«Québec n'a que faire d'une politique nataliste et a le temps de voir venir»



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Transcription:

Article «Québec n'a que faire d'une politique nataliste et a le temps de voir venir» Georges Mathews Bulletin de l'association des démographes du Québec, vol. 3, n 4, 1974, p. 14-21. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/305764ar DOI: 10.7202/305764ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 30 January 2016 05:43

14 QUEBEC M'A OHE ^AIPE D'UNE POLITIQUE NATALISTE ET A LE TE M PS ^E v OIP VEMI p La situation démographique actuelle du Québec est cause, semble t-il, d'un état de quasi-panique dans plusieurs milieux: commissaires de la CECM, mouvements nationalistes, milieux gouvernementaux et éditorialistes réputés se sont mis d'accord pour souligner les graves dangers qu'entraînerait bientôt l'actuelle dénatalité: écoles vides, manque de maind'oeuvre t une proportion trop élevée de gens âgés, diminution de l'importance relative du Québec au sein de l'ensemble canadien, etc.. On va même jusqu'à agiter le spectre d'un Québec se dépeuplant bientôt à vive allure. Heureusement pour nous, cette dramatisation des conséquences de la dénatalité ne repose pas sur une base solide. Bien au contraire, la diminution des naissances présente beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients. Encore faut-il les percevoir et saisir l'occasion ainsi offerte. Trois faits fondamentaux a) La population du Québec était estimée au 1er avril 1974 à 6,124,000 habitants, dont 5 millions de francophones. La liste des dix pays ayant le revenu par tête le plus élevé comprend cinq pays à faible population: le Danemark (5 millions), La Norvège (4 millions), la Suède (8 millions), la Suisse (6.2 millions), la Nouvelle-Zélande (3 millions). Tous ces pays, sauf le dernier, ont une population qui croît lentement. b) Même si la fécondité des femmes Québécoises est faible, et même si elle reste au même niveau, la population du Québec va croître jusqu'en 2016. c) D'ici dix ans, la fécondité peut augmenter. Il n'y a pas moyen de savoir. En attendant, le Québec non seulement peut tr&bien s'accomoder de la situation, mais en tirer profit. Revoyons ça de plus près. La situation démographique actuelle De la fin de la Deuxième Guerre au milieu des années 60, lq Québec a connu un "baby boom", tout comme le reste de l'amérique du Nord. Puis le nombre desnaissances s'est mis à diminuer, lentement d'abord et puis de plus en plus vite, jusqu'à ce qu'il atteigne 84,000 en 1972, pour ensuite remonter à 88,000 en 1973. (H était de 142,000 en 1959). Pendant ce temps, le nombre de décès ne variait pas beaucoup, augmentant très lentement au cours des dernières années, atteignant 42,000 en 1973» Texte paru dans le journal "La Presse", du 13 septembre 1974

C'est donc dire que l'exédent des naissances sur les décès se chiffre tout de même à plus de 45,000 en 1973«Si la population du Québec a si peu augmenté ces quatre ou cinq dernières années, c'est parce que le nombre des emigrants a été supérieur au nombre d'immigrants. Mais en 1973» il y eut autant d'immigrants que d'emigrants. Comment se comporteront à l'avenir ces deux composantes (natalité et solde migratoire) de l'évolution démographique? En ce qui concerne la natalité, si l'on se fie aux résultats connus de l'enquête menée auprès des femmes mariées québécoises en 1971 par le démographe Jacques Henripin (les résultats détaillés seront publiés très prochainement), la fécondité des femmes du Québec ne descendra pas, au cours des prochaines années, en bas du niveau actuel, qui est très faible. (Si le taux actuels se maintiennent, les nouvelles générations de femmes auront en moyenne 1.8 enfant par femme, ce qui est insuffisant pour assurer à long terme le renouvellement de la population). Quant aux femmes qui ont moins de 19 ans en ce moment et quant à celles qui ne sont pas encore au monde, il est impossible de prévoir leur fécondité. Personne n'avait prévu le "baby boom" d'après-guerre et personne n'avait prévu la fin de ce même "baby boom". En matière de fécondité, les prévisions à long terme se sont toujours révélées fausses. Le niveau actuel, même s'il est faible, ne deviendrait inquiétant que s'il se maintenait pendant plusieurs années encore. Car la population du Québec, en supposant un solde migratoire nul, ce qui est une hypothèse pessimiste au regard de l'expérience historique, continuera d'augmenter jusqu'en l'an 2016 (elle serait alors de 7.5 millions), à cause du nombre grandissant de femmes en âge de procréer. Il n'y a pas que la fécondité qui soit sujette à des retournements de tendance imprévisibles. Les mouvements migratoires le sont encore davantage. Une chose doit être retenue cependant: le Québec est en temps normal terre d'immigration. On doit donc prendre avec un grain de sel les projections les plus pessimistes de Statistique Canada, fondées sur le solde migratoire négatif qu'à connu le Québec en 1968 à 1972. La proportion des francophones au Québec... Pour que la proportion des francophones au Québec se maintienne au niveau actuel, il faut que la répartition des immigrants selon la langue maternelle soit semblable à celle des emigrants. Les données concernant les emigrants sont très rares. Nous disposons cependant des résultats d'une récente étude sur la région de Montréal portant sur la période allant du 1er juin 1970 au 1er juin 1972. Le tableau 1 indique le lieu de provenance et la langue maternelle des chefs de ménage arrivant dans la région. Ces ménages contiennent en moyenne 2.5 personnes. On y voit que les immigrants des autres provinces canadiennes sont plus francophones qu'anglophones. Par ailleurs, le nombre de ménage ayant exprimé l'intention de quitter la région lors de la période allant du 1er juin 1972 au 1er juin

16 1974 est aussi élevé que celui des arrivants. 42$ de ces éventuels emigrants étaient de langue maternelle anglaise ou autre. C'est donc que si les immigrants de langue maternelle autre sont intégrés à la majorité francophone, la proportion des francophones au Québec se maintiendra à peu près au niveau actuel. et au Canada La diminution de l'importance démographique relative du Québec au sein du Canada est inévitable, à cause de la configuration ethnique des immigrants. Le Québec va donc passer de 27.9$ de la population canadienne en 1971 à peut-être 24$ en 2001. On s'en inquiète. Quelles raisons feraient que le Québec retire sa "juste part" des "bienfaits du fédéralisme" avec 27.9$ et qu'il ne puisse plus le faire à 24$? De 1961 à 1965, le Québec est allé chercher beaucoup de choses à Ottawa et cela n'avait rien à voir avec une variation de son importance démographique.- Si le Québec sait profiter des avantages de la dénatalité, il n'aura pas à souffrir de sa moindre importance démographique. A l'intérieur de certaines limites, le dynamisme d'un peuple n'est pas fonction de son taux de croissance démographique. Les avantages immédiats de la dénatalité a) A revenu égal, une famille de quatre personnes (qu'on appellera la famille A) a un revenu réel plus élevé qu'une famille de cinq ou six personnes (la famille B), même en tenant compte des allocations familiales. Non seulement la consommation par tête serat-elle plus élevée dans la famille A, mais elle sera différente, parce que cette famille va consommer des biens que ne peut se permettre la famille B. Ces biens seront en partie des produits industriels ou des services plus "sophistiqués" (système de son, appareils photographiques, voyages, cours spécialisés, etc). A la stagnation du marché de certains produits traditionnels (aliments et vêtements entre autres) correspondra l'élargissement du marché des biens durables, ce qui pourra faciliter la pénétration de l'industrie québécoise dans ce secteur. Il sera également plus facile pour la famille A d'épargner et d'accéder à la propriété résidentielle. b) Peut-être l'avantage le plus important concerne l'inégalité des revenus: traditionnellement, les familles à revenu modeste avaient beaucoup plus d'enfants que les familles aisées. L'écart existe encore, mais il s'est beaucoup amenuisé depuis dix ans, et Henripin nous révèle qu'il est appelé à disparaître. En terme de consommation par personne, l'inégalité des revenus des familles sera moins grande. D'autre facteurs, mentionnés plus bas, viendront renforcer cette tendance. c) Il y a plus de femmes sans enfant ou avec un seul enfant. Ces

17 femmes sont parmi celles qui auront choisi une carrière ou un métier. Cette plus grande participation des femmes à la population active résulte en une augmentation du ménage et contribue à resserrer l'éventail des revenus des familles. d) Les revenus de l'etat s'accroissent: moins d'enfants = moins de déductions et plus de femmes au travail = plus d'impôts directs et indirects. Mais ses obligations (santé, allocation familiales, éducation, etc.) diminuent. L'Etat peut donc dépenser plus pour chacun de nous, et c'est exactement ce qui se produit avec les allocations familiales, les versements aux personnes âgées (bientôt, les médicaments seront fournis gratuitement à la majorité d'entre eux), et le prochain système de garderies. C'est un troisième facteur de réduction des inégalités de revenu. L'Etat québécois peut aussi transformer une partie de cette augmentation de revenu provoquée par la dénatalité en investissement industriel et en récupération de nos matières premières, qui ont été si allègrement données aux entreprises étrangères lors de l'heureuse époque de la super-féconditéj Tous ces avantages vont durer jusqu'à ce que la proportion des gens qui travaillent par rapport à la population totale n'augmente plus. S'il n'y a pas de reprise importante de la fécondité, ça veut dire une quarantaine d'années (voir le tableau 3)» Mais ces avantages ne sont pas les seuls. Les avantages à moyen et long termes a) Les écoles La dénatalité affecte déjà le secteur de l'enseignement primaire. Bientôt, ce sera au tour du secondaire (de façon moins importante peut-être, à cause de l'augmentation des taux d'inscription). La clientèle du secteur primaire diminuera jusqu'en 1980 et augmentera légèrement par la suite. Le même phénomène se reproduira pour le secteur secondaire, avec un décalage de six ans. La diminution de la clientèle scolaire prend encore plus d'ampleur dans des villes comme Montréal et Québec, qui connaissent l'exode des jeunes couples vers la banlieue. L'attitude des commissaires de la CECM, qui semblent très ébranlés par la situation, est plutôt inquiétante. En effet, ils réagissent exactement comme des chefs d'entreprise qui voient diminuer la consommation de leurs produits. Au lieu de se dire: "maintenant que la forte pression démographique su les équipements et le personnel scolaire est terminée, nous allons songer sérieusement à améliorer la qualité de l'enseignement.et faire un effort tout particulier pour les enfants des quartiers pauvres parce que nous avons les ressources pour le faire", on voudrait que l'etat favorise une spectaculaire relance de la fécondité, ce dont le Québec n'a nullement besoin.

Le surplus de professeurs, s'il existe est lié à une absence de planification dans la distribution territoriale des professeurs et dans la formation des nouveaux professeurs. Car, selon une étude récente du Service de démographie scolaire du ministère de l'education, plus de 10$ des enseignants quittent chaque année la profession. Et les écoles vides? Elles se trouvent probablement dans les vieux quartiers de la ville, qui connaissent une baisse de population. Ce sont donc de vieilles écoles qui peuvent être soit démolies et remplacées par des espaces verts, soit reconverties pour répondre à certains besoins de la population du quartier. La dénatalité diminue donc (et élimine même, dans certains quartiers) les besoins en nouveaux équipements scolaires, une é- conomie appréciable pour la collectivité qui pourra servir dans d'autres secteurs. les logements Le "baby boom" a pris fin il y a une dizaine d'années. Mais ses conséquences se feront sentir longtemps encore. Ainsi, le groupe d'âges 20-24 ans comprenait en 1971 250,000 personnes dans la région de Montréal. Ce nombre atteindra au minimum 265,000 en 1986, et ce n'est qu'après 1986 qu'il déclinera grâce à la baisse de la fécondité. D'ici 1986 donc, il y aura de très fortes pressions sur plusieurs marchés (automobiles, meubles, appareils électroménagers, etc) et en particulier sur celui du logement. Le prix des maisons unifamiliales va continuer à augmenter, c'est une des conséquences "heureases" de la surfécondité d'après guerre. De 1974 â 1986, au moins 250,000 nouveaux logements devront être construits dans la région de Montréal. On connait déjà les effets néfastes d'une telle expansion: spéculation foncière, destruction de certains vieux quartiers parfaitement viables, allongement trop considérable des-villes-dortoirs de banlieue. Mais après 1986, les besoins en nouveaux logements seront beaucoup plus faibles, et on assistera à une stabilité des prix et des loyers. Les propriétaires de logements n'auront plus la partie belle, comme c'est le cas maintenant. Et une partie des ressources utilisées par l'industrie de la construction pourra servir dans d'autres secteurs. la qualité de la vie Non seulement la dénatalité entraîne-t-elle l'augmentation du niveau de vie de tous les membres de la collectivité, via la réduction des charges familiales et l'augmentation des dépenses sociales, mais elle peut aussi via l'augmentation du temps de loisir, fortement contribuer à stimuler la participation des citoyens aux débats publics et â la vie de la collectivité, que ce soit au niveau du quartier, de la ville ou de la nation. L'amélioration de la qualité de la vie, facilitée par une densité de popu-

19 lation moins grande, mais rendus plus difficile dans les quartiers convoités par les grands intérêts immobiliers et donc incertains quant à leur avenir, ne sera possible que si les citoyens interviennent eux-mêmes. Deux inquiétudes non fondées a) la pénurie de main-d'oeuvre Dans LA PRESSE du 31 août, on pouvait lire ceci, en page 2: "dès 1978-80, le Québec manquera de main-d'oeuvre (à cause de la dénatalité) pour assurer sa croissance et même le simple maintien de son activité économique". Cela est tout à fait faux. Premièrement, le nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail va diminuer, mais la main-d'oeuvre totale va continuer à augmenter, parce que les nouveaux arrivants seront beaucoup plus nombreux que le groupe de ceux qui quittent définitivement le marché du travail, et ce pour les 40 prochaines années au moins. Et cette constatation ne tient pas compte de la proportion grandissante des femmes au travail, qu'on présente justement comme une des causes de la dénatalitéj (Actuellement, environ 35$ des femmes âgées de 25 ans et plus travaillent. Dans certains pays, ce taux atteint 65%)» Deuxièmement, la dénatalité réduit les besoins en main-d'oeuvre, notamment dans le secteur de la construction. Il peut donc y avoir des transferts d'un secteur à l'autre. Mais il n'est même pas prouvé qu'une augmentation du nombre de travailleurs soit nécessaire pour assurer l'expansion économique. L'expérience européenne de la dernière décennie démontre que la productivité de la maind'oeuvre peut augmenter de façon importante, même sans croissance de la main-d'oeuvre, (voir tableau 2) Il reste qu'une économie peut connaître une pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs. Mais cela n'a rien à voir avec le taux de croissance de la main-d'oeuvre. Le plus bel exemple se trouve sous nos yeux: le Québec a une main-d'oeuvre très abondante en ce moment, et pourtant, on manque de professeurs pour l'enfance inadaptée, en anglais et en éducation physique, au niveau élémentaire et secondaire; on manque de professeurs pour le secteur professionnel dans les Cégeps; il y a pénurie de bons cuisiniers dans les restaurants; et on ne trouve personne au Québec pour cueillir les pommes et couper le bois en forêt! La question est de savoir comment adapter la main-d'oeuvre aux besoins. b) le vieillissement de la population Lorsque le taux d'accroissement d'une population diminue, il s'ensuit une augmentation graduelle de la proportion des gens âgés

20 65 ans et plus, i.e. des gens à la retraite. Ces derniers sont souvent a la charge entière de l'etat. Dans une première période qui peut être très longue (50 ans), cet accroissement de charges est plus que compensé par la diminution du nombre d'enfants, et le nombre total de dépendants diminue. Par la suite, il augmente. Et si le taux de participation à la main-d'œuvre demeure le même, le fardeau imposé par les dépendants à la population active sera plus lourd. Voilà ce qu'on entend par le problème du vieillissement de la population (il y a d'autres considérations relatives à la capacité innovatrice d'une population plus vieille, mais nous n'en parlerons pas ici, sinon pour souligner qu'il y a très peu d'études concluantes à ce sujet). La population du Québec va donc vieillir, et cela n'augurerait rien de bon. On peut trouver plusieurs défauts à ce genre de raisonnement. Premièrement, il est statique, i.e. il compare deux populations à 50 ans d'intervalle en supposant que le type de société sera le même dans les deux cas. Quand on voit à quel point nos sociétés ont changé depuis 50 ans, et de quelle façon les attitudes et coutumes sont bousculées par l'évolution sociale, on ne peut trouver que téméraire cette façon de raisonner. Deux points peuvent être soulevés: nous avons déjà indiqué que la proportion de femmes au travail augmenterait, ce qui diminue le fardeau inhérent au vieillissement; d'autre part, la retraite à 65 ans n'est pas une loi de la nature, d'autant plus que la santé des gens de 65 ans devrait aller en s'améliorant. Plusieurs personnes âgées de 65 ans pourraient et voudraient continuer à travailler. Deuxièmement, cette façon de présenter les choses omet une conséquence positive du vieillissement de la population, qui est de donner plus de poids à cette catégorie trop négligée de citoyens. Cela devrait leur permettre d'obtenir davantage de la collectivité, réduisant ainsi l'inégalité des revenus. Troisièmement, il y a une autre omission, encore plus importante, qui concerne les pays qui ont une population sensiblement plus vieille que le Québec et qui se tirent très bien d'affaire: l'allemagne de l'ouest, la Suède, la Norvège et la Suisse, entre autres. En 1970 13.8$ de la population suédoise étaient âgés de 65 ans et plus, tandis qu'en 1971» seulement 6.9$ de la population du Québec se trouvaient dans cette situation. Le tableau 3 montre que le Québec n'atteindra le pourcentage suédois qu'en l'an 2011, si les taux de fécondité se maintiennent au niveau actuel. Alors, vraiment, on a le temps de voir venir. GEORGES MATHEWS Université du Québec

TABLEAU 1 Lieu de provenance et langue maternelle des chefs de ménage arrivant dans la région de Montréal entre le 1er juin 1970 et le 1er juin 1972. Français Anglais Autre Total Province de Québec 20,662 3,179 0 Autres provinces 6,887 6,358 0 Autres pays 3,709 5,298 2,119 Total 31,258 14,835 2,119 23,8a 13,245 11,126 48,212 TABLEAU 2 Croissance de la maii>-d'oeuvre et i augmentation de la productivité dans certains pays européens, de 1963 à 1970. Croissance annuelle de la main-d'oeuvre (en*) Augmentation annuelle de la productivité (an*) Autriche - 1.3 6.6 Belgique 0.7 4.2 France 0.9 4.7 Allemagne de l'ouest 0.2 4.9 Italie - 0.4 5.7 Pays-Bas 1.0 5.0 Suède 0.6 3c7 Royaume-Uni - 0.1 2.9 TABLEAU 3 Evolution de la population du Québec, en supposant constants les taux de fécondité et de mortalité actuels et un solde migratoire nul (en milliers). 1971 1981 1991 2001 2011 2021 0-19 ans 20-64 ans 65 ans et plus TOTAL 2,406 3,208 a3 6,027 2,048 3,931 559 6,538 2,000 1,990 1,797 4,360 4,531 4,682 734 880 1,055 7,094 7,401 7,534 1,742 4,433 1,350 7,525 Proportion des citoynes âgés 6.9$ 8.6$ 10.4$ 11.9$ 14$ 17.9$ rnrndnjrc: MATUTrUÇ TTrvi-trar>e j ; +.o Hn OnéVifiO. -