Atelier TÂCHES NATURELLES ET APPRENTISSAGE



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Transcription:

Atelier TÂCHES NATURELLES ET APPRENTISSAGE Jacky GIRARDET CLE International Résumé : L apprentissage d une langue étrangère procède souvent selon une suite de simulations des tâches que le futur utilisateur de la langue aura un jour à accomplir. Mais cet apprentissage peut aussi s appuyer sur des tâches naturelles suscitées par le groupe classe. L apprenant est alors pleinement acteur social dans un espace qui fonctionne comme une micro entreprise d apprentissage. L atelier proposera quelques tâches débouchant sur des interactions verbales. On verra que parler de soi et de ses expériences, échanger des opinions ou réaliser un projet permettent d atteindre des objectifs communicatifs et linguistiques précis. Au cours de ces interactions l étudiant reste lui-même, il n a pas à se mettre en scène, sa parole porte le poids de ce qu il sait et de ce qu il pense. Le professeur est plus un informateur ou un conseiller qu un «dresseur» ou un «éveilleur». Le processus d apprentissage s initie non pas dans un dialogue à imiter mais dans un projet qui suscite des besoins langagiers. Par ailleurs, ces tâches mettent en jeu des facteurs affectifs favorables à l apprentissage (motivation intégrative, diminution du stress), mettent en œuvre des facteurs cognitifs qui favorisent la mémorisation et permettent de développer différentes stratégies d interaction et de communication. Dans la perspective actionnelle préconisée par le Cadre européen commun de référence l utilisateur d une langue est pensé comme un acteur social qui a des tâches à accomplir. Cette conception vaut aussi pour l apprenant. Il est celui qui, dans l espace social de la classe effectue des tâches qui le conduiront à l appropriation de la langue. Le Cadre définit la tâche de la manière suivante : 1

«Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d un problème à résoudre, d une obligation à remplir, d un but qu on s est fixé»(1) La tâche est donc la réalisation d un projet d action à l origine duquel il y a un besoin, un désir, une nécessité. Une tâche pourra donc être - langagière (se rendre dans un lieu en demandant son chemin) ou non langagière (se rendre dans un lieu quand on connaît l itinéraire), - individuelle (lire le journal) ou collective (aller au cinéma avec des amis), - simple (écrire un courriel à un ami) ou complexe («aller au cinéma avec des amis» suppose que je me renseigne sur les programmes des cinémas, que j invite mes amis, que nous choisissions un film, que j achète un billet, que je donne mon avis sur le film à la fin de la séance, etc.) Un cours de langue fondé sur une approche actionnelle cherchera à préparer les étudiants aux différentes tâches langagières qu ils auront à accomplir dans les contextes situationnels qu ils seront susceptibles de rencontrer. Tout naturellement, on travaillera donc sur des simulations de ces futures tâches : on apprendra à réserver une chambre d hôtel, à commander un repas, à rechercher un emploi, etc. Toutefois, concevoir la classe essentiellement à partir de tâches de simulation paraît réducteur. En effet, la classe constitue un espace social francophone qui génère lui-même des tâches identiques à celles que l étudiant aura plus tard à accomplir. On exploite généralement cet espace au début de l apprentissage lorsque les membres du groupe classe se présentent et font connaissance mais ces potentialités sont ensuite souvent négligées. Cet effacement a deux causes : - les tâches auxquelles on prépare l étudiant sont trop exclusivement des tâches pratiques répertoriées à partir d une analyse de contextes situationnels personnels, touristiques ou professionnels (trouver un logement, voyager, etc.). Or, «les problèmes à résoudre» et «les buts que l on se fixe» sont aussi souvent psychologiques et langagiers. Participer à une conversation à table, dire un mot gentil à un voisin que l on croise, patienter ensemble en attendant le début du cours à l université sont des tâches qui ont pour but de s affirmer dans un milieu social, de nouer des relations, de maintenir la cohésion d un groupe. 2

- le processus d apprentissage s appuie traditionnellement sur l observation d un document oral ou écrit duquel on extrait des moyens linguistiques qui seront ensuite utilisés pour réaliser des tâches. Or, la tâche elle-même peut être l occasion de susciter des moyens linguistiques que l on s appropriera au cours de sa réalisation. Un cours de langue peut donc être en grande partie organisé selon une suite de tâches naturelles. On ne fera appel aux tâches simulées que lorsque la situation ne peut pas être vécue naturellement dans le cadre de la classe (notamment pour les tâches pratiques que l on a énumérées ci-dessus). EXEMPLES DE TÂCHES NATURELLES 1 Discussion sur un dossier de presse (2) On propose à la classe un dossier de presse sur la sauvegarde du patrimoine. Ce dossier comporte : - un tract émanant d une association qui invite le public à participer activement aux journées du patrimoine non seulement en visitant des lieux sauvegardés mais aussi en signalant des témoins du passé dignes d être réhabilités ; - quatre articles brefs décrivant des réhabilitations. Le tract est traité collectivement. Il a pour fonction de susciter l envie de parler du sujet et de lancer la discussion. La classe se partage ensuite les quatre articles. Chaque groupe travaille l article qu il a choisi en s appuyant sur une grille de lecture, le dictionnaire bilingue et en faisant appel au professeur. Puis, il présente le texte qu il a lu mais que les autres groupes n ont pas lu. Il y a donc apport authentique d information au cours duquel les étudiants seront amenés à reformuler, à répondre à des questions de compréhension, à donner des précisions, à exprimer une opinion ou à solliciter les opinions des autres. À cette occasion on fera des mises au point sur la thématique lexicale «dégradation et rénovation» et sur la compréhension du passé simple. Chaque groupe est ensuite invité à répondre à la sollicitation du tract en signalant un ou plusieurs lieux qu il souhaiterait voir sauvegarder. Cette dernière tâche débouchera sur une production argumentée orale ou écrite, individuelle ou collective. 2 Réalisation d un projet : le musée imaginaire de la classe (3) 3

La classe se donne pour tâche de réaliser son musée personnel et imaginaire dans lequel chacun mettra des photos commentées d objets ou de manifestations traditionnelles, des récits de légendes, des recettes de cuisine, etc. Ce projet permet de travailler à la fois la description et le récit. Il est donc assez ambitieux, se déroulera sur au moins deux séances et nécessitera un travail personnel en dehors de la classe (recherche documentaire et mise au point). Il peut se faire à partir du niveau A2. Selon le niveau on introduira des éléments linguistiques plus ou moins complexes. Par exemple, pour la description d un objet, au niveau A2, on utilisera les propositions relatives introduites par «qui» ou «que», au niveau B1, les propositions relatives complexes : «C est un objet avec lequel». Dans un premier temps l enseignant lancera le projet et suscitera l envie de le réaliser. Il pourra s appuyer sur un bref article de presse présentant un musée original et sur l expérience de certains étudiants. Un «remue-méninges» permettra ensuite de recenser ce qui peut figurer dans le musée. Puis, intervient une phase classique de production d après un modèle : on observe un descriptif d objet et on s appuie sur cette description pour réaliser son propre objectif. On procède de même pour le récit d une légende et la présentation d une tradition. Les travaux sont ensuite mis au point avec l aide de l enseignant, exposés et présentés oralement. 3 Jeu test de connaissances (4) On propose aux étudiants un test de connaissance qui se présente comme une succession de questions avec choix multiples. Par exemple «Pourquoi les Français écrivent-ils le chiffre 7 avec une barre,». Il faut choisir entre «Parce que c est un chiffre grec» et «Pour faire la différence avec le chiffre 1». Le test peut se faire par deux, suivi d une mise en commun collective ou bien directement collectivement. Ensuite, par groupes de cinq ou six, les étudiants imagineront un test du même genre qu ils soumettront aux autres étudiants de la classe. CARACTÉRISTIQUES DES TÂCHES NATURELLES 1 L étudiant acteur social On voit que dans ces procédures de classe l étudiant reste lui-même. Sa parole porte le poids de ce qu il sait et de ce qu il pense. Il parle, il écrit pour dire aux autres quelque chose 4

que les autres ne connaissent pas. Il leur apporte une information. Ce qui n est pas le cas lorsque tout le monde travaille sur le même texte. Par ailleurs, à la différence de ce qui se passe dans une simulation ou dans un jeu de rôles, il n anticipe pas des paroles qu il aura peut-être un jour à prononcer. Ce qu il dit c est ce qu il pense dans l ici et maintenant de la classe. Il n a pas non plus à se mettre en scène, à jouer sous le regard des autres et par conséquent, à abandonner une partie de sa personnalité. On sait que beaucoup d étudiants se sentent mal à l aise lorsqu on leur impose de jouer un rôle qu ils n auront peut-être jamais à vivre, par exemple, celui de serveur dans un restaurant Il reste donc «à sa place», physiquement d abord mais aussi et surtout dans le sens que donne à cette expression le philosophe François Flahault selon qui, «dans un groupe social chacun accède à son identité à partir et à l intérieur d un système de place donné par le groupe lui-même»(5). La place, c est donc le statut que le groupe donne à l individu et celuici est au mieux de ses capacités quand cette place correspond à l idée qu il se fait de son identité. Les enquêtes qu on a pu faire auprès des étudiants qui ont peur de parler montrent que leurs inhibitions viennent davantage de l environnement social que de facteurs personnels comme la timidité. Ces observations s expliquent aussi par la théorie de l hétérogénéité des contextes de l école de Palo Alto (6): une compétence avérée dans un contexte social donné n est pas forcément transférée dans un autre contexte social. Tout ce qui pourra rapprocher l apprenant du contexte réel d utilisation sera donc bénéfique. 2 - Le statut du groupe classe. Le professeur est plus un informateur, un guide, un conseiller qu un dresseur ou un éveilleur. La relation traditionnelle frontale professeur/ étudiant fait place à une relation coopérative. Le groupe classe se rapproche d une micro société qui se donne pour tâche l apprentissage de la langue étrangère. 3- Des supports socialement authentiques Les documents sur lesquels on travaille sont ceux qui provoquent des discussions, des interactions à l extérieur de la classe. Ils sont choisis dans la presse, la télévision, l Internet. On s appuie également sur les connaissances et les expériences des étudiants. 5

Par ailleurs, ces documents n ont pas un statut de «déclencheurs», de points de départ pour aller vers un travail de grammaire ou de vocabulaire. Ils sont utilisés dans leur fonction sociale normale. 4- Un processus d apprentissage qui s appuie sur un projet On ne part pas d un document contenant des faits de langues qu il s agit de repérer et de conceptualiser avant de les réemployer. On se donne d abord un projet en fonction de ce qu on se sent capable de faire. Ce projet implique l analyse de ce qu on sait déjà faire avec la langue et des besoins langagiers à satisfaire. Au cours des étapes du projet ces besoins seront satisfaits, soit par le professeur au cours de parenthèses explicatives, soit par une collaboration entre étudiants, soit par l étudiant lui-même grâce aux outils dont il dispose (dictionnaires, etc.). TÂCHES NATURELLES ET APPRENTISSAGE 1 Mise en jeu de facteurs affectifs favorables Des tâches naturelles comme la réalisation de projets suscitent un désir d intégration dans le groupe et une émulation entre les étudiants. Il y a donc création d une motivation intégrative qui est favorable à l apprentissage. Par ailleurs, l absence de stress ainsi que la validation des productions de chacun par les autres membres du groupe peuvent constituer des facteurs de mémorisation. 2 Mise en œuvre de facteurs cognitifs positifs Les tâches naturelles, qu il s agisse de projets, d interactions suscitées par un document ou d échanges motivés par la vie de la classe mobilisent l attention de l étudiant. Dans le jeu test de connaissances qui a été présenté plus haut, l intérêt est relancé à chaque item. Cette même activité entraîne une répétition des formes nouvelles (expression de la cause et du but). Il ne s agit pas ici d une répétition scolaire mais d une répétition naturelle qui est due à la situation de communication elle-même et qui fait chaque fois appel au sens. L étudiant lira et formulera à plusieurs reprises des énoncés commençant par «pourquoi», «parce que» et «pour» sans qu il ait conscience de faire des répétitions. La différenciation sémantique entre «parce que» et «pour» sera induite à partir des différentes occurrences de ces mots. Elle n est pas donnée. Il y a donc effort cognitif et le test fournit le corpus qui permet ce travail de réflexion. Or, on sait que plus il y a effort pour comprendre un mot, mieux ce mot est retenu. 6

Les tâches s appuyant sur un document socialement authentique ou un projet débouchant sur une réalisation concrète sollicitent différents apports d informations (en provenance de la mémoire de l apprenant, des documents proposés, des autres membres du groupe). Les faits de langue nouveaux vont entrer en résonnance avec des images, des événements qui sont stockés dans la mémoire sémantique de l apprenant. Or, on sait que plus la mémoire crée des réseaux et des associations plus la mémorisation est efficace. 3 Développement de stratégies d interactions et de communication Les tâches naturelles permettent de développer les compétences mises en œuvre dans la vie réelle. Une conversation réelle ressemble rarement à un dialogue de méthode, de théâtre ou de cinéma. Les prises de paroles longues (monologue suivi) alternent avec des interactions brèves. Il faut savoir prendre la parole, couper la parole à un intervenant trop prolixe, maintenir le contact, vérifier que l autre comprend, reformuler ou demander une explication bref, participer à la construction collective du sens. À condition qu elles soient bien encadrées par l enseignant, les tâches qui ont été présentées développeront ces compétences. L étudiant apprendra par ailleurs à vaincre sa peur de parler et à gérer ses manques. LES TYPES DE TÂCHES NATURELLES 1 Exploiter les rituels et les événements aléatoires de la vie de la classe La classe de langue est une petite entreprise d apprentissage où s enchaînent des rituels langagiers. Dès le début d un cours pour débutants ces rituels peuvent servir de supports à l analyse et à l appropriation des formes. Ainsi la réaction de compréhension ou d incompréhension de l étudiant entendant des noms de pays francophones («je comprends/ je ne comprends pas je connais/ je ne connais pas») constituera une première approche de la négation en situation réelle. Le premier contexte situationnel suscitant des tâches à accomplir pourrait d ailleurs être la classe de langue elle-même plutôt qu un espace francophone virtuel importé par la médiation du matériel d enseignement. La plupart des actes de paroles peuvent y être introduits en situation réelle de communication. La première macro-tâche que peut se donner le groupe classe est donc «apprendre ensemble». Elle invite à donner très tôt aux apprenants les moyens d avoir en classe et dans l environnement de la classe (la cafétéria, la bibliothèque, la salle de spectacle) une vie 7

sociale en français. On peut ainsi exploiter les événements aléatoires de la vie de la classe (retard ou absence d un étudiant, etc.). Le passé composé ne s appropriera jamais aussi facilement que si, avant le début du cours, les étudiants ont la possibilité de se poser la question ;«Qu est-ce que tu as fait hier soir?» et d y répondre avec quelques verbes courants. 2 - Parler de soi, de ses goûts, de ses expériences, de ce qu on a fait, vu, lu, etc. Dans notre société où l individu est de plus en plus seul, où le lien social traditionnel s est distendu, on éprouve le besoin de se raconter et d écouter les autres se raconter. En témoignent les blogs sur Internet, les réseaux sociaux, la profusion d autobiographies dans l édition. Il y a là un réservoir énorme de tâches naturelles. Par exemple, pour introduire et travailler l imparfait, on peut s appuyer sur un album de souvenirs (souvenirs d école, première voiture, premier voyage, etc.). Les étudiants évoquent à tour de rôle leurs propres souvenirs et peuvent créer leur album personnel. 3 - Donner son opinion. Par le biais de forums Internet ou par de brefs articles on peut aborder de nombreux thèmes. Par exemple, celui de la santé en participant à un forum Internet pour donner son opinion sur la meilleure façon de soigner les petits «bobos» : piqûre d abeille, verrues, tics, etc. On peut aussi aborder la thématique du logement en remplissant le questionnaire de vœux d une agence immobilière. 4 - Jouer. On pense ici non pas aux jeux de rôles ou aux jeux spécialement conçus pour la classe de langue mais aux jeux de société au sens large et aux jeux de connaissance qu on trouve dans les magazines. Ainsi, pour travailler le vocabulaire de la personnalité et celui des formes graphiques on peut apprendre aux étudiants à lire les lignes de la main. Dès le début de l apprentissage un jeu test de connaissances simple peut permettre une première conceptualisation des articles indéfinis et définis. 5 - Réaliser un projet suppose non seulement des apports linguistiques propres à la thématique du projet mais également des échanges langagiers au cours de sa réalisation : définition du projet, répartition des tâches, gestion des aspects matériels, présentation, etc. Ces différentes étapes vont susciter de nombreuses interactions. 6 - Parler de la langue et de l apprentissage. L explication grammaticale et la réflexion sur les manières d apprendre peuvent se faire en langue étrangère en utilisant un vocabulaire métalinguistique courant et réutilisable dans d autres situations. Les verbes «s accorder», 8

«se construire», tout le vocabulaire de la mise en relation pourront être introduits à cette occasion et réutilisés après le travail d observation de la langue. (1) Cadre européen commun de référence pour les langues, Conseil de l Europe /Les Editions Didier, 2001 (2) GIRARDET Jacky et PÉCHEUR Jacques, Écho, méthode de français niveau B1(1), CLE International, 2010 (3) GIRARDET Jacky et PÉCHEUR Jacques, Écho, méthode de français niveau B1(2), CLE International, 2010 (4) GIRARDET Jacky et PÉCHEUR Jacques, Campus, méthode de français niveau 1(2), CLE International, 2002 (5) FLAHAULT François, La parole intermédiaire, Seuil, Paris, 1978 (6) PICARD D. L Ecole de Palo Alto, Retz, Paris, 1984 9