Université Nice Sophia-Antipolis Département Sociologie Anthropologie Cognition & Emotions L Emotion et le Virtuel : Le Cas Heavy Rain Julien ROCCHI Master 1 Sociologie Semestre 2 Enseignement A. HALLOY
Sommaire Introduction p. 2 La technique au service de l expression p.4 Une nouvelle forme de partage social des émotions?...p.5 Conclusion..p.7 Bibliographie...p.8 Annexes..p.9 1
Introduction Le travail présenté ici est une ébauche de recherche dans le domaine de la cognition et de l émotion transposés au monde virtuel. Le but est ici d analyser les phénomènes et constructions donnant naissance à une expérience émotionnelle dans le monde virtuel, représenté dans ce travail par un jeu vidéo d un nouveau genre : Heavy Rain. Il s agit de mettre en avant les constructions, aussi bien sur le plan technique que cognitif, utilisées pour plonger le joueur au cœur d une expérience émotionnelle intense. Ce jeu, disponible sur console de salon, est sorti à la fin du mois de février 2010, issu du studio français Quantic Dream, il est écrit et dirigé par David Cage. L histoire se déroule sur la cote Est des Etats Unis, dans une ville où sévit un tueur en série s en prenant exclusivement aux jeunes garçons, ceux-ci sont retrouvés noyés dans l eau de pluie quelques jours après leur disparition, un origami à la main. Le scénario va débuter par l enlèvement d un jeune garçon, et va prendre forme autour de l enquête menée par quatre personnages: le père du jeune garçon, un profiler du FBI, un détective privé, ainsi qu une journaliste. La particularité de ce jeu saute très vite aux yeux du joueur, elle est d ailleurs mise en avant par David Cage dès l annonce de la sortie du jeu : «pour moi la principale différence de Heavy Rain tient à l émotion : la plupart des jeux se focalisent sur le stress, la compétition, la peur ou la frustration. Heavy Rain essaie d explorer d autres émotions comme l empathie, la tristesse, le sentiment de malaise, des sentiments classiques au cinéma ou dans la littérature, mais peu fréquents dans un jeu vidéo.» Ainsi ce jeu est en grande en partie basé sur cette notion d immersion du joueur dans un état émotionnel particulier, très loin des standards du jeu vidéo. Mais alors comment va s opérer cette plongée dans l univers d Heavy Rain, et surtout comment permettre au joueur devant son écran d être capté par cette ambiance? C est ce qui va être présenté dans la suite de ce travail. 2
Cette étude va donc s intéresser dans un premier temps au réalisme de ce monde virtuel, réalisme lié aux outils technologiques mis en place ici, et qui vont dans le sens des théories de Rimé sur l expression faciale de l émotion et sa reconnaissance par autrui, puis nous verrons, comment David Cage a utilisé dans le scénario, certaines techniques que l on peut qualifier de relevant du partage social des émotions, pour immergé le joueur dans des états émotionnels particuliers. 3
Ce qui surprend dès le début de l aventure c est le réalisme graphique des personnages, en effet les gestes, les comportements, les postures, mais aussi les traits du visage tels que les expressions faciales, les rictus sont d un réalisme renversant (Cf. Annexe n 1). Ce rendu si proche de la réalité est du à l emploi de technologies innovantes, employées pour nombres d entre elles pour la première fois ici. Tout d abord, le mode de capture des silhouettes et mouvements, alors que nombre de jeux vidéo sont basés sur des modélisations purement informatiques des personnages, ici la représentation des protagonistes de l histoire est entièrement construite autour de vrais acteurs. Des acteurs ont été choisis pour incarner chacun des personnages, de la même façon que pour un film cinématographique ordinaire. Ces acteurs, ont été analysés sous toutes les coutures par une armée de capteurs, puis reproduits virtuellement. Mais la quête de réalisme va encore plus loin, en effet les acteurs ont du jouer chaque scène du jeu comme une scène réelle de cinéma, toujours bardés de leurs capteurs, des caméras filmant la scène, et tout est alors reconstitué sur ordinateur (Cf. Annexe n 2). Mais si de telles prouesses tendent à un rendu réaliste en matière de fluidité et de naturel dans les postures, elles ne permettent pas de rendre compte des émotions ressenties par les personnages dans ces situations particulièrement chargées émotionnellement. C est alors qu intervient une des particularités les plus saillantes de cette œuvre à savoir le système «Facial Mouvement Capture», qui permet la prise en compte de nombreux mouvements musculo-squelettiques, ainsi que leur transcription dans le monde virtuel (Cf. Annexe n 3). Grace à cette technologie ici appliquée, les mouvements faciaux induits par l articulation sont reproduits, mais bien davantage encore, grâce au jeu des acteurs, c est tout le caractère émotionnel de la scène qui est capturé et réinjecté dans la modélisation 3d. Ainsi le personnage virtuel présent à l écran, peut présenter une large palette d expressions faciales (Cf. Annexe n 4). On peut penser qu ici certaines thèses de la vision darwinienne des émotions présentées par Rimé, ont été utilisées. L analyse des muscles entrant en jeu dans l expression faciale des émotions étant clairement mise en application pour la capture et la reconstitution de celles-ci. De même, par ce travail, les concepteurs font le pari de l existence d une communication sociale des émotions dans la mesure où le but est ici que le joueur reconnaisse l émotion éprouvée dans la scène par ses manifestations faciales sur le visage de cet être virtuel. Enfin de par cette identification instantanée de l émotion en question, et du réalisme du rendu, on peut émettre l hypothèse que le but est de plonger le joueur dans cette émotion grâce à l impact de l expression sur l expérience, certes le joueur n est pas amené à 4
imiter cette posture mais confronté à autant de réalisme, on peut s interroger sur les conséquences émotionnelles, notamment en terme d empathie et de projection, induites par la situation sur le joueur, celui-ci serait alors amené à les éprouver dans son propre corps de par l impact de l expression. Ainsi nous venons de l évoquer, dans ce jeu, des outils technologiques ont été mis au service de l immersion du joueur au cœur d un ressenti émotionnel réel, lui faisant éprouver les sentiments des protagonistes de l histoire, et amenant à un questionnement sur ses propres émotions. Mais la technologie n est pas le seul outil utilisé dans ce jeu pour plonger l individu dans l émotion des personnages. En effet, l autre pan de la stratégie de David Cage réside dans le scénario même de son jeu. Le joueur est amené à incarner les différents personnages, menant chacun son enquête pour retrouver le jeune garçon. Mais à l inverse de la quasi-totalité des jeux, ici le joueur a le choix entre une pluralité d actions, il peut interagir ou pas avec tel ou tel personnage, il peut démarrer, ou au contraire tourner court à une conversation, or toutes ces actions influent sur le cours du jeu, et sur le sort du jeune garçon. En d autres termes, le joueur se retrouve, tout comme dans le monde réel, à prendre des décisions, parfois sans même sans rendre compte, dont il ne connait pas les conséquences sur le déroulement de son action. En fait, l ensemble des personnages poursuit le même but, mais chacun avec ses spécificités, le joueur prend donc fait et cause pour ce but, qui devient sien, et se retrouve au cœur de l action. Or du fait de la multiplicité des actions possibles, ainsi que des dénouements (une vingtaine de fins différentes selon les actions du joueur), le joueur doit opérer des choix stratégiques ce qui le plonge encore davantage dans l émotion du jeu, en particulier si l on se réfère à l hypothèse de Rimé selon laquelle «les émotions auraient pour fonction d assister l individu dans ses moments de vacance temporaire en guidant ses actions». En obligeant le joueur à opérer des choix qui doivent s inscrire dans l atteinte d un but, Cage le contraint à ressentir et à utiliser ses émotions, et invite encore un peu plus le joueur à s engager dans la résolution de l enquête. Ainsi on peut analyser, en reprenant encore une fois les arguments de Bernard Rimé, les facteurs qui vont fidéliser le joueur, l amener à refléchir sur ce qui est en rapport avec ce but, augmenter son attention aux éléments de l environnement, du milieu, et ainsi inscrire le joueur réellement au cœur de l action. Enfin, une autre méthode présente dans le scénario, et relevant du partage social des émotions me semble avoir été employée par Cage 5
pour créer une proximité entre le joueur et les personnages qu il incarne : il s agit de la notion de background. En effet, à de nombreuses reprises les personnages se livrent sur leurs expériences passées difficiles et leurs ressentis grâce à une sorte d introspection à haute voix. Le joueur se présente alors comme un confident auquel les personnages se livrent, un témoin privilégié de leurs états d âme. Or les études sur l expression des émotions, ont montrées que le partage social des émotions avait notamment pour conséquence de créer ou de resserrer des liens affectifs entre les protagonistes. Ainsi on pourrait émettre l hypothèse que ces confidences, ce partage d affects présent dans le jeu amène le joueur à se rapprocher une fois de plus des personnages et à éprouver leurs états émotionnels. 6
Conclusion Le travail qui a été réalisé ici est exploratoire, il vise à rendre compte de l intérêt des recherches en termes de cognition dans le domaine du virtuel. L exemple du jeu Heavy Rain traité ici montre selon moi, bien l importance de l étude des phénomènes cognitifs dans le monde social qui nous entoure en vu de son exportation dans la sphère virtuelle qui tend depuis maintenant plusieurs années à se développer. Nous l avons vu ce jeu utilise plusieurs notions présentées dans les recherches sur le rapport entre cognition et émotion, et ce en vue d intégrer un maximum le joueur à l univers véhiculé. Grâce à ces outils, l auteur arrive à faire ressentir à l individu des émotions qui semblaient ne pas pouvoir être véhiculées par un jeu vidée et l amène au cœur d un questionnement sur ses propres émotions et son propre ressenti, se rapprochant ainsi de l art cinématographique. A la différence près qu il offre une place plus grande au spectateur dans la mesure où il devient acteur de la situation, où il fait l expérience de l émotion. Ainsi, avec une conception poussée sur le plan technique, mais aussi un scénario réfléchit et abouti tourné vers l expérience, Heavy Rain est sans conteste une révolution dans le monde du jeu vidéo, mais bien davantage, je pense qu il constitue une bonne entrée en matière pour étudier la dimension émotionnelle de l expérience du monde virtuel. 7
Bibliographie o RIME Bernard, Le partage social des émotions, Presses Universitaires de France, sept 2005 o «L émotion derrière les pixels du jeu vidéo Heavy Rain», Le Monde, article du 20 Février 2010, accessible : http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/02/20/l-emotionderriere-les-pixels-du-jeu-video-heavy-rain_1309056_3246.html o Interview de David Cage pour Excessif.com, article en date du 26 Février 2009, accessible :http://www.excessif.com/jeux-video/actu-jeux-video/newsdossier/interview-de-david-cage-producteur-d-heavy-rain-5711375-760.html 8
Annexes Annexe 1.1 Annexe 1.2 Annexe 1.3 9
Annexe 2.1 Annexe 3.1 10
Annexe 4 11