Numéro du rôle : 3897. Arrêt n 183/2006 du 29 novembre 2006 A R R E T



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Transcription:

Numéro du rôle : 3897 Arrêt n 183/2006 du 29 novembre 2006 A R R E T En cause : la question préjudicielle relative aux articles 184, 185, 191, 192 et 261 du Code des sociétés, posée par la Cour d appel de Bruxelles. La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges R. Henneuse, M. Bossuyt, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * *

2 I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 9 février 2006 en cause de l Office national de sécurité sociale (ONSS) contre la SPRL en liquidation «Belgian tax and accounting services company Société belge de services comptables et fiscaux», dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour d arbitrage le 14 février 2006, la Cour d appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : «Les articles 184, 185, 191, 192 et 261 du Code des sociétés violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution s il faut les interpréter comme ne permettant pas à un créancier d une société civile à forme commerciale mise en liquidation volontaire par décision de l assemblée générale et se trouvant en situation de cessation de paiement et d ébranlement du crédit, de demander au tribunal le remplacement du liquidateur nommé par l assemblée générale, alors que le remplacement du liquidateur ou du curateur peut être demandé au tribunal dans le cadre d une procédure de liquidation judiciaire ou de faillite?». Des mémoires ont été introduits par : - la SPRL en liquidation «Belgian tax and accounting services company Société belge de services comptables et fiscaux», dont le siège social est établi à 1050 Bruxelles, rue Washington 31/3; - le Conseil des ministres. A l'audience publique du 4 octobre 2006 : - a comparu Me S. Naeije loco Me D. Gérard et Me C. Dehout, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs R. Henneuse et E. Derycke ont fait rapport; - l avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et la procédure antérieure L ONSS a assigné la partie intimée devant le juge a quo, société civile à forme de SPRL, en dissolution judiciaire et en désignation d un ou de plusieurs liquidateurs devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. La veille de l audience d introduction, l assemblée générale de la partie intimée devant le juge a quo a toutefois décidé la dissolution volontaire et la mise en liquidation de la société. Elle a également désigné comme liquidateur le seul actionnaire, gérant de la société.

3 Malgré la liquidation volontaire de la société, l ONSS a maintenu sa demande originaire au motif qu il souhaitait un contrôle judiciaire des opérations de liquidation et la nomination d un liquidateur indépendant. Le Tribunal de première instance de Bruxelles a refusé de faire droit à cette demande. Une même demande est formulée par l ONSS devant le juge a quo, statuant en appel d une telle décision. Selon le juge a quo, il ne semble pas que la législation en vigueur permette à un créancier de demander le remplacement du liquidateur nommé par l assemblée générale, dans le cadre d une liquidation volontaire, par un liquidateur désigné judiciairement. Le juge a quo souligne qu en cas de faillite, le curateur est désigné et contrôlé par le tribunal de commerce qui peut le remplacer à tout moment, notamment à la demande d un créancier. Par ailleurs, la faillite d une société commerciale en liquidation peut être déclarée si les conditions de cessation de paiement et d ébranlement du crédit sont réunies. Dans ce cas, le tribunal de commerce désigne un curateur et le créancier se voit ainsi offrir une possibilité d obtenir la désignation d un mandataire de justice. Enfin, lorsque la liquidation est judiciaire, le tribunal procède à la désignation d un liquidateur et, le cas échéant, à son remplacement. En revanche, le créancier d une société mise volontairement en liquidation par décision de l assemblée générale ne semble disposer que du seul recours en responsabilité contre le liquidateur. Toujours selon le juge a quo, les créanciers d une société civile en liquidation volontaire se trouvent cependant dans une situation comparable à celle des créanciers des sociétés dont la liquidation est prononcée judiciairement. Dans les deux cas, ils sont en situation de concours et attendent du liquidateur ou du curateur la réalisation des actifs et le paiement des créances dans le respect du principe de l égalité des créanciers. Pour ces motifs, le juge a quo estime nécessaire de poser à la Cour la question préjudicielle précitée. III. En droit - A A.1.1. La partie intimée devant le juge a quo soutient que les dispositions visées par la décision de renvoi n interdisent ni n autorisent le remplacement d un liquidateur judiciaire ou d un curateur par le tribunal de commerce. Par conséquent, si la différence de traitement entre créanciers devait être déclarée inconstitutionnelle, il y aurait lieu, en tout état de cause, de répondre par la négative à la question préjudicielle posée par le juge a quo, puisque la discrimination ne naîtrait en aucune façon des dispositions visées par celui-ci. A.1.2. Par ailleurs, les créanciers d une société civile mise en liquidation volontaire, d une part, et les créanciers d une société mise en liquidation judiciaire ou en faillite, d autre part, se trouveraient dans des situations fondamentalement différentes, en manière telle qu ils ne pourraient être utilement comparés. En effet, les créanciers d une société en liquidation volontaire ne seraient pas en droit de demander le remplacement du liquidateur puisque ce dernier tiendrait, dans ce cas, son mandat de l assemblée générale des

4 actionnaires. En revanche, les créanciers d une société en liquidation judiciaire ou faillie auraient comme interlocuteurs des mandataires nommés par le tribunal de commerce qui, en sa qualité de mandant, serait le seul à pouvoir révoquer le mandat confié au liquidateur judiciaire ou au curateur. Les procédures de liquidation volontaire, d une part, et celles de liquidation judiciaire ou de faillite, d autre part, trouveraient d ailleurs à s appliquer à des situations fondamentalement différentes. Pour le surplus, il n appartiendrait jamais au tribunal de commerce de révoquer le liquidateur d une société mise volontairement en liquidation, que cette société ait une nature civile ou commerciale. Il n existerait dès lors pas de discrimination sur ce point entre les créanciers. Enfin, l ONSS n aurait pas été démuni de recours. Il aurait en effet pu demander la désignation d un gérant ad hoc devant le juge des référés. Il serait également en mesure de mettre en cause la responsabilité du liquidateur, de la même façon que s il était créancier d une société commerciale. A.1.3. La partie intimée devant le juge a quo estime encore que, par sa formulation, la question préjudicielle pourrait être interprétée comme mettant en exergue le fait qu une société civile ne peut être mise en faillite ou en liquidation judiciaire. Une telle situation ne résulterait toutefois pas des dispositions légales visées dans la question préjudicielle. En outre, cette différence de traitement ne serait pas discriminatoire dès lors qu on ne pourrait comparer utilement des personnes commerçantes et des personnes ne posant que des actes civils. A.2.1. Le Conseil des ministres relève que les sociétés civiles à forme commerciale sont soumises, en ce qui concerne leur dissolution et leur liquidation, aux mêmes dispositions que les sociétés commerciales. Il rappelle, par ailleurs, que lorsque la dissolution, volontaire ou judiciaire, est prononcée, la personne désignée comme liquidateur doit être celle qui est visée comme telle dans les statuts de la société. Ce n est qu à défaut que l assemblée générale procédera à cette désignation. Dans certains cas limitativement énumérés par le Code des sociétés (articles 182, 184 et 833, alinéa 2), et à titre exceptionnel, les tribunaux peuvent être appelés à désigner le liquidateur. En dehors de ces hypothèses, même en cas de dissolution judiciaire d une société commerciale, la loi ne conférerait aucune compétence au tribunal de commerce pour nommer les liquidateurs. Il existerait toutefois une jurisprudence qui tendrait à consacrer un tel pouvoir dans certains cas, notamment en cas de blocage au sein de la majorité des actionnaires ou associés, de risque de partialité du liquidateur ainsi que dans les autres cas de dissolution judiciaire que ceux qui sont visés expressément par la loi. Cette pratique ne s appuierait toutefois sur aucune disposition légale. Par ailleurs, les créanciers n interviendraient nullement dans le cadre de la procédure de désignation des liquidateurs. En ce qui concerne la révocation du liquidateur, le Conseil des ministres souligne que, lorsqu il a été désigné par l assemblée générale de la société, seule cette dernière peut le révoquer. Les tribunaux ne pourraient être saisis d une telle demande que dans le cas visé à l article 184 du Code des sociétés. En revanche, lorsque le liquidateur a été désigné par un tribunal, seul ce dernier peut le révoquer. Toutefois, en dehors des cas visés aux articles 182, 184 et 833, alinéa 2, du Code des sociétés, le nouveau liquidateur devra être désigné conformément aux dispositions statutaires ou, à défaut, par l assemblée générale de la société concernée. Les créanciers ne jouent aucun rôle dans la révocation du liquidateur. Le pouvoir important reconnu à l assemblée générale dans la désignation et la révocation du liquidateur s expliquerait par la nature de ses fonctions. Celui-ci interviendrait en effet en qualité d organe de la société visà-vis des tiers et de mandataire de celle-ci. Le pouvoir de l assemblée générale serait identique, que la société en liquidation ait une nature civile ou commerciale ou que la dissolution soit volontaire ou judiciaire, à l exception des trois cas visés par le Code des sociétés. Selon le Conseil des ministres, il faudrait dès lors en conclure que l interprétation des dispositions litigieuses par le juge a quo est erronée. En effet, ce ne serait que dans des cas extrêmement limités et prévus par

5 la loi que le liquidateur d une société mise en liquidation judiciaire pourrait être révoqué. Une réponse négative devrait dès lors être réservée à la question préjudicielle sur ce point. A.2.2. Le juge a quo comparerait également la situation d un créancier d une société civile à forme commerciale mise en liquidation volontaire avec la situation du créancier d une société en faillite. Le Conseil des ministres concède qu à la différence de la liquidation volontaire, la réglementation de la faillite permet au tribunal de commerce d ordonner le remplacement du curateur. Par ailleurs, les dispositions relatives à la faillite n étant pas applicables à la société civile à forme commerciale, le curateur ne pourrait pas demander que la faillite de cette société soit ordonnée pour pallier à la désignation d un liquidateur en lequel il n a pas confiance. A.2.3. Le Conseil des ministres reconnaît également que le créancier d une société civile à forme commerciale mise en liquidation volontaire est soumis à un traitement différent de celui auquel est soumis le créancier d une société faillie. Les deux situations seraient toutefois fondamentalement différentes. Il s agirait tout d abord, d une part, d une société civile et, de l autre, d une société commerciale. Les régimes applicables à ces deux types de sociétés seraient donc fondamentalement différents, notamment au regard du droit de la preuve, des garanties pouvant être consenties et de la compétence du tribunal. De même, la faillite ne s appliquerait qu aux sociétés commerciales alors que la liquidation volontaire s appliquerait à toutes les formes de sociétés. Ensuite, les procédures de faillite et de liquidation volontaire seraient intimement différentes, notamment quant à la nature des fonctions conférées au gestionnaire de la masse. Le liquidateur interviendrait comme organe et mandataire de la société alors que le curateur agirait comme mandataire de justice représentant la masse des créanciers. A.2.4. A titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la différence de traitement litigieuse repose sur un objectif légitime et est raisonnablement justifiée par rapport à cet objectif. L instauration d une société civile à forme commerciale résulterait de la loi du 14 juin 1926, laquelle aurait visé à améliorer la situation des sociétés qui n étaient pas commerçantes en leur permettant de bénéficier de la personnalité juridique. Ces sociétés conserveraient cependant leur caractère civil et n auraient pas la qualité de commerçant. Par là même, elles échapperaient aux règles propres aux commerçants, dont notamment le régime de faillite, privant ainsi leurs créanciers de la possibilité de les citer en faillite et d obtenir la désignation par le tribunal de commerce d un véritable mandataire de justice. Lors de l adoption du Code des sociétés, le législateur aurait confirmé sa volonté de laisser aux sociétés civiles à forme commerciale leur caractère exclusivement civil. L objectif du législateur aurait dès lors été de permettre aux sociétés civiles, dans une perspective de développement économique, d exploiter leurs activités dans un cadre leur offrant la sécurité et la stabilité nécessaires à la pérennité de celles-ci. Parallèlement, le législateur, soucieux de respecter la classification essentielle sur laquelle repose le droit civil belge, à savoir la distinction entre actes civils et commerciaux, aurait choisi de conserver le caractère civil de ces sociétés. De tels objectifs seraient incontestablement légitimes. Quant au critère de distinction retenu par le législateur, il serait objectif et pertinent. Admettre le contraire reviendrait, selon le Conseil des ministres, à remettre en cause la distinction des actes civils et des actes commerciaux. Enfin, le législateur n aurait pas établi une restriction disproportionnée aux droits des créanciers de la société civile. La décision de l assemblée générale de dissoudre volontairement la société et de désigner un liquidateur pourrait, dans certaines hypothèses, faire l objet d un recours en annulation, susceptible d être formé

6 par tout intéressé. Tel serait notamment le cas lorsque la décision aurait été prise en violation de certaines règles de forme ou serait entachée d un excès ou d un détournement de pouvoir. En outre, le liquidateur serait soumis à un régime de responsabilité très sévère, dérogatoire au droit commun, mis sur pied précisément afin de sauvegarder les intérêts des créanciers. - B B.1. La Cour est interrogée sur le point de savoir si les articles 184, 185, 191, 192 et 261 du Code des sociétés violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu ils ne permettent pas au créancier d une société civile à forme commerciale mise en liquidation volontaire et en situation de cessation de paiement et d ébranlement du crédit, d obtenir le remplacement judiciaire du liquidateur nommé par l assemblée générale, alors que le remplacement du liquidateur ou du curateur peut être obtenu dans le cadre d une procédure de liquidation judiciaire ou de faillite. B.2. L article 2 de la loi du 2 juin 2006 «modifiant le Code des sociétés en vue d améliorer la procédure de liquidation» remplace l article 184 du Code des sociétés. Ce dernier prévoit désormais que les liquidateurs n entrent en fonction qu après confirmation, par le tribunal de commerce, de leur nomination par l assemblée générale. Le tribunal n accorde une telle confirmation qu après avoir vérifié que les liquidateurs offrent toutes les garanties de probité. Il statue également sur les actes que le liquidateur a éventuellement accomplis entre sa nomination par l assemblée générale et la confirmation de cette nomination. Il peut confirmer ces actes de manière rétroactive, ou les annuler s ils constituent une violation manifeste des droits de tiers. Certaines personnes se voient en outre privées du droit d exercer la fonction de liquidateur sauf si elles sont, le cas échéant, homologuées par le tribunal de commerce. En cas de refus de confirmation ou d homologation, le tribunal, saisi par la société, le procureur du Roi ou tout tiers intéressé, désigne lui-même le liquidateur, éventuellement sur proposition de l assemblée générale. En vertu de l article 3 de la loi précitée, un article 189bis est encore inséré dans le Code des sociétés. Celui-ci impose aux liquidateurs de transmettre, au cours des sixième et

7 douzième mois de la première année de la liquidation, un état détaillé de la situation de la liquidation au greffe du tribunal de commerce. Quant à l article 4 de la même loi, il complète l article 190, 1er, du Code des sociétés en exigeant des liquidateurs qu ils soumettent, avant la clôture de la liquidation, le plan de répartition de l actif entre les différentes catégories de créanciers pour accord au tribunal de commerce compétent. En cas de non-respect de ces obligations, le tribunal peut, sur requête du ministère public ou de tout tiers intéressé, pourvoir au remplacement du liquidateur après l avoir entendu. Le liquidateur qui néglige de transmettre l état détaillé de la situation de la liquidation encourt de surcroît des sanctions pénales. B.3. Cette loi a été publiée au Moniteur belge du 26 juin 2006. L article 7 de cette loi dispose : «Dans l'année de la publication de la présente loi au Moniteur belge, les liquidateurs prennent, pour les liquidations en cours au moment de son entrée en vigueur, les mesures nécessaires pour se conformer à ses dispositions». Ce n est pas à la Cour mais au juge a quo qu il appartient d examiner si la loi nouvelle peut ou non avoir une incidence sur le litige qui lui est soumis et si, en raison de cet élément, une question préjudicielle doit encore être posée à la Cour. B.4. Il convient dès lors de renvoyer la cause au juge a quo.

8 Par ces motifs, la Cour renvoie la cause au juge a quo. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d arbitrage, à l audience publique du 29 novembre 2006. Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux M. Melchior