Marc-Antoine DESCHAMPS * Chronique Le transfert de biens entre conjoints, les obligations familiales et le fisc : objectifs asymétriques



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EYB2013REP1411 Repères, Octobre 2013 Marc-Antoine DESCHAMPS * Chronique Le transfert de biens entre conjoints, les obligations familiales et le fisc : objectifs asymétriques Indexation Fiscal ; impôt sur le revenu ; calcul de l'impôt à payer ; recouvrement de l'impôt ; responsabilité solidaire ; cession de biens entre personnes ayant un lien de dépendance ; Famille INTRODUCTION TABLE DES MATIÈRES I LE TRANSFERT DE BIEN ET LA PERCEPTION FISCALE A. Remarques introductives B. Conditions d'application II LA NOTION DE TRANSFERT A. À une personne avec un lien de dépendance B. Pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande C. Discussion sur le mécanisme 1. Cotisation du cédant 2. Aucun transfert de biens 3. La juste valeur marchande de la contrepartie 4. L'exception du paragraphe 160(4) CONCLUSION Résumé L'auteur examine le transfert de biens entre conjoints, les impacts fiscaux de ce type de transfert, le paiement d'obligations familiales prévues du point de vue statutaire et principalement les droits du fisc en matière de perception de créance fiscale. La chose la plus difficile à comprendre au monde est l'impôt sur le revenu. Albert Einstein Ainsi parlait donc le plus illustre scientifique du vingtième siècle. À cette maxime de circonstances, l'on peut ajouter que le fisc s'immisce fréquemment dans les couples, même les plus heureux, souvent à titre de créancier vorace qui ne s'embarrasse pas des sentiments profonds entre les conjoints justifiant le transfert de biens! Page 1

INTRODUCTION La présente chronique vise à éclairer les praticiens civils du piège sans cesse soulevé par la perception de la dette fiscale d'un conjoint au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après «LIR») 1 lorsqu'il transfère un bien à son conjoint. Nous détaillerons certains écueils soulevés par l'article 160 LIR 2 et les méandres de son application. À titre préliminaire, mentionnons que la notion de «conjoint» aux fins fiscales diffère de la définition civile 3. En ce sens : [...] le terme «époux ou conjoint de fait» a été ajouté à la Loi toutes les fois que le terme «conjoint» y figurait. Il doit s'entendre des conjoints de fait, tant ceux du sexe opposé que ceux du même sexe. Selon le paragraphe 248(1), le conjoint de fait signifie une personne qui vit dans une relation conjugale avec le contribuable et qui a vécu ainsi tout au long d'une période d'un an, ou qui est le père ou la mère d'un enfant, compte non tenu de certaines parties de la définition. Les particuliers seront considérés comme ne vivant pas dans une relation conjugale s'ils ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur relation, pendant une période d'au moins 90 jours. 4 I LE TRANSFERT DE BIEN ET LA PERCEPTION FISCALE Une multitude de conjoints, intentionnellement ou non, transfèrent des biens aux fins de mettre le patrimoine à l'abri des créanciers, notamment le fisc. Aux fins de garantir le prompt paiement des dettes fiscales en matière d'impôt sur le revenu et un mécanisme aisé de perception, le législateur a introduit la disposition de l'article 160 LIR 5. Ce mécanisme fort utile au fisc a été qualifié de draconien par la jurisprudence 6 bien que l'arc y ait recours fréquemment. A. Remarques introductives À titre préliminaire, l'intention d'un conjoint de se départir des biens pour les soustraire du fisc n'est aucunement pertinente pour l'application de l'article 160 LIR 7. Il n'existe aucune défense de diligence raisonnable à cet égard pour le cédant ou le cessionnaire, et même l'ignorance de la dette fiscale du * M e Marc-Antoine Deschamps, D. Fisc., est un associé du cabinet Morency, Société d'avocats, S.E.N.C.R.L. 1. Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5 e suppl.). 2. Et la disposition équivalente au Québec prévue à l'article 14.4 de la Loi sur l'administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002 (ci-après «LAF»). 3. Tel que prévu au Code civil du Québec (ci-après «C.c.Q.»). 4. Michael F.T. ADDISON et Gil J. KORN, «Le transfert de bien entre conjoints ou ce qu'on ne vous dit pas avant le mariage», Planification fiscale personnelle, (2002) 50(2) Canadian Tax Journal 758-785, p. 760. 5. À noter que des mécanismes similaires à celui qui sera discuté existent en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 325, la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 99 et pour la taxe de vente du Québec en vertu de l'art. 14.4 LAF. 6. Wannan c. R., 2003 D.T.C. 5715 (C.F.A.). 7. Waugh c. R., 2008 D.T.C. 6379 (C.F.A.). Page 2

cédant ne peut exonérer le cessionnaire 8. La dette fiscale du cédant n'a pas besoin d'avoir été cotisée avant le transfert. L'article 160 LIR s'applique du moment que le transfert est effectué dans l'année où la dette fiscale du cessionnaire se cristallise et est née 9. Le ministre peut cotiser en tout temps après le transfert : il n'existe aucune prescription 10 à ce recours de perception. Qualifiée de mécanisme de perception et de caution légale des obligations du conjoint cédant, la faillite de ce dernier ne constitue pas une exonération pour le conjoint cessionnaire 11. L'interposition d'un membre de la famille à titre d'intermédiaire entre deux conjoints ne sera d'aucune utilité, car le mécanisme de l'article 160 permet les cotisations «escaliers» pour des transferts en cascade entre personnes ayant entre elles un lien de dépendance 12. B. Conditions d'application Les extraits de la disposition se lisent comme suit : Lorsqu'une personne a, [...], transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes : [...] [...] : c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance, d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie [...] ; e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants : (i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien, (ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années ; 8. Livingston c. R., 2008 D.T.C. 6233 (C.F.A.). 9. Karen SHARLOW, «Keeping Revenue Canada in Line», Report of Proceedings of Forty-Ninth Tax Conference, 1997 Tax Conference, Toronto, Canadian Tax Foundation, 1998, 13:1-13, p. 13:4 ; Natalie WOODBURY, «The Power to Tax Means Little Without the Power to Collect», Section 160 Assessments, 2008 Atlantic Provinces Tax Conference, Halifax, Canadian Tax Foundation, 2008, 3A:1-22, p. 2. 10. Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, EYB 2007-121919. 11. Heavyside c. R., 97 D.T.C. 5026 (C.F.A.). 12. Jurak c. R., 2003 D.T.C. 5419 (C.F.A.). Page 3

[...] Trois conditions sont nécessaires et essentielles : 1. Une personne transfère des biens, directement ou indirectement ; 2. À une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance ; 3. Pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande. Dès lors, le conjoint cessionnaire des biens devient solidairement responsable de la dette fiscale de son conjoint. II LA NOTION DE TRANSFERT Le transfert de biens 13 par le conjoint ne se limite pas à des actes juridiques ou techniques : The word "transfer" is not a term of art and has not a technical meaning. It is not necessary to a transfer of property from a husband to his wife that it should be made in any particular form or that it should be made directly. All that is required is that the husband should so deal with the property as to divest himself of it and vest it in his wife, that is to say, pass the property from himself to her. The means, by which he accomplishes this result, whether direct or circuitous, may properly be called a transfer. 14 Cette définition large de transfert est supportée par la jurisprudence majoritaire depuis 1948 15. Par exemple, le dépôt de sommes dans le compte de banque du conjoint, la cession de la résidence principale ou d'un immeuble avec ou sans contrepartie, le paiement de créancier du conjoint constituent des transferts au sens de l'article 160 malgré que les paiements ou transferts visent à subvenir aux besoins de la famille : 11. L'appelante soutient que le juge de la Cour de l'impôt, qui a pourtant reconnu qu'au moins certains paiements faits par un époux en vue de subvenir aux besoins de sa famille échappaient à l'application du paragraphe 160(1) de la Loi, a commis une erreur en omettant d'examiner ou de définir une grille d'analyse permettant de déterminer le montant qu'il convenait d'attribuer aux paiements de cette nature. De l'avis de l'appelante, le juge aurait dû adopter une démarche en harmonie avec la jurisprudence relative à la détermination de la pension alimentaire en droit de la famille. En effet, le paragraphe 160(4) de la Loi exclut expressément de la portée de cette disposition les paiements effectués à titre d'aliments en vertu d'un accord de séparation ou d'un jugement d'un tribunal. Les couples qui demeurent mariés ne devraient pas être en position moins favorable que ceux qui se sont séparés. C'est pourquoi, prétend l'appelante, le calcul des paiements effectués à titre d'aliments devrait s'inspirer des principes de droit familial énoncés dans la législation de chaque province et dans la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2 e suppl.). 13. Biens de toute nature, meubles ou immeubles, réels ou personnels, tangibles ou intangibles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède [...], art. 248(1) LIR. À cet égard : R. c. Capitale, Cie d'assurance générale, 98 D.T.C. 6215 (C.A.F.). 14. Succession David Fasken, [1948] R.C.É. 580, par. 34. 15. Récemment Lafontaine c. R., 2007 D.T.C. 530 ; confirmé en appel, [2008] 5 C.T.C. 271 (C.F.A.). Page 4

12 L'article 160 de la Loi est incontestablement une mesure draconienne. Néanmoins, la question est de savoir si un tribunal a le droit de conclure à l'existence implicite, dans une loi fiscale, de dispositions qui ne sont pas prévues dans la loi. [...] 17 Le courant jurisprudentiel qui se dégage des décisions Michaud c. R., [1998] T.C.J. No. 908 (T.C.C.) ; Ferracuti v. R., [1998] T.C.J. No. 883 (T.C.C.) ; et Laframboise v. R., [2002] T.C.J. No. 628 (T.C.C. [General Procedure]), et selon lequel les paiements faits par un conjoint à l'autre pour satisfaire à son obligation de subvenir aux besoins de sa famille ne tombent pas sous le coup de l'article 160, ne trouve pas appui dans la loi. 16 Seules certaines exceptions limitées existent en jurisprudence, notamment la renonciation pure et simple à une succession 17. Dans l'éventualité où une donation fut refusée par le donataire et que le bien est immédiatement remis à l'auteur, il pourrait y avoir obstacle à l'application de l'article 160 puisqu'il n'y aurait pas eu de transfert effectif en l'absence du consentement du donataire : En l'espèce, on fait valoir que l'appelante ignorait l'existence du don et ne l'avait pas accepté et que, lorsqu'elle avait appris qu'un tel don lui avait été fait, elle l'avait refusé dans un délai acceptable en transférant de nouveau l'immeuble à son père. À mon avis, ce nouveau transfert constitue, dans les circonstances, une renonciation valide et il n'y a donc pas eu de transfert direct ou indirect du bien. Par conséquent, l'alinéa 160(1) c) ne peut pas s'appliquer à l'appelante. Dans la version anglaise de la Loi, le terme «dealing» figurant à l'alinéa 160(1) c) de la Loi (qui correspond au terme «avait» dans la version française de cet alinéa de la Loi) sous-entend une action et non pas un état. J'estime que cette disposition ne s'applique pas, à moins que le bénéficiaire soit au courant du transfert. Le transfert ne tombe donc pas sous le coup de l'article 160. 18 A. À une personne avec un lien de dépendance Le deuxième élément ne pose aucune difficulté pour les transferts entre conjoints. Des conjoints sont des personnes liées au sens de la LIR 19 et réputées avoir un lien de dépendance. 20 La question du lien de dépendance se pose généralement lors de procédures de séparation, de divorce ou de terminaison de la relation conjugale de fait. En effet, des personnes divorcées ou séparées peuvent tout de même conserver un lien de dépendance factuel. À noter que des conjoints séparés de corps, mais qui demeurent unis par les liens du mariage, même après plusieurs années d'absence de cohabitation, conservent le statut de personnes liées et de lien de dépendance même en présence de relations acrimonieuses 21. Cette présomption irréfutable de 16. Yates c. R., 2009 CarswellNat 5079 (C.F.A.), par. 11 à 17. 17. Biderman et al. c. R., 2000 D.T.C. 6149 (C.A.F.). La renonciation in favorem pourrait constituer un transfert au sens de la LIR. 18. Leclair c. R., 2011 CarswellNat 5102, par. 19 (C.C.I.) [procédure générale] ; voir toutefois Provost c. R., 2009 CarswellNat 4075 (C.C.I.) [procédure générale]. 19. Al. 251(2)a) LIR. 20. Al. 251(1)a) LIR. 21. Kushnir et al. c. M.N.R., 85 D.T.C. 280 (C.C.I.) [procédure générale]. Page 5

personnes liées entre conjoints mariés provoque une bigamie fiscale potentielle puisqu'il est possible d'avoir concurremment un époux et un conjoint de fait aux fins de la LIR 22. B. Pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande Le troisième critère d'application constitue souvent la porte de négociation pour la cotisation sous l'article 160. Quelle est la juste valeur marchande du bien transféré? La définition classique consiste dans : [...] le prix le plus élevé exprimé en argent comptant ou l'équivalent, convenu entre un vendeur et un acheteur traitant sans lien de dépendance sur un marché libre et non restrictif, les deux parties étant informées et n'agissant sous aucune contrainte. 23 Cette notion demeure floue, mais l'on doit noter que certaines règles ont été introduites pour écarter certains principes d'évaluation notamment en matière de propriété indivise 24 entre conjoints. La juste valeur marchande doit être évaluée au moment du transfert du bien. La contrepartie payée par le conjoint pour le bien doit recevoir une attention particulière, car ceci réduit le montant de la cotisation possible du cessionnaire. Cette contrepartie doit être une obligation légale et exécutoire de paiement et non une simple entente morale ou obligation naturelle : [28] Les obligations familiales résultant d'une relation familiale sont extrêmement personnelles et ne doivent pas être utilisées comme «contrepartie» pour camoufler des transferts de biens. En particulier, je conclurais qu'un paiement fait par un conjoint pour réduire le principal de la dette hypothécaire relative à une maison familiale appartenant à l'autre conjoint est un transfert de bien sans contrepartie de valeur au sens du paragraphe 160(1). À mon avis, l'utilisation d'une doctrine en equity n'est pas utile (et n'est peut-être pas permise) quand on interprète une loi fiscale. Dans la plupart des lois en matière d'insolvabilité, il y a des restrictions qui empêchent des créanciers d'enlever le pain de la bouche à un enfant. De telles restrictions relèvent du droit en matière d'insolvabilité plutôt que du droit fiscal. 25 Cependant, la Cour d'appel fédérale traite cette question en obiter : 11 Si de fait la femme avait fait une promesse légalement exécutoire de verser de l'argent aux créanciers de son mari uniquement selon les instructions de celui-ci, et ce, en leur remettant des montants correspondant aux fonds qui avaient été transférés, cela aurait bien pu constituer une contrepartie suffisante pour éviter l'application du paragraphe 160(1). 26 La contrepartie payée pour réduire la cotisation potentielle découlant du transfert du bien entre 22. Bigamie fiscale (Tax Bigamy), art. 60.03(1), 118.2(1), 122.6, 248(1) LIR ; APFF, 2009 Conference, Round Table on Federal Taxation, Question 34, Tax bigamy. 23. Groupe d'investissement Savoie, Lavoie Inc. c. M.R.N., 92 D.T.C. 1519, p. 1529 (C.C.I.). Voir également Marina Québec Inc. c. M.R.N., 92 D.T.C. 1337, p. 1360 (C.C.I.) ; Sweeney c. R., 90 D.T.C. 6507 (C.F. 1 re inst.) ; Yager c. La Reine, 85 D.T.C. 5413, p. 5416 (C.F. 1 re inst.). 24. Par. 160(3.1) LIR, écartant la jurisprudence ayant conclu à la réduction de la juste valeur marchande d'une fraction indivise dans une maison unifamiliale par exemple. 25. Raphael c. R., 2000 CarswellNat 4680, (C.C.I.) [procédure générale], par. 28. 26. Raphael c. R., 2002 CarswellNat 5961 (C.A.F.), par. 11. Page 6

personnes ayant un lien de dépendance doit donc être véritable et vérifiable. C. Discussion sur le mécanisme Tel qu'on le constate à la lecture des trois conditions primaires de l'article 160 LIR, le mécanisme est drastique et expéditif. Malgré le caractère extrêmement sévère, certaines défenses peuvent être soulevées pour tenter de repousser une cotisation. 1. Cotisation du cédant Une première avenue possible consiste à contester l'existence même de la dette fiscale du cédant. Si le conjoint cédant n'a pas contesté en temps utile sa dette fiscale primaire, le cessionnaire a tout intérêt à demander l'annulation de la dette fiscale et poursuivre tous les moyens de défense ouverts au cédant. 7 Lorsque le Ministre établit une cotisation à titre dérivé en application du paragraphe 160(1), il invoque une disposition législative particulière qui l'autorise à demander paiement à une seconde personne pour la cotisation d'impôt visant un premier contribuable. Cette seconde personne doit jouir d'un plein droit de défense pour contester la cotisation établie à son endroit, y compris celui d'attaquer la cotisation primaire sur laquelle se fonde la cotisation touchant la seconde personne. 9 En outre, comme le second contribuable en l'espèce n'était pas partie à l'instance entre le Ministre et le premier contribuable, il n'est pas lié par la cotisation visant le premier contribuable. Le second contribuable est autorisé à soulever tous les moyens de défense que le premier contribuable aurait pu invoquer à l'égard de la cotisation primaire. Il peut arriver que la cotisation du second contribuable soit annulée ou que le montant de celle-ci soit réduit à une somme moins élevée que celle fixée par la cotisation touchant le premier contribuable, mais ces mesures n'ont évidemment aucune incidence sur la cotisation relative au premier contribuable, à l'égard duquel la cotisation primaire était définitive et exécutoire. 27 Le conjoint cessionnaire pourra à ce moment invoquer toute défense à l'encontre de la cotisation initiale aux fins de demander l'annulation de la responsabilité dérivée en vertu de l'article 160 LIR. 2. Aucun transfert de biens Malgré la définition extensive du «transfert» le cessionnaire pourra soulever que la transaction ne constitue pas un transfert, par exemple un prêt véritable et remboursable selon des modalités déterminées et légalement exécutoires 28. Autre aspect souvent invoqué, le transfert a eu lieu dans une année antérieure à la naissance de la dette fiscale du conjoint cédant. 3. La juste valeur marchande de la contrepartie La jurisprudence abonde de dossiers sous l'article 160 LIR où la juste valeur marchande de la contrepartie est invoquée. Une avenue séduisante constitue l'argument que le transfert de biens, souvent pécuniaire, constitue une contrepartie pour services rendus par le conjoint. Cette voie demeure possible, 27. Gaucher c. R., 2000 CarswellNat 4823 (C.A.F.), par. 7, 9. 28. Dunkelman c. M.N.R., 1959 CarswellNat 294 (C. de l'é.) ; McVey c. R., 96 D.T.C. 1225 (C.C.I.) ; Merchant c. R., 2005 D.T.C. 377 (C.C.I.). Page 7

mais un mot de prudence s'impose : If a claim is to be made that services were provided as consideration for the transferred property, then the transferee would be wise to report such amounts as employment or business income. In Waugh v. The Queen, Mr. Waugh endorsed a number of cheques which were payable to him in favour of Mrs. Waugh who deposited them in her personal account. She claimed that she provided consideration in exchange for the property by assisting her husband with a business venture. Mrs. Waugh, as the transferee had the burden of establishing the fair market value of any consideration that has allegedly been provided. C.M. Ryer, J.A. found that no evidence had been provided that would refute the minister's assumption that no consideration was paid, and noted that if such consideration had been provided, it would have constituted business or employment income to her, but no such income was ever reported by her in her tax returns. 29 4. L'exception du paragraphe 160(4) Une exception statutaire existe lorsqu'il s'agit du règlement de séparation entre conjoints. En ce sens, le paragraphe 160(1) LIR ne permet pas de rechercher la solidarité du conjoint cessionnaire au moment du règlement des droits matrimoniaux en vertu d'une «entente écrite de séparation». En vertu du principe d'interprétation normal, à titre d'exception, cette disposition doit être respectée strictement. 6 Somme toute, la seule question à laquelle je dois répondre est la suivante : est-ce que la seule mention à l'acte de donation selon laquelle l'appelante et monsieur Messier vivaient séparés depuis octobre 1994 peut constituer en soi un accord écrit de séparation au sens du paragraphe 160(4) de la Loi? À mon avis, ce n'est pas parce que les parties vivaient séparées que l'on peut interpréter l'acte de donation comme constituant un accord écrit de séparation et lui attribuer cette caractéristique qu'il ne comporte manifestement pas selon son libellé même. Je ne vois absolument pas comment cette simple mention à l'acte de donation peut constituer un transfert de biens aux termes d'un accord écrit de séparation. Les prétentions de l'avocat de l'appelante ne sont tout simplement pas étayées par les faits. À mon avis, un accord écrit de séparation doit comprendre, de façon générale, des dispositions écrites concernant la garde et l'entretien des enfants, la pension alimentaire et le partage des biens qui sont prises par un couple qui est habituellement sur le point d'obtenir un divorce ou une séparation légale. L'acte de donation en vertu duquel le bien-fonds a été transféré ne contient aucune disposition écrite concernant ces faits. 30 (Notre soulignement) Le transfert des biens doit donc être complété en vertu d'un accord de séparation écrit contenant les clauses habituelles à ce type d'entente. Une simple déclaration dans un document accessoire ne saurait pallier cette exigence. CONCLUSION Le présent texte a survolé les grandes lignes de l'article 160 et l'interprétation fiscale de cette disposition. Tout praticien actif en matière familiale doit garder à l'esprit l'application potentiellement explosive de cette disposition draconienne, surtout qu'aucune intention n'est requise. À titre de disposition de responsabilité absolue, peu de défenses demeurent ouvertes et les tribunaux ont récemment resserré les exceptions jurisprudentielles. 29. Natalie WOODBURY, loc. cit., note 9, p. 16. 30. Carrière c. R., 2006 CarswellNat 1520 (C.C.I.) [procédure générale], par. 6. Page 8

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