3 e Conférence nationale sur le fédéralisme, Mendrisio, 27 mai 2011 Simonetta Sommaruga, conseillère fédérale, cheffe du Département fédéral de justice et police Monsieur le Président de la Conférence, Mesdames et Messieurs les Conseillers d État, Mesdames et Messieurs, J aimerais aujourd hui, pour une fois, commencer par une fin. Avant-hier, le Conseil fédéral a en effet décidé de la fin du recours à l énergie nucléaire en Suisse. Il tire, avec cette décision, les leçons de la catastrophe de Fukushima et prépare la voie à une politique énergétique nouvelle, qui ne dépend plus de l atome. Si cette décision semble rencontrer une large adhésion, elle n est pourtant que le premier pas. Ces prochaines années, un grand travail nous attend, et par nous, j entends vraiment nous tous : citoyens et citoyennes, villes et communes, cantons, Confédération. De nombreuses décisions et votations, à tous les échelons de notre système fédéral, seront nécessaires, ces prochaines années, pour mettre en œuvre ce tournant dans notre politique énergétique. On voit ainsi que le bon fonctionnement du fédéralisme est indispensable pour réussir la sortie du nucléaire, les cantons ont ici un rôle important à jouer. Mesdames et Messieurs, nous sommes réunis ici dans la pointe la plus méridionale de la Suisse. Au lieu de pointe, on pourrait dire le coin, soit cantone en italien. Ce mot de canton nous apprend donc quelque chose sur l origine de notre pays : la Suisse s est constituée à partir de recoins et de pointes, de vallées et de particularismes, que nous devons à la nature accidentée de notre territoire. En ce sens, les régions périphériques et les cantons frontaliers ne font pas simplement partie de la Suisse ils sont en réalité le cœur, le noyau de la Suisse, en tout cas pour ce qui est de notre identité politique. Enjeux territoriaux C est aussi pour cela que je me réjouis tout particulièrement de ce que la conférence sur le fédéralisme se tienne cette année dans le canton du Tessin. Le Tessin est un des rares cantons où j ai eu l occasion de me rendre deux fois déjà depuis mon entrée en fonction comme conseillère fédérale, il y a six mois. J y ai par ailleurs des racines et j ai souvent passé mes vacances, pendant mon enfance, chez mes grands-parents à Bellinzone et dans la Léventine. Le canton du Tessin a beaucoup changé depuis cette époque. L augmentation de la mobilité a contribué à accélérer encore cette mutation. Elle est l un des principaux phénomènes derrière les enjeux territoriaux liés au fédéralisme. Il suffit, pour s en convaincre, de jeter un œil sur le paysage du Mendrisiotto : un territoire densément peuplé, sur l axe de transit Nord-Sud. Cette région qui était aux confins de la Suisse est devenue un important lieu de passage en Europe. Des frontières ouvertes... Les frontières sont devenues plus faciles à passer. Les distances diminuent et ne sont plus un obstacle infranchissable. Tout a commencé en 1230 avec la construction du pont du Diable sur les gorges de la Schöllenen, et cela a continué
jusqu au récent percement du tunnel de base du Gothard. Lorsque ce dernier sera en service, il sera possible de faire la navette entre la Suisse centrale et le Tessin. La frontière sud, qui sépare la Suisse de l Italie, est aussi devenue plus facile à franchir. Si dans les années 50, le Tessin était un espace économique encore largement fermé sur lui-même, il fait aujourd hui depuis longtemps partie d une zone économique qui s étend des deux côtés de la frontière. Les échanges économiques entre la Suisse et l Italie se sont aussi beaucoup renforcés grâce aux accords bilatéraux avec l UE.... avec des conséquences pour le fédéralisme Le Tessin n est pas le seul canton concerné : dans toute la Suisse les zones d habitation grandissent et s étendent au point de ne plus former bientôt que de vastes agglomérations, particulièrement sur le plateau suisse. La commune où je réside, Köniz, est une ville qui compte aujourd hui plus de 30 000 habitants. Elle est voisine de la ville de Berne et il est presque impossible de dire, aujourd hui, où finit la première et où commence la seconde. Les frontières ne sont plus non plus un obstacle au développement des agglomérations, comme on le voit à Genève et à Bâle. Un même phénomène, parfois à une échelle beaucoup plus importante encore, est à l œuvre dans tout l ouest de l Europe et, depuis la chute du mur, dans l Europe entière : les frontières sont tombées, ou du moins sont devenues beaucoup plus facile à franchir. Cette croissance des zones habitées et le rétrécissement du monde n est pas sans conséquences. Trois enjeux, en particulier, doivent être maîtrisés. Nécessité d une collaboration plus intense Lorsque des espaces qui étaient autrefois largement indépendants les uns des autres grandissent au point de ne plus former qu un espace d un seul tenant, ils doivent, par la force des choses, intensifier et améliorer leur collaboration. Tel est le premier enjeu. Les communes le sentent, tout comme les cantons. Ils coordonnent le développement de leurs infrastructures, par exemple l offre de transports, les établissements d éducation et les hôpitaux. Les cantons doivent aussi aplanir les obstacles à la mobilité scolaire, afin que les enfants dont les parents déménagent dans un autre canton ne subissent pas de désavantages. Cette évolution a favorisé le fédéralisme coopératif, la collaboration des cantons au niveau régional et à l échelle de la Suisse toute entière. L évolution au niveau des États n est pas différente : la pollution de l air, les mouvements migratoires, la criminalité ou les crises financières ne s arrêtent pas aux frontières nationales. Le repli sur les frontières nationales, l isolement, est cependant une option qui n est plus possible, ou qui serait beaucoup plus chère et moins efficace. C est la raison pour laquelle la Suisse participe à la collaboration instaurée par Schengen et Dublin. Une concurrence accrue 2
Une deuxième conséquence de l ouverture des frontières est la concurrence toujours plus acharnée que se livrent les cantons pour attirer entreprises, emplois et contribuables. Des cantons autrefois relativement pauvres, tels que Zoug, Nidwald ou Appenzell Rhodes-Intérieures, mènent une politique fiscale qui leur permet de se positionner comme des territoires attractifs pour l installation d entreprises ou de résidents. Aujourd hui, aucun canton ne peut plus se permettre de fixer ses barèmes fiscaux sans lorgner du côté de ses voisins. Il faut cependant rappeler que l attractivité d un canton dépend aussi d une multitude d autres facteurs: offre culturelle, possibilités de formation, accès aux soins médicaux, proximité de zones de détente, etc. On observe la même évolution au niveau international. La politique que mène la Suisse pour attirer de l activité économique est un succès. La Suisse est aujourd hui une place économique extrêmement attractive et, par conséquent, elle est devenue un pays d immigration, comme le Luxembourg ou les États-Unis. C est une situation qui est nouvelle, dans la perception que nous avons de notre pays, et qui suscite aussi des craintes et des inquiétudes. Nous devons les prendre au sérieux ce qui ne veut toutefois pas dire que nous devons ériger des murs épais tout le long de nos frontières. Diffusion plus rapide des problèmes Le troisième enjeu, c est que dans un monde de plus en plus interconnecté, les problèmes et les crises se diffusent beaucoup plus rapidement qu autrefois. On l a vu avec la crise des subprimes, aux États-Unis, qui a très rapidement atteint l Europe. La contagion des révoltes en Afrique du Nord est un autre exemple actuel. C est la raison pour laquelle nous devons renforcer notre capacité d agir rapidement en situation extraordinaire et, parallèlement, réduire autant que possible les risques auxquels nous sommes exposés. Nous essayons de le faire en ce moment dans le secteur de la banque et des finances. Mais le domaine de l asile, lui aussi, doit être plus résistant aux crises, et j ai engagé des mesures à cet effet ces dernières semaines. Perte d autonomie? En Suisse, les frontières et les distances s estompent de plus en plus. Dans le même temps, les relations d interdépendance ne cessent de s accentuer dans un monde toujours plus complexe. Un grand nombre de citoyennes et de citoyens ont aujourd hui l impression de subir ces évolutions sans avoir prise sur elles. Si certains optent pour l abstentionnisme, d autres en revanche utilisent leur bulletin de vote pour sanctionner la «classe dirigeante». Nous devons prendre au sérieux ce sentiment d impuissance dans la population, car il est manifestement en contradiction avec notre identité politique, avec notre démocratie directe, qui repose sur une approche participative. Donner son avis et participer à la vie politique sont aussi des composantes essentielles d un fédéralisme dynamique. 3
Donner son avis et participer à la vie politique c est assumer des responsabilités. Cette participation commence toujours au niveau le plus proche, au sein de la famille, dans la commune. Comme disait Jeremias Gotthelf, «c est à la maison que doit commencer ce qui illuminera la patrie». Si l archaïsme de cette phrase peut faire sourire, elle n en conserve pas moins, à l ère de la mondialisation, toute son actualité. La mondialisation justement, nous amène aussi à nous pencher sur le rôle des entreprises. Il est essentiel, à mes yeux, que les entrepreneurs, y compris ceux qui opèrent à l échelle internationale, connaissent leurs racines et gardent le lien avec elles. Pour cela, il est important qu ils ne se coupent pas de la vie politique à l échelon communal, cantonal et fédéral. Je souhaite que les acteurs économiques assument de nouveau avec vigueur leur responsabilité politique et sociale. Nous devons cultiver un certain sens de la communauté, un sentiment d appartenance pour éviter qu un grand nombre de citoyennes et de citoyens aient l impression qu ils n ont pas leur mot à dire dans notre société. Les situations d interdépendance à l échelle internationale sont aujourd hui telles que même un État indépendant comme la Suisse est loin de pouvoir décider de tout de manière autonome. J en veux pour preuve que nous adaptons de façon autonome notre droit à celui de l UE. En Suisse, le besoin de participation politique est très marqué. Or, dans le même temps, nous renonçons à ce droit de participation dans l UE. Ce paradoxe, qui caractérise nos rapports avec l UE, m interpelle régulièrement. Je suis convaincue que nous possédons les ressources nécessaires pour continuer à faire avancer la Suisse dans le cadre fédéraliste, non seulement sur le plan interne, mais aussi vis-à-vis de l extérieur, en ce qui concerne notre position en Europe et dans le monde. L ouverture comme ressource Notre ouverture est la première de ces ressources. Sans elle, la Suisse n occuperait pas la position qu elle occupe aujourd hui. C est cette ouverture qui a permis à des entrepreneurs d origine étrangère de déployer ici tout leur potentiel et de fonder des sociétés qui sont aujourd hui considérées comme typiquement suisses, par exemple Swatch Group. Par ouverture, j entends aussi l ouverture d esprit : la Suisse s est toujours montrée ouverte aux approches et aux solutions nouvelles. Cette ouverture d esprit nous a également permis de développer, notamment, notre fédéralisme à plusieurs niveaux et de nous doter de droits populaires étendus. Faire preuve d ouverture n implique cependant pas que l on doive sacrifier son autonomie. Seul celui que se connaît vraiment peut s ouvrir aux autres. L autonomie n est pas incompatible avec l appartenance à une communauté comme beaucoup le prétendent souvent. C est même tout le contraire : toutes les communautés saines s appuient sur des membres forts et autonomes. Cela vaut tant pour la Suisse fédéraliste que pour les fédérations d États comme l UE. 4
Respect des engagements et fiabilité Le respect des engagements est la deuxième ressource dont nous pouvons nous prévaloir. Pour un petit pays comme la Suisse, entouré de grandes puissances, le respect des engagements internationaux revêt depuis toujours une importance vitale. La fiabilité de la Suisse, son respect des engagements, contribuent à la considération dont jouit notre pays à l échelle internationale. Le débat actuel autour de Schengen nous montre combien il s agit-là d un aspect important : la confiance est indispensable au bon fonctionnement du régime instauré par Schengen. La question est ici de savoir si tous les pays membres continueront de respecter les règles du jeu même si certains d entre eux doivent faire face, momentanément, à des pressions accrues. Le respect des engagements est aussi une valeur essentielle sur le plan interne. Les partenaires fédéraux doivent pouvoir se faire confiance, même si nous savons tous que nous devons procéder régulièrement à des ajustements pour déterminer quelles tâches doivent être dévolues aux cantons et aux communes et lesquelles doivent être du ressort de la Confédération. Fédéralisme et subsidiarité J en viens à présent à une troisième ressource, à savoir le fédéralisme en tant que tel et son corollaire, la subsidiarité. S attaquer aux problèmes à l échelon où ils le plus faciles à régler fait partie intégrante de la flexibilité et de l ouverture suisses. Notre attractivité économique tient pour beaucoup aux efforts déployés par les cantons pour trouver des solutions optimales et avantageuses pour leurs citoyens. Lorsque j étais conseillère communale à Köniz, mes collègues et moi-même avons développé des solutions novatrices pour la gestion du trafic de transit qui ont ensuite fait école. Voilà un bel exemple de laboratoire du fédéralisme. Culture de l équilibre Enfin, une quatrième ressource dont nous disposons est notre culture de l équilibre. Notre culture de l égalité imprègne les relations entre les langues et les cultures, entre les cantons à fort potentiel de ressources et les cantons à faible potentiel. Elle imprègne également les relations entre les générations; entre les personnes à haut revenu et celles à bas revenu; mais aussi entre la population indigène et la population migrante. Mesdames et Messieurs, continuons de faire preuve d ouverture, de respecter nos engagements et prenons soin tout particulièrement de notre culture de l équilibre. Nous tous, citoyennes et citoyens, villes et communes, cantons, Confédération, nous avons malgré toutes les divergences que nous pouvons avoir une tâche commune: nous devons sans cesse trouver une réponse à la question de savoir ce qui nous unit. La cohésion nationale n est pas un acquis statique, nous devons chaque jour la renouveler. 5
Le fédéralisme et c est aussi pour cela qu il est si précieux nous contraint de lutter sans cesse ensemble pour trouver des solutions. Le fédéralisme nous donne aussi de multiples occasions de nous réunir, comme aujourd hui. J aimerais donc conclure en vous disant que c est un honneur pour moi d être ici aujourd hui, et en vous transmettant les salutations et l estime du Conseil fédéral. 6