Les rapports personnels entre les époux



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Transcription:

1 Les rapports personnels entre les époux 224 Au terme d une lente et difficile évolution, le principe est désormais celui de l égalité des droits des époux qui assurent, ensemble, la direction de la famille (A.). Après être revenu sur la teneur du principe, il faudra rappeler que, à la différence de l union libre, le mariage engendre, dans les rapports personnels entre les époux, un certain nombre de devoirs réciproques qui ont un caractère d ordre public, ce qui signifie que les époux ne peuvent, notamment dans leur contrat de mariage, les écarter (B.). A. L égalité des droits : la direction conjointe de la famille 1. L affirmation du principe 225 Si, aujourd hui, l idée d égalité entre l homme et la femme formant le couple paraît naturelle et semble s imposer avec la force de l évidence, il faut tout de même souligner que l affirmation du principe n est, en réalité, que relativement récente. Dans le Code civil de 1804, la prééminence du mari était quasi absolue, et l article 213, consacrant l autorité maritale, allait même jusqu à imposer à la femme d obéir à son mari et d habiter chez lui. Le tout était d ailleurs complété, plus généralement, par l incapacité juridique de la femme mariée, seulement supprimée par une loi de 1938. Après cette date, la prépondérance du mari n avait pas pour autant disparu. Certes limitée, elle subsistait, le mari choisissant, par exemple, la résidence de la famille. C est surtout à partir du milieu des années soixante que la marche vers l égalité entre les époux s est faite plus nette, notamment avec la loi du 13 juillet 1965 portant réforme du droit des régimes matrimoniaux qui est venue conférer à la femme d importants pouvoirs de gestion dans la vie du ménage. Mais le renversement, du point de vue des principes, s est véritablement opéré avec la loi du 4 juin 1970 substituant, au sein du couple, des rapports d égalité aux rapports de soumission. Ainsi l article 213 du Code civil, modifié par cette loi, dispose-t-il que «les époux assurent, ensemble, la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l éducation des enfants et préparent leur avenir». Le législateur a donc consacré un principe d exercice en commun des pouvoirs par les époux, allant de pair avec un partage des responsabilités dans le ménage. Il faut cependant noter que la loi de 1970 avait laissé subsister une inégalité à propos du choix de la résidence de la famille : en cas de désaccord, la décision était prise par le mari seul. Cette séquelle d inégalité a finalement été supprimée par la loi du 11 juillet 1975, le 140

nouvel article 215 du Code civil, dont il est issu, indiquant que la résidence de la famille est au lieu choisi par les époux «d un commun accord». La suite n a fait que confirmer et renforcer l égalité des droits des époux, pleinement achevée par la loi du 23 décembre 1985. 2. La mise en œuvre du principe 226 Le principe suscite, à plusieurs égards, quelques difficultés de mise en œuvre. Certaines d entre elles apparaissent en cas de désaccord entre les époux ; d autres s expliquent par la nécessité de respecter la liberté individuelle de chacun d eux. 227 D abord, en effet, les époux étant placés sur un pied d égalité, des désaccords sur la décision à prendre dans la conduite du ménage sont possibles, désaccords qui justifient le recours au juge. Si la question ne fait pas de doute lorsque, précisément, un tel recours a été expressément envisagé par le législateur, elle est certainement plus complexe dans l hypothèse inverse. Dans le silence de la loi, est-il possible de prévoir un recours au juge? Les avis sont, à l heure actuelle en doctrine, partagés, et une incertitude existe d ailleurs en cas de désaccord entre les époux dans le choix de la résidence de la famille. L article 258 du Code civil prévoit bien, il est vrai, qu en cas de rejet d une demande en divorce, le juge peut statuer sur la résidence des époux. Cependant, l article 215, en ne donnant pas de solution dans l hypothèse, distincte de celle visée par l article 258, d un désaccord entre les époux pour fixer le lieu de la résidence de la famille en dehors de toute procédure de divorce, laisse penser que pèse sur les époux une obligation, implicite, de concertation. 228 Ensuite, la codirection de la famille, justifiée par la parfaite égalité entre les époux, n empêche pas qu il faille respecter l autonomie et la liberté individuelle de chacun d eux. La loi favorise d ailleurs, à ce titre, l action unilatérale de l un des époux avec l accord tacite de son conjoint pour les actes courants (notamment pour les actes usuels de l autorité parentale). En outre, le mariage n affecte pas les règles protectrices de l intégrité physique, chacun des époux étant, par exemple, seul maître des autorisations à donner quant à son corps, de telle sorte que le conjoint n a aucune qualité pour autoriser des interventions médicales, même si l intéressé est hors d état de manifester personnellement sa volonté, la décision appartenant, dans ce cas, aux médecins (art. 16-3 du Code civil). Plus généralement, il faut retenir que l un ou l autre des époux peut agir seul non seulement pour ce qui relève de l intégrité physique, comme morale (protection du droit à l image et à l intimité), de sa personne, mais aussi pour ce qui relève de l exercice d un certain nombre de libertés fondamentales (liberté d opinions politiques, syndicales ou religieuses par exemple, mais l adhésion à une secte exigeante dans ses pratiques a pu être considérée, par la jurisprudence, comme une faute justifiant une demande de divorce). Les effets du mariage 141

B. Les devoirs réciproques entre époux 229 Les époux, en se mariant, se soumettent à certains devoirs. Certains d entre eux sont explicitement prévus par le Code civil. D autres sont implicitement déduits du mariage, comme le devoir de respecter son conjoint, le devoir de sincérité entre époux, de converser avec son conjoint Sans pour autant exiger de son partenaire un comportement idéal qui, par hypothèse d ailleurs, ne saurait exister que dans les contes de fées, on attend tout de même de chacun des époux qu il se comporte à l égard de l autre en respectant ce que l on peut légitimement considérer comme naturel entre des personnes qui ont décidé de vivre à deux des sentiments réciproques et de voir consacrer par les liens du mariage une communauté affective. C est d ailleurs ce qui a fait dire que ces devoirs, dont la violation est susceptible de caractériser une faute, cause de divorce ou de séparation de corps, constituent un «code de morale conjugale» (Carbonnier, Quadrige, 2004). 230 Les devoirs explicites sont énoncés par les articles 212, aux termes duquel «les époux se doivent mutuellement fidélité et assistance», et 215 du Code civil, dont l alinéa 1 er dispose que «les époux s obligent mutuellement à une communauté de vie». Ces textes, lus par l officier d état civil lors de la célébration du mariage (voir supra n 203), fondent ce que l on a pu appeler «la charte de base de la communion et de l entraide conjugales» (Hauser et Huet-Weiller, LGDJ, 1993). Après d autres, il convient d observer que ces textes figurent dans le Chapitre IV du Titre V «Du mariage», du Livre premier du Code civil «Des personnes», chapitre intitulé «Des devoirs et des droits respectifs des époux», le législateur, en faisant passer les devoirs au premier plan, et en préférant, précisément, le terme de «devoirs» à celui, peut-être plus juridique, «d obligations», ayant entendu teinter ces prescriptions d une certaine coloration morale (v. A. Bénabent, Litec, 2003, n 157). Surtout, le caractère réciproque de chacune d elles en fait à la fois un devoir et un droit : devoir de l un de les respecter et droit de l autre d en exiger le respect. On examinera, à ce titre, et en suivant l ordre du Code, les devoirs de fidélité (1.), d assistance (2.) et de communauté de vie (3.). 231 On observera tout de même que la jurisprudence, en validant les libéralités entre concubins adultères (voir supra n 137), a, certes indirectement, mais nécessairement, largement affaibli l obligation de fidélité entre époux. Par ailleurs, on n omettra pas de relever que la loi du 26 mai 2004 ayant récemment réformé le divorce, d une part en admettant le divorce pour altération définitive du lien conjugal, ce qui revient purement et simplement à consacrer la répudiation unilatérale, d autre part en maintenant certes le divorce pour faute, mais en le vidant de l essentiel de sa portée puisque les conséquences attachées à la faute disparaissent (voir 142

infra n 329 et s.), participe d une tendance consistant à fragiliser le modèle de la famille traditionnelle. Ce mouvement explique que certains s interrogent sur le point de savoir si les obligations nées du mariage ne sont pas devenues des obligations sans sanction (voir not., en ce sens, Lequette, D une célébration à l autre..., préc., p. 9 et s.). 1. Le devoir de fidélité 232 Peut-être parce que la notion de fidélité paraît, à première vue, facilement saisissable, elle n est pas définie dans les textes. On considère, en l état actuel du droit positif, que l infidélité consiste dans le fait d entretenir avec un tiers une relation amoureuse (A. Bénabent, op. cit., n 158). Bien sûr, l infidélité est le plus souvent physique : il en va ainsi toutes les fois que l un des époux entretient, avec un autre que son conjoint, des relations sexuelles, ces relations, constitutives d adultère, étant une cause de divorce. Il ne faudrait cependant pas limiter les cas d infidélité à cette hypothèse extrême. Aussi bien l infidélité «morale», caractérisée par une attitude trop intime avec un tiers (voir, au sujet d une correspondance suspecte, Cass. civ. 2 e, 31 oct. 1962, Bull. civ. II, n 683), voire une infidélité «intellectuelle» (infidélité de l épouse avec un évêque : Paris, 13 fév. 1986, Gaz. Pal. 1986, 216) sont-elles concevables et ont pu être ressenties comme une injure pour le conjoint justifiant, éventuellement, le prononcé du divorce. 233 Jusqu en 1975, l adultère était un délit pénal, encore qu une certaine inégalité existait entre les époux. Alors en effet que l adultère de la femme était puni dans tous les cas d une peine d emprisonnement qui atteignait également le complice, l adultère du mari n était puni que d une peine d amende et seulement s il l avait commis au domicile conjugal. Cette inégalité était vivement critiquée, ainsi d ailleurs que l idée même d une sanction pénale. C est ce qui explique que la loi du 11 juillet 1975 ait dépénalisé l adultère. L infidélité demeure, cependant, une faute civile pouvant soit constituer une cause de divorce, soit donner lieu, même en dehors de toute procédure de divorce, à une condamnation à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral subi, soit, enfin, justifier la révocation des donations consenties par l époux trompé. Il faut préciser, s agissant du versement de dommages et intérêts, que, jusqu à une époque récente, cette condamnation pouvait être poursuivie non seulement contre le conjoint lui-même, mais aussi contre le complice de l adultère s il connaissait l existence du mariage. La Cour de cassation a cependant, assez récemment, abandonné cette solution en faisant valoir que «le seul fait d entretenir une liaison avec un homme marié ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur à l égard de l épouse» (Cass. civ. 2 e, 4 mai 2000, JCP 2000, II, 10356, note Garé), du moins en l absence de scandale ou d une volonté de nuire au conjoint (Cass. civ. 2 e, 5 juill. Les effets du mariage 143

2001, Bull. civ. II, n 136). Plus généralement, sur l affaiblissement de l obligation de fidélité entre époux, voir supra n 231. 234 Bien que la question ait déjà été évoquée, il faut tout de même ici redire que l Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 29 octobre 2004 (Cass. ass. pl., 29 oct. 2004, préc.) a considéré que n est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l occasion d une relation adultère (et, depuis lors, Cass. civ. 1 re, 25 janv. 2005, préc.). Comme on l a justement fait observer, si la décision ne surprend pas tant au regard de l évolution de la notion de bonnes mœurs dans le domaine de la morale sexuelle (voir Hauser et Lemouland, Rép. civil Dalloz, «Ordre public et bonnes mœurs», n 179 et s.) qu au regard de la position adoptée quelques années plus tôt par la première chambre civile sur ce terrain (Cass. civ. 1 re, 3 févr. 1999, préc.), il reste qu elle fragilise considérablement le devoir de fidélité entre époux : même après la loi du 11 juillet 1975 l ayant dépénalisé, l adultère demeure une faute civile et, précisément, la donation ayant pour but de faciliter la continuation de cette faute a une cause illicite. Sans doute pourrait-on objecter que la violation de l article 212 du Code civil demeure sanctionnée par le divorce pour faute que la loi du 26 mai 2004 a maintenu. On répondra tout de même que cette loi, en dissociant la question de l attribution des torts des conséquences patrimoniales du divorce a, en fait, effacé presque tous les effets attachés à la faute commise. Par où le devoir de fidélité, largement vidé de sa substance, est incontestablement en recul en ce que, dit-on, il tend à perdre le caractère d ordre public qui lui était traditionnellement reconnu pour devenir une obligation purement privée entre époux (voir, en ce sens, Lemouland et Vigneau, D. 2005, p. 813 ; Antonimi-Cochin, Le paradoxe de la fidélité, D. 2005, Chr. p. 23 ; Mignon-Colombet, Que reste-t-il du devoir de fidélité entre époux?, Les Petites Affiches, 2005, n 21, p. 6). 2. Le devoir d assistance 235 Parce que tenu d un devoir d assistance envers l autre, chacun des époux doit assurer son conjoint de son affection et de son dévouement dans les difficultés. Vivre ensemble unis par les liens du mariage implique en effet de faire face aux épreuves à deux. Aussi bien les époux sont-ils tenus, au titre du devoir d assistance de l article 212 du Code civil, d un devoir d entraide morale (pour ce qui est de l entraide matérielle, voir infra n 239 et s., et les rapports pécuniaires entre les époux). Ainsi, par exemple, en cas de maladie de l un des époux, l autre doit-il lui apporter les soins nécessaires. Certains auteurs estiment que, de façon plus générale, le devoir d assistance consiste à respecter l autre et «à rendre la vie commune tolérable sinon plaisante» (A. Bénabent, op. cit., n 169), de telle sorte que la plupart des comportements injurieux susceptibles de constituer des causes de divorce peuvent être appréhendés comme des man- 144

quements au devoir d assistance entre époux. Sous cet angle, certains des devoirs réciproques des époux que l on a pu qualifier, plus haut, d implicites de sincérité, de patience, d honneur, de courtoisie, de respect mutuel peuvent ici apparaître comme déduits du devoir d assistance. 3. Le devoir de communauté de vie 236 L article 215, alinéa 1 er, du Code civil, en disposant que «les époux s obligent mutuellement à une communauté de vie», exige des époux une communauté de résidence et l existence de relations sexuelles, autrement dit à ce que d aucuns appellent, pudiquement, le «devoir conjugal». Ce devoir présente un caractère d ordre public, de telle sorte que les pactes de séparation amiables sont nuls. Encore faut-il observer que la tendance actuelle consiste à tempérer cette nullité : la nullité signifie seulement ici que le pacte ne lie pas les époux pour l avenir, chacun conservant le droit de demander à tout moment la reprise de la vie commune. En revanche, tant qu il est spontanément exécuté, le pacte produit ses effets et rend donc la séparation exempte de toute faute imputable à l un des époux. 237 Hormis donc dans cette hypothèse un peu particulière, la communauté de vie impose aux époux de partager le même toit. Il reste que les contours exacts de la communauté de vie sont imprécis. En dehors d ailleurs du fait que, bien que d ordre public, l obligation de communauté de vie cesse parfois avant la dissolution du mariage, le juge autorisant les époux, avant le prononcé du divorce, à avoir une résidence séparée, il faut remarquer que, depuis la loi du 11 juillet 1975, l article 108 du Code civil permet aux époux, en dehors de toute demande en divorce, d avoir un domicile distinct. Il n y a pas pour autant, en pareil cas, dispense du devoir de communauté de vie. Il faut seulement en déduire que l obligation de communauté de vie qui pèse sur les époux n est pas incompatible avec le fait d avoir des domiciles séparés, ce à quoi contraint parfois la vie professionnelle. Ce qui compte alors, c est la volonté de mener une vie commune, même si, dans les faits, celle-ci ne se réalise qu épisodiquement, mais régulièrement tout de même (Cass. civ. 1 re, 8 juin 1999, Dr. fam. 1999, n 110, obs. Lécuyer). Par où l on voit bien que, dans certaines circonstances, c est d une communauté de vie «au minimum» qu il s agit, notamment lorsque les époux se retrouvent dans la résidence familiale pour les vacances. 238 Sur le terrain du droit civil, la violation du devoir de communauté de vie peut autoriser l époux victime à agir contre son conjoint afin d obtenir, sur le fondement de l article 1382 du Code civil, des dommages et intérêts. Elle peut aussi constituer un faute cause de divorce au sens de l article 242. Au plan pénal, un manquement particulièrement grave au devoir de communauté de vie peut constituer le délit d abandon de famille, à condition qu un époux ait abandonné, sans motif sérieux, et pendant plus de deux mois, la résidence de la famille en présence d un Les effets du mariage 145

enfant ou pendant la grossesse de la femme que n ignorait pas le mari (art. 227-3 du C. pén.). 2 Les rapports pécuniaires entre les époux 239 Au premier rang des effets pécuniaires du mariage entre les époux figure le devoir, pour chacun d eux, de venir en aide à l autre en cas de besoin et de contribuer aux charges du mariage (A.). En outre, ces rapports pécuniaires dépendent, dans une certaine mesure, du régime matrimonial applicable aux époux (B.), encore que, en dépit de la diversité de ces régimes, il existe un certain nombre de règles communes (C.). A. Devoir de secours entre époux et contribution aux charges du mariage 240 La notion de devoir de secours, qui peut sembler simple dans une première approche (1.), recèle tout de même quelques problèmes en raison de la difficulté qu il peut y avoir à distinguer le devoir de secours de l article 212 du Code civil et l obligation faite aux époux de contribuer aux charges du mariage posée par l article 214 (2.). 1. La notion de devoir de secours 241 L article 212 du Code civil dispose que «les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance». Autrement dit, ce texte fait peser sur les époux une sorte d obligation alimentaire. La mise en œuvre de cette obligation suppose, bien sûr, que le débiteur ait les moyens d exercer un tel devoir et que le créancier soit dans le besoin. Elle s exécute fréquemment en nature, mais il arrive qu elle prenne aussi la forme d un versement périodique (pension alimentaire). Le juge peut être conduit, en cas de désaccord entre les époux, à en fixer le montant et prendra en compte, pour ce faire, les ressources de l époux débiteur, et les besoins de l époux créancier. Encore faut-il observer que, dans les rapports entre époux, ce devoir revêt une physionomie un peu particulière puisqu il n existe, en quelque sorte, qu à l état latent : il apparaîtra dans des situations rares, notamment lorsque le lien conjugal est atteint ou n existe plus. Ainsi l article 767 du Code civil prévoit-il que si le conjoint survivant est dans le besoin, il peut demander des aliments à la succession du prédécédé. On rappellera encore, à titre d exemple, qu en cas de séparation de corps, le mariage subsiste, et donc avec lui le devoir de secours. Et jusqu à une époque 146