Commission Questions internationales

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Transcription:

Commission Questions internationales Compte-rendu de la réunion du 13 novembre 2014 Présent- e- s : Ellen BEAURIN- GRESSIER, Hanane BENZIDIA, Marc BRION, Michelle BRION, Annie- Paule DERCZANSKY, Ambroise EVANO, Gilles GONY, Mohamed HAMROUNI, Luc LEBON, Annick LOUVEL, LUNA, Michel PUZELAT, Philippe WEHRUNG. Invité- e- s : Ali BEN AMEUR, Amine ELBEJI, Raoudha FAOUEL. Excusée : Gwendoline LAFARGE. LA TUNISIE, TROIS ANS APRÈS LA RÉVOLUTION DE JASMIN Avant d entrer dans le vif du sujet, Michel Puzelat rappelle les objectifs et le programme de la commission Questions internationales et lance un appel aux volontaires pour préparer les séances suivantes. Mohamed Hamrouni prend le relais et fait procéder à un tour de table, au cours duquel sont présentés nos invités tunisiens : Ali Ben Ameur, militant de la société civile, ancien président de l IRIE France Nord (Instance régionale indépendante des élections tunisiennes), Amine El Beji, tête de liste Ettakatol France Nord aux élections législatives d octobre 2014. Déroulé : - Point sur la situation politique (Michel Puzelat) - Point sur la situation économique (Ambroise Evano) - Discussion avec les camarades tunisiens 1. LA SITUATION POLITIQUE Au point de départ il s agissait de parler de l état des forces démocratiques dans le monde arabe, par opposition à l islamisme ou aux régimes ultra- conservateurs (Arabie saoudite). Un rapide coup d œil montre qu elles sont embryonnaires hors de la Tunisie. D où l idée : la Tunisie comme modèle démocratique pour le monde arabe? Outre le fait qu il faut définir ce qu on entend par «force démocratique», la pertinence même de cette question est posée. Statistiques utiles 163.610 Km2 10.982.754 hab. 9700 $ / hab. (115 e rang mondial) Un bref rappel historique 1881, 12 mai : traité du Bardo => protectorat français.

1920 : fondation du Destour («constitutionnel»), un parti nationaliste de notables, destiné à libérer la Tunisie du protectorat. 1934 : scission au sein du Destour ð Le Destour maintenu (ou «archéo- Destour»), parti traditionnaliste et islamisant. ð et naissance du Néo- Destour (Bourguiba), formation moderniste et laïque, qui s organise sur le modèle des partis socialistes et communistes européens et anime la lutte pour l indépendance. 1954, 31 juillet : autonomie interne, négociée avec la France (Mendès- France) 1956, 20 mars : indépendance totale. 1957, 25 juillet : abolition de la monarchie et instauration de la république. Bourguiba président. Comparer avec l autre protectorat, indépendant au même moment, le Maroc (indépendance sans remise en cause des structures traditionnelles). 1987, 7 novembre : destitution de Bourguiba par Ben Ali, premier ministre. ð Le Néo- Destour, parti dominant après l indépendance (et même parti unique à partir de 1963). Rebaptisé Parti socialiste destourien en 1964. ð Après la chute de Bourguiba (1987), Ben Ali le transforme en RCD (Rassemblement constitutionnel démocrate), qui détient toujours le monopole du pouvoir malgré l instauration officielle du multipartisme ; ð Après la «révolution de jasmin» (janvier 2011), le RCD est exclu de l Internationale socialiste, puis suspendu en février et dissout définitivement en avril 2011. La transition Mars 2011 : Après deux mois d instabilité, la direction d un gouvernement provisoire est confiée à Beji Caïd Essebsi (ancien ministre de Bourguiba, qui n a pas collaboré au régime de Ben Ali), sans ministres issus du RCD. Les partis politiques sont légalisés. Chargé de préparer l élection d une assemblée constituante. 23 octobre 2011 : élections à l Assemblée constituante (217 membres), au scrutin proportionnel (1517 listes), avec parité. Participation : 52 % (?). ð Ennahdha : 37,4 % ð Congrès pour la République (centre gauche) : 8,71 % ð Ettakatol (social- démocrate) : 7,03 % ð Pétition populaire (populiste) : 6,74 % ð 31,8 % des voix aux partis non représentés à l Assemblée. Une assemblée éclatée, d autant plus que la discipline de parti est assez lâche. Un accord est conclu entre les trois premières forces («troïka») pour la répartition des responsabilités : ð Présidence de l Assemblée : Mustafa Ben Jafaar (Ettakatol) ð Président de la République : Moncef Marzouki (CPR) ð Gouvernement dirigé par Ennahdha (Hamadi Jebali), en coalition avec le Congrès pour la République et Ettakatol. C est cette troïka qui gouverne la Tunisie depuis 2011. Mais un mécontentement grandissant qui débouche sur de nouvelles émeutes et contraint Jebali à céder la place à Larayedh, puis Ennahdha à abandonner la direction du gouvernement en janvier 2014, au profit d un gouvernement de technocrates dirigé par Mehdi Jomaa. Au cours de cette période, rôle crucial du «Quartet», conduit par le syndicat UGTT, le patronat, l ordre des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l homme, qui pilotent un «dialogue

national», visant à un compromis entre Ennahdha et les forces laïques pour préserver les acquis de la révolution. Objectif : la nouvelle constitution. La constitution du 27 janvier 2014 Adoptée à une très large majorité après plus de 2 ans de débat parfois houleux. Fruit d un compromis entre Ennadha et les partis «laïcs» : - Un régime parlementaire : la souveraineté appartient à une assemblée élue pour 5 ans au suffrage universel direct (proportionnelle). - Exécutif partagé entre le président de la République, élu pour 5 ans au suffrage universel direct, doté de pouvoirs assez larges (dissolution). - et un premier ministre, désigné par le président au sein du parti arrivé en tête et qui doit obtenir la confiance de l assemblée. - Reconnaissance des libertés et des droits fondamentaux individuels et collectifs, qui ne peuvent être amendés. - Place de la religion (articles 1 et 2) : Islam reconnu comme la religion de l État, mais «État à caractère civil». La liberté de croyance et de conscience est reconnue. La loi islamique n est pas mentionnée comme source de droit. - Droits des femmes : parité dans les assemblées élues, égalité des chances, lutte contre les violences. - Cour constitutionnelle Les forces politiques Plus de 150 partis se sont enregistrés après 2011. Un paysage très mouvant : scissions, fusions, alliances Si on se place sur une échelle droite- gauche : Le pôle conservateur - - Conservateurs religieux, qui représentent 30 à 40 % de l électorat. Représenté essentiellement par ENNAHDHA, parti issu des Frères musulmans et par une dizaine d autres partis dont la Pétition populaire. Ennahdha a été la principale cible de la répression sous Ben Ali, ce qui l a posé comme alternative en 2011. Son programme : la reconnaissance de l islam et de l identité arabo- islamique comme fondement de l organisation du pays ; les problématiques sociales (lutte contre la pauvreté). Un parti de masse, reposant sur un large réseau de sympathisants issus des classes populaires des campagnes et des quartiers déshérités des villes. Conservateurs laïques (5 à 8 % des voix) : un conservatisme bourgeois, qui compte des partisans de l ancien régime, des membres des grandes familles, de la bureaucratie. Le pôle centriste Une vingtaine de partis de centre gauche ou de centre droit, d inspiration laïque et plus ou moins progressistes, unis par leur opposition à Ennahdha. Au sein de ce pôle, NIDAA TOUNES («Appel pour la Tunisie»), qui compte des anciens du RCD. Progressisme sans révolution ; conciliation entre démocratie et valeurs arabes ; à la fois rupture avec Ennahdha et Ben Ali et continuité par rapport aux idéaux démocratiques de la révolution tunisienne Dans cette mouvance également, le Congrès pour la république, fondé en 2001, par Moncef Marzouki, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l homme. Aussi : Union patriotique, Afek Tounes (social- libéral).

Le pôle social- démocrate Représenté par le Front populaire, qui regroupe une myriade de petits partis de gauche, parmi lesquels Ettakatol (socialistes) et le PTT (communistes). L UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) Syndicat de masse fondé en 1946, qui compte 750.000 adhérents et pèse d un grand poids dans la vie politique tunisienne. À la fois liée au régime de Bourguiba et de Ben Ali, mais aussi principal contre- pouvoir et cible de la répression. Mais cette classification ne rend qu imparfaitement compte de la scène politique tunisienne. Autant que le positionnement sur l échiquier droite- gauche comptent les accords de coalition qui peuvent en fonction des priorités du moment réunir des forces politiques disparates (ex. Ennahdha et Ettakatol en 2011). Les élections d octobre 2014 Conformément à la constitution, les élections législatives ont lieu le 26 octobre 2014. Elles se déroulent à la proportionnelle dans le cadre de 33 circonscriptions (27 en Tunisie, 6 à l étranger). Afin de pourvoir les 217 sièges, plus de 15.000 candidats sont en lice, sur près de 1500 listes, dont 910 listes de partis, 472 listes indépendantes et 158 listes de coalition. 87 partis présentent des candidats, mais 4 seulement sont présents dans les 33 circonscriptions (Ennahdha, Nidda Tounes, CPR, Union patriotique libre), tandis que 24 ne sont présents que dans une seule circonscription et que 70 partis légalisés ne présentent pas de candidats. Participation : 62 % (?) Nidaa Tounes : 37,5 % et 86 sièges Ennahdha : 27,79 % et 69 sièges Union Patriotique : 4 % et 16 sièges Front Populaire : 3,66 % et 15 sièges Afek Tounes : 3 % et 8 sièges 13 autres partis (dont le CPR) obtenant entre 1 et 4 sièges.

Donc : - Recul sensible d Ennahdha - Nette avance des laïcs. Vote utile en faveur de Nidaa Tounes qui s est présenté en rempart contre l islamisme et a aspiré des voix centristes et progressistes. - Faible score de la gauche. - Nette contraste géographique : le Nord (Tunis, le Sahel) pour Nidaa Tounes, le Sud pour Ennhadah. Et maintenant? - Nidaa Tounes devrait former le prochain gouvernement, mais doit trouver des alliances. - En route pour la présidentielle du 23 novembre : 69 candidatures dont 42 rejetées. Restent donc 27 candidats, parmi lesquels Essebsi (NT), Marzouki (ex- CPR), Hammami (FP), Ben Jaafar (Ekkatakol), Noureddine Hached (fils du fondateur de l UGTT), Ennahdha ne présentant pas de candidat! - Et évidemment, la sortie de crise qui seule peut garantir la stabilité de la Tunisie démocratique. Conclusions 1. La Tunisie est entrée dans une voie incontestablement démocratique. Ses standards démocratiques n ont rien à envier à ceux des autres démocraties. 2. Peut- elle pour autant constituer un modèle alternatif à la tentation de l islamisme et aux régimes autoritaires qui prévalent dans le monde arabe? On répondra que ce n est pas le sujet, et que pour être un modèle il faudrait que d autres pays soient réceptifs. 3. Néanmoins, il n est pas interdit de nous poser la question. En 2011, tous les commentaires insistaient sur la valeur d exemple de la révolution tunisienne, bientôt suivie de la révolution égyptienne. Et on ne peut s empêcher de faire le parallèle avec l Egypte, dont le scénario est semblable : - Une insurrection de la société civile qui provoque la chute de l ancien régime. La fuite de Moubarak répond à la fuite de Ben Ali.

- - Le rôle des Frères musulmans. Dans les deux cas, ils tirent les marrons du feu parce qu ils apparaissent comme les principaux opposants aux régimes déchus, et arrivent légalement au pouvoir (Ennahdha, Morsi). Les difficultés de l exercice du pouvoir (problèmes sociaux, instabilité, violence) qui débouchent sur une sorte de chaos. Là s arrête la comparaison : en Egypte, c est le «retour» des militaires (qui n étaient jamais restés très loin) ; en Tunisie, «dialogue national» et accord de sortie de crise autour de la constitution. Aussi, parce que la Tunisie n a jamais été un état militarisé comme l Egypte. Bilan : l expérience démocratique tunisienne se poursuit et se renforce. Mais elle est bien isolée au sein du monde arabo- musulman, en particulier au Maghreb. Quant aux forces politiques, elles sont ralliées à la démocratie, mais des interrogations subsistent. Sources : Skander BEN MAMI, «Les partis politiques tunisiens à la veille des élections législatives de juin 2013», Le Carnet de l IRMC [Institut de Recherche sur le Maghreb contemporain], 21 mars 2013. http://irmc.hypotheses.org/848 Hélène SALLON, «Tunisie : qui sont les principaux partis politiques?», Le Monde, 13 février 2013. Hélène SALLON, «Libertés, droits des femmes : les avancées de la Constitution tunisienne», Le Monde, 27 janvier 2014. Diverses notices dans Wikipedia (Tunisie, Destour, UGTT, etc.). Commission Relations Internationales Ambroise EVANO 2. L état de l économie tunisienne Sommaire : Quelques repères : avant la Révolution/pendant la Révolution a) Avant la Révolution : une économie relativement performante b) L impact de la Révolution L état actuel de l économie tunisienne : a) Une croissance au ralenti b) Un déficit public qui se creuse c) Un accroissement du déficit commercial d) Le chômage, toujours élevé, mais qui s améliore e) La reprise timide du tourisme Perspectives/ Récapitulatif Sources : - Le site du ministère des affaires étrangères - La presse : Les échos, Slate, le Huffington Post - Wikipédia 88888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888888

Quelques repères : avant la Révolution/pendant la Révolution a) Avant la Révolution : une économie relativement performante La Tunisie fait partie des pays décolonisés qui ont connu pendant la période-postcoloniale une croissance des plus importantes. L économie de la Tunisie est historiquement liée à l agriculture (la production de blé, d olives, de dattes, d agrumes et de produits de la mer), aux mines et à l énergie (grand producteur de phosphates et dans une moindre mesure d hydrocarbures), au tourisme (6,5 millions de touristes en 2006) et aux industries manufacturières (textiles, agroalimentaire et électro-mécaniques). L économie de la Tunisie est très tournée vers les exportations. Par rapport aux autres pays du Maghreb (Algérie et Maroc), elle se hisse à la deuxième place pour le revenu par habitant et deuxième pour le niveau de développement, juste derrière la Libye. De plus, la Tunisie est, au même titre que le Maroc, l un des seuls pays de la région à être entré dans la catégorie des «pays à revenus moyens». L économie tunisienne, qui bénéficiait d un degré d insertion dans les échanges mondiaux parmi les plus élevés du monde et avait été distinguée au Forum économique mondial sur l Afrique, tenu du 13 au 15 juin 2007, comme la 1 re économie la plus compétitive d Afrique, devançant l Afrique du Sud, et la 29 e sur 128 au niveau mondial. Ce succès relatif sur le plan économique n avait pas empêché la perduration d importantes inégalités. b) L impact de la Révolution Le PIB a connu une contraction de 1,9% durant la première année suivant la révolution (2011) une première historique avant de grimper à 3,6% en 2012 et de se stabiliser autour de 3% en 2013. Ces taux restent néanmoins largement inférieurs aux pics atteints au cours de la dernière décennie; la croissance s élevait à plus de 6% en 2007. Si l instabilité politique y est pour beaucoup, le contexte régional précaire, la lente reprise au sein de la zone euro ainsi que la politique monétaire de la FED pèsent également dans la balance. L état actuel : des chiffres peu encourageants et des perspectives incertaines

a) La croissance au ralenti Le Conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie, a constaté un ralentissement de la croissance économique, avec un taux de croissance de 2,1%, durant la première moitié de l'année 2014. Ce taux a été, selon les dernières données publiées par l'ins, de l'ordre de 2% en glissement annuel au cours du second trimestre 2014, contre 2,8% enregistré au cours de la même période de l'année précédente. b) Le déficit public qui se creuse Le déficit public s est creusé à 6% du PIB sur les 7 premiers mois de l année 2014. D après la Banque centrale de Tunisie (BCT), le déficit courant a connu un élargissement de 29,3% au cours des 7 premiers mois de l année, et atteint 4,9 Mds TND (2,2 Mds ) soit 6% du PIB, contre 3,8 Mds TND (5% du PIB) au cours de la même période en 2013. Cette tendance est due au creusement du déficit commercial (+18,2% par rapport à 2013), avec le creusement persistant des déficits énergétique et de la balance alimentaire. La Tunisie doit donc avoir recours à l endettement pour financer son déficit public. c) Le déficit commercial Le déficit commercial s élève à 9,4 Mds TND sur les 8 premiers mois de 2014. Le déficit commercial a atteint 9,4 Mds TND (4,2 Mds ) depuis le début de l année. Il est en augmentation de 22,7 % par rapport à la même période l année dernière. Depuis janvier, les exportations tunisiennes ont atteint 27,7 Mds TND tandis que les importations ont atteint 18,2 Mds TND. Ces dernières ont connu une hausse depuis le début de l année, notamment dans le secteur de l énergie (+18,1%) et des produits d équipement (+5,9%). d) Une inflation toujours importante Selon les dernières statistiques de l'institut national de la statistique (INS), l'inflation a régressé de 0,2 points, à 5,8% (en g.a.) au mois d août. La baisse s explique notamment par la décélération des prix alimentaires (+7,1% contre 7,9% en juillet). La hausse des prix reste importante pour les vêtements et chaussures (+7,1 %) et pour le logement et l énergie domestique (+ 5,8%). e) Un Dinar déprécié Sur le plan monétaire, le dinar tunisien a connu une forte dépréciation face au dollar et à l euro au cours des trois dernières années, notamment entre mai 2011 et mai 2013 (-10% par rapport à la monnaie unique et - 15% par rapport au billet vert sur cette période). Cette dépression monétaire a contribué au creusement du déficit commercial. Les importations devenues de plus en plus chères. En revanche les exportations n ont pas été dopées par un dinar moins fort. Cela est dû, entre autres, au fait que l industrie tunisienne soit tributaire non seulement de matières premières mais aussi de biens semi-finis majoritairement importés. f) Un chômage toujours élevé mais qui s améliore Le chômage a connu un pic de 19% en 2011 et à 15,3% en 2014. Le chômage touche toujours plus les femmes (21,5%) que les hommes (12,5%) et les plus jeunes. Un chiffre très inquiétant : 18% des jeunes en Tunisie sont considérés comme «oisifs», n ayant pas d emplois et ayant arrêté d en chercher. g) Le tourisme : une reprise timide

Pour la première partie de 2014, (de Janvier à Avril 2014), la Tunisie a connu une hausse de 5,3% par rapport à la même période : c est une croissance réelle mais insuffisante pour rattraper le terrain perdu, le chiffre restant inférieur, à celui de 9,8 enregistré en 2010, l année de référence du secteur. Le taux de chômage des diplômés de l enseignement supérieur reste important : plus de 30% et varie du simple au double selon que l on est un homme ou une femme. Les perspectives : Les perspectives sont incertaines sur le court-moyen terme. Le retour à une forme de prospérité va dépendre du contexte politique (s il se stabilise) et si le pays parvient à mettre en œuvre des réformes qui permettront de retrouver une croissance durable. Par ailleurs, le secteur des technologies de l information et de la communication est en plein développement, ce qui souligne le potentiel de la Tunisie à terme. Récapitulatif : - Une des économies parmi les pays émergents des plus prometteuses - Croissance faible, mais qui reste importante pour un pays en période de troubles politiques - D autres indicateurs en berne : inflation, déficits en berne - Chômage élevé mais qui diminue - Perspectives incertaines : si les chiffres économiques restent médiocres, ils restent pour un pays en transition politique encore rassurants. Le pays garde un fort potentiel de développement à terme (reprise du tourisme, population instruite, stabilisation politique en cours ). Le futur économique de la Tunisie va donc dépendre de la capacité du pays à se stabiliser et à engager les réformes qui lui permettront de poser les fondements d une croissance durable. 3. Discussion Nos invités tunisiens interviennent pour répondre aux interrogations, préciser ou rectifier les informations. Sur la démographie : Aujourd hui l indice de fécondité est identique à celui de la France (2 enfants par femmes), l âge au mariage étant de plus en plus tardif (29 ans). Ce mouvement remonte aux années Bourguiba, qui avait promu une politique de planning familial, et s est accentué avec l essor du travail féminin. Conséquence : un phénomène de vieillissement commence à se faire sentir, et un ralentissement de la croissance démographique. Sur les questions énergétiques (en réponse à une question sur le développement de l énergie solaire) : Le Tunisie a raté sa transition énergétique sous Ben Ali, les énergies renouvelables ne représentant que 2 %. La production d électricité repose sur les énergies fossiles importées (gaz algérien ou pétrole libyen). D où la sensibilité à l égard des variations du taux de change de la monnaie tunisienne et du prix du baril, ainsi que la dépendance trop forte à l égard de l Algérie. Pour maintenir un prix accessible pour les consommateurs, le secteur est fortement subventionné ce qui ne favorise pas sa reconversion. Néanmoins, depuis la Révolution, la volonté de développer l énergie solaire est affirmée. À suivre Sur la nature du changement politique Personne ne s attendait à une chute aussi brutale du régime de Ben Ali qui a pris la classe politique au dépourvu. Il y avait sans doute un mécontentement antérieur à la révolution, mais rien ne

présageait une issue aussi soudaine. Ce dénouement est la résultante d un enchainement de circonstances : - La révolte est partie de la société civile, notamment des jeunes (nombreux diplômés sans avenir) et de certaines régions défavorisées. - Bien que le mouvement de protestation n ait pas mobilisé plus de 100.000 personnes, il a bénéficié de la sympathie de la majorité de la population, lasse du régime. - Le rétrécissement de la base du régime Ben Ali, de plus en plus réduit à un clan gangréné par la corruption, lâché par une partie de ses soutiens, notamment par l armée. - Enfin, le lâchage du régime par les chancelleries (notamment Etats- Unis). Mais aucune alternative n était prête. Dans le vide politique qui suit la chute de Ben Ali, la prime va aux victimes de la répression, notamment à Ennahdha. Sur l islam et la laïcité La nouvelle Constitution reconnaît l islam comme la religion de l État (article 1). Mais l article 2 stipule que la Tunisie est «un État à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit». Cet article a fait l objet d une intense bataille entre Ennahdha et les forces laïques qui ont fini par l imposer. Nos camarades tunisiens soulignent que la question de la laïcité n est pas un problème, d une part à cause de l homogénéité religieuse de la Tunisie, d autre part parce que la laïcité, indépendamment des garanties constitutionnelles, est une laïcité vécue qui s ancre dans la culture politique tunisienne. La question est posée du sort de la minorité juive : une toute petite minorité (3000) du fait de l exode au moment des guerres israëlo- arabes et qui peut se sentir fragilisée par la reconnaissance de l islam comme religion de l État. Mais elle occupe encore une place plus importante que les statistiques le laissent entendre, car les liens se sont maintenus (voyages, double nationalité, présence dans le secteur économique). À une question sur la «berbéritude», il est répondu que ce n est pas un problème en Tunisie, car la population d origine berbère est infime et n a pas de revendications particulières (comme en Algérie par exemple). Par contre une ligne de fracture se dessine autour de l histoire, qui devient un enjeu entre les islamistes et les autres. Les islamistes font commencer l histoire de la Tunisie avec la conquête arabe du VII e siècle et font l impasse sur l histoire pré- musulmane de la Tunisie (Carthaginois, Berbères, Romains, Byzantins, etc.). Sur la Constitution Son élaboration a été difficile et a duré un an de plus que prévu, du fait des tensions entre les islamistes et les laïcs. Nos invités divergent sur l utilité de ces débats. Pour l un, cela a été du temps perdu, car pendant ce temps les problèmes réels du pays n étaient pas réglés, et l on aurait pu maintenir la constitution de 1959. Pour l autre, il fallait se battre pied à pied pour garantir constitutionnellement les acquis de la Révolution. Elle est le fruit d un compromis et, dans son état actuel, est acceptable par toutes les parties. On souligne l importance du «dialogue national» qui a exercé une pression sur les partis au moment de la crise de 2013. Sur Ennahdha A la question de savoir si Ennahdha s est rallié sincèrement à la démocratie : on constate que lorsqu Ennahdha a rencontré une résistance, il s est incliné. La plupart de ses membres acceptent sincèrement le régime démocratique. C est un parti islamo- démocratique (comme on dit «démocrate- chrétien»), assez proche du parti turc AKP d Erdogan.

Il n empêche qu il comporte aussi des ultras, impliqué dans les violences des années 2012-2013 (assassinats politiques) et qu Ennahdha doit faire le ménage dans ses rangs. A l heure actuelle, 2 courants : - Le courant historique fondé sur la prédication, l assistance sociale et le prosélytisme. - Un courant qui veut en faire un véritable parti s insérant dans le jeu démocratique. Sur Nidaa Tounes Nidaa Tounes est une coalition qui s est constituée après les élections de 2011 et a connu une forte dynamique en très peu de temps. Difficile à situer sur l échelle droite- gauche : rallie des déçus des partis de gauche, des syndicalistes, des personnalités de la société civile, des hommes d affaires, des anciens du Néo- Destour et du RCD. Son programme est grossièrement un «réformisme libéral» : - modernisme économique et social - pour un État fort - contre la mainmise islamiste Divergence là encore entre nos intervenants : pour l un d eux, Nidaa Tounes c est le recyclage du RCD. Il doit son succès en 2014 à la mise en mouvement de la «machine RCD», ce qui n avait pas été le cas en 2011. Pour l autre c est un regroupement nécessaire des forces démocratiques, qui va bien au- delà des ex- RCD. Se pose aujourd hui à la fois le maintien de la cohérence, car c est un rassemblement hétérogène et la question des alliances car, avec 86 sièges sur 217, Nidaa Tounes ne peut gouverner seul. Reste le principal : s attaquer aux problèmes du pays, c est- à- dire sortir de la crise, relancer l économie, s attaquer aux problèmes régionaux (sous- développement du sud, qui est un réservoir de voix pour Ennahdha). Il faudra faire le bilan, non seulement des trois dernières années, mais aussi des 50 ans d indépendance. Sur la gauche tunisienne La gauche tunisienne a subi une lourde défaite aux élections législatives d octobre 2014 : le CPR n a obtenu que 2 % des voix et 4 députés, et Ettakatol a perdu plus de 90 % de ses électeurs et n a plus aucun député. C est le résultat à la fois d un vote utile qui a conduit les électeurs de gauche à voter pour Nidaa Tunes qui a fait campagne sur le péril islamiste, mais aussi d un vote sanction, du fait notamment de l alliance de ces deux formations, en 2011, avec Ennahdha au sein de la «troïka». S ajoute la dispersion des partis de gauche qui ne sont pas parvenus à présenter un front commun face à Ennahdha et à Nidaa Tounes. Le représentant d Ettakatol (équivalent tunisien du PS, membre de l Internationale socialiste) explique la position de sa formation. Dans une assemblée qui était à 80 % islamiste ou libérale, il fallait participer aux responsabilités pour peser et garantir les acquis démocratiques de la révolution. Ainsi la bataille autour de l article 2 de la Constitution. Mais Ettakatol a trop peu communiqué sur les résultats obtenus qui ne lui ont pas été crédités. En quoi la gauche se distingue- t- elle des forces démocratiques libérales? - la politique fiscale : pour la progressivité de l impôt. - la politique énergétique : contre l exploitation des gaz de schiste. Aujourd hui, il faut œuvrer à l unification des forces social- démocrates au niveau national, mais aussi au niveau du Maghreb. Dans cette démarche les sociaux- démocrates tunisiens reçoivent l appui du Parti socialiste européen (plus que de l Internationale socialiste). Pour conclure, est évoqué le projet d un voyage de la section en Tunisie à l occasion du Forum Social Mondial, qui se tiendra à Tunis du 24 au 28 mars 2015.

Ce serait aussi l occasion d établir des liens avec Ettakatol et les socialistes tunisiens. Prochaine réunion, le 10 décembre 2014, à l AGECA, 177 rue de Charonne : L ISLAM POLITIQUE (courants, zones d influence, moyens d action). La commission Questions internationales se propose d apporter une formation sur des sujets internationaux majeurs, ou sur des sujets qui font l actualité. Les prochaines séances, au rythme de une toutes les 4 à 6 semaines, seront consacrées à : - Ebola et les crises sanitaires en Afrique (janvier) - Sionisme et antisionisme : ce que les mots veulent dire. - Le modèle vénézuélien et la gauche en Amérique latine. - L Iran : «état terroriste» ou facteur de stabilité au Proche- Orient? Renseignements : Michel Puzelat, michel.puzelat@orange.fr