Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?»
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Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?» Blanche Martire Illustrations de Sabadel
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À Virginia
La question m avait bouleversée. Je ne saurais expliquer pourquoi tant d émotions. Ma susceptibilité : Moi? Jamais rigolé? Tu me prends pour qui avec tes airs de psy? Une tombe? Sa compréhension : Hé oui, bien vu Julien! Je ne rigole jamais. Je suis une tombe. C est ma vraie nature, tu l as découverte! On te verra dans les livres d Histoire : «L homme qui a découvert la tombe vivante!» En y repensant, cette question m avait simplement touchée. Quelqu un s intéressait à moi, remarquait mon existence, se demandait pourquoi ces attitudes distantes, froides, effrayantes. Il y a des questions auxquelles on ne peut répondre sans raconter sa vie Raconter ma vie en cours de SVT à un inconnu aux yeux noirs et aux questions sans gêne!? Il ne vaut mieux pas essayer 7 Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?» «Bah je rigole des fois.» «Mouais» Il n a eu droit qu à une réponse vague derrière laquelle se cachent mes blessures. Il aura droit à une réponse bien détaillée, je l espère, s il tombe sur ce livre dont il a l honneur de m avoir inspiré le titre.
Je rêve d une école sans rangées de bureaux et de chaises, car personne ne veut être rangé, sans classement ni notes car personne ne veut être jugé ou rabaissé. Dans mon école les fauteuils et les chaises sont disposés çà et là. On a le droit de rester debout, s accroupir ou marcher un peu. Mon école compte peu d élèves pour laisser l espace être. Des élèves qui pourront assister à des débats, en proposer, partager un livre, une idée, une question, un sentiment. Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?» Une école où élèves et professeurs se tiennent sur le même pied d égalité. Une école qui connaît les notions d entraide et de solidarité... Une école où on n est pas un prisonnier muet, figé, casé et violenté. Une école où on a simplement le sentiment d exister. Une école où avant d y aller, on se dit : je vais à l école apprendre le français, les maths, la physique... Et non : je vais à l école pleurer dans les couloirs, avoir mal au ventre, trembler sous mon bureau et puis je n y vais plus parce qu à peine un pas de fait et je cherche la sortie. 8
9 Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?» Ç a y est j y suis. L établissement familier me saute à la gueule. «T es obligée d y aller!» Je vais entrer dans cette prison de béton, entre ces murs mornes, grisâtres. Mes yeux tremblent. Ils veulent se fermer. La nuit est longue quand on ne dort pas. Le temps des jupes caressant légèrement les jambes a pris fin. Les soucis s attaquent aux têtes et aux ventres. On a tous une mine cernée d ennuis. L horloge indique cinq heures moins vingt depuis toujours. Quelle importance? Je suis analphabète de l heure. Marques, cigarettes, cheveux plaqués au fer à repasser, tuniques informes terre et bouillasse, tee-shirt I N Y. Défier cette secte est redouté à juste titre.
Je remarque dans cette ambiance maussade que les ordres de l inconscient ont été entendus. «Tu foutras tous tes habits par terre et tu choisiras la tenue idéale pour la rentrée, j ai dit!» Il ajoute : «Tu as oublié les boucles d oreilles!» Vouloir faire bonne impression trois heures pendant lesquelles tout le monde ne pense qu à dormir ne sert vraiment à rien. Ce n est que maintenant que je réalise. Tous les élèves sont rassemblés sur les gradins. Ils écoutent plus ou moins le long discours habituel : rappel du règlement, nous allons tous passer une bonne année, présentation du nouveau CPE La principale appelle les élèves des différentes 4 e. À l énoncé des noms de famille, rigolades dans les gradins. «Ça suffit les moqueries sur les noms! Un peu de respect! J appelle F. Julien.» Et il me dit : «Pourquoi tu rigoles jamais Blanche?» Elle s esclaffe. 10