La transition vers le numérique



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Transcription:

La transition vers le numérique Paul Champsaur Président de l Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) Le succès de l ouverture à la concurrence des réseaux de communications électroniques et l évolution très rapide des techniques et des usages font apparaître des questions très nouvelles par rapport à celles qui faisaient débat il y a cinq ou dix ans. Parmi ces questions, trois occupent le devant de la scène : l arrivée de la fibre optique dans la «boucle locale», la convergence entre la téléphonie fixe et la téléphonie mobile, et les relations entre le monde des télécommunications et celui de l audiovisuel. à la concurrence des grands secteurs des services marchands, autrefois en situation de monopole légal dans chaque pays, a résulté d une politique européenne délibérée. L intervention européenne a conduit L ouverture à l ouverture graduelle à la concurrence de chaque secteur ou marché concerné. Il est bien sûr impossible de passer instantanément d une situation de monopole à une situation de concurrence normale. Les facteurs technologiques et les structures de coût qui tendaient à des monopoles naturels n ont pas disparu par enchantement. À cela s ajoute le poids du passé, notamment du capital installé. Aussi a-t-il fallu dans chaque secteur installer un régime concurrentiel spécifique, dérogatoire au droit commun de la concurrence. La gestion courante de ce régime concurrentiel spécifique a été confiée, dans chaque pays européen, à une institution spécialisée, indépendante, autorité de régulation appelée ARN dans le jargon européen. L ART, crée en 1997, devenue l Arcep, en est l exemple français. Le système ainsi décrit est évolutif et la situation des différents secteurs est très différenciée. En effet, la facilité ou la difficulté à faire naître la concurrence varie beaucoup d un secteur à l autre. Le degré de concurrence atteint aujourd hui n est pas identique dans chaque secteur et il diffère également d un pays à l autre. Si la concurrence se développe et s enracine, la régulation sectorielle perd de sa justifica- 34 Sociétal n 61

La transition vers le numérique tion. Elle s allège alors avec la perspective d un effacement au profit du droit commun de la concurrence. Par ailleurs, et bien qu il n y ait pas eu d intervention européenne en la matière, beaucoup de pays ont saisi l occasion de l ouverture à la concurrence pour envisager la privatisation partielle ou totale de leurs entreprises publiques anciennement en monopole. Ainsi, l Europe s est rapprochée des États-Unis qui avaient une tradition plus ancienne d entreprises privées régulées par des autorités sectorielles comme la Federal Communication Commission (FCC) créée en 1934. L Union européenne a ainsi suscité une clarification des objectifs publics et une spécialisation des instruments d intervention publique, ce qui est conforme aux recommandations classiques de l analyse économique. Aujourd hui, la régulation sectorielle des télécommunications repose sur un cadre législatif et réglementaire qui découle d un ensemble de directives européennes adoptées en 2002, dit «Paquet Télécom», qui a été transposé en droit français notamment par la loi du 9 juillet 2004. Ce cadre, avec les textes qui l avaient précédé, a très bien fonctionné. Le secteur des télécommunications s est progressivement ouvert à la concurrence à peu près simultanément dans tous les pays européens. Il est en cours de révision, mais plutôt que d entrer dans le débat concernant l évolution des textes et des institutions, le mieux est d aborder directement les grands sujets du moment. Révolution Un réseau fixe de télécommunications est composé de trois «couches» : le réseau de longue distance, le réseau de collecte, enfin le réseau de boucle locale qui relie les répartiteurs situés dans chaque agglomération aux logements. Le début de l ouverture à la concurrence a permis la construction de plusieurs réseaux de longue distance le long des grands axes de communication. Depuis 2002, deux réseaux de collecte en fibre optique, couvrant chacun aujourd hui environ 70 % de la population, ont été progressivement établis en France. Ces réseaux sont toujours en extension avec l aide croissante des collectivités territoriales. Celles-ci ont parfaitement compris l intérêt des ménages et des entreprises installés sur leurs territoires pour que s instaure à leur bénéfice une concurrence pérenne. Ce résultat constitue un grand succès pour la régulation française et explique la remarquable percée du haut débit dans notre pays. Deux entreprises privées, le groupe Iliad et le groupe Neuf-Cegetel, ont réalisé les investissements nécessaires 3 ème trimestre 2008 35

qui se sont révélés profitables. Ces investissements ont été permis par la régulation qui a garanti l accès au réseau de boucle locale de France Télécom dans des conditions opérationnelles et financières stables et satisfaisantes. C est ce qu on appelle le dégroupage de la boucle locale. Jusqu à aujourd hui, le réseau de boucle locale de France Télécom, d excellente qualité, a simplement été entretenu et n a pas fait l objet d investissement significatif, ce qui a facilité la tâche de la régulation. Mais nous sommes au début d une révolution technologique : la substitution de la fibre optique au fil de cuivre dans la boucle locale. La régulation doit assurer des conditions favorables à l investissement correspondant. La première approche, traditionnelle, est mise en avant par les opérateurs historiques avec l appui de certains économistes. Elle consiste à partir de l investissement qui doit être réalisé dans la boucle locale et de considérer que cet investissement doit être effectué par l opérateur historique dans la boucle locale qu il possède. Si la régulation donne la priorité à l investissement par le propriétaire de la boucle locale, la concurrence en aval est gravement compromise. Il y a contradiction entre investissement et maintien de la concurrence. La régulation doit assurer des conditions favorables à l investissement. Afin de surmonter ce dilemme, l idée est parfois avancée de recommander la séparation verticale de l opérateur historique. Est alors créée au sein de celui-ci une entité distincte en charge de gérer la boucle locale, d en louer l accès à tous les opérateurs avals dans des conditions identiques pour tous et d effectuer les investissements souhaitables. La boucle locale est alors régulée comme un monopole naturel séparé. C est la voie prise par le Royaume-Uni avec la création d Open Reach au sein de British Telecom. La plupart des opérateurs historiques sont opposés à la désintégration verticale. D autres la considère comme un moindre mal. Nous n insisterons pas sur les inconvénients potentiels d une désintégration verticale et d une régulation durable de monopole naturel. Pour ces raisons et pour d autres, que nous essaierons d expliquer, la régulation française se lance dans une autre voie. La boucle locale est composée, d une part, d une infrastructure de génie civil : tranchées, chambres, fourreaux et, d autre part, d équipements de télécommunications, en particulier des câbles installés dans les fourreaux. Le coût du génie civil est considérable : environ les trois quarts du coût total. L infrastructure de génie civil est donc 36 Sociétal n 61

La transition vers le numérique très difficilement réplicable. Il y a suffisamment de place dans l infrastructure de génie civil pour que puissent y cohabiter plusieurs réseaux en fibre optique, car la fibre tient très peu de place. Il est donc possible de distinguer dans la boucle locale une partie en monopole naturel, à savoir l infrastructure de génie civil, et une autre partie, les câbles en fibre optique, qui peuvent être installés, possédés et entretenus par plusieurs entreprises concurrentes, y compris l opérateur historique. Si la régulation est capable d assurer un accès satisfaisant non discriminatoire à l infrastructure de génie civil de France Télécom, alors tous les opérateurs présents sur le marché peuvent investir pour installer leur fibre dans la boucle locale et y raccorder leurs clients. S ouvre alors une nouvelle phase d investissement dans la boucle locale. La régulation appliquée à la fibre recule d un cran par rapport à celle du fil de cuivre. Elle doit établir les conditions opérationnelles et financières d accès au génie civil de France Télécom sur la base de principes, notamment tarifaires, analogues à ceux aujourd hui appliqués par le dégroupage de la boucle locale en cuivre. Cette politique sera un succès si plusieurs opérateurs présents sur le marché se lancent dans un programme d investissement et si, bien sûr, la demande finale est au rendez-vous. Le régulateur n a pas à assurer ex ante la rentabilité de ces investissements. Il se contente de vérifier, c est évidemment crucial et doit être réalisé de façon transparente, que l hypothèse d une rentabilité suffisante pour l investissement par plusieurs entreprises est raisonnable. Bien sûr son action, qui rend possible un investissement par plusieurs entreprises, accroît l incitation à investir pour chacune puisqu il devient risqué de ne pas investir alors que d autres acteurs se préparent à le faire. Il est clair que la mise en œuvre d une telle politique est complexe et que le succès n est pas assuré. Si elle réussit, seront conciliés concurrence, investissement pertinent et recul de la régulation sectorielle. Convergence Aujourd hui, la régulation, qu elle soit européenne ou française, a établi une cloison quasiment étanche entre réseaux fixes et réseaux mobiles. Cette approche s expliquait par les situations respectives des réseaux fixes stables avec un opérateur historique dominant et des réseaux mobiles en plein développement avec une structure de marché a priori concurrentielle. 3 ème trimestre 2008 37

Ceci n est plus justifié aujourd hui. En gros, les conditions de concurrence entre réseaux fixes et réseaux mobiles sont déséquilibrées au bénéfice des seconds. Ainsi, le tarif de gros régulé de terminaison d appel d une liaison fixe vers mobile est un multiple du tarif réciproque. De même, un opérateur de réseau mobile peut investir dans la construction d un réseau haut débit fixe complémentaire de son réseau mobile, de façon à offrir des services convergents fixe-mobile. En revanche, un opérateur fixe peut difficilement s engager dans la réciproque du fait de la barrière à l entrée très élevée dans le mobile (rareté et cherté du spectre hertzien) et des contraintes imposées par les opérateurs mobiles à l accueil sur leurs réseaux d un autre opérateur (accords de MVNO). Le service universel reste basé sur l accès à la téléphonie fixe traditionnelle malgré l essor, y compris dans les populations les moins favorisées, de la téléphonie sur large bande, moins chère, et surtout de la téléphonie mobile. Tout cela contredit un principe fondamental de la régulation : la neutralité technologique. En outre, apparaît le risque que la structure oligopolistique relativement serrée des réseaux mobiles (trois opérateurs en France) ne s étende aux réseaux fixes, voire se contracte, élevant encore les barrières à l entrée par rapport à celles qui existent déjà. Ce serait dangereux pour le dynamisme du secteur et de l économie nationale. Il est possible de remédier à cette situation en adaptant la régulation de façon à établir un lien systématique entre l analyse des marchés de téléphonie fixe et de téléphonie mobile. Ce lien est justifié par les évolutions technologiques : qu il soit sur son lieu de travail ou chez lui, l usager dispose de plus en plus du choix entre, d une part, terminal fixe et terminal mobile, et d autre part, réseau fixe commuté, réseau fixe à haut débit et réseau mobile ; apparaît également de la part d un usager professionnel la demande que ses numéros de téléphone (fixe et mobile) soient gérés de façon coordonnée (renvoi automatique sur l autre numéro si le numéro appelé ne répond pas) avec une seule messagerie. La régulation doit rester neutre et laisser ces choix s opérer sur la seule base des performances et des coûts intrinsèques de ces technologies. Est ainsi posée la question de l accès par les opérateurs fixes aux services mobiles par l intermédiaire du spectre hertzien ou des accords de MVNO. 38 Sociétal n 61

La transition vers le numérique Concurrence Grâce à la montée des débits et à la numérisation, les contenus audiovisuels et une gamme de plus en plus large de services fournis par des entreprises spécialisées sont accessibles par l intermédiaire des réseaux de télécommunications, fixes ou mobiles. Ainsi, les relations entre secteur des télécommunications et secteur audiovisuel se développent. Les deux secteurs commencent à entrer en compétition pour l usage d une ressource essentielle de plus en plus rare, le spectre hertzien. Cela pose la question du «dividende numérique», c est-à-dire l utilisation du spectre hertzien libéré par la numérisation des contenus audiovisuels, et l arrêt de la diffusion analogique des six chaînes de télévision historiques, prévu pour fin 2011. Il s agit certes de deux univers qui obéissent à des logiques différentes. Par exemple, d un côté les réseaux de télécommunications fonctionnent traditionnellement sur la base de l interopérabilité, tout abonné à un opérateur ayant accès à tout autre abonné d un quelconque opérateur et à tout service offert (par exemple la météo) ; de l autre côté, au moins au stade de la création et souvent plus loin, ce sont les contrats d exclusivité qui prédominent. Néanmoins, sous certaines conditions, ces deux logiques n entrent pas en conflit. L analogie du livre permet de le comprendre. Un éditeur paye chèrement l exclusivité du dernier Harry Potter. Or, n importe qui peut se procurer ce livre chez son libraire habituel comme chez n importe quel autre libraire. L éditeur détenteur de l exclusivité a évidemment intérêt que son livre soit distribué par tous les libraires ou réseaux de distribution. Ceci résulte du fait que l éditeur n a pas lui-même d activité de distribution significative : il y a séparation verticale entre édition et distribution. Cependant, l analogie avec le livre est trompeuse pour au moins deux raisons. La première est que le secteur des télécommunications est concentré : au lieu d un grand nombre de libraires, tout se passe dans le secteur des télécommunications comme s il n existait que quelques réseaux de libraires, les plus grands disposant alors d un pouvoir de marché. En outre, le client final choisit un seul réseau avec lequel il passe contrat ; changer de réseau est une décision lourde et d exécution relativement compliquée. Ainsi le plus gros réseau, c est-à-dire Orange, peut juger qu il est de son intérêt de posséder l exclusivité de la distribution de certains contenus voire de catalogues de certains éditeurs, de façon à renforcer son attractivité vis-à-vis des réseaux concurrents. 3 ème trimestre 2008 39

La deuxième raison est plus complexe : beaucoup de contenus audiovisuels ne s achètent pas à la pièce mais après regroupement. En aval des éditeurs existent des assembleurs de catalogues. Ceci répond au souhait des clients finaux d accéder à un ensemble réassemblé (par exemple bouquet de chaînes de télévision), quitte à conclure un contrat les liant pour un certain temps. Là encore, le principal acteur, à savoir Canal +, dispose d un pouvoir de marché certain, d autant plus grand qu il maîtrise la relation contractuelle avec le client final. Si un gros assembleur de contenus est en mesure soit d accorder l exclusivité des contenus qu il contrôle à un opérateur de réseau particulier, soit d offrir un accès ouvert à tous les opérateurs de réseaux mais à des conditions déséquilibrées, alors sont compromis soit une concurrence normale entre opérateurs de réseaux soit la capacité de ceux-ci à investir pour améliorer les performances de leurs réseaux. Il en est de même si un gros opérateur de réseau devient lui-même acheteur et assembleur de contenus pour son usage exclusif. Les progrès techniques sont à la source d une croissance continue des débits de données qui transitent par les réseaux de communications électroniques, et permettent la transition vers l ère numérique. Les réseaux à haut débit, qu ils soient fixes ou mobiles, sont les vecteurs de ce développement, et donnent accès à de nouveaux services, et de nouveaux usages. L ouverture à la concurrence voulue par l Union européenne favorise ce mouvement, mais crée aussi pour le régulateur de nouveaux défis. Il convient donc de s interroger sur les conditions favorisant le dynamisme des différents secteurs concernés, dans un contexte de relations croissantes entre les télécommunications et l audiovisuel. Parmi ces conditions, il y a certainement la limitation des pouvoirs de marché résultant de ces relations, préoccupation nouvelle qui est une conséquence de la numérisation. Mais c est là une autre histoire 40 Sociétal n 61