La violence institutionnelle : la situation des mineurs étrangers en Belgique CODE Décembre 2006



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Transcription:

La violence institutionnelle : la situation des mineurs étrangers en Belgique CODE Décembre 2006 Une étude sur la violence à l encontre les enfants a été réalisée pour les Nations Unies par un expert indépendant, le Professeur Paulo Pinheiro. Celle-ci donne une image globale de la violence à l égard des enfants et formule des recommandations pour prévenir et répondre à ce problème. L étude se concentre sur la nature et l étendue de la violence à l égard des enfants dans 5 domaines : la famille, l école et les lieux d éducation, les institutions (de soins et centres de détention), le travail et la communauté. Cette étude a été réalisée à travers un processus participatif qui a inclus des consultations au niveau régional, sous-régional et national, des réunions thématiques d experts, ainsi que des visites de terrain. Les gouvernements ont également remis un questionnaire à l expert indépendant en 2004. Les organisations non gouvernementales (et notamment la CODE) ainsi que les enfants eux-mêmes ont également été impliqués dans tout le processus. L étude conclut que la violence apparaît partout, dans toutes les sociétés, dans tous les pays et toutes les classes sociales. Les violences extrêmes sont les plus dommageables mais les enfants disent également que les violences quotidiennes les touchent aussi. Alors que certaines violences sont inattendues et isolées, on note que la plupart des actes de violence sont perpétrés par des personnes qui sont proches des enfants, et en qui ils devraient avoir confiance : parents, petit(e)s ami(e)s, époux ou partenaires, éducateurs, professeurs et employés. La violence contre les enfants inclut la violence physique, la violence psychologique comme les insultes et l humiliation, la discrimination, la négligence et la maltraitance. Les conséquences varient en fonction de la nature et de la sévérité de la violence infligée; les répercutions à court et à long terme sont souvent graves et dommageables pour les enfants. Cette étude a été lancée le 11 octobre 2006 devant l Assemblée générale des Nations Unies. Depuis, des lancements régionaux et nationaux ont eu lieu un peu partout dans le monde. En Belgique, l étude a été présentée lors d une conférence sur la violence à l encontre des enfants organisée le 6 décembre au Palais d Egmont par UNICEF Belgique, en collaboration avec la CODE, la Kinderrechtencoalitie Vlaanderen, la Kinderrechtencommissariaat et la Communauté française. Il s agit d une conférence qui couvre à la fois des aspects nationaux et internationaux de l Etude. La CODE a désigné en son sein un expert qui a présenté un aspect de violence dont sont victimes les enfants en Belgique. Ainsi, Benoît Van Keirsbilck, représentant de l association DEI Belgique au sein de la CODE, a développé le thème de la violence institutionnelle dont font l objet des mineurs étrangers, accompagnés ou non, qui sont détenus dans les centres fermés pour étrangers. Ces lieux sont totalement inadaptés pour accueillir des enfants, comme nous allons le voir ci-après. 1

Trop souvent, on a tendance à réduire la violence à l égard des enfants aux violences causées par des individus, au sein de la cellule familiale ou dans la société. On occulte ainsi une source importante des violences faites aux enfants : la violence provenant des institutions, en ce compris les institutions publiques. C est un des mérites, et non des moindres, de l étude sur la violence qui vient d être présentée, que d avoir également mis l accent sur cette forme de violence. On sait depuis longtemps que les institutions peuvent, généralement de manière non intentionnelle, générer de la violence, que ce soit par leur mode de fonctionnement qui est peu respectueux des enfants et de leur rythme de vie, ou de par l attitude des personnes qui la composent. Comment ne pas être interpellé chaque fois qu un enfant confié à une institution en vue de son éducation y est maltraité? Dans le lieu par excellence où il devrait être à l abri de toute forme de violence! Les pouvoirs publics peuvent, et doivent, veiller à ce que l enfant fasse le moins possible l objet de toute forme de violence dans sa famille, dans son quartier, sur le chemin de l école, dans les sphères privées qu il fréquente. Mais les mêmes pouvoirs publics doivent développer une attention beaucoup plus soutenue face aux violences dont ils sont eux-mêmes la cause ou à la base. Des lois mal pensées, des procédure administratives ou judiciaires, peuvent être très peu respectueuses de la situation de vie particulière de certains enfants et peuvent même être maltraitantes à leur égard. Des aménagements spatio-temporels peuvent tout autant être source de violence si on n y prend garde (cela peut aller jusqu au rythme de cours à l école, aux contraintes liées aux exigences familiales nécessaires pour procurer à la cellule familiales les ressources pour sa survie, ). Certaines lois introduisent des discriminations entre les enfants en fonction de leur statut social, leur situation de séjour, la situation de leurs parents, et excluent certaines catégories d enfants du droit à certaines prestations (tous les enfants résidant en Belgique n ouvrent pas le droit à des allocations familiales, à des allocations pour handicapés, à une aide sociale adéquate, ), certains parents en sont réduits à mendier avec leurs enfants faute de bénéficier d aides pour leur entretien et éducation. Il est des situations où l intervention des pouvoirs publics dans la mise en place de réactions visant à protéger l enfant fait pire que bien. Dans de tels cas, on est en droit de se demander si l abstention d intervention n aurait pas été moins attentatoire à l intégrité physique et psychique de l enfant. Il faut pouvoir le reconnaître et s abstenir d intervenir là où les effets induits sont négatifs. Certains types d institutions sont intrinsèquement violentes parce que de type totalitaire. C est le cas des lieux d enfermement des enfants. Bien sûr, certains de ces lieux sont conçus pour la prise en charge d enfants qui d une part ont besoin d une éducation dans un lieu contenant et d autre part peuvent représenter un danger pour la société. Il y a bien entendu beaucoup à dire à ce propos mais il importe d avoir conscience que de telles institutions peuvent générer de la violence. C est encore plus marqué quand l enfermement n est justifié par aucune de ces raisons et qu il s exerce dans un lieu constitutif d un traitement inhumain et dégradant tel les centres de détention pour étrangers. 2

Un enfant ne peut être détenu dans les mêmes conditions qu un adulte, sans qu'il ne soit tenu compte des besoins de son âge et de sa situation de vulnérabilité, dans un centre initialement conçu pour adultes et donc non adapté aux enfants. La Cour européenne des droits de l Homme vient de le rappeler dans un arrêt cinglant condamnant la Belgique de manière extrêmement sévère. Cet arrêt fait notamment explicitement référence à la Convention relative aux droits de l enfant (CIDE), que la Belgique a ratifiée, et selon laquelle la détention d'un enfant ne peut être arbitraire, doit être conforme à la loi, être de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible. L'enfant privé de liberté doit être traité avec humanité et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. L'enfant doit être séparé des adultes et la décision de détention doit être prise dans son intérêt. Toutes ces conditions sont bafouées s agissant de la détention d enfants dans les centres fermés. On constate en effet, que ces conditions ne sont actuellement pas remplies. Ces centres où sont enfermés les enfants et leurs familles ont une infrastructure sécuritaire à caractère carcéral : ils sont entourés de grillages barbelés, ils comportent des cellules d'isolement, les sorties dans la cour sont limitées à 2h par jour, même pour les enfants, les portes des chambres sont fermées et les lumières sont éteintes à 22h, il y a peu d'espace de loisirs, parfois une salle de jeu minuscule et peu accessible, il n'y a aucun livre à disposition, le matériel de jeux est hors de portée des enfants et peu engageant et stimulant, bref ce sont des espaces peu propices à leur développement et à leur épanouissement. Les enfants n'ont pas la possibilité d'aller à l'école, ils vivent en promiscuité avec les adultes, dans un climat de tension et de violence quasi permanent, et il n'y a pas de personnel d accompagnement psychologique ou éducatif qualifié. En outre, il n'y a pas de durée maximale de détention pour les familles. A chaque tentative d'éloignement avortée, le compteur de la durée de la détention est remis à zéro. Cette durée n est bien souvent pas "aussi brève que possible" et s'avère excessivement longue pour des enfants qui peuvent en sortir traumatisés. Si la Cour parle du cas de Tabitha, mineure étrangère non accompagnée, et de la manière dont elle a été détenue, il est important de dire que les conditions de détention sont les mêmes pour tous les enfants détenus, non accompagnés ou en famille. La Cour dit également que le statut d'enfant doit primer sur celui d'étranger en situation irrégulière. Il faut donc traiter les enfants étrangers comme des enfants avant tout. Plusieurs dizaines de mineurs non-accompagnés ou accompagnés de leur famille sont détenus en centre fermé. Les conditions dans lesquelles ils sont détenus avec leurs parents, frères et sœurs sont les mêmes que les conditions dans lesquelles avait été détenue la petite Tabitha. Le jeune âge et la qualité de non-accompagnée de Tabitha ont été retenus par la Cour comme des facteurs aggravants pour qualifier l'enfermement de traitement inhumain et dégradant. Les conclusions de la Cour peuvent donc trouver à s'appliquer à toutes les situations de mineurs enfermés, y compris ceux accompagnés de leur famille. Par ailleurs, personne (et les autorités belges non plus) ne peut ignorer les conséquences psychologiques graves d'une détention sur des enfants, et sur leurs parents. Ceci a également été dénoncé par la Cour. De très nombreux rapports condamnent d'ailleurs la détention d'enfants dans les centres fermés, vu les séquelles psychologiques graves qu il cause. Un rapport du Centre de guidance de l'ulb réalisé en 1999 concernant une famille avec enfants mineurs détenue au centre 127bis à Steenokkerzeel avait déjà permis d établir que la détention laissait des séquelles graves chez les enfants et pouvait être assimilée à un traitement inhumain et dégradant et en tous cas à une forme de maltraitance psychologique, que les conditions de vie des enfants en centre fermé étaient inadéquates, et nuisaient considérablement au développement de l enfant. Ce rapport dit que le risque est grand d'aller vers un arrêt du développement chez les enfants, parce qu'ils sont confrontés à un vide de sens tant au niveau des intervenants qu'au niveau des parents, eux-mêmes désespérés et 3

donc incapables de rendre les événements "passables" pour leurs enfants et de diminuer leur anxiété. Ceci ne peut mener à terme qu'à des pathologies psychiques. Ce rapport souligne que "ceci est probablement généralisable à tous les enfants soumis aux mêmes conditions de vie". Le dernier rapport du Délégué aux droits de l enfant de mars 2006 qualifie le centre de Vottem d'infrastructure sécuritaire à caractère carcéral et conclut que ces établissement fermés ne sont pas un lieu adapté au bien-être et au bon développement des enfants, et que donc aucun enfant ne devrait s'y trouver. Il recommande de légiférer de telle manière à ce que les MENA et les familles avec enfants en situation illégale ne puissent plus être enfermées dans les centres fermés. Le rapport de deux organisations, CIRE et OCIV de mai 2003 va dans le même sens. Le psychiatre Jean-Yves Hayez estime que dans les centres fermés, le stress, la révolte d'adultes désespérés et qui n'ont plus rien à perdre, les germes de violence sont inévitablement bien plus élevés que partout ailleurs. Le vécu d'insécurité des enfants est bien plus élevé aussi. Ils sont régulièrement exposés à des expériences effrayantes génératrices de syndrome de stress post-traumatique qui peuvent être intenses et de longue durée. Mais surtout l'expérience de l'injustice et de la toute-puissance arbitraire de l'etat atteint ici son paroxysme. L'enfant doit assimiler l'incompréhensible, c'est-à-dire le fait qu'il est mis en prison, lui et ses parents, sans avoir rien fait de mal. Le psychiatre Hayez pose les questions suivantes : comment n'en résulterait-il pas un sentiment d'infériorité et un désespoir radical? Comment n'en résulterait-il pas d'importants troubles de l'image et de l'estime de soi et un doute sur la valeur des parents et de la famille? Comment n'en résulterait-il pas une appréciation erronée et pessimiste sur ce qui est permis et défendu et, plus radicalement, sur ce qui est Bien et Mal jusqu'à ce sentir coupable de porter son nom, d'avoir son histoire et la couleur de sa peau? Le pédopsychiatre Adriaenssens a également déclaré que 25% des enfants enfermés ont de graves problèmes psychiatriques, ils deviennent dépressifs, font des cauchemars et pensent au suicide. Ils montrent en outre des retards de croissance et on des pertes de mémoire. Les enfants en centre fermé sont "en danger" et doivent pouvoir bénéficier de la protection prévue à cet effet. Ils revient aux services d'aide à la jeunesse et si nécessaire au juge de la jeunesse, seul juge compétent pour les enfants, dont la mission est de veiller à leur protection, de mettre en place une aide adéquate. Ce n'est que de cette manière que l'etat belge protègera effectivement les enfants. Ces mesures adéquates permettront aux autorités de respecter la Convention européenne des droits de l Homme (CEDH) qui commande de prendre des mesures propres à empêcher que les enfants ne soient soumis à des tortures ou à des traitements inhumains et dégradants. La violation du droit à la vie privée, condamnée par la Cour, peut également être transposée à la situation de mineurs détenus avec leurs parents. Elle souligne que l'expression de "vie privée" est large, que "la sphère de la vie privée couvre l'intégrité physique et morale d'une personne" et que "la garantie offerte par la CEDH (droit au respect de la vie privée) est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables". On sait que lorsqu'une famille est détenue, le système à l'intérieur du centre est organisé de manière telle que les parents se désinvestissent petit à petit de leur rôle de "parent", ne pouvant plus remplir les tâches en tant que parent qu'ils remplissaient avant, telles que la préparation des repas, le suivi scolaire (devoir), l'éducation, l'organisation des loisirs de leurs enfants. Ils sont, en d'autres mots, privés de leur autorité parentale. Les enfants ont souvent beaucoup de difficultés à 4

comprendre pourquoi ils sont là et pourquoi tout d'un coup les parents ne font plus rien et que tout est pris en charge par des personnes extérieures à leur famille. On peut donc en conclure que le développement de ces enfants est mis à mal par le désinvestissement de leurs parents et l'ingérence de personnes extérieures dans la vie familiale. Il est impossible d'imaginer que l'on puisse combiner détention d'un mineur étranger et respect des droits fondamentaux de ces enfants : le droit de s'épanouir, le droit à l'éducation, le droit de se divertir, le droit d'aller à l'école, le droit de mener une vie privée Comment permettre à un enfant enfermé d'aller à l'école, de s'épanouir, d'avoir des loisirs, ailleurs qu'en liberté, dans sa ville, son village, dans son école, entouré de sa famille, des ses voisins, de ses amis? Comment concilier la détention dans un centre entouré d'agents de sécurité, d'éducateurs, dont l'unique rôle est de "préparer au retour", avec le droit de mener une vie familiale et privée harmonieuse où chaque membre a un rôle à jouer, où les enfants sont des enfants et les parents sont des parents? On ne rend pas humain un lieu intrinsèquement inhumain. Les maigres améliorations des conditions de détention dont le gouvernement parle pour le moment ne sont rien d autre qu un cache-misère, la détention de familles avec enfants étant tellement attentatoire à des droits fondamentaux. Tout qui a un pouvoir de décision en la matière et qui continue à accepter la détention des enfants dans ces centres se rend complice de traitement inhumain et dégradant. Conclusion Nous pouvons conclure que le système juridique belge tel qu'il existe actuellement ne garantit pas le droit de l'enfant à vivre en liberté. "Manque flagrant d'humanité", "souffrance", "inquiétude profonde", conséquences psychologiques graves", "sentiment d'extrême angoisse". Tels sont les termes de la Cour pour qualifier les sentiments vécus par Tabitha lors de sa détention. Il n'est pas difficile, même pour ceux qui ne sont pas psychologues, d'imaginer que tous ces sentiments sont ressentis également par tous les enfants enfermés. L'Etat belge a le devoir d'assurer à tous les enfants une protection et une prise en charge spécifique adaptée aux besoins de leur âge. Nous souhaitons vivement qu'à l'avenir l'etat belge respecte pleinement les conventions internationales qu'il a signées et soit soucieux du respect des droits fondamentaux de l'homme et des enfants, pas uniquement quand ils vivent à 3000 kilomètres de la Belgique. De telles violations extrêmement graves des droits de l'homme ne devraient plus être possibles, permises et acceptées. Et surtout il est important de continuer à s'indigner contre la détention des enfants, il ne faut surtout pas qu'un jour ces situations nous paraissent "normales" Pour la CODE, Benoît Van Keirsbilck, Président de DEI-Belgique francophone (Défense des Enfants International), Administrateur de la CODE En collaboration avec Charlotte van Zeebroeck, Service droit des jeunes de Bruxelles, 5

Coordinatrice de la Plate-forme «Mineurs en exil» Cette analyse a été réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l enfant (CODE), qui est un réseau d associations ayant pour objectif de veiller à la bonne application de la Convention relative aux droits de l enfant en Belgique. En font partie : Amnesty international, ATD Quart Monde, BADJE (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l Enfance), Commission Justice et Paix, DEI (Défense des enfants international) Belgique section francophone, ECPAT (End Child Prostitution and Trafficking of Children for sexual purposes), la Ligue des droits de l Homme, la Ligue des familles, Plan Belgique et UNICEF Belgique. La CODE a notamment pour objet de réaliser un rapport alternatif sur l application de la Convention qui est destiné au Comité des droits de l enfant des Nations Unies. Voir www.lacode.be. Avec le soutien du Ministère de la Communauté française Direction générale de la Culture Service général de la jeunesse et de l éducation permanente. 6