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Transcription:

NOTE D INTERVENTION DE L Numéro 43/Novembre 2015 Cette note d intervention analyse le Plan d action sur l électrification des transports (PAÉT) 2015-2020 du gouvernement Couillard. L auteur s appuie notamment sur le récent rapport de recherche de l IRÉC sur le financement de la transition dans les transports, rapport validé par trois chercheurs indépendants. SOMMAIRE Introduction 1. Un horizon trop court, une vision trop étroite 2. Changements climatiques : une goutte dans un verre d eau 3. Développer la filière industrielle : des vœux pieux Conclusion 1 PLAN D ACTION SUR L ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS DU GOUVERNEMENT COUILLARD Tout ça pour ça! Introduction Gilles L. Bourque* Après plusieurs mois d attente, le gouvernement Couillard vient de lancer son Plan d action sur l électrification des transports (PAÉT) 2015-2020. Il n impressionne guère, ni par la profondeur de l analyse ni par l ambition. Son horizon est trop court, il reste prisonnier d une approche sectorielle limitée et les moyens qu il mobilise sont insuffisants. Dans cette note d intervention, nous allons réagir aux grandes lignes de ce plan d action en nous appuyant sur le récent rapport que nous avons produit sur le financement de la transition dans les transports 1. Une véritable stratégie de transition dans les transports ne peut pas reposer sur une approche en silo et sur des mesures partielles de court terme, comme le fait le PAÉT 2015-2020. Le document gouvernemental reste superficiel : le propos n est pas appuyé sur une solide documentation et il n est pas vraiment en phase avec le Plan d action sur les changements climatiques (PACC) 2012-2020. Derrière les formules creuses, l ambition manque et les moyens sont inadéquats. Un horizon trop court, une vision trop étroite Doté d un budget de plus de 420 millions $, le PAÉT 2015-2020 se donne les objectifs suivants : n augmenter le nombre de véhicules électriques dans le parc automobile du Québec; n participer à la lutte contre les changements climatiques, notamment en réduisant les émissions de gaz à effet de serre; n réduire la dépendance énergétique au pétrole et ainsi améliorer la balance commerciale du Québec; n contribuer au développement économique du Québec en misant sur une filière d avenir et en utilisant l énergie électrique disponible au Québec. Belle ambition! Malheureusement, les gestes sont en deçà de la rhétorique, car ce plan repose sur un nombre très restreint de cibles, beaucoup trop modestes : n atteindre d ici 2020 le nombre de 100 000 véhicules électriques et hybrides rechargeables immatriculés au Québec; * Chercheur de l IRÉC 1. BOURQUE, Gilles L. et Michel BEAULÉ, Financer la transition énergétique dans les transports, rapport de recherche de l IRÉC, octobre 2015, 89 p. [http://www.irec.net/upload/file/rrc2015_10_06financetransport(1).pdf].

n réduire de 150 000 tonnes les émissions de GES liées au transport et de 66 millions le nombre de litres de carburant consommés annuellement au Québec; n générer 5 000 emplois et des investissements de 500 millions de dollars. Contrairement au Plan d action sur les véhicules électriques (PAVÉ) du gouvernement Charest, qui portait sur un horizon d une dizaine d années, le nouveau plan se limite à 5 ans, soit à peine plus long qu un mandat électoral normal. Pourtant, dans ce domaine hautement stratégique pour l avenir du Québec, dans un contexte mondial de transition vers une économie à faible intensité carbone, une stratégie québécoise d électrification des transports devrait obligatoirement viser des objectifs à court, moyen et long termes en se donnant des cibles sur des horizons de 5, 10 et 15 ans (2020 2025 2030). C est seulement de cette façon que les analyses avantage-coûts qui précèdent les gestes devant être posés aujourd hui ou les coûts engagés peuvent véritablement tenir compte des impacts positifs qu ils auront sur le long terme. Il faut d ailleurs comprendre que les investissements réalisés aujourd hui dans la transition énergétique ont un rendement réel potentiellement supérieur dans la mesure où ils sont réalisés sur des innovations radicales ou sur des technologies de rupture, conduisant à des sauts de productivité majeurs. D un point de vue financier, l effort fourni par le nouveau plan d action apparaît bien faible. Alors que la Stratégie d électrification des transports 2013-2017 du gouvernement Marois proposait un budget de 516 millions $ sur 4 ans (130 M$/an), le PAÉT 2015-2020 s élève à seulement 420 millions $ sur 5 ans, soit un maigre 85 M$/an. Cette baisse de 35 % s accorde mal avec la volonté déclarée, surtout pour une politique si importante. Les résultats visés restent également bien en deçà de ce qui était proclamé il y a quelques années à peine. L objectif d atteindre un nombre de 100 000 véhicules électriques et hybrides rechargeables immatriculés au Québec à l horizon 2020 ne représente que le tiers de la cible du PAVÉ 2011-2020 du gouvernement Charest. Bien sûr, comme nous l affirmions dans notre rapport, en tenant compte des ressources investies par le plan d action de Charest, ces cibles étaient totalement irréalistes. Or, pour les mêmes raisons, les cibles du PAÉT 2015-2020 ne sont pas plus convaincantes, malgré le fait qu elles soient si peu ambitieuses. Le montant de 93 millions $ alloué au programme Roulez électrique aide financière aux véhicules électriques et hybrides rechargeables est difficilement compatible avec l objectif de 100 000 VÉ sur la route en 2020. En utilisant une moyenne de 5000 $ d aide financière par véhicule électrique 2, le budget consacré à ce volet pour atteindre la cible devrait plutôt être autour de 465 millions $ (considérant qu il y a déjà autour de 7000 VÉ sur la route au Québec). Nos calculs indiquent que les 93 millions $ prévus à ce volet seraient dépensés en 2016 et 2017, pas au-delà. Sur le site sur la Toile du programme Roulez électrique, rien n indique qu il sera prolongé même au-delà de décembre 2016 Pour atteindre la cible de 100 000 VÉ sur la route en 2020, il faudrait qu à cette date les nouveaux achats de VÉ s élèvent à environ 33 000 exemplaires. Or, selon une étude de SECOR-KPMG 3, les estimations de Vente de VÉ pour l ensemble du marché canadien sont de 100 000 pour 2020, dont 40 % seraient au Québec. Pourquoi alors viser une cible plus basse que le «cours normal des affaires»? Cette timidité paraît d autant plus suspecte que les cibles prévues dans les pays ou les régions les plus avancés sont beaucoup plus élevées. Pour comparaison, la Norvège, avec une population de 4,5 millions d habitants, soit près de la moitié de celle du Québec, fait beaucoup mieux : les Ventes se sont élevées à 22 900 VÉ en 2013 (soit un véhicule neuf sur hui) et elles grimperont à environ 40 000 à la fin 2014. Le plan d action norvégien pour des VÉ est certes plus ancien (2007) que le plan québécois, mais il est surtout plus généreux : élimination de la taxe de vente (qui est de 25 %) sur les VÉ, ce qui équivaut à un rabais gouvernemental de 10 000 $ à l achat d un VÉ de 40 000 $. Dès 2007, il avait été décidé que le plan norvégien de soutien aux VÉ devait être réévalué à l atteinte de la cible de 50 000 VÉ vendus, cap qui devrait être atteint cette année. En plus d être trop timide le plan québécois reste prisonnier d une vision en silo et d un choix fiscal incohérent : alors que le ministère des Transports formule un plan d électrification d un côté, de l autre le Conseil du Trésor apporte un appui sans équivoque à la proposition du rapport Godbout d augmenter la taxe d accise sur les carburants, mais d en détourner les revenus vers une baisse de l impôt sur le revénu 4. Contrairement à ce qu affirment ceux qui soutiennent cette proposition, cette mesure ne relève aucunement d une logique du développement durable, puisqu elle ne répond pas au critère de base de la définition d une écotaxe dont la finalité est de financer des mesures alternatives à faible émission. Nous l avons montré dans notre rapport sur le financement de la transition dans les transports, pour atteindre les cibles de réduction de GES, le gouvernement du Québec n aura d autre choix que d accroître de façon significativée ses investissements dans le transport en commun et dans l électrification des transports. Financièrement, il ne pourra y arriver 2. L aide financière est de 4 000 $ pour un véhicule hybride rechargeable et 8000 $ pour un véhicule tout électrique. En faisant l hypothèse conservatrice de 75 % d achat de VHR et de 25 % d achat de VE (dans la réalité, c est plutôt 60/40), on obtient une aide moyenne de 5 000 $. 3. SECOR-KPMG, Impact économique d une plus grande part de marché des véhicules électriques au Québec, automne 2013. 4. BOURQUE, Gilles L., Baisse de l impôt sur le revenu et hausse de la taxe d accise sur les carburants : une proposition douteuse, fiche technique de l IRÉC no 1, septembre 2015, 2 p. [http://www.irec.net/upload/file/ftc2015_09_16fichetechniqueno1(2).pdf]. 2

qu en misant sur de nouveaux revenus provenant de la fiscalité écologique. À eux seuls, les revenus du Fonds vert (issus du marché carbone) n y parviendront pas. Alors qu une partie importante du financement du PAÉT 2015-2020 repose sur les revenus du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT, alimenté par la taxe d accise), la proposition Godbout devrait représenter, selon nos estimations, une perte de revenu fiscal potentiel de 1,8 milliard $ sur 10 ans pour ce fonds. 2 Changements climatiques : une goutte dans un verre d eau Le manque d ambition du PAÉT 2015-2020 est encore plus flagrant en ce qui a trait à la lutte aux changements climatiques. La cible de réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) produites par les transports qui est proposée dans ce plan est totalement insignifiante. Les quelques chiffres suivants en font la preuve (voir tableau 1) : la cible de réduction de 150 000 tonnes de GES ne représente qu un demi de 1 % des 27,3 Mt de CO2 émises par le transport terrestre en 2012; il faut rappeler que la cible de réduction du Plan d action sur les changements climatiques à l horizon 2020 est de -20 % sous le niveau de 1990, c est-à-dire une baisse supplémentaire de 10,2 Mt de CO2 (p/r au niveau atteint en 2012); or, si la cible de 2012 (-6 % sous le niveau de 1990) a été atteinte, et même dépassée, malgré la poursuite de la hausse des émissions dans le secteur du transport, celle de 2020 (à 12 points de % supplémentaires, elle représente le double de l effort) ne peut l être qu en effectuant une réduction substantielle des émissions du transport terrestre. Selon l inventaire québécois des émissions 5, le Québec a diminué ses émissions de 8 % entre 1990 et 2012 (soit 6,7 Mt de CO2) grâce au secteur industriel (réduction de 20,9 %), au secteur résidentiel, commercial et institutionnel (réduction de 31,1 %), au secteur des déchets (réduction de 40,9 %) et à celui de l électricité (réduction de 84,9 %). Pendant cette même période, les émissions du secteur du transport ont augmenté de 25,7 % (dont 32,4 % pour le transport routier). Les solutions les moins exigeantes de réduction des GES appliquées aux autres secteurs sont maintenant chose du passé. Pour atteindre les prochaines cibles de réduction, ce sera maintenant au secteur des transports de contribuer à l effort commun, au minimum à hauteur de sa contribution aux émissions. Puisque le secteur du transport représente 44,7 % des émissions (en 2012), sa contribution devrait représenter une baisse de 4,5 Mt de CO2. La cible du PAÉT (0,15 Mt de CO2) ne représente qu un maigre 3,3 % de cette contribution. Ce qui est nettement insuffisant, c est le moins qu on puisse dire. TABLEAU 1 Émissions de GES au Québec 1990 et 2012; cible 2020 Émissions (mt. éq. CO2) Évolution Cible théorique 2020 1990 2012 en milliers de tonnes en % Réduction (selon la part de 2012) Émission Total 84 730 77 980-6 750-8,0 % 10 196 67 784 Transport 27 720 34 840 7 120 25,7 % 4 555 30 285 dont transport routier 20 610 27 290 6 680 32,4 % 3 568 23 722 Industrie 31 130 24 610-6 520-20,9 % 3 218 21 392 Résidentiel, commercial et institutionnel 10 980 7 560-3 420-31,1 % 988 6 572 Agriculture 6 200 6 440 240 3,9 % 842 5 598 Déchets 7 310 4 320-2 990-40,9 % 565 3 755 Électricité 1 390 210-1 180-84,9 % 27 183 Source : InVÉntaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2012 et leur évolution depuis 1990 5. Ces chiffres de 2012 ne tiennent pas compte des directives révisées récemment de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) pour la notification des inventaires. Ces directives exigent dorénavant l utilisation des valeurs actualisées du potentiel de réchauffement planétaire (PRP) du quatrième Rapport d évaluation du Groupe d experts intergouvernemental sur l évolution du climat (GIÉC) ainsi que de la notification de plusieurs nouveaux GES. Ainsi, le PRP du méthane étant passé de 21 à 25, les résultats des nouveaux calculs des émissions totales du Canada ont été revus à la hausse pour la période de 1990 à 2012. À titre d exemple, les émissions totales québécoises recalculées pour 2012 ont fait un bond de 3,6 Mt (de 78 à 81,6 Mt éq. CO2). Voir à ce propos [http://www.ec.gc.ca/ges-ghg/default. asp?lang=fr&n=5b59470c-1&offset=1&toc=show]. 3

Pour donner l impression que les impacts du PAÉT sont quantitativement très importants, le document gouvernemental change de registre de référence en mentionnant qu il permettra de réduire de 66 millions le nombre de litres de carburant consommés annuellement au Québec. Or, une baisse de 66 millions litres par rapport aux 11 milliards de litres (essence et diesel) consommés en 2013 ne représente que 0,6 % des carburants consommés dans le secteur du transport terrestre. Selon nos propres estimations 7 : n la consommation de carburant au Québec devrait continuer à croître jusqu en 2020, où elle plafonnerait à 8,9 milliards de litres d essence et 3,3 milliards de litres de diesel; n dans la foulée, on prévoit donc une croissance de 7 % des émissions de GES pour le secteur du transport terrestre, qui augmenteraient ainsi de 1,9 Mt de CO2. Autrement dit, plutôt que contribuer à la cible de réduction des émissions du PACC 2012-2020, le Plan d action sur l électrification du transport ne parviendrait dans les faits qu à légèrement ralentir l augmentation des GES émis par le transport terrestre au Québec, faisant passer cette dernière de 1,9 à 1,75 Mt de CO2 d ici 2020. 3 Développer la filière industrielle : des vœux pieux En matière de développement industriel associé à l électrification des transports, le document gouvernemental prétend que le Plan entraînera la création de 5 000 nouveaux emplois dans la filière des véhicules électriques et stimulera des investissements totaux de 500 M$. Ces cibles nous apparaissent tout à fait contestables. Cela tient de l artifice : le nombre de 5 000 emplois créés représente, à quelques unités près, les prévisions standards de l ISQ pour des investissements de 500 millions $ dans le secteur manufacturier. Mais où envisage-t-on ces investissements? Qu on y songe un seul instant : si le gouvernement avait réellement cherché à tenir compte du potentiel de retombées à impacts économiques québécois occasionnées par le plan d action, il aurait au moins pris le temps d identifier et de documenter les investissements dans l offre de service du transport en commun électrifié (par exemple, les 5 milliards $ entraînés par les deux projets de SLR de CDPQ Infra). De cette façon, les entreprises du secteur, québécoises ou étrangères, sauraient aujourd hui un peu plus à quoi s en ternir sur les possibilités d investir au Québec dans ce domaine. On a beau insister sur le «savoir-faire reconnu mondialement dans la production, le transport de l électricité et le développement de technologies connexes (motorisation, batteries, TIC)» ainsi que sur «la disponibilité de matières premières rares utilisées dans la fabrication des batteries (lithium, graphite, cobalt, etc.)», la réalité est bien loin du compte. L actualité récente nous montre que, sous les gouvernements libéraux, le savoir-faire québécois a été la plupart du temps abandonné aux forces du marché sans trop d égard pour l intérêt national. Deux cas méritent d être cités ici : n Le premier cas est celui de la coentreprise formée de TM4 et de Prestolite Electric Beijing Limited (PEBL). Cette coentreprise devait en effet assurer la commercialisation, en Asie, des systèmes de motorisation électrique pour autobus, camions et autres véhicules lourds conçus au Québec. Mais lors de la visite du premier ministre Couillard en Chine nous avons appris que l usine a été installée dans ce pays plutôt qu au Québec 8. n Le second cas est celui de la technologie des batteries. Hydro-Québec a récemment choisi de réaliser un transfert de technologie vers la région Aquitaine en cofinançant, avec la firme française Arkema, un laboratoire de recherche appliquée sur les batteries à base de lithium-fer-phosphate (LFP) développé par l IRÉQ. L objectif des partenaires : créer sur place toute la chaîne de production de batteries révolutionnaires une technologie de rupture capables de stocker dix fois plus d énergie que les lithium-ion 9. 7. Voir le scénario «cours normal des affaires» dans Financer la transition énergétique dans les transports, rapport de recherche de l IRÉC, octobre 2015 [http://www.irec.net/upload/file/rrc2015_10_06financetransport(1).pdf]. Précisons que nos prévisions tiennent compte 8. Voir «Couillard inaugure une usine d une filiale d Hydro-Québec en Chine» [http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2014/10/31/002- fin-missio-couillard-chine.shtml]. 9. Voir «Exposé détaillé des objectifs et défis de la filiale française d Hydro-Québec pour la production des batteries du futur» [http://www.aveq.ca/ actualiteacutes/expose-detaille-des-objectifs-et-defis-de-la-filiale-francaise-dhydro-quebec-pour-la-production-des-batteries-du-futur]. 4

On peut légitimement s interroger sur la véritable stratégie du gouvernement Couillard concernant le savoir-faire québécois dans le domaine de l électrification : plutôt que contribuer au développement économique du Québec, n est-ce pas au contraire de monnayer au plus offrant les innovations d HQ de manière à maximiser ses rendements et les revenus du gouvernement? Faut-il redire la fable de la poule aux œufs d or? Conclusion Notre analyse nous conduit à remettre en question les ambitions véritables du gouvernement et l efficacité du Plan d action sur l électrification des transports à répondre aux objectifs de la lutte aux changements climatiques et de la réduction de la dépendance énergétique. Lorsqu on enlève les lieux communs sur le savoir-faire québécois et les professions de foi sur la volonté du gouvernement dans la lutte aux changements climatiques, plusieurs fois repris comme un leitmotiv, il ne reste plus de ce Plan que des mesures au mieux timides, au pire illusoires eu égard aux défis qui se posent au Québec. La rhétorique ne parvient pas à cacher l absence de vision à long terme et le refus de s engager fermement dans la transition énergétique de l économie du Québec. Bref, tout ça pour ça, sommes-nous tentés de dire, alors que notre rapport sur le financement de la transition dans les transports montrait qu il était possible d être ambitieux sans alourdir l endettement de l État, grâce à un recours plus agressif à la fiscalité écologique. Le Québec méritait mieux; l urgence d agir exigeait plus. Travaux de l IRÉC sur les transports BOURQUE, Gilles L. et Michel BEAULÉ, Financer la transition énergétique dans les transports, rapport de recherche de l IRÉC, octobre 2015, 89 p. PERREAULT, Mathieu et Gilles L. BOURQUE. Évolution du transport routier au Québec. La crise d un paradigme, rapport de l IRÉC, avril 2014, 63 p. BOURQUE, Gilles L., Mathieu PERREAULT et Robert LAPLANTE. Politique industrielle : stratégie pour une grappe de mobilité durable, rapport de recherche de l IRÉC, février 2013, 59 p. LAPLANTE, Robert, Gabriel STE-MARIE, Jules BÉLANGER, Pierre LANGLOIS et Gilles L. BOURQUE. L électrification du transport collectif : un pas vers l indépendance énergétique du Québec, rapport de recherche de l IRÉC, janvier 2011, 114 p. BOURQUE, Gilles L. et Robert LAPLANTE. L électrification du transport collectif : un pas vers l indépendance énergétique. Huit projets et leurs effets, note d intervention de l IRÉC no 1, octobre 2010, 4 p. NOTE D INTERVENTION DE L Numéro 43/Novembre 2015 Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) 1030, rue Beaubien Est, bureau 103 Montréal, Québec H2S 1T4 514 380-8916/Télécopieur : 514 380-8918 adm.irec@videotron.net/ www.irec.net Dépôt légal à la Bibliothèque nationale du Québec Les Notes d intervention de l IRÉC visent à contribuer au débat public et à jeter un éclairage original sur les questions d actualité. Elles s appuient sur les recherches scientifiques menées par les équipes des chercheurs et des chercheuses de l IRÉC. 5