réfuter la présomption s il prouve la faute causale de l acheteur, d un tiers ou la force majeure. Deuxièmement, le vendeur peut invoquer la défense du risque de développement. C est-àdire qu il peut s exonérer lorsque le défaut du bien vendu ne pouvait être découvert en raison de l état des connaissances scientifiques et techniques lors de sa mise en marché [1473 C.c.Q.]. Puisqu il ressortait de la preuve que les connaissances techniques de l heure avaient permis à des concurrents, et même à la compagnie-mère de C.E., de modifier le standard des attaches rigides, la Cour Suprême conclut que C.E. n a pas réussi à réfuter la présomption de connaissance et donc qu elle ne peut invoquer la clause de limitation de responsabilité. D. L obligation de renseignement Quant à l obligation de renseignement, la Cour Suprême remarque que dans la mesure où une partie invoque la garantie du vendeur contre les vices cachés, l obligation de renseignement se trouve en quelque sorte subsumée dans la grille d analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés et le tribunal n a pas à procéder à une analyse distincte de l obligation de renseignement du vendeur. Conclusion : La décision de la Cour Suprême clarifie les règles applicables à la responsabilité du fabricant en droit québécois. Elle confirme qu un fabricant doit être considéré comme un vendeur professionnel et qu il ne sera pas admis à invoquer une clause d exclusion de responsabilité à moins d être en mesure de repousser la présomption de connaissance qui pèse sur ses épaules. Le fardeau à cet égard est lourd. À moins de prouver la faute de l acheteur ou que les connaissances de l époque ne permettaient pas de connaître le vice, le
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Bulletin Litige commercial 5 fabricant sera tenu responsable de tous les dommages causés à l acheteur. Pour obtenir de plus amples informations à ce sujet, veuillez entrer en contact avec l auteur ou un autre membre de notre équipe en responsabilité du fabricant : Martin Sheehan 514 397 4395 msheehan@fasken.com Avon Mersey (Vancouver) 604 631 3121 amersey@fasken.com Peter Pliszka (Toronto) 416 868 3336 ppliszka@fasken.com Mariel Monk (Londres) +44 207 917 8630 mmonk@fasken.co.uk Alex Kotkas (Calgary) 403 261 5358 akotkas@fasken.com Les textes inclus dans ce recueil ont pour but de fournir des commentaires généraux sur le litige commercial. Les textes reflètent le point de vue de chacun des auteurs et ne constituent pas des opinions exprimées au nom de Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. ou toute société membre. Ces textes n ont pas pour but de fournir des conseils juridiques. Les lecteurs ne devraient pas prendre des mesures sur la foi des renseignements sans prendre conseil à l égard des questions spécifiques qui les concernent. Il nous fera plaisir de fournir, sur demande, des détails supplémentaires. 2007 Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Vancouver 604 631 3131 info@van.fasken.com Calgary 403 261 5350 info@cgy.fasken.com Toronto 416 366 8381 info@tor.fasken.com Montréal 514 397 7400 info@mtl.fasken.com Québec 418 640 2000 info@qc.fasken.com New York 212 935 3203 info@nyc.fasken.com Londres 44 20 7929 2894 info@lon.fasken.com Johannesburg 27 11 685 0800 info@jnb.fasken.com