Les classes-passerelles : ce qui doit être amélioré



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Transcription:

Les classes-passerelles : ce qui doit être amélioré Analyse CODE Novembre 2010 Le décret du 14 juin 2001 visant à l insertion des élèves primo-arrivants dans l enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française 1 a été adopté dans le but de faire bénéficier tout enfant en âge de scolarité d'un enseignement adapté à ses besoins, en ce compris les enfants sans papiers. Cela répond aux prescrits de l article 28 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 2 ainsi qu à la Convention internationale relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951. Parmi les pays de l Union européenne, la Belgique francophone accueille proportionnellement le plus grand nombre d élèves migrants de 15 ans 3. Ces enfants n ont bien souvent ni la connaissance du français ni celle de notre système éducatif. En outre, certains de ces jeunes n ont parfois même jamais été scolarisés ou très peu. Or, ces élèves ont besoin d un soutien ciblé afin de leur assurer, comme aux autres élèves, des chances d émancipation par l éducation. Cette situation est particulièrement problématique au sein de la Région bruxelloise où l enseignement spécialisé de type 8 (troubles instrumentaux 4 ) «semble servir de lieu d accueil par défaut des élèves en grande difficulté scolaire, particulièrement en matière d apprentissage de la langue d enseignement» 5. Pour donner quelques chiffres, une étude relève que le type 8 scolarise 3,42% de l ensemble des élèves en primaire à Bruxelles contre 1,56% en Wallonie 6. En outre, tant à Bruxelles qu en Wallonie, «on observe une surreprésentation d élèves de nationalité étrangère au sein des écoles de type 8, tant par rapport à l enseignement spécialisé qu à l enseignement ordinaire» 7. 1 M.B. 17 juillet 2001, n 2001029261, p. 24355. 2 Loi du 25 novembre 1991 portant approbation de la Convention relative aux droits de l enfant, M.B., 17 janvier 1992 3 PISA, 2000 et 2004 ; La lettre de l IRFAM, Institut de Recherche, Formation et Actions sur les Migrations, n 13 I/2008, «Accueillir des élèves non francophones à l école», p. 6. 4 Par «troubles instrumentaux», on entend des difficultés dans le développement du langage et/ou dans l apprentissage de la lecture, de l écriture ou du calcul. 5 Commission Consultative Formation Emploi Enseignement, «L enseignement francophone en Région de Bruxelles-Capitale», mars 2009, p. 3. 6 Ph. TREMBLAY, «Enquête longitudinale comparée sur l orientation des élèves sortants de l enseignement spécialisé primaire de type 8 en Wallonie», avril 2007, p. 27. 7 Ibid., p. 94. 1

Ainsi, à Bruxelles, l étude précitée a relevé que les élèves d origine étrangère représentent plus de 30% des élèves fréquentant l enseignement de type 8. La même étude montre également que les primo-arrivants qui ont été placés au sein de l enseignement spécialisé n ont pas pu bénéficier d une scolarité adaptée à leur problématique. Elle souligne encore que «le manque de classes adaptées en enseignement ordinaire pour ces élèves est également significatif», pour conclure qu il «serait utile de s interroger sur la pertinence de placer ces élèves en enseignement spécialisé pour les aider à rattraper le niveau» 8. Aujourd hui, la Plate-Forme Mineurs en Exil 9 dénonce les nombreux manquements du décret du 14 juin 2001 visant à l insertion des élèves primo-arrivants dans l enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française, et propose diverses recommandations afin d y remédier. La Plate-Forme travaille actuellement en collaboration avec le cabinet de la Ministre de l enseignement afin que ce décret soit modifié par le Parlement. La Coordination des ONG pour les droits de l enfant (CODE) participe au groupe de travail mis en place par la Plate-Forme dans ce cadre. Par cette analyse, elle souhaite faire le point sur ce que prévoit le décret actuellement, ainsi que sur les modifications essentielles à y apporter. Dans une première partie, nous allons examiner le décret, tel qu il a été adopté en 2001, et ses objectifs. Ensuite, nous ferons le point sur les problèmes engendrés par ce texte dans le cadre de ses neuf années de mise en œuvre et les modifications requises pour y remédier. 1. Le décret du 14 juin 2001 visant à l insertion des élèves primo-arrivants dans l enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française 10 Le décret du 14 juin 2001 a été complété par un arrêté de Gouvernement de la Communauté française du 19 juillet 2001 11. La notion d «élève primo-arrivant» est définie par l article 2, 1 du décret : a) être âgé de 2 ans et demi à 18 ans ; b) avoir introduit une demande de reconnaissance ou avoir été reconnu réfugié ou apatride ; ou être mineur accompagnant une personne ayant introduit une demande de reconnaissance ou ayant été reconnu comme réfugié ou apatride ; ou être ressortissant d'un pays en voie de développement ; c) être arrivé sur le territoire national depuis moins d'un an. Selon le décret, les élèves primo-arrivants sont inscrits dans ce que l on appelle une classepasserelle, qui est une «structure d'enseignement visant à assurer l'accueil, l'orientation et l'insertion optimale de l'élève primo-arrivant dans l'enseignement fondamental ou secondaire 12». 8 Ibid., p. 143. 9 http://www.mineursenexil.be. 10 M.B. 17 juillet 2001, n 2001029261, p. 24355. 11 M.B. 23 août 2001, n 2001029334, p. 28302. 12 Art. 2, 2 du Décret. 2

Ces classes peuvent être fréquentées par les élèves durant une période allant d une semaine à un an 13. Le premier objectif des classes-passerelles 14 est l'apprentissage intensif de la langue française pour les enfants qui ne maîtrisent pas suffisamment cette langue. Le deuxième est «la remise à niveau adaptée pour que l'élève rejoigne le plus rapidement possible le niveau d'études approprié». Une formation spécifique est prévue pour les enseignants de l école primaire 15. La classe-passerelle est organisée pour une année scolaire 16. Les démarches de reconduction d une classe-passerelle doivent être répétées chaque année. De ce fait, les enseignants de classe-passerelle ne peuvent pas être titularisés pour cette classe. Ils ne peuvent pas être nommés et donc bénéficier de la sécurité d un engagement à titre définitif 17. Au sein de chaque école organisant une classe-passerelle, un conseil d intégration est chargé de guider l'élève primo-arrivant vers une intégration optimale dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française 18. Le conseil d'intégration peut également délivrer une attestation d'admissibilité dans n'importe quelle année de l'enseignement secondaire, à l'exception des sixième et septième 19 aux élèves ayant introduit une demande de reconnaissance ou ayant été reconnu réfugié ou étant mineur accompagnant une personne ayant introduit une demande de reconnaissance ou ayant été reconnu réfugié et qui ne peuvent pas prouver la réussite ou la fréquentation de telle année scolaire antérieure. 2. Principaux problèmes rencontrés par le décret Depuis son entrée en vigueur, différents problèmes ont été rencontrés sur le terrain suite à l adoption du décret du 14 juin 2001, décrit ci-dessus. Le groupe de travail scolarité de la Plate-Forme Mineurs en Exil s est longuement penché sur la question et a soulevé différentes modifications à apporter au décret afin de faciliter l insertion des élèves primo-arrivants. En voici les principales : a) Définition de la notion de primo-arrivant (art. 2) Condition de nationalité Actuellement, les jeunes qui viennent de pays qui ne sont pas considérés comme des pays en 13 Art. 3 du Décret. 14 Art. 4 du Décret. 15 Art. 9 du Décret. 16 Art. 6 du Décret. 17 A.-M. PIRARD, «Le Petit guide du jeune enseignant», Ministère de la Communauté française, Administration générale de l enseignement et de la recherche scientifique, 4 ème édition, pp. 23 et sv. 18 Art. 10 du Décret. 19 Art. 11 du Décret. 3

voie de développement par l Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) n ont pas accès aux classes-passerelles. Cette condition de nationalité limite l accès aux classes-passerelles et empêche certains enfants de pouvoir en bénéficier. Cette liste de pays a été révisée suite à l élargissement de l Union européenne, et une série de pays nouvellement intégrés (comme la Pologne) ne s y trouvent plus. Les élèves qui arrivent directement de ces pays et qui ne parlent pas le français ne peuvent plus bénéficier du système applicable aux primo-arrivants 20. Les enfants de nationalité belge, victimes d enlèvements internationaux d enfants, qui ont oublié leur langue maternelle au moment de leur retour en Belgique sont également exclus de ce décret. De même, les enfants issus de pays membres de l UE en sont également exclus, alors même que nombre d entre eux devraient en bénéficier. C est vrai non seulement pour les mineurs originaires de ces Etats, mais encore plus pour les mineurs immigrés qui quittent ces pays pour gagner la Belgique et qui ont la nationalité de ces Etats. Présence sur le territoire national depuis moins d un an Cela pose problème aux enfants ayant résidé un certain temps en Communauté flamande ou germanophone. Si après une année, ils arrivent sur le territoire de la Communauté française, ils n ont pas accès aux classes-passerelles car le délai d un an sur le territoire est écoulé. Ils ne parlent pourtant pas le français b) Durée d une semaine à un an en classe-passerelle (art. 3) Pour les jeunes non-alphabétisés, ou ceux qui souffrent de troubles spécifiques d apprentissage, cette durée maximale d un an est insuffisante et ne leur permet pas d intégrer l enseignement ordinaire. Au Québec, des recherches ont démontré qu'il faut compter une expérience d'environ un an et demi pour garantir aux enfants non-scolarisés une intégration dans le système scolaire (ce qui recouvre plusieurs niveaux d'apprentissage dont l'apprentissage du français scolaire). La francisation nécessiterait 5 ans pour atteindre un niveau «natif» (ou native speaker) 21. L apprentissage du français devrait dès lors pouvoir se poursuivre au-delà de la classepasserelle. En effet, tous les élèves sont différents. Dès lors, il faudrait prévoir des possibilités de prolongation de l accès à la classe passerelle. C est une évidence : les élèves qui n ont jamais été alphabétisés, jamais scolarisés ou qui viennent d alphabets totalement différents du nôtre (chinois, cyrillique, etc.) vont éprouver beaucoup plus de difficultés que des élèves qui ont été scolarisés ou qui émanent d alphabets proches du nôtre (espagnol, etc.). Il faut donc prévoir des possibilités d aménagement du temps de durée de la passerelle, allant jusqu à deux années de cours si nécessaire. En outre, certains jeunes primo-arrivants francisés hébergés dans un centre d accueil sont inscrits administrativement dans une classe-passerelle tout en étant immergés en classe ordinaire. Ces jeunes sont sensés fournir un travail scolaire à l école et à domicile comme les autres élèves, mais ne bénéficient souvent pas des conditions nécessaires et suffisantes. Par 20 http://www.altereduc.be. 21 Martine HENDRICKX, Les Nouvelles de l Observatoire 4/2004, n 49, «Dossier spécial Primo-arrivants», p. 6. Voir aussi : «Accueillir les pirmo-arrivants», revue Eduquer, décembre 2009, n 70. 4

exemple, ils reçoivent leurs manuels scolaires très en retard, ils ne disposent pas d une salle d étude adaptée où travailler calmement dans le centre et ils ne sont pas aidés de manière satisfaisante pour leurs devoirs. De plus, le regroupement dans des chambres où ils doivent cohabiter avec d autres jeunes qui vivent d autres réalités scolaires a pour conséquence que ces élèves ne dorment parfois pas suffisamment avec toutes les conséquences sur le déroulement des cours le lendemain 22. C est également vrai pour les jeunes qui ne séjournent pas en centre d accueil c) Miser davantage sur l apprentissage du français et l adaptation à la langue scolaire (art. 4) La connaissance des bases de la langue française est essentielle pour permettre au jeune d intégrer au mieux l enseignement ordinaire après son passage en classe-passerelle. Cela doit être l objectif essentiel de la classe-passerelle car rien ne sert de donner des cours de sciences, de géographie et d histoire tant que les jeunes n ont pas acquis un minimum de base en langue. Quelle est en effet l utilité de la présence de ces enfants aux cours philosophiques s ils ne comprennent pas ce qui s y dit? Il est par contre important que ces enfants participent aux cours d éducation physique et de natation : certains n ont jamais vu de piscine... 23. Il en va de même des cours plus créatifs et des activités extérieures (visites de musées, etc.). d) La reconnaissance d un statut d enseignant en classe-passerelle (art. 6) Actuellement, les classes-passerelles sont organisées annuellement, et chaque année, les écoles doivent introduire une demande pour ouvrir une classe-passerelle l année suivante. De ce fait, les enseignants ne peuvent pas être titularisés pour cette classe et bon nombre d entre eux quittent donc cette structure au moindre espoir d être nommés ailleurs. Cette situation est très problématique : les enseignants des classes passerelles n ont aucune possibilité d être nommés. Ils reçoivent donc leur C4 tous les ans. Cette précarité professionnelle a non seulement un impact négatif sur les enseignants (pas de congé parental, pas de possibilité de prendre un crédit-temps, etc.) mais aussi et surtout sur les enfants euxmême. En effet, l accueil de primo-arrivant nécessite des compétences particulières. En ne permettant pas la professionnalisation de la filière, on porte aussi atteinte au droit des enfants d être accueillis dans de bonnes conditions. e) Formation spécifique pour les enseignants de l école primaire (art. 9) Une formation spécifique devrait être rendue obligatoire pour tous les enseignants de classespasserelles, et pas seulement dans l enseignement primaire. De plus, cette formation doit être complète, ciblée et aborder les différents aspects de la particularité de cet enseignement. Par exemple, à ce jour, les enseignants ne disposent pas d une formation suffisante pour permettre à certains enfants d identifier des sons qu a priori ils n entendent pas 24. En outre, dans la formation continuée, rien n est prévu pour les enseignants des classes passerelles : l offre de formation est totalement insuffisante, voire pratiquement inexistante. 22 Plate-Forme Mineurs en Exil, «Le décret ministériel du 14 juin 2001 relatif à l insertion des jeunes primoarrivants dans l enseignement francophone, pistes de réflexion», 2010. 23 http://www.cecp.be/lesdossiers/classepasserelle/20070319/20070319.html. 24 http://www.cecp.be/lesdossiers/classepasserelle/20070319/20070319.html. 5

f) Le Conseil d intégration (art. 10 et 11) Actuellement, seuls les jeunes demandeurs d asile (ou accompagnants de demandeurs d asile) ont la possibilité de bénéficier des avantages du Conseil d intégration, et donc de la délivrance d une «attestation d admissibilité» pour l enseignement secondaire ordinaire. Cela exclut les jeunes non demandeurs d asile, les jeunes en séjour illégal et les jeunes qui viennent rejoindre un membre de leur famille dans le cadre du regroupement familial. Ces derniers sont systématiquement orientés vers des niveaux scolaires inférieurs à leurs capacités. g) Nombre de primo-arrivants par groupe classe Le décret ne fixe aucune limite maximale d inscriptions de jeunes primo-arrivants dans les groupes classes, ce qui peut s avérer totalement contre-productif puisque sur le terrain certaines classes comptent jusqu à 46 enfants. La Plate-Forme Mineurs en Exil propose de limiter de façon structurelle les groupes classes à 12 élèves afin de permettre à chaque enfant d apprendre la langue dans de bonnes conditions. Conclusion En résumé, pour améliorer le Décret du 14 juin 2001, nous recommandons notamment de : 1. Supprimer la condition de nationalité. 2. Remplacer la condition de présence sur le territoire national depuis moins d un an par la présence sur le territoire de la Communauté française depuis moins d un an. 3. Permettre aux primo-arrivants de rester en classe-passerelle jusqu à 2 ans au lieu d un an. 4. Miser davantage sur l apprentissage du français et l adaptation à la langue scolaire. 5. Permettre aux enseignants des classes-passerelles d être nommés au même titre que leurs collègues. 6. Organiser une formation spécifique pour tous les enseignants de classes-passerelles. 7. Elargir à tous les mineurs la possibilité de bénéficier des avantages du Conseil d intégration. 8. Limiter à 12 le nombre de primo-arrivants par groupe classe. Dans un rapport datant du mois de mars 2010 et intitulé «Quel droit à l enseignement pour les enfants en séjour précaire? 25», un groupe d associations a, pour sa part, repris six recommandations essentielles en matière de classe-passerelle. Selon elles, il faut : 1. Améliorer les modalités organisationnelles d accueil et d orientation des enfants en séjour précaire au niveau des écoles. 2. Renforcer l expertise pédagogique. 3. Améliorer l expertise et la formation des acteurs scolaires. 4. Améliorer la collaboration entre les écoles et d autres institutions. 5. Soutenir l accès aux droits des parents et mieux les accompagner dans leur fonction éducative. 25 Recherche effectuée par le Centrum voor Migratie en Interculturele Studies, le Groupe Interfacultaire de Recherche sur la Socialisation, l Education et la Formation, de l UNICEF Chair in Children s rights, het Instituut voor Onderwijs en Informatiewetenschappen à la demande du Centre pour l égalité des chances et la lutte contre le racisme et le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale dans le cadre de l Action en soutien aux priorités stratégiques de la Politique Scientifique Fédérale. 6

6. Susciter un débat de société sur l accueil des familles en séjour précaire et de leurs enfants, et privilégier une action intégrée. L amélioration du système actuel des classes-passerelles permettra de libérer des places au sein de l enseignement de type 8, de réaffecter une partie du budget consacré au type 8 à la création de classes passerelles et ainsi d en améliorer le fonctionnement. Mais surtout, l amélioration du système permettra une meilleure intégration des populations étrangères, une meilleure scolarité de ces enfants et coûtera beaucoup moins cher à la collectivité. C est dans l intérêt non seulement de la société dans son ensemble, mais surtout dans celui des enfants concernés. Ce n est que de cette manière que l Etat belge pourra se conformer à la CIDE La CODE restera bien sûr attentive à cette problématique et aux futures modifications de ce décret. Cette analyse a été réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l enfant (CODE) et représente la position de la majorité de ses membres. La CODE est un réseau d associations ayant pour objectif de veiller à la bonne application de la Convention relative aux droits de l enfant en Belgique. En font partie : Amnesty international, ATD Quart Monde, BADJE (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l Enfance),le BICE (Bureau International Catholique de l Enfance) Belgique, le Conseil de la Jeunesse, DEI (Défense des enfants international) Belgique section francophone, ECPAT (End Child Prostitution and Trafficking of Children for sexual purposes), la Ligue des droits de l Homme, la Ligue des familles, Plan Belgique et UNICEF Belgique. La CODE a notamment pour objet de réaliser un rapport alternatif sur l application de la Convention qui est destiné au Comité des droits de l enfant des Nations Unies. De plus amples informations peuvent être obtenues via notre site. www.lacode.be Rue Marché aux Poulets 30 à 1000 Bruxelles www.lacode.be Avec le soutien du Ministère de la Communauté française. 7