La rénovation énergétique des bâtiments : les enjeux pour les entreprises et artisans du bâtiment Débats animés par Denis Cheissoux, journaliste animateur de l émission CO 2 mon amour sur France Inter Intervenants: Jean-Jacques Chatelain, entreprise Chatelain, président de l Una Peinture-Vitrerie de la Capeb (Confédération de l artisanat et des petites entreprises du bâtiment) Pierre Invernizzi, chargé de développement BDSA
tjean-jacques Chatelain, ENTREPRISE CHATELAIN, PRÉSIDENT DE L UNA PEINTURE- VITRERIE DE LA CAPEB. Photo Dominique Guillemain d Echon Denis Cheissoux : La rénovation énergétique des bâtiments représente un enjeu très important pour les entreprises et les artisans du bâtiment. Jean-Jacques Chatelain, vous avez une entreprise de peinture, vous êtes aussi président de l Una Peinture-Vitrerie au sein de la Capeb, qui compte 100 000 artisans adhérents. Pierre Invernizzi, vous êtes chargé du développement chez BDSA, une structure qui gère des réseaux de professionnels. Vous allez nous parler du dispositif FEEBat de formation aux économies d énergie des entreprises et des artisans du bâtiment, mis en place début 2008. Qu avez-vous fait d abord à titre personnel au sein de votre entreprise Jean-Jacques Chatelain? Jean-Jacques Chatelain : Je me suis très rapidement inscrit à cette formation FEEBat, qui se déroule par modules. Premier module: En tant que peintre, je me demandais au début ce que j y faisais, c est assez technique; à la deuxième journée, j ai compris, on a pu aborder à la fois tous les thèmes sur l énergie et j ai pu avoir pas mal d informations. Le deuxième module était sur les logiciels. Trois logiciels s offraient à nous, un premier assez technique, qui je pense sera plus destiné à des métiers tels que les plombiers. On a trouvé, nous les peintres, un deuxième logiciel, que je ne vous citerai pas, plus abordable puisque nous ne sommes pas sur le diagnostic mais sur le bilan, ça nous a donné des informations que nous pouvons transmettre au client. Au troisième module, j ai vraiment trouvé ma place, c est tout ce qui concerne l isolation, notamment le module 3.1 qui traite des parois verticales et des toitures. Je me suis plus intéressé à celui-ci parce que c est le métier que je fais tous les jours. Alors je vais peut-être choquer les gens mais l isolation ce n est pas très dur à faire! Ce qui est compliqué, c est tout ce qui concerne la technique, les points de finition. Donc ça m a d abord permis de dialoguer avec des collègues de métiers différents et de nouer des liens; ça m a permis de dire aussi «Ça, je ne sais pas faire, mon collègue va pouvoir le faire». J ai pu à la fois acquérir des techniques et voir des photos, et me rendre compte que ce métier complémentaire car ce sont les façadiers et souvent les maçons qui le font, est une opportunité pour nous, en période difficile. J en avais fait il y a une dizaine d années mais c étaient des choses simples. Là, j ai décidé de former mes salariés et de me lancer sur ce marché en complément du mien de peinture-décoration. Je pense que nous, qui sommes assez minutieux, devrions pouvoir le faire. Je ne me lancerai définitivement dans cette direction que lorsque je serai formé, pour rassurer un peu ceux que j ai entendus tout à l heure. Nous n avons pas de chance, nous les peintres, dès que les choses vont mal, ce sont soit les peintres soit les artisans plus globalement. Je voudrais donc rassurer tout le monde, les gens sont motivés, les ouvriers sont qualifiés, nous n ignorons pas qu il y a des pathologies, des problèmes et nous les regardons bien en face. En synthèse, cette formation FEEBat m a donné envie d envoyer mes ouvriers en formation. Ils ont accepté, et je vais participer à d autres modules. D.C.: Est-on capable de faire un diagnostic et de se dire ensuite «Je fais le diagnostic chez le client, mais ce n est pas moi qui vais avoir le marché» et de donner le marché à quelqu un d autre? J-J.C. : On n est pas là pour faire un diagnostic, notre métier c est plutôt de faire un bilan, on est là pour conseiller le client. Dans l artisanat on a toujours conseillé le client. Mais là on a été plus sensibilisé sur des points sur lesquels on n appuyait peut-être pas assez. Ça me fait tout de suite penser au label p 24
ECO artisan. Beaucoup savent ce que c est : c est travailler en solidarité, c est-à-dire que si on m appelle pour un marché d isolation par l extérieur, certes j ai un marché, mais si je fais de la dégradation intérieure ce n est pas bon, donc il faut que je me rapproche de mon collègue couvreur, mon collègue maçon, etc. Parce qu on entend parler d offre globale. Là vous parliez d entreprise générale, mais on dirait que tout le monde est une entreprise générale, ça, j adore! Je ne sais pas comment ils font mais moi je ne peux pas. Je peux me former, je peux augmenter mes capacités mais je ne peux pas être entreprise générale. En revanche, j ai des collègues, voire d autres corps d état, avec qui je peux travailler et là effectivement le label ECO artisan répond tout à fait à cette demande. On sait que la clientèle est, dans un premier temps, celle qui a les moyens, c est souvent une clientèle bien informée. À la formation, nous étions dix, tous de métiers différents, et tous avions envie de nous revoir et de travailler ensemble, donc pour moi c est vraiment une opportunité et une force. D.C. : Comment les salariés l ont-ils pris? J-J.C. : J en ai fait inscrire un en module 1. Évidemment, il s est un peu demandé ce qu il allait y faire. Je leur ai proposé les modules 3.1 et 3.2 et tout de suite, ils se sont inscrits et m ont dit «Quand commence-t-on la formation?». Dès que vous touchez au métier, c est ça les salariés, ils sont assez techniques, et ça me permettra de vendre de la prestation. Et puis on est à l AQC, donc c est aussi rassurer la profession en montrant que des entreprises artisanales sauront faire ce métier. D.C. : Ça a été mis en place au début 2008 auprès de 100 000 artisans. Est-ce que vous avez déjà un éclairage, un chiffre sur le nombre de ceux déjà formés ou en cours de formation? J-J.C. : Les derniers chiffres d inscrits que j ai étaient d environ 10 000, dont 7 000 de la Capeb. Ça peut paraître peu, 7000 formés sur 350000 artisans, dont 100000 à la Capeb, mais en réalité ça n est pas si mal car dans l artisanat on ne se formait pas trop jusqu à présent. Aujourd hui on a plus de 500 ECO artisan je crois, donc c est vraiment quelque chose de fort. Ça peut également paraître peu, mais il faut souligner qu il y a un examen, un QCM, dont le taux de réussite est important. Ça veut dire quand même que les gens se sont penchés sur le problème, et ont répondu aux questions qui ne sont pas des questions banales, elles sont diverses et variées. p Illustration AQC 25
tpierre Invernizzi, CHARGÉ DE DÉVELOPPEMENT BDSA Photo Dominique Guillemain d Echon D.C. : Pierre Invernizzi, vous êtes chargé du développement chez BDSA, qu est-ce que BDSA s il vous plaît? Pierre Invernizzi : BDSA est plus connu sous le nom de FCA, nous communiquons sous cette marque Façades contemporaines artisanales, puisque depuis vingt ans nous sommes façadiers. Il y a quelques années, quand on a senti poindre les considérations éco-citoyennes, c est devenu pour nous un choix de bon sens que d aller vers un début d offre globale. Parce qu effectivement, notre marché, ce sont les «maisons-passoires» qu on trouve en banlieue et qui ont été construites après 1945. On avait à chaque fois le même problème : le client nous faisait état de son besoin qui n était pas que décoratif, mais touchait aussi au confort et aux dépenses, et on se trouvait devant un goulot d étranglement. Et dans le bâtiment tout le monde le sait, le problème numéro 1 c est quand même la sous-traitance, le contrôle du savoir-faire, donc chez nous la politique était de sous-traiter un minimum et de maîtriser tout le processus, du début de la vente jusqu à la fin. C est pourquoi notre slogan était à l époque : «Un seul métier, façadiers» et face à cette évolution du marché qu on a perçue, on a souhaité étendre notre métier. Pour nous c était logique, parce que dans les éléments déperditifs du bâtiment, le plus compliqué à appliquer, c est bien évidemment la façade. D.C. : Donc vous êtes devenus aménageurs thermiques de l habitat, ce qui veut dire que tout ceci est une promesse. Donc il faut la tenir et donc il faut former ses gars. Comment faitesvous? P.I. : C est une véritable révolution culturelle chez nous. Nous avons intégré deux postes complémentaires à la façade, à savoir les combles perdus et les fenêtres, de manière à avoir une possibilité de bouquet de travaux suffisante pour, premièrement faire quelque chose d efficace, et puis maintenant par logique de situation, bénéficier des aides qui sont en train d être mises en place par le gouvernement. Donc on arrive pile dans une logique de situation qui sert notre stratégie. D.C. : Alors vous-même vous êtes passé en formation. P.I. : Oui, à la Fédération, on nous a proposé ces formations, j y suis allé et j ai été admiratif de ces modules parce qu ils nous ont permis de répondre à deux choses. Premièrement, quand on va voir le client pour lui vendre nos produits, car nous sommes des commerçants, nous avons besoin de les conseiller parce qu ils sont de plus en plus perdus dans tout ce qui se passe, mais comme ils sont de plus en plus informés, il faut que nos vendeurs sachent encore plus de choses. Donc le module 1 nous a permis de prendre de la hauteur par rapport à notre métier et d avoir accès à une vision globale, pas seulement des systèmes passifs mais aussi des systèmes générateurs d énergie où justement là, notre connaissance est quasiment nulle parce que ce n est pas notre métier. Or on a besoin d apporter des explications pour défendre une logique disant qu il vaut mieux travailler sur le bâti que sur les systèmes, notamment pour des questions de rendement et de retour sur investissement, etc. Et donc ce module l a permis. Puis le module numéro 2 a été une révélation beaucoup plus importante, on a été confronté à un outil absolument génial qui permet de scruter, de comprendre et de simuler le comportement p 26
de n importe quel bâtiment dans toutes les configurations. Soit en mode rapide avec des cas types de parois etc., mais aussi en mode manuel, en système expert, pour une maison avec 36 types de murs, de plafonds et d aménagement de combles. On sort des résultats d une précision effroyable au niveau des consommations, des déperditions, de la vignette Cela permet deux choses. Premièrement, de répondre au client «Vous consommez tant, et avec tel ou tel bouquet de travaux vous allez arriver à ça». Mais pour nous ce qui est beaucoup plus important, c est que cet outil permet à nos spécialistes qui vont sur le terrain, de s auto-former pour être à niveau dans la culture de ces éléments. Lorsqu ils vont aller sur telle ou telle zone pavillonnaire, ils vont pouvoir, en manipulant cet outil, avoir une vision globale et intuitive du pavillon, et très vite savoir si on va aller dans une logique d isolation, rechercher un bouquet de travaux et donc essayer d obtenir les aides gouvernementales, ou bien si ce n est pas rentable, parce qu on aboutira à une compensation insuffisante. Donc on va arriver à conseiller vraiment et au plus juste pour pouvoir orienter la vente vers quelque chose qui correspond au besoin. D.C. : Tout le monde va y aller, les cadres, les commerciaux? P.I.: Moi j y suis allé en explorateur sur le module 2. À partir de la semaine prochaine, ce sera le tour de tous les dirigeants de nos six agences en Ile-de-France. Ensuite, on verra si on y envoie nos commerciaux ou si on adapte une formation interne que j ai commencé à développer. Je suis en train de voir de manière expérimentale comment rendre pédagogique ce type d approche pour des commerciaux qui, pour les plus anciens, étaient habitués à vendre du ravalement et de la peinture et qui rentrent là dans une vente relativement complexe. 27