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2 LA CHUTE De Georges FLOQUET PERSONNAGES : MARCOT POLOT LE GENDARME
3 DECOR : Une petite route en terre, au pied d une montagne. Marcot et Polot se tiennent debout devant une sorte de flaque rouge dans laquelle trempe une sorte de bouillasse. MARCOT (Levant les yeux vers le sommet de la montagne) : Mille mètres, vous vous rendez compte? POLOT : Comme c est horrible. MARCOT : Et voilà le résultat. POLOT : Oui. Nous sommes peu de chose. On se promène, on ne pense à rien, on est dans la béatitude, dans l harmonie, on contemple le panorama, et l on ne voit pas la pierre au milieu du chemin. On trébuche, on perd l équilibre (Il mime avec sa main la chute d un corps) Et c est la chute mortelle. MARCOT : Mille mètres. Pas un de plus, pas un de moins. POLOT : Quelle tragédie! MARCOT : Moi, j ai toujours dit que les montagnes étaient trop hautes. Ily en a qui dépassent huit mille mètres! Vous vous rendez compte? POLOT : C est nous qui sommes trop petits. MARCOT : Trop petits, trop petits, ça dépend. Par rapport à une fourmi, nous sommes des géants. POLOT : Oui, mais par rapport à une montagne (Il laisse la phrase en suspens) MARCOT (Après un temps) : Vous avez raison. Tout est relatif. C est comme le soleil. On nous dit : «Dans quatre milliards d années, le soleil va s éteindre» Alors, je me dis, d un ton affolé : «Mais ce n est rien du tout.» POLOT : Rien du tout? MARCOT : Rien! Songez que l univers a quinze milliards d années. Vous les avez vu passer? POLOT (Après un temps) : Non. MARCOT : Voilà! C est pour cela que je me dis d un ton affolé que ces quatre milliards d années ne sont rien du tout. Certains matins je me lève avec une boule à l estomac. Je me regarde dans le miroir et je dis : «Quatre milliards d années, moins un jour.» Et je me sens mal toute la journée. Vous vous rendez compte? Si le soleil s éteignait un matin à dix heu= res! Ce serait la panique. Alors je me mets à réfléchir et je me dis : «Où seras tu dans qua= tre milliards d années?» POLOT (Après un temps) : Question on ne peut plus philosophique et sempiternelle. (Re= gardant la flaque) En voilà un qui n aura plus à se poser cette question. MARCOT : Ni à s en faire de la disparition du soleil. POLOT : Oui. (Un temps) Vous le connaissiez? MARCOT : Très peu. Et vous?
4 POLOT : Vaguement. J ai dû le voir une trentaine de fois. MARCOT : C est ça que vous appelez connaître quelqu un vaguement? POLOT : Bonjour, bonsoir, deux fois par jour, ça ne fait pas lourd. MARCOT : En effet. POLOT : Par contre, sa femme MARCOT (Le coupant) : Sa femme? POLOT : Je la connais mieux. MARCOT : Mieux? POLOT : Intimement. MARCOT : Intimement? POLOT : Oui. Nous passons de longs après midi superbes, au lit. MARCOT : Ah! POLOT : Elle a promis de m épouser dès qu elle serait veuve. Et Plus d une fois, même. Quand elle regarde sa montre et qu elle me dit : «Il va falloir que j y aille, sinon il va se douter de quelque chose.». Alors, je lui demande quand nous reverrons nous, et elle me répond : «Demain, à la même heure.» Moi je lui dis que je veux l avoir toute pour moi. C est à ce moment qu elle me promet de m épouser dès qu elle serait veuve. MARCOT (Après un temps) : Mais alors C est peut être elle qui l a poussé. POLOT : Pour être veuve plus tôt? MARCOT : Et surtout plus vite! POLOT : Et m épouser ensuite? MARCOT : Ca ne fait pas l ombre d un doute. POLOT (Après un temps) : Non! Ca ne peut pas être elle. MARCOT : Pourquoi? POLOT : Et la prison, alors? MARCOT (Haussant les épaules) : Qu est ce qu elle risque? Dix ans, pas plus. POLOT : Dix ans!! Mais c est injuste? MARCOT : Vous trouvez? POLOT : Pour une chute de mille mètres, oui. Ca fait cher du mètre. MARCOT : Que voulez vous! Tout est cher de nos jours : l essence, le mètre carré, le mètre cube
5 POLOT (Le coupant) : Oh, ne m en parlez pas. Il y a de quoi se tuer. MARCOT : A propos de tuer. POLOT : Oui, à propos de tuer, ce n est pas elle qui l a fait. MARCOT : Comment le savez vous? POLOT : Intuition féminine. MARCOT : Vous avez des intuitions féminines? POLOT : Non, Je me mets à sa place. MARCOT : Je vois. (Un temps) Alors, c est vous. POLOT : Impossible. MARCOT : Encore une intuition féminine? POLOT : Non, une certitude. J étais avec vous toute la journée. MARCOT : Exact. (Un temps) Alors c est elle. POLOT : Vous avez sans doute raison. Je vais aller la questionner. MARCOT : Je viens avec vous. POLOT : Qui attendra les gendarmes, si nous partons tous les deux? MARCOT : Vous avez raison. J attends les gendarmes. POLOT : D autant que la conversation que je vais avoir avec ma future épouse, doit rester confidentielle. MARCOT : Je vois. (Polot s en va d un côté, le gendarme entre de l autre) LE GENDARME : C est vous qui m avez appelé? MARCOT : Entre autre, oui. LE GENDARME : Puis je savoir pourquoi? MARCOT (Lui montrant la flaque) : Pour ça. LE GENDARME (Après l avoir observée) : C est quoi? MARCOT : Je vous le donne en mille. LE GENDARME : Je n en sais rien. Je n aime pas les devinettes. MARCOT : Il faudra vous y faire. Moi j adore les poser. Voyons Qui a dit : «L état c est moi!»?
6 LE GENDARME : Un roi. MARCOT : Mais encore. LE GENDARME : Que sais je? Il y en a eu tellement! MARCOT : Mais encore. LE GENDARME : Louis XVI? MARCOT : Non, Louis XIV. Qui a dit : «Après moi le déluge.»? LE GENDARME : Encore un roi? MARCOT : Oui. LE GENDARME : Louis XVI. MARCOT : Eh non! Louis XV. Qui a dit : «Du haut de ces pyramides, vingt siècles vous contemplent.»? LE GENDARME : Cette fois-ci, c est Louis XVI MARCOT : Eh non! Ce n est toujours pas lui. C est le général Bonaparte. LE GENDARME : Mais bon sang! Qu est ce qu il a dit ce satané Louis XVI? MARCOT : Rien, on ne lui en a pas laissé le temps. Qui a dit LE GENDARME (Le coupant) : Ah non! Cette fois ci, c est moi. MARCOT : Ah! Vous y prenez goût, maintenant. Je vous écoute. LE GENDARME (Indiquant la flaque) : C est quoi ça? MARCOT : Un homme, après une chute de mille mètres. LE GENDARME : Le pauvre. Vous le connaissiez? MARCOT : Non. Mais mon ami, oui. LE GENDARME : Où est votre ami? MARCOT : Parti interroger sa veuve. LE GENDARME : La femme de votre ami est veuve? MARCOT (Indiquant la flaque) : Non. C est la femme de ce pauvre, qui l est devenue, par la force des choses. LE GENDARME : Votre ami connaissait sa veuve? MARCOT : Ils devaient se marier ensemble. LE GENDARME : Quand?
7 MARCOT : Dès qu elle serait veuve. LE GENDARME : Ah! (Un temps) Donc, l un et l autre savaient qu il allait mourir. MARCOT : Sans doute. LE GENDARME : Donc, le coupable c est l un d entre eux. MARCOT : Sans doute, sauf que ce n est pas lui. Nous avons passé la journée ensemble. LE GENDARME : Alors, c est elle MARCOT : C est ce qu il est allé lui demander. LE GENDARME : Il est policier? MARCOT : Non, Il a des intuitions. LE GENDARME : Ah! MARCOT : Féminines. LE GENDARME : Féminines? MARCOT : Ce serait trop long à vous expliquer. Tenez, le voilà. Il pourra vous en dire plus sur ses intuitions. MARCOT : Alors, c est elle? (Entre Polot. Il tient une lettre. Il a la mine défaite) POLOT (Voix défaite) : Oui. (Il lui tend la lettre) Lisez plutôt. (Marcot prend la lettre et la lit) MARCOT : Mon pauvre! (Au gendarme, lui tendant la lettre) Lisez donc. (Le gendarme prend la lettre et la lit) LE GENDARME : Pas de doute : c est elle. POLOT (Tristement) : Et vous avez lu le post-scriptum? MARCOT (Récitant) : «Avec la prime de l assurance vie, je vais recommencer une nouvelle vie aux Caraïbes. Adieu. N essayez pas de me rejoindre.». Je vous plains. LE GENDARME : Je l envie. Je les ai visitées cet été avec ma femme. Quel endroit super= be! On n a plus envie d en partir! POLOT : Nous avions échafaudé tant de projets : la maison, la voiture, les enfants Tout cela est parti en poussière. Tenez, c est comme si eux aussi avaient fait une chute de mille mètres. Que dis-je! Dix mille mètres! Cent mille mètres! (Troublé) La vaut ne vie pas d être vécue. MARCOT (Compatissant) : Ne dites pas n importe quoi, mon ami.
8 POLOT : Je vous demande pardon : la vie ne vaut pas d être vécue. MARCOT (Idem) : Mais ne dites pas n importe quoi, mon ami. La vie vaut la peine d être vécue. Des femmes, vous en trouverez d autres, des projets vous en ferez d autres ; mais des vies, vous n en avez qu une seule. LE GENDARME : Il a raison. (Indiquant la flaque) Regardez le. Vous aimeriez vous retrouver comme lui? MARCOT : Il a raison. Voyez les choses en face. POLOT : Je n en ai pas le courage. MARCOT : Mais si. POLOT : Mais non. MARCOT : Mais si! Venez, nous allons boire un verre, ça va vous remonter le moral. POLOT : Un verre ne sera pas suffisant. MARCOT : Eh bien, dans ce cas, nous en boirons deux, dix, mille! Allez, venez! (Ils vont pour s en aller) LE GENDARME : Et moi, alors, qu est ce que je fais? MARCOT : Vous avez le cadavre, vous avez les aveux de l assassin, vous avez le mobile, que vous fait il de plus? (A Polot) Allez, venez. (Ils s en vont) LE GENDARME : Eh oui, que me faut il de plus? RIDEAU