PROJET GÉOLOGIE DU SERRE DE L ANE GSSP Hauterivien : Fiche technique Intérêt scientifique Par Luc G. Bulot, Dr. en Géologie, Chargé de recherche du CNRS Laboratoire de Géologie des systèmes carbonatés Université de Provence Marseille France I. Introduction. L objet majeur de la Géologie au sein des Sciences de la Terre et de l Univers est la reconstitution des événements qui ont marqué l Histoire de notre planète depuis sa formation il y a plus de 4,5 milliards d années. La Géologie est donc une discipline où la notion de Temps est fondamentale. La mesure du temps en Géologie fait l objet d une discipline à part entière : la Stratigraphie. Le but de la Stratigraphie consiste à établir une échelle chronologique des événements qui ont caractérisé l histoire de notre planète et de déterminer leur extension spatiale et temporelle à l échelle du globe. L élaboration d un cadre stratigraphique fiable pouvant servie de référentiel temporel et événementiel est indispensable. Ainsi le temps géologique est découpé en période d inégales durée dont la base est marquée par un événement potentiellement reconnaissable à l échelle du globe. Il en est ainsi de la base du Cénozoïque (ère Tertiaire) qui débute après la grande crise biologique de la fin du Crétacé (ère Secondaire) marquée par l extinction des dinosaures, des ammonites et des rudistes. L unité élémentaire de mesure du temps géologique est l étage. Historiquement la notion d étage a été introduite par Alcide d Orbigny qui définissait chaque subdivision à partir d un ensemble de roches (division lithostratigraphique) et de son contenu fossilifère (division biostratigraphique). Une localité géographique de référence (stratotype ou coupe type) était 1
désignée pour compléter la définition de l étage. Cette méthodologie a été appliquée jusqu à la deuxième moitié du 20 siècle avec plus où moins de bonheur. C est en effet à cette époque que le caractère généralement discontinu de la sédimentation a été mis en évidence par les sédimentologues et les biostratigraphes. Il en découle qu aucune coupe de référence ne peut prétendre enregistrer la totalité des événements caractéristiques d un étage et que la notion de stratotype devient obsolète. Dès le début des années 1970, c est le concept de stratotype de limite (GSSP) marqué par un clou d or (étalon temps) qui vient se substituer au concept de coupe stratotypique. Ce concept est discuté ci-dessous dans le cas précis de la coupe du Serre de l Âne à La Charce pour un des étages du Crétacé : l Hauterivien (124 My). Actuellement seulement 25 GSSPs ont été documentés et entérinés par l Union Internationale des Sciences Géologiques. Cinq ont été définis en France. Aucun des GSSPs français n ont fait l objet d un aménagement et d une valorisation spécifique dans le cadre de la conservation patrimoine géologique. II. Localisation géographique et paléogéographique: La coupe du Serre de l Âne se situe sur la commune de la Charce (Drôme, France). Au cours de la fin de l ère secondaire (Crétacé), cette région des chaînes subalpines françaises appartient au Domaine vocontien du Bassin du Sud-Est de la France caractérisé par une sédimentation marine profonde où les successions sédimentaires sont riches en ammonites. Au cours de l Hauterivien, Le Domaine vocontien est ouvert vers l Est sur le vaste océan tropical Tethysien dont il compose un diverticule dans le prolongement de la Mer ligure et sur la zone d interface avec les bassins nord-européens (Sillon Polonais, Basse Saxe et bassin parisien). Cartes paléogéographiques replaçant le GSSP du Serre de l Âne au Crétacé 2
III. Des stratotypes historiques au GSSP : cas de l étage Hauterivien L étage Hauterivien a été originellement introduit par Renevier en 1874 et sa définition actuelle est héritée des travaux de Ernst Baumberger (1901-1910). Il correspond à la partie du Néocomien au sens de Desor regroupant les «Marnes bleues d Hauterive» et la «Pierre Jaune de Neuchatel». Il est caractérisé paléontologiquement par une faune distinctive d ammonites incluant principalement les représentants des genres Acanthodiscus, Leopoldia et Saynella. Dès sa définition d origine, aucune coupe montrant la continuité entre les «Marnes bleues d Hauterive», la «Pierre Jaune de Neuchatel» et les formations sous- et sus-jacentes n a été décrite et les auteurs listent des affleurement ponctuels à Cressier, Valangin et Hauterive. (Canton de Neuchatel - Suisse). La révision de la stratigraphie de l Hauterivien historique au cours des années 1980 par Jurgen Remane et son équipe a montré le caractère lacunaire de l étage dans sa région type. Cet état de fait avait été pressenti dès les années 1960 et la recherche d un meilleur stratotype avait été recommandée lors du Colloque sur le Crétacé de Lyon (1963). Faisant suite à cette recommandation, et dans le cadre des travaux du Groupe Français du Crétacé, la coupe de La Charce est proposée pour la première fois comme une alternative au stratotype historique par Jean-Pierre Thieuloy en 1977. Faisant suite au recommandations de l IUGS, une étude pluridisciplinaire et internationale a commencé dans le cadre des travaux du groupe de travail «Hauterivien» de la Sous- Commission de Startigraphie du Crétacé (responsable : Prof. Jorg Mutterlose, Université de Böchum - Allemagne) Après selection de la coupe du Serre de l Âne comme meilleur candidat potentiel (Mutterlose, 1996), la coordination du projet a été confié au Dr. Luc Bulot (CNRS Marseille - France) et au Prof. Peter F. Rawson (University College of London, UK). L étude a été menée par une équipe pluridisciplinaire (sédimentologues, paléontologues et géochimistes) de : Dr. Stéphane Reboulet, Dr. François Atrops (CNRS et Université de Lyon, France) ; Prof. Jean-Pierre Thieuloy (Université de Grenoble, France) ; Dr. Sylvia Gardin, Prof. François 3
Baudin, Prof. Maurice Renard, Dr. Laurent Emmanuel, Dr. Edwige Masure (CNRS et Université Paris VI - France) ; Dr. Nicolas Fiet (Université Orsay, France) ; Prof. Bernard Beaudoin (Ecole des Mines, Paris) ; Dr. Françoise Magniez-Jannin (CNRS Dijon, France) ; Prof. Rodolfo Coccioni (Université d Urbino, Italie) ; Prof. Patrick De Wever et Dr. Emmanuel Lambert (Muséum National d Histoire naturelle- Paris, France) ; Dr. Keisuke Ishida (Université de Tokushima, Japon) ; Dr. Bas Van de Schootbrugge, Karl Fölmi (Université de Neuchâtel, Suisse) ; Dr. Susan Hennig, Dr. Oliver Kuhn, Prof. Helmut Weissert (Ecole Polytechique Fédérale de Zurich, Suisse) et Prof. Zdenek Vasicek (Ostrava, République Tchéque). Les résultats de cette étude qui a duré près 10 ans ont montré que la coupe du Serre de l Âne était le meilleur candidat possible pour la définition de la base de l étage Hauterivien et par la même pour la désignation d un GSSP. Le caractère unique de cette coupe est la résultante d un ensemble de qualités sédimentologiques et paléontologiques. D un point de vue sédimentologique, les alternances marnes - calcaires témoignent d une assez grande régularité et d une faible modification des conditions de sédimentation qui garantissent un enregistrement «continu» du Temps dans la succession hauterivienne de La Charce. 4
Le sédiment est dérivé d une boue riche en nannoflores calcaires déposé en milieu profond. Les Nannoconus dominent dans les calcaires, lees Coccolithophotidés dominent dans les marnes ; reflétant parfaitement les variations climatiques à petite échelle. Classiquement la base de l Hauterivien est définie par l apparition des ammonites du genre Acanthodiscus. L intérêt des Acanthodiscus réside dans leur présence dans les séries téthysiennes et boréales, bien que le genre soit peu fréquent dans les bassins profonds. La relative abondance des Acanthodiscus à la Charce est à ce titre exceptionelle. D autre part l abondance des faunes d ammonites permet de suivre avec précision l évolution des faunes dans tout l Hauterivien inférieur. L abondance des microfaunes (foraminifères et radiolaires), dinnoflagelés et nannoflores permet un calibrage direct de ses marqueurs micropaléontologiques (très utilisés en géologie pétrolière) sur les zones d ammonites. Enfin, la très faible altération des composants carbonatés de l alternance marnes calcaires postérieurement à leur dépôt permet une analyse fine des variations des marqueurs paléoclimatiques et paléoocénaographiques tel que le carbonne 13 (marqueur de climat) et oxygène 18 (température de l eau), strontium 86/87 (salinité) ou manganèse (érosion continentale). La synthèse des données acquises (voir tableau ci-dessus) permet donc de disposer d une coupe de référence où la majorité des événements paléoclimatiques, paléoécologiques et paléobiologiques IV. Reconnaissance internationale de la coupe de la Charce : 1977 - Proposition de GSSP par Thieuloy 1984 - Proposition retenue par l IUGS à Copenhague 5
1995 - Suggestion d une étude pluridisciplinaire à Bruxelles (IUGS) 2000 - Présentation du premier rapport de synthèse à Rio de Janeiro (IUGS) 2004 - Acceptation définitive du GSSP à Florence (IUGS) 2005/2006 - rédaction du rapport définitif sur la coupe et dépôt auprès de la Sous- Commission de Statigraphie du Crétacé V. Valeur pédagogique de la coupe de la Charce : Compte tenu de sa lisibilité et de ses qualités analogiques, la coupe du Serre de l Âne fait l objet de visite dans le cadre de stages de terrains des Universités françaises (Lyon, Grenoble, Paris VI, Tours, Le Mans, etc...), des Université étrangères (Amsterdam, Böchum, Tübingen, etc.) ; mais aussi de stage de formation des ingénieurs pétroliers et mines (Total, IFP, Ecole des Mines) et des professeurs de l Enseignement secondaire (APBG Drôme-Ardêche - MAFPEN Grenoble) VI. Références bibliographiques essentielles : Baudin, F., Bulot, L. G., Cecca, F., Coccioni, R., Gardin, S. & Renard, M. (1999). Un équivalent du «Niveau Faraoni» dans le Bassin du Sud-Est de la France, indice possible d un événement anoxique fini-hauterivien étendu à la Téthys méditerranéenne. Bulletin de la Société géologique de France 170/4, 487-498. Bulot, L. G. (compiler) (1996): The Valanginian Stage. In: Proceedings of the Second international Symposium on Cretaceous stage boundaries, Brussels 1995 (Ed. by Rawson, P. F., Dhondt, A. V., Hancock, J. M. & W. J. Kennedy). Bulletin de l Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique 66 (Supp): 11-18, Brussels. Bulot L. G. & Thieuloy, J.-P. (1993). Implications chronostratigraphiques de la révision de l'échelle biostratigraphique du Valanginien supérieur et de l'hauterivien du Sud-Est de la France. Comptes rendus de l'académie des Sciences de Paris 317(II), 387-394. Bulot L. G., Thieuloy, J.-P., Blanc, E. & Klein, J. (1993). Le cadre stratigraphique du Valanginien supérieur et de l Hauterivien du Sud-Est de la France : définition des biochronozones et caractérisation de nouveaux horizons. Géologie alpine 68 (1992), 13-56. Bulot L. G., Thieuloy, J.-P., Arnaud, H. & Delanoy, G. (1995). The Lower Cretaceous of the South Vocontian basin and margins : The Lower Cretaceous Cephalopod team First Field Meeting (Digne, 1990). In Lower Cretaceous Cephalopod Biostratigraphy of the Western Tethys, Bulot L. G. et al. Eds., Géologie alpine, Mémoire Hors Série 20 (1994), 383-401. Hennig, S., Weissert, H. & Bulot, L. G. (1999). C-Isotope stratigraphy, a calibration tool between ammonite- and magnetostratigraphy : the Valanginian-Hauterivian transition. Geologica carpathica 50/1, 91-96. Mutterlose J. (1996). The Hauterivian stage. In Proceedings of the Second International Symposium on Cretaceous Stage Boundaries, Brussels 8-16 September 1995, RAWSON P. F. et al., Eds., Bulletin de l'institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique 66 (suppl), 19-25. Reboulet, S., Atrops, F., Ferry, S. & A. Schaaf A. (1992). Renouvellement des ammonites en fosse vocontienne à la limite Valanginien-Hauterivien. Géobios 25/4, 469-476. Van de Schootbrugge B., Föllmi, K. B., Bulot L. G. & Burns S. J. (2000). Paleoceanographic changes during the early Cretaceous (Valanginian Hauterivian): evidence from oxygen and carbon stable isotopes. Earth and Planetary Science Letters 181/1, 15-31. 6