TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU CANTON DE FRIBOURG Ière COUR ADMINISTRATIVE Séance du 7 avril 2003 Statuant sur le recours interjeté le 14 février 2003 (1A 03 19) par X., représentée par Me M., avocate à Bulle, contre la décision rendue le 14 janvier 2003 par le Service de la population et des migrants; (Art. 7 LSEE; abus de droit )
- 2 - En fait: A. De nationalité tunisienne, X. a obtenu le 30 décembre 1999 une autorisation de séjour pour vivre auprès de son conjoint suisse, épousé le 17 décembre 1999. Cette autorisation a été régulièrement renouvelée. B. La vie du couple s'est révélée mouvementée et, le 12 mars 2001, X. a été entendue par la Police dans le cadre d'une enquête pénale ouverte sur une plainte déposée par son époux pour menaces et voies de fait. Le 5 juillet 2001, le conjoint a ouvert une action en divorce et, par décision du 11 avril 2002, le Président du Tribunal civil de la Veveyse a autorisé les parties à vivre séparées pendant la durée de la procédure. Dans le cadre de la procédure civile qui les oppose, les parties ont passé, le 9 octobre 2002, une convention prévoyant notamment le retrait des plaintes pénales déposées. Invitée à préciser ses intentions matrimoniales, X. a déclaré, le 29 octobre 2002, que la procédure pendante serait ponctuée par un divorce. Interrogé par la police, son mari a confirmé, le 13 novembre 2002, qu'il n'envisageait pas de reprendre la vie commune. C. Par décision du 14 janvier 2003, le Service de la population et des migrants (SPoMi) a refusé de renouveler l'autorisation de séjour de X. et lui a imparti un délai de 30 jours pour quitter le territoire. En substance, l'autorité a considéré qu'actuellement, le mariage de l'intéressée, vidé de tout contenu, est maintenu dans le seul but de lui permettre de demeurer en Suisse. Un tel comportement constitue, à son avis, un abus du droit conféré à l'étrangère par l'art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20). D. Agissant le 14 février 2003, X. a contesté devant le Tribunal administratif la décision du 14 janvier 2003 dont elle demande l'annulation sous suite de frais et dépens. Elle s'oppose à ce que son attitude soit considérée comme étant constitutive d'un abus de droit dès lors qu'elle ne tente pas de prolonger la procédure de divorce par tous les moyens, comme le prétend à tort l'autorité intimée. Elle ne conteste pas être partie à la procédure de divorce et indique qu'alors que rien ne l'obligeait à transiger et à passer une convention allant dans le sens d'un prononcé d'un divorce avant l'écoulement du délai de 4 ans de l'art. 114 CC, elle a accepté le divorce par déclaration de confirmation du 10 décembre 2002. Elle relève qu'elle a signé
- 3 - la déclaration exactement après l'écoulement du délai légal de 2 mois prévu par l'art. 111 CC et sa norme d'application 14 LACC (RSF 210.1). Elle n'a transmis ce document au Président du Tribunal que le 22 janvier 2003 parce qu'elle attendait que son époux retire la plainte pénale dirigée contre elle. Elle relève que si la procédure de divorce n'est pas clôturée, c'est parce que son époux n'a pas fait parvenir sa propre déclaration de confirmation de divorce. Celle-ci interviendra au plus tard le 9 juin 2003. La recourante demande ainsi la prolongation de son autorisation de séjour jusqu'à la notification du jugement de divorce. Elle ne peut pas exclure que son mari renonce à confirmer le divorce, ce qui ouvrirait alors une procédure de divorce unilatérale fondée sur l'art. 115 CC. Dans ce cas, elle estime avoir le droit à l'autorisation de séjour aussi longtemps que dure la procédure afin de défendre convenablement ses intérêts. Elle indique également faire l'objet d'une autre procédure pénale pour injures et faux dans les titres l'obligeant à comparaître le 15 mai prochain devant le Juge de police. L'autorité intimée n'a pas déposé d'observations et se réfère à la décision attaquée pour conclure au rejet du recours. En droit: 1. a) Déposé dans le délai et les formes prescrits, le présent recours est recevable en vertu de l art. 114 al. 1 let. a du code de procédure et de juridiction administrative (CPJA; RSF 150.1). Le Tribunal administratif peut donc entrer en matière sur ses mérites. b) Selon l'art. 77 CPJA, le recours devant le Tribunal administratif peut être formé (let. a) pour violation du droit, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation et (let. b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents. En revanche, dans la mesure où aucune des situations prévues aux lettres a à c de l'art. 78 al. 2 CPJA n'est réalisée, le Tribunal administratif ne peut pas, dans le cas particulier, revoir l'opportunité de la décision. 2. a) L'art. 7 al. 1 de la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20) dispose que le conjoint étranger d'un ressortissant suisse a droit à l'octroi et à la prolongation de l'autorisation de séjour. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l'autorisation d'établissement. Ce droit s'éteint lorsqu'il existe un motif d'expulsion.
- 4 - b) En l'occurrence, la procédure de divorce n'étant pas terminée, la recourante peut en principe invoquer l'art. 7 al. 1 LSEE pour prétendre au renouvellement de son autorisation de séjour. Reste à examiner si le fait de se prévaloir de ce droit ne constitue pas un abus, compte tenu des circonstances. c) Il y a abus de droit notamment lorsqu'une institution juridique est utilisée à l'encontre de son but pour réaliser des intérêts que cette institution juridique ne veut pas protéger (ATF 121 II 97 consid. 4 p. 103). L'existence d'un éventuel abus de droit doit être appréciée dans chaque cas particulier et avec retenue, seul l'abus de droit manifeste pouvant être pris en considération (ATF 121 II 97 consid. 4a p. 103). L'existence d'un abus de droit découlant du fait de se prévaloir de l'art. 7 al. 1 LSEE ne peut en particulier être simplement déduit de ce que les époux ne vivent plus ensemble, puisque le législateur a volontairement renoncé à faire dépendre le droit à une autorisation de séjour de la vie commune (cf. ATF 118 Ib 145 consid. 3 p. 149 ss). Pour admettre l'existence d'un abus de droit, il ne suffit pas non plus qu'une procédure de divorce soit entamée: le droit à l'octroi ou à la prolongation d'une autorisation de séjour subsiste en effet tant que le divorce n'a pas été prononcé, car les droits du conjoint étranger ne doivent pas être compromis dans le cadre d'une telle procédure. Enfin, on ne saurait uniquement reprocher à des époux de vivre séparés et de ne pas envisager le divorce. Toutefois, il y a abus de droit lorsque le conjoint étranger invoque un mariage n'existant plus que formellement dans le seul but d'obtenir une autorisation de séjour, car ce but n'est pas protégé par l'art. 7 al. 1 LSEE (ATF 121 II 97 consid. 4a p. 103/104). Pour admettre l'abus de droit, il convient de se fonder sur des éléments concrets indiquant que les époux ne veulent pas ou ne veulent plus mener une véritable vie conjugale et que le mariage n'est maintenu que pour des motifs de police des étrangers. L'intention réelle des époux ne pourra généralement pas être établie par une preuve directe mais seulement grâce à des indices, démarche semblable à celle qui est utilisée pour démontrer l'existence d'un mariage fictif (ATF 127 II 49 consid. 5A p. 57; cf. aussi ATF 128 II 145; 2A.172/2002 publié sur le site internet du Tribunal fédéral). Cette jurisprudence doit être précisée. En effet, en cas de procédure de divorce ou de séparation - dont il est admis qu'elle ne s'oppose pas à la reconnaissance du droit fondé sur l'art. 7 LSEE - il va de soi qu'au moins un des deux conjoints ne veut plus mener une véritable vie conjugale. On ne peut donc pas se fonder sur une volonté commune des deux époux à cet égard pour juger d'un éventuel abus de droit.
- 5 - En réalité, en matière de divorce ou de séparation (de fait ou de droit), il y a lieu de constater qu'un abus du droit à l'autorisation de séjour fondé sur l'art. 7 LSEE ne peut se produire que si l'étranger adopte un comportement contradictoire, à savoir si, d'un côté, il indique expressément ou par acte concluant que le mariage n'a plus de sens pour lui et, d'un autre côté, il fait valoir son mariage pour obtenir l'autorisation de séjour. C'est dans ce cas qu'un abus de droit entre en considération. En d'autres termes, il ne faut pas s'appuyer sur le comportement du conjoint suisse pour déterminer si celui qui se prévaut de l'art. 7 LSEE commet ou non un abus de droit. C'est l'attitude de ce dernier qui est déterminante. A défaut, s'il suffisait de constater que le conjoint suisse ne veut plus du mariage pour retenir l'abus du droit aménagé par l'art. 7 LSEE, on en reviendrait à livrer l'étranger au bon vouloir de son conjoint et c'est expressément ce que le législateur fédéral a voulu éviter en adoptant l'art. 7 LSEE (cf. ATF 118 Ib 150 avec les références aux travaux législatifs). Le comportement du conjoint suisse n'a à être pris en considération que dans la mesure où il permet d'éclairer l'attitude individuelle de l'étranger qui invoque son droit à l'autorisation de séjour. d) Dans le cas particulier, la recourante, qui vit séparée de son époux depuis le mois de septembre 2001 (cf. ordonnance civile du 11 avril 2002), a passé une convention de divorce en octobre 2002, puis, dans le délai de 2 mois, a expressément confirmé sa volonté de divorcer, ouvrant ainsi la porte à un divorce sur requête commune au sens de l'art. 111 CC. Ce comportement démontre à suffisance de droit que, pour elle, le mariage est devenu vide de sens. Elle ne peut pas, sans se mettre en contradiction avec elle-même et commettre un abus de droit, d'un côté, conclure au divorce en tirant un trait sur son mariage et, d'un autre côté, invoquer ce même mariage pour demander le renouvellement de l'autorisation de séjour. En admettant que la procédure de divorce ne s'oppose pas forcément à la reconnaissance du droit fondé sur l'art. 7 LSEE, la jurisprudence ne vise pas les situations où l'étranger ne veut plus du mariage qui fonde son droit à l'autorisation de séjour. Sauf circonstances très particulières non réalisées en l'espèce, un étranger qui engage la procédure de divorce ou acquiesce à une telle procédure démontre ainsi que, pour lui, le mariage est vidé de son sens et qu'il ne subsiste qu'en raison de contingences procédurales. Dans une telle situation, il est abusif d'invoquer ce mariage pour requérir le renouvellement de l'autorisation de séjour. Il n'existe également aucun risque de voir l'étranger livré à l'arbitraire de son conjoint suisse. Le motif qui justifiait la reconnaissance d'un droit à l'autorisation de séjour fondé sur l'existence du mariage ne trouve par conséquent aucune application lorsque
- 6 - l'étranger déclare expressément ou par acte concluant (en acquiesçant au divorce) que le mariage est désormais vide de sens. 3. a) Du moment que la recourante ne peut pas valablement invoquer un droit fondé sur l'art. 7 LSEE, sa demande de renouvellement de l'autorisation de séjour doit être examinée uniquement sous l'angle de l'art. 4 LSEE qui prévoit que"l'autorité statue librement, dans le cadre des prescriptions légales et des traités avec l'étranger, sur l'octroi de l'autorisation de séjour ou d'établissement". Dans ce cadre, le refus de l'autorisation de séjour ne constitue aucun abus ou excès du pouvoir d'appréciation reconnu à l'autorité intimée. En effet, la recourante ne séjourne légalement dans le pays que depuis le 30 décembre 1999, soit depuis un peu plus de trois ans et trois mois. Cette durée est insuffisante pour considérer qu'un retour en Tunisie ne serait plus envisageable. De plus, la recourante, sans enfant, n'a pas de liens personnels étroits avec notre pays et elle n'exerce pas une profession qui rendrait sa présence indispensable. Enfin, ses intérêts dans les procédures pendantes sont en principe sauvegardés par la possibilité qu'elle a de se choisir un représentant. N'étant pas interdite d'entrée en Suisse, elle peut solliciter un visa pour se présenter devant les autorités dans les quelques situations où sa présence serait éventuellement requise. b) Pour le surplus, la question de savoir si elle doit quitter la Suisse d'ici au 15 mai prochain - date de sa comparution devant le Tribunal de police - relève de la fixation du délai de départ et constitue ainsi une mesure d'exécution, non susceptible de recours devant le Tribunal administratif (art. 113 CPJA). 4. Mal fondé, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Il appartient à la recourante qui succombe de supporter les frais de procédure en application de l'art. 131 CPJA. 101.62