la lettre de l Institut Danone Pr. Jean Navarro Dr. Pascal Crenn TRIBUNE DOSSIER N 94 Décembre 2009



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la lettre de l Institut Danone TRIBUNE Alimentation et prévention des cancers Pr. Jean Navarro DOSSIER Place de la nutrition dans la prise en charge des cancers Dr. Pascal Crenn N 94 Décembre 2009

T R I B U N E Le vieillissement de la population et l amélioration des moyens de diagnostic expliquent en partie l augmentation de l incidence des cancers. La génétique et les facteurs environnementaux jouent aussi un rôle important ; parmi ces derniers, les facteurs alimentaires présentent l intérêt d être modifiables au niveau individuel. Ils ont été analysés sous l égide du World Cancer Research Fund en 1997 puis en 2007. A la demande conjointe de l INCa et de la Direction Générale de la Santé, une brochure Nutrition et prévention du cancer : des connaissances scientifiques aux recommandations a été publiée dans le cadre du PNNS à partir des premiers résultats d études plus ciblées (études cas témoins, de cohorte, interventionnelles et propectives, voire randomisées) et alors que se multipliaient les méta-analyses. Ces études démontraient clairement les effets nocifs de l'alcool, mais les risques liés à la consommation de viande rouge et de charcuteries ont été plus discutés : le risque de survenue de cancer colorectal apparaît confirmé par les études de cohortes mais les données restent contradictoires dans les méta-analyses. Alimentation et prévention des cancers pourraient majorer le risque de survenue du cancer du poumon chez les fumeurs. Le surpoids et plus particulièrement l obésité sont associés à une augmentation du risque de plusieurs cancers dans les études épidémiologiques : par ordre décroissant, œsophage, endomètre, rein, colon, rectum, pancréas, sein post-ménopausique et vésicule biliaire. Cette constatation plaide pour la prévention de l obésité. La diminution du risque associée à l activité physique a été jugée convaincante pour le cancer du côlon, probable pour le cancer du sein après la ménopause. En conclusion, la médiatisation excessive de ces premières études et les recommandations qui en découlent impliquent la plus grande prudence. Il faut tenir compte de facteurs socioéconomiques, culturels, alimentaires qui gênent l interprétation. Ainsi ce sont les mêmes consommateurs qui prennent de l alcool en excès, des aliments à forte teneur calorique (graisses saturées), ont une activité physique réduite, et sont dès lors en surpoids, voire obèses. La consommation de fruits, légumes et aliments riches en fibres est associée à une réduction probable du risque pour les cancers de la bouche, du larynx, du pharynx et de l estomac, et pour ce qui est des fruits pour le poumon (études cas témoin, non confirmées par les études de cohorte). Enfin fruits et légumes ne peuvent pas être remplacés par les compléments alimentaires, dont certains comme le ß-carotène Par ailleurs, les interdits ne doivent pas être absolus, aboutissant sinon à de véritables phobies alimentaires non justifiées, ou à l inverse à la promotion de produits miracles dont l efficacité est loin d être prouvée. Pr. Jean Navarro, Président du Cancéropôle d Île-de-France

D O S S I E R Place de la nutrition dans la prise en charge des cancers Les cancers sont une cause majeure d amaigrissement et de dénutrition. Les critères de gravité nutritionnelle, maintenant bien diffusés, sont a priori connus des cliniciens. Une prise en charge adaptée, notamment en situation périopératoire, améliore la faisabilité des thérapeutiques oncologiques, participe au succès de la prise en charge et diminue les complications des traitements lourds proposés. Une amélioration du pronostic apparaît alors possible mais n est, à l heure actuelle, prouvée que dans un nombre limité de situations. Dr Pascal Crenn Fédération des Spécialités Digestives et Oncologie digestive, Hôpital Ambroise Paré (APHP), Boulogne

D O S S I E R FOCUS L évaluation de l état nutritionnel, préalable indispensable à toute prise en charge, repose sur des critères cliniques tels que le poids et l indice de masse corporelle (IMC), l élément fondamental étant la cinétique de la perte de poids involontaire. Parmi les critères biologiques, le plus important est le dosage de l albumine plasmatique, l impact pronostique défavorable de l hypoalbuminémie étant largement démontré notamment en situation périopératoire. DÉNUTRITION LIÉE AU CANCER : PHYSIOPATHOLOGIE La prévalence de l amaigrissement et de la dénutrition est élevée chez les malades atteints de cancer, proche de 50% (Encadré 1). Elle concerne particulièrement les cancers des voies aérodigestives supérieures, de l estomac, du pancréas, du poumon, de l ovaire et certaines hémopathies malignes. Elle est plus rare dans les tumeurs coliques ou prostatiques. L anorexie, facteur majeur présent dans 40 à 80% des cas de dénutrition, peut parfois être psychogène. Elle est le plus souvent liée à des altérations du goût, de l odorat, avec ou sans candidoses oropharyngées, et aux effets secondaires digestifs communs lors de certaines chimiothérapies. Dans les formes plus évoluées, des facteurs liés à la présence de la tumeur interviennent : réponse immune de l organisme (TNF, IL6 ), produits de sécrétion tumorale (proteolysis inducing factor ou PIF, et lipid mobilizing factor ou LMF) qui favorisent respectivement le catabolisme protéique musculaire, par activation du système ubiquitine-protéasome, et la lipolyse du tissu adipeux. Au stade de cachexie cancéreuse (CACS : cancer associated cachexia syndrome), la dénutrition, globale, s accompagne d une fonte musculaire associée à celle de la masse grasse. Conséquences : dégradation de la qualité de vie, augmentation des complications du traitement (surtout de la chirurgie, mais aussi de la chimiothérapie et de la radiothérapie), diminution de la survie (liée aux complications thérapeutiques et au stade tumoral) et, logiquement, augmentation des coûts de prise en charge directs et indirects. On estime que la dénutrition et ses complications directes seraient responsables de 20% des décès des patients atteints d un cancer. 4

Objectif Nutrition - Place de la nutrition dans la prise en charge des cancers ENCADRÉ 1 : DÉFINITION DE LA DÉNUTRITION SÉVÈRE Une dénutrition sévère impose une intervention nutritionnelle avant tout traitement actif de la tumeur. Elle se traduit - chez un adulte de moins de 70 ans, par : une perte de poids supérieure à 20% en 6 mois, ou une perte de poids supérieure à 15% en 6 mois associée à une hypoalbuminémie inférieure à 35 g/l, ou une perte de poids supérieure à 10% en 6 mois associée à une hypoalbuminémie inférieure à 30 g/l, ou un IMC inférieur à 16. - chez un sujet de plus de 70 ans, par : une perte de poids supérieure à 15% en 6 mois ou à 10% en 1 mois, ou une hypoalbuminémie inférieure à 30 g/l ou un IMC inférieur à 18. Un IMC inférieur à 21 est un signe de dénutrition chez le sujet âgé. Un sujet en surcharge pondérale (IMC entre 25 et 30) voire obèse (IMC supérieur à 30) peut être authentiquement dénutri (sarcopénie). Une perte involontaire de 5 kg doit déjà attirer l attention sur la possibilité d une altération nutritionnelle significative. BASES DE L INTERVENTION NUTRITIONNELLE Le traitement nutritionnel ne peut se concevoir, en dehors du stade palliatif pur, qu avec un traitement anticancéreux actif. Des principes de base encadrent la nutrition thérapeutique en oncologie : toujours préférer la voie entérale à la voie parentérale (dans la mesure où le tube digestif est fonctionnel et même si la solution d utiliser la voie d abord centrale chambre implantable - paraît plus simple) ; tenir compte de la possibilité d utiliser des compléments diététiques oraux ; s assurer que la nutrition est complète (incluant les micronutriments) ; éviter l hypernutrition au delà des capacités métaboliques du sujet ; surveiller et prévenir les complications possibles de la technique de nutrition (thrombose de la voie d abord et infections du site pour la nutrition parentérale ; pneumopa- 5

D O S S I E R thies et troubles digestifs pour la nutrition entérale) ; en vérifier l efficacité. Les compléments nutritionnels oraux (CNO) bénéficient d un remboursement dans l indication cancer. Sauf cas très particuliers il est inutile d apporter plus de 35 kcal/kg/j et plus de 2 g/kg/j : en effet le surplus est oxydé et n a donc aucun rôle anabolique ou anticatabolique. NUTRITION EN PÉRIOPÉRATOIRE Après chirurgie digestive, la nutrition et notamment les CNO - réduit la survenue de complications infectieuses (abcès de paroi ), permet une récupération plus rapide du poids et de la force musculaire. Les CNO doivent donc être largement utilisés et il faut s efforcer de convaincre le patient de leur utilité. Dans la plupart des cas 250 à 750 ml et kcal se révèlent suffisants. La nutrition parentérale peut s avérer indispensable en cas de dénutrition sévère, en préopératoire pendant une durée courte (maximum habituel deux semaines), ou en post- opératoire. Elle peut être réalisée par voie veineuse périphérique, avec des solutés spécifiques adaptés, nonhyperosmolaires (<800mOsm/L), si le capital veineux est suffisant et si elle ne dépasse pas trois semaines au maximum. Les cancers des voies aérodigestives supérieures sont, avec les pathologies neurologiques, une des indications les plus fréquentes de nutrition entérale à domicile (NED), le plus souvent par l intermédiaire d une gastrostomie d alimentation. Depuis quelques années, l intérêt se développe pour l immunonutrition péri-opératoire fondée sur l utilisation de substrats à action immunomodulatrice (encadré 2). Selon les résultats des études cliniques sur plus de deux mille patients en chirurgie digestive, l immunonutrition préopératoire permet de diminuer l anergie post-opératoire, de diviser par deux le taux de complications et réduit ainsi la durée d hospitalisation. Fait remarquable, ceci est également observé chez les patients peu ou pas dénutris 6 (perte de poids inférieure à 10%). Ce type de prise en charge est donc recommandé (AFSSAPS 2005) en oncologie digestive uniquement, si le malade a la possibilité de prendre des ingesta oraux, et en dehors de l urgence. La prescription peut être hospitalière ou extrahospitalière. CHIMIO ET/OU RADIOTHÉRAPIE ET NUTRITION La place de la nutrition chez les patients traités par chimiothérapie demeure controversée. Les résultats d études récentes, en oncologie digestive et pulmonaire, indiquent que la dénutrition augmente la toxicité (hématologique et probablement digestive) de la chimiothérapie, diminue ainsi la faisabilité du traitement, suggérant un probable bénéfice de l assistance nutritive. Plusieurs études soulignent le risque d une utilisation de la voie parentérale (chambre implantée) qui multiplie par deux à quatre le risque infectieux. De plus, une méta-analyse de quinze études cliniques

Objectif Nutrition - Place de la nutrition dans la prise en charge des cancers (dont treize en chimiothérapie) a montré un effet négatif, modeste mais semblant significatif, de la nutrition parentérale sur la réponse tumorale, suggérant que la tumeur bénéficie peut-être aussi de l apport de nutriments. Cependant ces études relativement anciennes (avant 2000) et ces données ne s appliquent peut-être pas aux protocoles actuels, tant en terme de nutrition qu en terme de traitement médical des tumeurs. De plus les critères objectifs de réponse tumorale (imagerie 2D et 3D, biologie) se sont nettement affinés depuis lors. L assistance nutritive semble avoir sa place en hématologie lourde tandis qu en oncologie solide elle pourrait être réservée aux patients réduisant leurs ingesta en cours de traitement. La mucite, complication la plus fréquente des chimiothérapies, entraîne des difficultés alimentaires. Un traitement spécifique doit lui être appliqué. En radiothérapie, la malnutrition dépend du champ d irradiation. Les indications de l assistance nutritive sont la malnutrition sévère préexistante (surtout en cas de cancer ORL), certains auteurs proposant une gastrostomie préalable, et les complications digestives aiguës ou tardives de la radiothérapie, en particulier l entérite radique chronique. ENCADRÉ 2 : L IMMUNONUTRITION On désigne sous ce vocable l utilisation thérapeutique (pharmacologique) de substrats dont l intérêt n est pas uniquement nutritionnel. Ils agissent en modulant les réactions immunitaires, notamment lymphocytaires. L immunonutrition combat particulièrement l anergie postopératoire et peut avoir un effet stimulant des défenses ou de la trophicité digestive. Il existe une immunonutrition azotée (notamment par la glutamine, l arginine et les nucléotides) et une immunonutrition non azotée utilisant divers antioxydants (dont certains oligoéléments et vitamines) et/ou les acides gras polyinsaturés de la série oméga 3 (notamment EPA, présent physiologiquement dans les huiles de poisson, à action anti-inflammatoire et antithrombotique). En clinique humaine l immunonutrition a un effet démontré en périopératoire de chirurgie digestive oncologique : son utilisation préopératoire par voie orale ou entérale permet une réduction significative (- 30 à 50%) des complications postopératoires, en particulier infectieuses. Un seul type de produits (Impact et Oral Impact ) a vu son indication validée par l AFSSAPS. C est un médicament d exception dont la prescription est réservée aux spécialistes. L immunonutrition dans d autres situations, oncologiques ou non oncologiques (patients de réanimation), n a pas pour l instant démontré de bénéfice univoque. 7

D O S S I E R CANCER ET NUTRITION : RÉCAPITULATIF DES DIFFÉRENTES SITUATIONS CLINIQUES Apports oraux spontanés (en % des besoins) 100 Nutrition de réhabilitation 80 60 Séquelles (de chirurgie, radiothérapie ) 40 20 0 Nutrition "thérapeutique" Traitement Rémission Guérison Récidive Nutrition "palliative" Phase terminale Cette dernière entité séquellaire, pouvant survenir jusqu'à 20 à 30 ans après une irradiation pelvienne, ne diminue pas de prévalence du fait de l amélioration générale des pronostics des cancers : elle représente encore 10% des mises en place d une nutrition parentérale à domicile de longue durée. Très peu d études ont actuellement clairement démontré le bénéfice de la nutrition thérapeutique sur la possibilité de réaliser pleinement le traitement par radiothérapie. TRAITEMENTS COMPLÉMENTAIRES Les compléments nutritionnels oraux, en particulier ceux enrichis en EPA (acide eicosapentaénoïque), ont un effet anti-cachexiant démontré chez l animal, notamment par inhibition du PIF. Malheureusement les bénéfices cliniques semblent modestes en oncologie, notamment parce que la dose efficace est supérieure à 2g/j. Si ces compléments réduisent la perte de poids en cas de cancer bronchique ou pancréatique évolué, et encore pas beaucoup plus que les compléments standards, aucune différence de survie n a pu être observée en situation d échappement thérapeutique ou palliative. Certains produits sont néanmoins spécifiquement proposés dans ces indications et peuvent être utilisés si l acceptation et la tolérance du patient est bonne, ce qui est habituellement le cas. Les orexigènes, classe qui abrite à l heure actuelle très peu de médicaments, n ont pas présentement de place 8

Objectif Nutrition - Place de la nutrition dans la prise en charge des cancers dans le traitement de l anorexie et la dénutrition des malades cancéreux, car aucun d entre eux n a montré un bénéfice objectif franc. Les anabolisants (par exemple l acétate de megestrol) ont surtout un effet d augmentation de la masse grasse. NUTRITION EN PHASE PALLIATIVE La nutrition en phase palliative, et encore plus terminale, pose des questions éthiques. La faim et la soif ne sont pas des symptômes constants de la phase terminale. Il existe un accord professionnel pour éviter de proposer la nutrition parentérale quand le patient à un indice de Karnofsky inférieur à 50 (indice OMS 4 ou alitement permanent du fait de la dénutrition) et qu aucun projet thérapeutique (chimiothérapie notamment) ne peut plus être envisagé, associé à une espérance de vie prévisible inférieure à 3 mois. En cas de carcinose péritonéale la nutrition parentérale peut être utile. Le maintien d une qualité de vie acceptable et le traitement symptomatique (soins de confort, soins de bouche ) demeurent ici l objectif premier. CONCLUSION Un projet thérapeutique cohérent et multidisciplinaire doit prendre en charge la dénutrition du malade cancéreux pour lequel existent des possibilités thérapeutiques spécifiques, à utiliser parfois de manière séquentielle. S il est clair que la nutrition thérapeutique réduit les complications de la chirurgie et peut favoriser la réalisation d un protocole complet de chimio-radiothérapie, son impact propre sur le pronostic du cancer (évolution de la masse tumorale, amélioration de la survie) demeure incertain bien que probable. La réduction des coûts directs et indirects de la maladie et l amélioration de la qualité de vie des patients sont les deux bénéfices actuellement démontrés. BIBLIOGRAPHIE 1. FNCLCC (Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer). Standards, Options et Recommandations 1999. Bonnes pratiques diététiques en cancérologie : dénutritionet évaluation nutritionnelle. Disponible en ligne : http://www.fnclcc.fr/ (Recommandations pour la pratique clinique > Accès aux RCP SOR > Bonnes pratiques > Diététique > Evaluation Nutritionnelle). 2. Gianotti L et al. A randomized controlled trial of preoperative oral supplementation with a specialized diet in patients with gastrointestinal cancer. Gastroenterology 2002;122(7):1763-70 3 Koretz RL, Lipman TO, Klein S. AGA technical review on parenteral nutrition. Gastroenterology. 2001;121: 970-1001. 9

R E V U E D E P R E S S E Le surpoids prédisposerait à la démence Overweight in midlife and risk of dementia : a 40 year follow-up study. Hassing L-B et al, International Journal of Obesity 2009 ; 33 : 893-898 Parmi les recherches récentes sur les facteurs prédisposant à la survenue ultérieure d une démence, certaines ont mis en évidence une association entre un index de masse corporelle (IMC) élevé et le risque de démence. De nombreux points restent cependant à préciser : le risque diffère-t-il selon le sexe? Le risque est-il le même pour la maladie d Alzheimer et pour les autres types de démence? Le risque persiste-t-il indépendamment des facteurs de risque vasculaires? Pour tenter de répondre à ces questions, cette étude suédoise à regroupé les données de deux études sur une cohorte de jumeaux suédois : 1 152 sujets (357 hommes et 795 femmes), âgés de 45 à 65 ans en 1963, furent régulièrement suivis jusqu en 2005 ou jusqu à leur décès. L IMC fut calculé sur les données de 1963, évitant ainsi une sous-estimation liée à l amaigrissement fréquent lors du début du processus démentiel. Le diagnostic de démence fut établi, et le type de démence précisé, lors du suivi régulier des patients, à l aide des tests validés, et confirmés en réunion multidisciplinaire. Une démence fut diagnostiquée chez 312 patients (181 maladies d Alzheimer, 69 démences vasculaires, 62 autres démences), à un âge moyen de 83 ans. L analyse en régression logistique ajustée pour l âge, le sexe, le tabagisme et la consommation d alcool montre une association significative entre l IMC et le risque de survenue d une démence : les patients dans le quartile supérieur d IMC (IMC 26,5) avaient un risque de démence augmenté de 59% (RR=1,59), sans différence selon le sexe. Le risque relatif était de 1,71 pour la maladie d Alzheimer, et de 1,55 pour la démence vasculaire. L ajustement pour les facteurs de risques vasculaires ne modifiait le risque que pour la démence vasculaire, soulignant le rôle de ces facteurs dans sa survenue. Cette étude confirme le rôle prédisposant d un surpoids aux âges moyens de la vie dans la survenue ultérieure d une démence, vasculaire ou non. Le surpoids semble donc augmenter le risque de démence par lui-même, indépendamment des facteurs de risque vasculaire : les mécanismes en cause restent à préciser. 10

R E V U E D E P R E S S E Intérêt de l amaigrissement chez les enfants obèses avec stéatose hépatique Lifestyle intervention in obese children with non-alcoholic fatty liver disease: 2-year follow-up study Reinehr T et al. Arch Dis Child 2009 ; 94 : 437-442 La stéatose hépatique (NAFLD ou non alcoholic fatty liver disease) est la cause la plus fréquente d atteinte hépatique chez l obèse avec un risque de cirrhose à plus ou moins long terme. Sa fréquence est estimée entre 20% et 77% des sujets selon les cohortes. La perte de poids reste la meilleure arme thérapeutique à ce jour en raison de l inefficacité des médicaments testés tels que l acide ursodésoxycholique. Cependant, il existe très peu d études longitudinales d intervention ayant évalué l effet bénéfique de la perte de poids et sa persistance à long terme. Reinehr et al ont décrit récemment les résultats à deux ans d une étude d intervention chez 109 enfants obèses ayant une stéatose hépatique à l échographie. Le programme d intervention comportait une promotion de l activité physique, de l équilibre alimentaire et une thérapie comportementale durant un an. Un groupe de 43 enfants obèses n ayant pas participé mais ayant les mêmes caractéristiques phénotypiques constituait le groupe témoin. Ce travail a montré une amélioration significative des ALAT (-10U/l ; p=0,002), des ASAT (-5U/l; p<0,001) et de la fréquence de l atteinte hépatique (-50%; p<0,001) après un an d intervention par rapport au groupe témoin. Au bout de deux ans, soit un an après l arrêt du programme d intervention, l effet persistait, même en cas de diminution modérée du Zscore de l IMC entre 0 et -0,25 DS. A noter que la réduction la plus importante en terme de fréquence de NAFLD (-89% à un an et -94% à deux ans) a été observée chez les enfants ayant la diminution du Zscore de l IMC la plus importante (> 0,5DS). Objectif Nutrition, La Lettre de l Institut Danone Directeur de la publication : Pr. Jean-Philippe Girardet, AP/HP, Hôpital Armand Trousseau, Paris. Rédacteur en chef : Dr Jean-Laurent Le Quintrec, AP/HP, Hôpital Ste-Périne, Paris. Rédactrice en chef adjointe : Anne-Sophie Bourhis, Danone Produits Frais France, Paris. Secrétaire de rédaction : Amélie Raes, Eficom santé. Comité de rédaction : Dr Brigitte Boucher, Paris ; Pr. Pierre Bourlioux, Faculté de Pharmacie, Paris ; Dr Béatrice Dubern, AP/HP, Hôpital Armand Trousseau, Paris ; Pr. Michel Vidailhet, Nancy ; Pr. Fernand Lamisse, Tours ; Dr Martine Pellae, AP/HP, Hôpital Bichat, Paris. Conception-réalisation : Agence Louisiane. Chef d édition : Jean-Charles Fauque. Photogravure/Impression : Altavia. Dépôt légal : 4 ème trimestre 2009. Nº ISSN : 1166357 X. 11

LES NOUVELLES DE L INSTITUT DANONE Des recettes de cuisine pour les enfants par les enfants Depuis septembre 2008, des enfants se sont amusés, en classes primaires ou en famille, à conjuguer le mot goût avec envie, en participant au 4 ème Prix Matty Chiva pour l éveil du goût de l Institut Danone. La mission des participants cette année : proposer une recette à base de fruits ou légumes, en décrire le goût, les sensations, l illustrer. 22 recettes, élues par un jury, sont aujourd hui publiées dans un ouvrage conçu avec l Institut Danone et édité par Mila éditions, sous le conseil éditorial de Marie-Christine Clément : Trop bon! Les fruits et légumes. Le livre, à destination des enfants à partir de 6 ans, est disponible en librairie depuis novembre 2009, au prix conseillé de 14,95. Dans le cadre de son partenariat avec l Institut Danone, Mila Editions s engage à reverser 1 par livre vendu en librairie à l ANDES, l Association nationale de développement des épiceries solidaires. Créé en 1991, l Institut Danone rassemble des scientifiques, des médecins et des personnalités du monde de la nutrition. Il a pour mission : - d encourager la recherche dans le domaine de la nutrition et de l alimentation ; - d informer et de former les professionnels de santé sur tous les sujets liés à l alimentation ; - de participer, par des actions d éducation et d information, à l amélioration de l alimentation de l ensemble de la population. L Institut Danone est une association régie par la loi de juillet 1901. Ses publications ne contiennent aucune information à caractère commercial. 150-152 boulevard Victor-Hugo - 93589 Saint-Ouen Cedex - institutdanone@gmail.com www.institutdanone.org