Le Marché Intérieur de l'energie : entre la volonté interventionniste et la traditionnelle protection nationale. Marion Hugues Master 2 Juriste Européen Le mouvement d'internationalisation des entreprises est engagé depuis plus d'une décennie. Et encore plus récemment, les phénomènes de globalisation du marché et de développement énergétique nécessaire aux développements économique et durable ont atteint un tel niveau d'importance que la libéralisation du Marché Intérieur de l'energie est devenue incontournable. Face à une dépendance croissante à l'énergie, et donc aux importations à hauteur de 50% (imputable à l'insuffisance des capacités d'auto-production au niveau Européen), les montants des factures énergétiques s'envolent, et que dire des répercussions des flambées du prix du pétrole. C'est à partir de ce moment là que les énergies nouvelles renouvelables deviennent rentables et ainsi envisageables, mais il faut alors que les prix des sources d'énergies principales restent élevés. Tous ces enjeux et ces éléments sont au cœur des débats Européens. C'est la raison pour laquelle l'action au niveau communautaire était indispensable notamment en ce qui concerne la sécurisation des réseaux électriques et également que l'amélioration de l'acceptabilité par le public. Le point indispensable qui reste à déterminer est de savoir de quelle manière l'intervention communautaire au sein du secteur énergétique est expérimentée par les gouvernements nationaux et surtout par les industries de l'énergie, en particulier les industries électriques? Cette action s'est effectivement traduite par la mise en place de Directives sur la libéralisation du marché intérieur de l'énergie. On pourra remarquer également que certains Etats membres ont eu des difficultés à accepter de perdre leur souveraineté en quelque sorte vis-à-vis de ce marché. Il est nécessaire d'étudier également les divers éléments d'analyse que nous apporte la Commission Européenne au travers de ses Communications sur l'état de la mise en œuvre de ces Directives. 1
1. Une présentation de la situation des marchés 1.1 Les objectifs de la Commission Européenne: une intervention concurrentielle La Commission Européenne a présenté le 8 mars 2006 un Livre Vert intitulé «une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable». Sa présentation était opportune car, si le débat énergétique n'est pas nouveau pour l'union Européenne, les diverses tensions sur le marché ont amené les gouvernements de l'union et la Commission à agir. La Commission montre ici son attachement indéfectible au Marché en tant que solution aux problèmes du secteur énergétique. Compétitivité, innovation, sécurité d approvisionnement, prix abordables pour les consommateurs, tous ces éléments nécessitent la mise en place d un marché efficient. Les marchés énergétiques doivent ainsi être selon la Commission «ouverts et concurrentiels». La priorité doit donc aller dans le sens du libre choix de l opérateur par le consommateur, avec pour corollaire une amélioration de l innovation et de l investissement. En tant qu organe régulateur, la Commission se prononce en faveur d'une ouverture des marchés mais aussi sur la nécessité de renforcer la réglementation, pour que les entreprises possèdent les mêmes opportunités d entrée sur les marchés autrefois monopolisés et, en outre, que les droits des consommateurs ainsi que la sécurité des réseaux soient garantis. Ici, l'idée d'un «code de réseau européen» pour garantir la sécurité juridique des opérateurs est avancée. Enfin, la Commission ici envisage également ce marché européen sous l'angle des infrastructures. En effet, un «plan d interconnexion prioritaire» entre Etats membres est proposé, dans le but de désenclaver les régions périphériques du continent (Irlande, Malte, Etats baltes) et ainsi qu'instaurer de réelles possibilités de concurrence entre les grands pays. 1.2 La situation originelle de ces marchés caractérisés par un protectionnisme national Originellement, les marchés électriques nationaux étaient cloisonnés (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni...) et souvent contrôlés par une seule entreprise en situation de monopole (EDF, Enel, Endesa, National Grid Company, British Energy...). Ces marchés devaient s'ouvrir graduellement pour permettre leur accès à tous les consommateurs pour 2007. Le marché intérieur de l'énergie doit permettre une convergence des prix (permettre de les maintenir à un niveau moins élevé), ainsi que développer les énergies nouvelles renouvelables, et surtout améliorer la sécurité d'approvisionnement. En effet, les Etats membres subissent assez souvent des dysfonctionnements sur les réseaux, comme par exemple des coupures d'électricité, les tempêtes qui entrainent des dommages aux coûts très élevés, des problèmes de sécurité dans certaines centrales, des coupures sur des lignes Haute Tension, et également un manque d'investissements. Il faut d'ailleurs en ce sens créer des équipes d'intervention européennes pour agir sur ces manques, sécuriser l'approvisionnement des réseaux; ainsi que permettre des interconnexions plus aisées entre les Etats membres. 2
2. L'introduction de la concurrence au sein du marché électrique Cette libéralisation du marché européen de l'électricité a été amorcée par la Directive 96/92/CE du 19 décembre 1996, qui a été abrogée par la directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 dont l'objectif est l'établissement du marché intérieur, accompagné de la mise en place d'une politique commune de l'électricité. 2.1 L'intervention d'une première Directive assez générale: définitions de notions essentielles au secteur La première directive a été transposée en France par la loi du 10 février 2000 (avec beaucoup de retard), dite «loi de modernisation et développement du service public de l'électricité». Le but était d'ouvrir les secteurs de la production et de la distribution à la concurrence. Depuis lors, les activités de transport et distribution restées sous monopole doivent être financièrement séparées des activités de production et commercialisation. La loi du 09 août 2004 prévoit ensuite une séparation juridique entre les activités de transport d'une part et les activités de production et fourniture d'électricité d'autre part. La loi du 10 février 2000 intégrait la notion d'éligibilité. En effet, elle prévoyait que seuls les consommateurs considérés comme «éligibles» peuvent choisir librement leurs fournisseurs d'énergie; ces seuils d'éligibilité étant fixés par décret, selon un calendrier Européen, et en fonction d'un niveau de consommation annuelle. Ainsi, en 1999, ce seuil d'éligibilité était fixé à 100GWh et en 2000, il est abaissé à 16GWh (7GWh en 2003 = 37% marché français ouvert à la concurrence). 2.2 La Directive 2003/54/CE et ses dispositions essentielles La Directive du 26 juin 2003 établit alors des règles communes concernant les divers segments du secteur électrique qui sont la production, le transport et la distribution d'électricité. Elle définit les modalités d'organisation et de fonctionnement du secteur de l'électricité, l'accès au marché, les critères et procédures applicables en ce qui concerne les appels d'offres et les autorisations, ainsi que l'exploitation des réseaux. Les dispositions les plus importantes concernent : _la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de l'opérateur (art. 10 et 15); Par exemple, pour la France, l'opérateur historique qu'est EDF reste le gestionnaire de la production d'électricité. Ensuite, le gestionnaire du réseau de transport (Très Haute Tension et Haute Tension) est RTE (Réseau de Transport d'electricité), filiale du groupe EDF depuis le 1er septembre 2005. RTE est donc le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français, qu'il exploite, entretient et développe (comme E.ON en Allemagne, Terna en Italie, National Grid au Royaume-Uni, ou encore TenneT TSO aux Pays-Bas). Enfin, le gestionnaire du réseau de distribution (Haute Tension et Basse Tension), depuis le 1er janvier 2008, est ERDF (Electricité Réseau Distribution France), entreprise de plein exercice, société anonyme, et filiale à 100 % du groupe EDF. 3
Il faut savoir que les gérants des réseaux électriques européens se coordonnent au sein d'une organisation commune, celle des Exploitants du système européen de transmission (European transmission system operators) ou ETSO, qui regroupe quatre associations régionales : ATSOI (Irlande), UKTSOA (Royaume-Uni), NORDEL (pays nordiques) et UCTE (pays continentaux de l'europe centrale et occidentale). Les adhérents sont les 34 gérants de réseaux électriques des 25 pays de l'union européenne, sauf les Etats Baltes, plus la Norvège et la Suisse. _l'accès des tiers au réseau (article 20) doit être établit dans le respect des obligations de service public (sécurité d'approvisionnement : sécurité du réseau, mesures de sauvegarde...), de protection des consommateurs (prix abordables, protection des consommateurs finals, cohésion économique et sociale) et du respect de l'environnement. _l'ouverture graduelle du marché (article 21): tous les consommateurs professionnels et les collectivités territoriales consommant de l'électricité sur un site destiné à un usage non résidentiel ont été considérés comme éligibles le 01 juillet 2004 (Selon un décret datant de juin 2004, cela concernait environ 4.5 millions de sites, ce qui correspond à une ouverture du marché français à la concurrence à hauteur de 70%). Et le 01 juillet 2007, le marché s'ouvrait totalement aux particuliers. _les autorités de régulation (article 23) doivent être mises en place, notamment pour trancher les problèmes d'accès au réseau. En France, par exemple, la CRE (Commission de Régulation de l'energie), créée en 2000, dispose d'un statut garantissant l'indépendance des missions (tout comme les Autorités Administratives Indépendantes en France). Selon la Directive, la CRE «concourt au bon fonctionnement des marchés de l électricité. Elle veille à ce que les conditions d accès aux réseaux d électricité n entravent pas le développement de la concurrence». 3. La mise en œuvre de ce Marché Intérieur de l'énergie 3.1 Les difficultés rencontrées par le secteur électrique face à la transposition de ces instruments communautaires La mise en œuvre de la Directive a rencontré quelques problèmes, notamment liés à la résistance des entreprises et des Etats membres, souvent d'ailleurs due à une part de mauvaise foi, les Etats étant très attachés à leur monopole (surtout la France). Les bons élèves Européens en la matière sont le Royaume-Uni, ouvert à 80% (ouverture à la concurrence depuis la loi sur l'électricité de 1989), et la Suède, ouverte à 100%. L'introduction de la concurrence s'effectue donc très lentement. D'où la lacune la plus importante qu'est le manque d'intégration entre les marchés nationaux. Cela est indiqué par l'absence de convergence de prix dans les Etats membres, le faible niveau des échanges transfrontaliers, les nombreux marchés nationaux, le peu de changement de fournisseur d'un Etat membre à l'autre et la faible réaction des usagers. 4
Quelques chiffres sur un indice de ce manque: changements de fournisseur opérés: _Royaume-Uni: 75% des gros consommateurs industriels 75% des PME 50% des très petites entreprises et ménages. _Finlande: 75% des gros consommateurs industriels +80% des PME 30% des très petites entreprises et ménages. _France: 15% des gros consommateurs industriels 15% des PME et quasiment 0% des très petites entreprises et ménages. 3.2 Les observations de la Commission Européenne: Selon 2 communications de la Commission Européenne (en 2004 et en 2007), certains aspects de la mise en œuvre de cette Directive peuvent être analysés: Tout d'abord, la Directive 2003/54/CE devait être transposée avant le mois de juillet 2004. En octobre 2004, 18 Etats membres étaient encore en retard. Moins de la moitié des grands consommateurs ont changé de fournisseur, et certains doutent sur le fonctionnement du marché donc conservent leur fournisseur (qui est l'opérateur historique la plupart du temps). De plus, lorsque des changements de fournisseurs sont opérés, c'est souvent en faveur d'un autre opérateur national. Cela démontre le manque d'intégration des marchés nationaux et l'inadéquation des infrastructures en place. Même si, en valeur absolue, le prix de l'électricité est inférieur au niveau de 1995, il a quand même beaucoup augmenté entre 2002 et 2004. Cela est du à la hausse des prix des sources d'énergie primaires. Cela démontre la nécessité pour les fournisseurs de proposer des structures contractuelles (surtout pour des arrangements à long terme) plus diversifiées, de manière à contrer les hostilités face à la hausse des prix. Face à l'échec de l'intégration des marchés nationaux dans un grand marché Européen, il est essentiel d'améliorer les règles en matière d'échanges transfrontaliers d'électricité, et il faut de nouveaux investissements pour les besoins en infrastructures. Il est également inéluctable de compléter la séparation opérateur/distribution pour garantir des tarifs représentatifs des coûts subis par l'entreprise et pour supprimer les subventions croisées (aides financières ou en nature que s'accordent mutuellement deux sous-ensembles d'une même unité). D'où l'indispensable indépendance des régulateurs. 5
3.3 Les bilans positifs dégagés de cette mise en œuvre: Certains points positifs peuvent tout de même être mis en évidence: _la sécurité d'approvisionnement est globalement satisfaisante. En effet, la situation en Europe du Sud s'est un peu améliorée (même si l'espagne est encore quelque peu isolée, si les Etats font toujours face à des tempêtes dévastatrices ou encore d'importantes coupures, comme par exemple le black-out total qui a touché l'europe occidentale en novembre 2006, ou le délestage au Sud Est de la France en Novembre 2008). Les pays Nordiques ont toujours quelques problèmes, du fait des interconnexions très limitées. _la mise en place des principes de l'atr règlementé (basé sur des tarifs publiés et représente la méthode d'accès produisant le marché concurrentiel le plus efficace. Ce système de prix fixes pour tous garantit l'absence de discrimination vis-à-vis des concurrents et aussi la possibilité pour les entreprises de planifier leurs futurs achats. Ce système de l'atr règlementé a été choisi par tous Etats, sauf l'allemagne, qui a fait le choix pour le système de l'atr négocié. Ce système repose sur le négociation d'accords commerciaux volontaires entre les fournisseurs d'électricité et les clients éligibles. Les Etats membres s'assurent que les gestionnaires du réseau publient une fourchette indicative de prix), de séparation des réseaux et une certaine intégration des marchés nationaux dans des groupements plus importants (comme par exemple ETSO). Conclusions: Quelles sont les bases de l'avenir de «l'europe Electrique»? Il faut actuellement continuer à lutter pour contrer une perte de confiance dans ce marché. La coopération entre les régulateurs nationaux, les autorités responsables de la concurrence et la Commission Européenne ne peut apporter que des évolutions positives. Les investissements dans les interconnexions demeurent ici un enjeu majeur et indispensable pour soutenir le développement de ce nouveau marché Européen. En effet, 7 projets sont actuellement en cours de développement : -il s'agit d'accroître les capacités de connexion: au Royaume-Uni, en Europe du Nord, aux frontières italiennes, et entre l'allemagne et le Danemark; -il s'agit également de désenclaver la péninsule ibérique en améliorant les connexions avec la France; -ainsi que de renforcer le réseau entre la France, le Bénélux et l'allemagne; -et enfin de connecter la Grèce avec le coeur de la zone Européenne. 6