Session Innovation, Concurrence et Croissance. Innovation et politique industrielle Xavier Ragot (EEP et Agence de l innovation industrielle)



Documents pareils
AG ECONOMIE, EMPLOI, INDUSTRIE Section Paris 2 ème 28/02/2013

Actifs des fonds de pension et des fonds de réserve publics

PANORAMA DES AIDES. - Les aides de l'etat sont de deux types

A quoi sert un brevet?

Enjeux du plan d'investissement

COUR DES COMPTES. Juin 2013

Les instruments économiques de protection de l environnement. Prof. Bruno Deffains, bruno.deffains@u-paris2.fr. Sorbonne Université

Quelle place géopolitique?

Programmes Opérationnels Européens FEDER

Stratégie Open Source et Présentation du Centre de recherche et d innovation sur le logiciel libre

Personnes physiques fiscalement domiciliées en France, PME * de moins de 3 ans.

Mutation digitale et conséquences sur l organisation de l entreprise et ses salariés

Conclusions du Conseil sur l'innovation dans l'intérêt des patients

L'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA en outre-mer

3 Les premiers résultats des plans d'actions

ENQUÊTE ACCÈS AU FINANCEMENT

Quels sont les grands déséquilibres macroéconomiques? Durée : maximum 4h30

Chambre de métiers et de l'artisanat du CANTAL

DES PAROLES ET DES ACTES : LES 4 MENSONGES DE MONSIEUR LENGLET

Qu est-ce que la compétitivité?

Encouragement de l Investissement et mobilisation des compétences marocaines du Monde

Investissements et R & D

REGIME D APPUI POUR L INNOVATION DUALE RAPID CAHIER DES CHARGES

OVH.com Neo Telecoms Ikoula Euclyde Datacenters

WS32 Institutions du secteur financier

Une réussite : Les prix de rachat garantis soutiennent les énergies renouvelables en Allemagne

REGIME D APPUI POUR L INNOVATION DUALE RAPID CAHIER DES CHARGES

Programme «Société et Avenir»


Le Québec en meilleure situation économique et financière pour faire la souveraineté

CONSOLIDER LES DETTES PUBLIQUES ET RÉGÉNÉRER LA CROISSANCE. Michel Aglietta Université Paris Nanterre et Cepii

Les enjeux de l'énergie Place du nucléaire. Olivier Appert, Président d'ifp Energies nouvelles Président du Conseil Français de l'energie

LES FICHES ARGU DU GROUPE SOCIALISTE, RÉPUBLICAIN ET CITOYEN LE COLLECTIF BUDGÉTAIRE 12 JUILLET 2012

SafeNet La protection

Logement aux frais du membre du personnel 3,82 EUR 19,22 EUR 43,78 EUR 23,04 EUR

WAGRAM CONSULTING sarl. 5 rue Villaret de Joyeuse Paris. Tel : contact@wagramconsulting.

Améliorer la gouvernance des Services Publics d'emploi pour de meilleurs résultats sur l'emploi

DS n 3 Chap 1-2h. Épreuve composée

ETUDE FUSACQ / Octobre 2011 LE PROFIL DES REPRENEURS D ENTREPRISE

REGARDS CROISES ELITES / GRAND PUBLIC SUR LA FRANCE DANS LA MONDIALISATION

GUIDE SUIVI EVALUATION RIDER SUODE

Réduire l effet de levier des banques, un impact néfaste sur notre économie? (2/2)

La création reprise d entreprise artisanale. Comment financer une création reprise d entreprise artisanale?

Contribuer au financement de l économie Sociale et Solidaire : Renforcer l existant, Approfondir les partenariats, Innover.

Anticiper pour avoir une innovation d'avance : le leitmotiv de Pierre Jouniaux, entrepreneur du big data!

Résumé. La transformation du système de crédit du Brésil. Que peuvent apprendre les pays africains de la croissance et du développement du Brésil?

Innover à l'ère du numérique : ramener l'europe sur la bonne voie Présentation de J.M. Barroso,

L innovation. Facteur clé de développement rentable. Document Confidentiel Toute reproduction est interdite sans l autorisation de FOOD DEVELOPMENT

Chapitre X : Monnaie et financement de l'économie

PASCAL DECARY DIRECTEUR ACHATS GROUPE REDACTEUR : BENJAMIN HULOT VERSION - DATE : V1 : DATE D APPLICATION :

Analyse et exploitation des données du rapport. du PNUD sur le développement humain

I. BILAN 2013 ET PROSPECTIVE 2014

Inviter au plus vite tous les acteurs de la création, de l'édition, de la diffusion et de la lecture à des «États généraux du livre et de la lecture».

L impact de la crise sur les coopératives de travail et les coopératives sociales

Avis d Energie-Cités. Cette proposition est disponible sur :

Cahier des charges à l'attention des organismes de formation

La démocratie sociale et la participation des syndicats et des représentants des salariés aux décisions économiques en France

Appel à projets Incubation et capital-amorçage des entreprises technologiques de mars 1999 L'appel à projets est clos

ENSIIE. Macroéconomie - Chapitre I

LA QUALITE DU LOGICIEL

La situation en matière de pension privées et de fonds de pension dans les pays de l OCDE

Les concepts et définitions utilisés dans l enquête «Chaînes d activité mondiales»

La publication, au second

PRÉAVIS No 01/2014. du Comité de Direction. AU CONSEIL INTERCOMMUNAL de l Association «Sécurité dans l Ouest lausannois»

Une goulotte pour faciliter le transport des vélos dans les escaliers

Attentes liées aux prestations

Le défi numérique et les enjeux du e-learning Comment renforcer la compétitivité?

Les perspectives économiques

Forum de l investissement Ateliers d Experts. 15 Octobre Les Dangers de l Assurance Vie

La French Tech invite les investisseurs et leaders d opinion de la Silicon Valley à Paris pour promouvoir l écosystème français de l innovation

APPEL A PROPOSITION ET CAHIER DES CHARGES. Mise en œuvre de la Préparation Opérationnelle à l'emploi Collective

Pacte de responsabilité et de solidarité. Réunion du 6 juin 2014 AGEN

ECONOMIE. DATE: 16 Juin 2011

Antin FCPI 11. Communication à caractère promotionnel

PRISMA Renminbi Bonds Hedgé USD/CHF Quelle situation dans le crédit en Chine? Marc Zosso CIO, Prisminvest SA

La comptabilité nationale en économie ouverte (rappels) et la balance des paiements

Entretien avec Jean-Paul Betbéze : chef économiste et directeur des études économiques du Crédit agricole, est membre du Conseil d'analyse économique

Exemples de contrats d'assurance-vie solidaires labellisées Finansol

L'appel public à l'épargne, pour quel besoin de financement? (2/3)

«Credit scoring» : une approche objective dans l'octroi de crédit?

PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE A L'EMPLOI. Action collective au profit des demandeurs d'emploi

netzevent IT-MARKT REPORT 2013 Infrastructure ICT en Suisse: Le point de vue des entreprises utilisatrices

ANTICIPATIONS HEBDO. 16 Février L'élément clé durant la semaine du 9 Février 2015

PROGRAMME "INVESTISSEMENT POUR LA CROISSANCE ET L'EMPLOI" Dossier de demande de subvention FEDER

Qui sont les enseignants?

Pierre BATTINI LA FRANCE, PA YS INNOVANT? Forces et faiblesses de Finnovation en France

AMÉLIORER LE RAPPORT COÛT-EFFICACITÉ DES SYSTÈMES DE SANTÉ

Compétitivité française : Quelques constats

La diffusion technologique vers les. La diffusion technologique vers les PMI

B Qui sont les propriétaires et les gestionnaires des entreprises?

Internet Très Haut Débit : le Département a la fibre

I N V I T A T I O N Cycle de formation

N oubliez pas de sauvegarder après avoir intégré ce fichier dans votre espace extranet!

Fiche obligation légales. Entreprises de 50 à 299 salariés. Etat du droit après la promulgation de la loi du 4 août 2014

TROISIEME REUNION DU FORUM SUR L ADMINISTRATION FISCALE DE L OCDE

Transcription:

Session Innovation, Concurrence et Croissance Organisée par l Ecole d économie de Paris, en partenariat avec l APSES, l APKHKSES et l APHEC, les 29 et 30 janvier à Paris. Innovation et politique industrielle Xavier Ragot (EEP et Agence de l innovation industrielle) Synthèse préparée par Isabelle Gautier, Marc Gurgand et Akiko Suwa-Eisenman Depuis 3 ans, on assiste à un retour des analyses sur la politique industrielle face à la montée de la Chine, le blocage des autres leviers de la politique publique (budget...) et le renouveau de la politique de l'innovation qui insiste sur le rôle central de celle-ci dans la croissance. Les textes communautaires rendent nécessaire d'expliquer les défaillances du marché pour montrer qu'une politique est nécessaire. Après un état des lieux de l'activité d'innovation en France, nous verrons les défaillances du marché et des anciennes politiques publiques, avant d'étudier les nouvelles formes d'intervention. I. L'activité d'innovation en France En France, l'innovation est faible par rapport aux autres pays développés car l'industrie de haute technologie est peu présente : Source : rapport Beffa «Pour une nouvelle politique industrielle» page 14.

L'emploi dans les industries de haute technologie représente 1,8 % de l'emploi total en France, 2 % aux Etats-Unis et 4,2 % en Irlande. La recherche publique ne semble pas en cause puisqu'elle représente dans tous les pays développés 0,9 à 1 % du PIB avec peu de différences entre les pays. C'est la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises qui diffère : 1,4 % du PIB en France, 1,6 % en Allemagne, 1,8 % aux EU, 2,3 % au Japon. Là encore, les entreprises de haute technologie françaises investissent autant que les autres, même si cette intensité est en baisse : 25 % de la VA en 2000 en France, 22 % aux EU. Il n'est donc pas évident que la France ait un problème d'innovation. Si ce problème existe, 3 causes sont données habituellement: La faible croissance des PME (rapport «une stratégie PME pour la France») : le marché du travail est trop rigide, le marché des capitaux peu accessible, les marché des biens fait une part trop importante aux grands groupes. Pour favoriser une nouvelle spécialisation industrielle, il faut aider les petites entreprises innovantes pour qu'elles puissent grandir. Absence de prise de risque des grandes entreprises (rapport «pour une nouvelle politique industrielle»). Les grandes entreprises réalisent 80 % de l'effort de R&D. Faible lien entre la recherche publique et l'industrie (Rapport de l inspection des finances. Le CNRS ne dépose pas ses brevets) Les aides de l'etat vont peu vers les moyennes entreprises, ce qui peut expliquer que 50 % e la R&D soit réalisée par les entreprises de 2000 salariés et plus, alors que les entreprises de moins de 500 salariés n'en réalisent que 20 %.

Dans rapport Beffa «Pour une nouvelle politique industrielle» page 26 La France est très mal placée pour le taux de croissance des demandes de brevets à l'office européen des brevets depuis 1991. (source : OCDE, base de données sur les brevets, novembre 2003). II. Les défaillances du marché On considère qu'il y a défaillance lorsque le marché lui-même ne donne pas un résultat efficient économiquement. Pour l'innovation, 3 types d'échecs sont définis (Voir «encadrement communautaire des aides de l'europe à la recherche, au développement et à l'innovation» en vigueur depuis le 1er janvier 2007) 1- Externalités et biens publics : la R&D génère des connaissances qui par diffusion profite à d'autres personnes que les créateurs, ce qui conduit à une sous-estimation des bénéfices attendus. Dans le cas où les connaissances sont fondamentales et non rivales (non brevetables), le marché peut ne pas investir dans la R&D => ceci justifie économiquement la R&D publique. 2- Information imparfaite et asymétrique : la R&D possède un degré de risque élevé. Les financiers peuvent ne pas vouloir prendre le risque car celui-ci est mal connu. Ce qui entraîne un rationnement du crédit par les banques notamment pour les PME. [Un demande par un innovateur de grande entreprise auprès de la communauté européenne, non encore tranchée, pose le problème de la légitimité de telles aides aussi pour les grandes entreprises, même si celles-ci font des profits 1 ] 3- Problème de coordination et de réseau : les entreprises peuvent aussi avoir du mal à se coordonner (concurrence, public + privé, TPE). Le modèle pris habituellement est celui de la Silicon Valley où les informations circulent entre entreprises et favorisent l'innovation. La concurrence peut ne pas amener les entreprises à se coordonner. L'enquête du SESSI sur l'innovation entre 2002 et 2004 montre que le manque de moyens financiers et le coût de l'innovation sont des freins jugés importants par les entreprises. (http://www.industrie.gouv.fr/observat/chiffres/sessi/enquetes/innov/cis4resultats.htm) 1 Cf. J.Stein, Agency, Information and Corporate Investment, in Handbook of the Economics of Finance, G. Constantinides, M.Harris, R.Stulz (eds), North-Holland : Amsterdam, 2001.

III. Défaillances de l Etat 5 critiques sont faites : 1- L'Etat peut massivement financer des projets n'ayant pas de demande (ex : télévision haute définition dans les années 70) 2- L'Etat peut ne pas choisir les bonnes options technologiques (ex Plan Calcul avec Bull d'un coût de 8 milliards d'euros). 3- L'Etat peut financer des entreprises qui n'ont pas besoin de financement (effets d'aubaine) 4- l'etat pourrait être trop sensible à l'action des lobbies (d'autant plus que l'analyse publique est peu développée) 5- L'Etat peut financer trop longtemps de mauvais projets. Les formes d'action publique qui marchent réalisent un équilibre : 1- Les grands programmes pompidoliens : Airbus, TGV, centrales nucléaires, étaient fondés sur la recherche publique / des entreprises publiques / une demande publique. Mais aujourd'hui, les entreprises publiques et la demande publiques sont en voie de disparition et ne peuvent plus jouer ce rôle. 2- Le modèle américain : d'après les données de l'ocde, les aides publiques aux entreprises privées représentent 11 % de la dépense en recherche et développement, armement exclus. Avec l'armement et la recherche duale (utilisable par l'armée et à des fins civiles) ce serait 21 % de la DRD. (France : 15 % de la R&D avec la défense financée par le public) 3- Le Japon dans les années 1970-80 était caractérisé par une forte coopération entre les grandes entreprises / Etat / banques. Après une baisse, le Japon réalise de nouveau de fortes innovations. 4- La Finlande : une agence publique unique, le TEKES, a réussi a transformer une entreprise de bois en entreprise de téléphone portable (Nokia). Chaque forme a ses avantages et ses inconvénients, il n'y a pas de modèle unique. Certains économistes distinguent un modèle de rattrapage et un modèle de frontière, mais il peut y en avoir plus. 5- L Allemagne : entreprises familiales (avec forte inégalité patrimoniale). IV. Les formes de la politique industrielle française aujourd'hui De l aide à un secteur, à une aide pour pallier les défaillances de marché 1- Le crédit impôt recherche permet une baisse d'impôt égale à ½ des dépenses de R&D engagées sur une année, minorée de la moyenne des dépenses de même nature des deux années précédentes (plafond : 6,1 millions d'euros par entreprises par an). Coût 530 millions d'euros par an. Il est donc basé sur l'idée que l'etat doit aider toutes les entreprises, sans influencer le type de dépense. 2- Pôles de compétitivité : 66 au total (choisis parmi 120 candidats), avec l'idée de copier la Silicon Valley. 6 sont «mondiaux», 10 à vocation mondiale. Coût 600 millions d'euros sur le FCE du MINEFI. Ils sont basés sur l idée que la localisation, la proximité, comptent. 3- OSEO ANVAR décentralisés : trouver des PME qui se développent pour les aider. Capital : 80 millions d'euros. 4- L'ANR : une interface entre la recherche publique et les entreprises. En 2007, un engagement de 825 millions d'euros pour des projets sur 4 ans maximum. 5- L'agence d'innovation industrielle Budget de 1,7 milliards d'euros. Finance la moitié des coûts des projets de R&D de grande taille portés par des industriels chefs de file qui animent un consortium. Il s agit d une sorte de venture capital public.

Autres outils : 7e programme cadre de la commission européenne (70 millions d'euros + des baisses d'impôts). Des outils législatifs et réglementaires : normes de consommation d'énergie, normes écologiques sur les bâtiments et les voitures, pour pousser les entreprises à innover. Problème si les normes sont trop restrictives, mais si elles sont trop faibles, elles n'ont pas d'effet. => il y a une tendance à l'externalisation vers des agences indépendantes qui rendent compte à l'etat. On peut se demander s'il y a une allocation marginale optimale. Cette politique d'innovation peut paraître faible par rapport à l'ensemble des aides aux entreprises (la presse a publié 65 milliards d'euros). Mais certains éléments sont mal connus comme les exonérations de taxe professionnelle des régions. Tout est couvert, mais on peut se demander quel est le degré de coordination au sein de l Etat même entre les différentes aides et s il existe une priorité. L ensemble du dispositif est récent (trois ans) et n a pas encore été évalué. Aux EU, les entreprises sont plus innovantes car plus aidées (recherche duale), au Japon les contraintes financières sont douces car les entreprises sont liées aux banques (mais problème de crise financière). En Allemagne, le poids du capitalisme familial leur permettrait de se financer. La structure du capitalisme français ne favoriserait pas la prise de risque : les entreprises sont trop occupées à se protéger des OPA étrangères. Le système CNRS grandes écoles est-il non optimal?