Optimiser, améliorer ou pressurer?



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Transcription:

La méthode Lean fait beaucoup de vagues dans le réseau public de la santé et des services sociaux. En plus des trois projets pilotes annoncés en novembre 2011 (CHU de Québec - Hôpital Saint-François d Assise, CSSS du Sud-Ouest-Verdun et CSSS Jardins-Roussillon), plusieurs établissements connaissent présentement des réorganisations visant à rationaliser les services et à améliorer leur performance. Divers procédés sont utilisés dans le réseau afin de rationaliser les services. Nous pouvons citer la méthode Lean, l optimisation des processus de travail ou les réorganisations de services dites traditionnelles, à titre d'exemple 1, mais il y a des distinctions à faire entre ces différents procédés. Cependant, l objectif qui les sous-tend reste le même : l intégration des façons de faire du privé pour transformer la gestion et l organisation du réseau public. Tous ces procédés de rationalisation ou de réorganisation des services publics sont englobés dans une théorie de gestion que nous appelons communément, la Nouvelle gestion publique (NGP). L'application de la NGP prend différents visages, mais découle toujours de la perspective des gestionnaires. Dans le cas de la méthode Lean, par exemple le personnel est impliqué dans l'optimisation des services, ce qui n est pas le cas de tous les projets d optimisation. Peu importe la forme que prennent les exercices d optimisation ou de modernisation des services, l APTS considère que la vigilance est nécessaire afin de s assurer, qu au-delà des promesses d autonomie professionnelle et de flexibilité, le personnel n en sorte pas perdant. La Nouvelle gestion publique : une vieille idée Dans les années 1960-1970, un modèle bien québécois d État-providence est né. C est dans une période de grande ébullition sociale que des programmes, tels que le régime d assurance maladie, le régime public d éducation supérieure et les grands projets de nationalisation (pensons à l électricité) se sont développés Toutefois, dès les années 1980, les importantes réalisations de la Révolution tranquille sont remises en question par la popularisation du discours néolibéral 2. Depuis la récession importante du début des années 80, les idées de privatisation des services publics, de déréglementation et de mise en concurrence des États font leur chemin. C est ainsi que depuis cette période, l idée même de l existence de l État-providence est contestée. L intégration de la NGP s est faite progressivement au Québec et domine, encore aujourd hui, les écoles de pensées en gestion publique. Les mots d'ordre de la NGP sont : service client, productivité, efficacité et gestion. Les différents projets d optimisation des services, de modernisation des pratiques de gestion ou de réorganisation du travail découlent directement de ces principes du management public. La NGP s est popularisée parce qu il ne s agit pas de démanteler l État-providence, mais d introduire des principes de marché dans la gestion de ses services et de ses institutions. Néanmoins, la révolution managériale portée par le mouvement de la Nouvelle Gestion publique participe clairement de la vision politique promue par les économistes néo-libéraux 3. 1 Voir l Annexe pour la définition des principales méthodes de gestion. 2 Le néolibéralisme est une doctrine de droite qui s oppose au modèle de l État-providence et à l interventionnisme. Pour les tenants du néolibéralisme, le rôle de l État se résume à assurer la libre concurrence des agents économiques et favoriser la recherche de profit. Le néolibéralisme encourage à restreindre l offre de services publics, entre autres par la privatisation et la sous-traitance. 3 François-Xavier Merrien, «La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique», Lien social et Politiques, n 41, 1999, p. 96. 3

On peut définir la NGP à l aide de huit objectifs : Fragmenter l'état grâce à la décentralisation; Limiter le pouvoir public central; Instaurer des contrôles des coûts, des procédures de reddition de compte et la gestion axée sur les résultats; Créer des marchés privés de soins de santé et de services sociaux; Soumettre le personnel aux mesures de performance; Orienter les activités cliniques et les services aux usagers en fonction des exigences administratives plutôt qu en fonction des missions de base des établissements; Nommer les usagers «des clients» afin de les assimiler à des consommateurs; Évaluer le rendement et l'efficacité en fonction de la satisfaction de la clientèle 4. Au cours des 15 dernières années, toutes ces idées ont été testées ou appliquées dans le réseau public de la santé et des services sociaux. Moins de frontières entre le secteur public et le secteur privé Dans ce contexte néolibéral, la délimitation entre ce qui est du domaine public ou privé est de moins en moins claire dans le réseau public. L idée qui sous-tend la NGP, est d y intégrer les façons de faire du privé en ayant recours à des firmes externes privées pour la gestion. En transformant ainsi le réseau public «de l intérieur», on tend à détruire les particularités du système de soins de santé et de services sociaux de ce réseau pour ensuite le mettre en concurrence avec le système de soins de santé et de services sociaux du réseau privé qui se développe en parallèle. D ailleurs, depuis une dizaine d années, le secteur privé prend de plus en plus de place dans le réseau public de la santé et des services sociaux québécois. La réingénierie (ou modernisation) de l État mise en place par le gouvernement libéral précédent a de fâcheuses conséquences : Les partenariats public-privé (PPP) dans les établissements publics; Le recours à la main-d œuvre indépendante; Le développement d un système à deux vitesses, entre autres avec l augmentation progressive du nombre de médecins non participants au régime public. 4 Mélanie Bourque, Les nouvelles méthodes de gestion organisationnelle au sein du système de santé et des services sociaux au Québec : de la recherche de l efficacité à la satisfaction de la clientèle, présentation à la F4S-CSQ, 21 mars 2012. 4

Pourquoi la NGP est-elle si populaire? Malgré l implantation des idées néolibérales et la pratique de la NGP depuis plusieurs années, rien ne semble s améliorer dans le réseau public. On se demande donc pourquoi la NGP demeure si populaire, au point d être encore présentée comme «la» solution miracle aux défis du système public de soins de santé et de services sociaux. Une des principales idées qui plaît dans la NGP, c est la promesse de réduire la bureaucratie. Pourtant, en y regardant de plus près, le réseau public n a rien à envier au réseau privé à cet égard. Selon le chercheur Jean- François Landry de l'iris, il y a beaucoup plus de bureaucratie dans le secteur privé comparativement au secteur public. En pourcentage, les frais d administration dans le réseau public se situent entre 3 % et 10 % du budget de fonctionnement, C est une donnée comparable à pratiquement tous les pays de l Organisation de coopération et de développement économiques. Dans le secteur privé, on parle plutôt de 15 à 30 % du budget 5. Par conséquent, qu est-ce qui explique le recours à la NGP? C est le contexte d austérité budgétaire qui sous-tend cette tendance de gestion. Un contexte où la dette publique est importante et où le gouvernement pratique la politique budgétaire à court terme. De plus, les firmes privées qui appliquent la NGP proposent des réponses simples, claires et faciles aux problèmes de gestion tout en offrant des solutions toutes prêtes à vendre aux gestionnaires du réseau public 6! En bref, la Nouvelle gestion publique est d abord une vision politique néolibérale qui vise à transformer la gouvernance du réseau public de la santé et des services sociaux en y intégrant les principes et les valeurs du secteur privé. En voulant chiffrer à tout prix la performance et l efficacité, on peut pourtant en arriver à dénaturer la logique particulière liée à la prestation des soins de santé et des services sociaux. Cependant, il faut reconnaître que l implantation des principes néolibéraux est une tendance lourde de notre société qu on ne peut pas enrayer complètement du jour au lendemain. La solution n est donc pas de tout contester en bloc. Par exemple, s il est quasi impossible de rendre un projet de PPP en santé et services sociaux acceptable, il demeure réaliste d améliorer les projets d optimisation des services par l action syndicale dans les établissements. C est le défi que l APTS s est donné. 5 Jean-François Landry, Institut de recherche et d informations socio-économiques (IRIS); cité dans Normand Thériault, «À l heure des choix : la solution ne viendra pas du secteur privé», Le Devoir, 15 septembre 2012. 6 D. Saint-Martin; cité dans Merrien, loc. cit., p. 95. 5

L optimisation des services de santé et de services sociaux : amélioration réaliste ou pensée magique Optimiser les services, c est viser le fonctionnement optimal de toutes les ramifications d un secteur d activités, d un programme ou d une unité de soins et services dans un établissement de santé et de services sociaux. Pour le ministère de la Santé et des Services sociaux, l optimisation se définit comme «la recherche de façons novatrices d améliorer l accès aux services par une utilisation encore plus judicieuse des ressources» 7. Ce qui caractérise l optimisation des services, ce n est pas tant une méthode, mais plutôt des objectifs : mieux performer, assurer la satisfaction des clientèles et mettre fin au gaspillage. Les projets découlant de la méthode Lean sont des projets d optimisation des services. Toutefois, nous retrouvons d autres types de projets d optimisation dans les établissements de santé et de services sociaux qui ne correspondent pas à l ensemble des principes, pratiques et standards des projets implantés selon la méthode Lean même si nous leur donnons fréquemment le nom de projet Lean. L optimisation des services est une pratique populaire parce qu elle s inscrit dans une période où le modèle d'organisation traditionnel du réseau public, trop centralisé et bureaucratisé, ne répond pas aux exigences de performance dictées par les tenants du néolibéralisme. De plus, le personnel professionnel et technique est plus enclin à participer aux réformes, s il fait partie de la solution en vue de renouveler l organisation du travail, et ce, dans un contexte où tous s entendent sur la nécessité d'améliorer l'accessibilité des services publics. Ainsi, au-delà des mises en garde sur les principes de base de la NGP, un fait demeure : les transformations sont en cours et, comme syndicat, il est nécessaire d être à l affût ou d y prendre part pour ne pas «regarder le train passer» Les principes de base Démystifier les processus Afin d arriver à «optimiser», «rationaliser» ou «moderniser», il faut décortiquer les différents processus, c està-dire connaître l ensemble des opérations, des étapes ou des activités qui sont réalisées. L objectif est de clarifier les rôles et les responsabilités de chaque membre du personnel, de définir les marges de manœuvre acceptables et de simplifier le fonctionnement dans l organisation des tâches. En fonction des approches préconisées, on peut avoir recours à plusieurs activités ou techniques et le choix des outils ou méthodes est déterminé par la firme privée embauchée. Pour assurer l optimisation, il faut d abord déterminer quels sont les «processus-clés», soit les activités que l on désire transformer, simplifier ou améliorer. Le choix peut se faire en fonction des actions jugées importantes pour l usager ou encore lorsque des dysfonctionnements ou des insatisfactions de la part des usagers ou du personnel sont constatés. 7 Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, Entente de gestion et d imputabilité 2011-2012, 2011, p. 3. 6

Une gestion axée sur les résultats Les gestionnaires sont les acteurs clés de l optimisation des processus. Les projets d optimisation comprennent habituellement des étapes de «coaching» pour les gestionnaires et le personnel d encadrement ainsi que le développement et l implantation d outils de gestion de la performance et des opérations. Des structures de communication y sont également intégrées 8. Il y a plus de dix ans que le gouvernement du Québec préconise une gestion axée sur les résultats, entre autres par l implantation d ententes de gestion et d imputabilité. Les gestionnaires sont ainsi tenus à la définition d objectifs, au maintien de l offre de services et au respect de l équilibre budgétaire. Présentement, l optimisation est la principale priorité énoncée dans les ententes de gestion et d imputabilité. L objectif du ministère de la Santé et des Services sociaux est clair : «s assurer que chaque dollar investi dans le réseau public génère le maximum de gains au plan des services» 9. Comment calculer les résultats? Par des données quantifiables et donc l utilisation de statistiques. Le temps consacré à la réalisation de statistiques et aux rapports administratifs est souvent décrié par les membres de l APTS, surtout dans certains secteurs d activités, tel que les services psychosociaux et de réadaptation à domicile où leur utilisation est souvent problématique. En plus de ne pas toujours refléter la réalité du travail, la réalisation de ces tâches exige beaucoup de temps et d énergie. Dans le cadre d un projet d optimisation, le recours aux statistiques peut se multiplier. En effet, aux statistiques «régulières» peut s ajouter des tâches de planification et de suivi de la performance qui s avèrent à la fois très détaillées et laborieuses à réaliser. Toutes les minutes doivent être calculées, ce qui augmente la pression sur le personnel qui voit réduire l importance de son travail d intervention en une simple addition de tâches. Le principe du «juste à temps» Pour optimiser les processus, il faut réduire toutes formes de gaspillage. Développé dans le milieu industriel, le principe du «juste à temps» correspond à la réduction des inventaires. Dans le milieu de la santé et des services sociaux, l objectif est de réduire l accumulation des stocks et des équipements. Toutefois, d une démarche de «juste à temps» peut également découler la réduction des effectifs parce qu elle implique aussi de s assurer qu il n y ait pas de «sureffectifs». Dans le cas d un atelier Kaizen, associé à un projet selon la méthode Lean, le «juste à temps» peut viser à revoir les processus de production pour éliminer tous les temps morts ou les manipulations jugées inutiles. Les «5 zéros» résument ce principe : zéro panne, zéro délai, zéro papier, zéro stock et zéro défaut. 8 C est entre autres le cas des ententes avec Proaction et le CSSS Cavendish. 9 Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, op. cit., p. 3. 7

Pour que le «juste à temps» fonctionne, il est nécessaire d ajouter de la flexibilité à la structure de fonctionnement. La flexibilité, tout comme l autonomie professionnelle, sont des denrées rares qui ont tendance à plaire au personnel. Cependant, elles peuvent avoir comme effet pervers une obligation d augmenter la polyvalence. L optimisation des services exige souvent une augmentation du travail en équipe et une reconfiguration des tâches. Dans certains cas, la flexibilité rime avec la sous-traitance ou l impartition. Par exemple, l utilisation de la maind œuvre indépendante (sous-traitance) dans un établissement ajoute de la flexibilité dans la mesure où le nombre d effectifs nécessaires pour donner les services varie en fonction des besoins plutôt que d être conventionné. Se «départir» de certaines tâches et du personnel qui les effectuent (impartition) pensons à la buanderie augmente aussi la flexibilité d un établissement. L implication du personnel Pour espérer la réussite d un projet d optimisation des services, il est nécessaire que le personnel fasse partie de la démarche et qu il y voie des avantages ou des améliorations dans la qualité de vie au travail. Pourtant, le niveau de participation requis par le personnel aux différentes étapes d implantation d un projet d optimisation varie fortement en fonction des méthodes préconisées par la firme externe sélectionnée. Dans certains cas de projets d optimisation plus «traditionnels», en ce sens qu ils s inspirent d un modèle d organisation du travail de contrôle bureaucratique, les employés doivent se soumettre aux nouvelles indications sans avoir voix au chapitre. Ne pas reconnaître le personnel professionnel et technique comme acteur de changement mine les chances de réussite et ne parvient souvent qu à attiser la résistance au changement. En ce qui concerne la méthode Lean, elle part du principe selon lequel l ensemble du personnel doit être mis à contribution pour assurer la réussite du projet. En ce sens, l expérience du CSSS de la Vallée-de-l Or semble un exemple de réussite où une réelle volonté d impliquer le personnel a permis la disponibilité des ressources, l implantation rapide des solutions retenues et une sincère mobilisation du personnel 10. 10 Caroline Cotnoir, «Optimisation des soins et services offerts aux personnes âgées et aux personnes en perte d autonomie» Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-l Or, p. 1; cité dans Cahier des congressistes, Congrès 2012 de l APTS, 2012, p. 16. 8

Attention à la pensée magique Pour que les projets d optimisation des services fonctionnent, ils doivent répondre à plusieurs conditions. Qu il s agisse de projets d optimisation Lean ou non, il faut éviter de tomber dans le piège de la pensée magique de la NGP. Un projet d optimisation peut apporter des avancées intéressantes, mais il est nécessaire de demeurer réaliste quant aux résultats 11. Ce qui est promis (pensée magique) Gestion participative Décentralisation et délégation Réduction de la bureaucratie Meilleures pratiques de gestion Transparence dans l évaluation des coûts et de la performance Autonomie et flexibilité Utilisation des nouvelles technologies Ce que cela pourrait faire (effets pervers) Intensification du travail Dédoublement ou pouvoir diffus Délégation des tâches administratives au personnel professionnel et technique Mise en concurrence des établissements publics et privés Multiplication des évaluations statistiques et compétition entre le personnel Augmentation des tâches et de la polyvalence Réduction des contacts humains Les firmes privées : qui sont-elles? Au cours des derniers mois, les principaux problèmes qui ont ressurgi au sujet des projets d optimisation des services, sont liés au travail des firmes privées embauchées par le gouvernement ou les établissements. Les deux principales firmes qui ont obtenu de tels contrats, à ce jour, sont Fujitsu et Proaction. Ces dernières n étaient pas seules en liste, plusieurs grandes firmes ont également posé leur candidature afin d obtenir des contrats. Ces firmes tentent leur chance pour différents types de contrats gouvernementaux importants, dont entre autres des projets Lean, d optimisation des services ou de développement en PPP. Ces firmes se retrouvent dans tous les projets liés à la NGP et s arrachent des parts du marché public pour y implanter leurs pratiques du secteur privé. 11 Tableau inspiré de François-Xavier Merrien, loc. cit., p. 99-102. 9

Fujitsu Canada C est en juillet 2011 que DMR, aujourd hui une filiale de Fujitsu Canada, a été retenue par appel d offres pour accompagner les trois établissements choisis pour l implantation de projets pilotes Lean par le MSSS, soit le CHU de Québec - Hôpital Saint-François d Assise, le CSSS du Sud-Ouest-Verdun et le CSSS Jardins-Roussillon. Il s agit d un contrat de 2,3 millions $. Un de ses services est spécialisé dans la méthode Lean. Elle fait appel à différents outils ou concepts Lean, soit le Six Sigma, le système Toyota, l atelier Kaizen et le modèle de résolution de problèmes Définir, Mesurer, Analyser, Innover et Implanter, Contrôler (DMAIC). Son approche est réellement Lean, car elle fait participer toutes les personnes intervenantes impliquées dans un processus à tous les niveaux hiérarchiques pour l identification de solutions vraiment adaptées 12. L équipe de Fujitsu est composée de professionnels et d ingénieurs possédant les certifications Lean et Six Sigma. Fujitsu ou ses diverses filiales, dont l ancienne DMR, ont obtenu plusieurs contrats gouvernementaux et cette firme est associée à certains dérapages informatiques du gouvernement du Québec tel que: Dossier santé Québec, dont les délais d implantation se multiplient malgré l investissement de plus de 300 millions de dollars aux principaux fournisseurs (dont DMR / Fujitsu, Bell Zwave, CGI et CIM) 13. Proaction Le groupe-conseil Proaction a, pour sa part, obtenu certains contrats d optimisation des services, entre autres avec le CSSS du Sud-Ouest-Verdun, le CSSS d Ahuntsic et Montréal-Nord, le CSSS de Bordeaux-Cartierville- Saint-Laurent et le CSSS Cavendish, pour l amélioration de la production du service à domicile et pour le projet d amélioration de la productivité. Proaction est une société de services-conseils fondée en 2004 dont le mandat principal est de maximiser la gestion et la productivité des ressources humaines. Dans son Étude sur la productivité, Proaction calcule qu en moyenne, la productivité des travailleuses et des travailleurs n est que de 51 %. Par exemple, communiquer de façon informelle avec un collègue n'est pas une activité souhaitable qui doit être considérée dans l évaluation de la productivité d'une personne salariée 14. Cette vision de l organisation du travail se répercute dans la façon de mener les projets d optimisation des services chez Proaction. En septembre 2011, le président de Proaction vantait les résultats de la firme dans un des CSSS de Montréal: «L'objectif de ce projet était d'augmenter le nombre de patients traités par le service de soutien à domicile, sans augmenter les ressources». C est ainsi que le personnel en travail social, en 12 Fujitsu Canada, «Lean : une approche continue d amélioration de la performance», page Internet consultée le 24 octobre 2012 : http://www.fujitsu.com/ca/fr/services/consulting/capabilities/lean/ 13 Michel Munger, «300 millions $ investis pour 8 pharmacies», Le Journal de Montréal, 14 janvier 2011. 14 Proaction, Étude sur la productivité, 2008, p. 8. 10

ergothérapie et en physiothérapie, affecté au soutien à domicile, a réalisé une augmentation de ses services d environ 30 %, soit l équivalent de 9 000 visites à domicile supplémentaires dans l année 15. Du côté du personnel syndiqué de l'apts qui a été confronté au style gestion de Proaction, le son de cloche est bien différent : l augmentation de la charge de travail a engendré une baisse de la qualité des services. Il déplore que les «interventions indirectes», comme la mobilisation des ressources, les suivis et l évaluation, qui sont parties prenantes du travail d intervention, ne soient pas valorisées par la méthode d optimisation de cette firme. Cette forme de dénaturation du travail de relations d aide consterne le personnel et ne peut que nuire aux usagers. En bref, Proaction mène ses projets d optimisation des services sans favoriser une réelle participation du personnel et des syndicats. L alourdissement des tâches administratives, la dévaluation des tâches propres au travail de relations d aide ainsi que la quantité plutôt que la qualité des services comme credo sont des critiques syndicales qui reviennent sans cesse concernant leurs projets. D autres firmes? L octroi de contrats publics est payant pour les firmes-conseils, elles sont donc nombreuses à se présenter comme des spécialistes de la méthode Lean ou de l optimisation des services. Voici quelques noms et expertises: Deloitte a développé une approche Lean dans les soins de santé et de services sociaux; Raymond Chabot Grant Thornton propose une stratégie-conseil «Optimisation Lean» pour aligner les organisations publiques sur des objectifs d affaires et revoir leur modèle de gouvernance et d organisation; Lean Medical combine les approches Lean et Six Sigma afin d'améliorer la performance des établissements de santé. Ses principes sont l élimination de la partie non productive du travail, l orientation «patient» plutôt que l orientation ressource ainsi que la participation des ressources humaines en cause dans l amélioration des processus. Bell Nordic se distingue par l implantation d une «démarche participative et coopérative». Cette firme promet l amélioration de la productivité et de la compétitivité grâce à des changements des processus techniques et administratifs et de la gestion des ressources opérationnelles. Les mots d ordre de celle-ci sont le respect, les résultats, le transfert des compétences et l enthousiasme. 15 Proaction, «Une solution incontournable pour le secteur de la santé», Communiqué de presse, 7 septembre 2011. 11

L optimisation des services, où en est-on à l APTS? Au printemps 2012, lors du congrès de l APTS, des orientations générales ont été adoptées. L APTS poursuit activement son travail de vigilance et de participation aux différents projets d'optimisation des services et dénonce les situations inacceptables. Des activités de sensibilisation et de dénonciation ont d ailleurs eu lieu, entre autres au CSSS du Sud-Ouest-Verdun, au CSSS d Ahuntsic et Montréal-Nord, au CSSS Cavendish et à l Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, en lien avec les activités de la firme Proaction. Les orientations adoptées en congrès se résument ainsi : 1. L APTS doit assurer une coordination nationale des projets Lean et de tout autre projet d optimisation des services afin de soutenir et préparer les équipes locales. 2. L APTS doit dénoncer toute façon de faire juger inacceptable dans la conduite des projets Lean et d optimisation des services en cours dans les établissements. 3. L APTS doit apporter une attention particulière aux projets Lean et d optimisation des services implantés dans les établissements et participer à ceux qui respectent les conditions suivantes : i. les personnes salariées visées par le projet doivent y adhérer; ii. l employeur doit reconnaître explicitement l APTS comme le représentant du personnel professionnel et technique dans la réalisation d un projet Lean ou tout autre projet d optimisation des services, notamment en permettant la participation aux comités décisionnels; iii. la réalisation du projet et la mise en place des mesures qui en découlent doivent respecter les dispositions nationales et locales; iv. aucune abolition de poste ne doit résulter d un projet Lean ou d optimisation des services; v. le projet ne doit pas occasionner de surcharge de travail; vi. les solutions résultant d un projet Lean ou d optimisation des services doivent respecter l autonomie professionnelle des personnes salariées. 4. L'APTS doit dénoncer les effets pervers de la gestion par statistiques dans les secteurs d'activités où ce mode de gestion n'est pas approprié, comme dans le cas des services psychosociaux et de réadaptation des programmes de soutien à domicile. 12

Conclusion Les membres de l APTS qui subissent les contrecoups des projets Lean ou d optimisation des services, telles que la surcharge de travail, la dénaturation des tâches ou la dévalorisation de leur travail, ne doivent pas rester isolés. La vigilance quant à ces projets, est une des priorités de l APTS, tant aux niveaux local, régional que provincial. L APTS demeure prête à participer à l implantation des projets Lean ou autre projet d optimisation des services, mais avec prudence. Si certaines conditions ne sont pas respectées, le syndicat dénoncera et contestera l implantation de ces projets à différentes instances publiques locales, régionales et provinciales. Présentement, tous les projets d'optimisation des services fonctionnent différemment dans les établissements; certains sont positifs, mais d autres semblent désastreux. Pour le syndicat, l important s avère de conserver son rôle d interlocuteur principal afin de détenir le rapport de force nécessaire pour bien représenter l ensemble de ses membres. Le contexte général dans lequel s inscrivent ces changements organisationnels n est pas facile et les méthodes de gestion ont souvent des conséquences néfastes pour l ensemble des services publics. Le recours au secteur privé coûte cher aux contribuables, il fait perdre l expertise interne et le pouvoir d administration sur nos établissements publics. Cependant, les projets Lean ou d optimisation des services qui tiennent compte des intérêts du personnel doivent être explorés. Ces projets d optimisation peuvent se traduire par des actions positives et valoriser le personnel professionnel et technique en place dans les établissements de santé et de service sociaux. Cet espoir anime l action de l APTS dans le dossier controversé de l optimisation des services liés aux soins de santé et de services sociaux. 13

Annexe Autres méthodes de gestion importantes TOYOTA Système de production japonais présentant un ensemble d innovations organisationnelles. Considéré comme le modèle, la grande majorité des méthodes d'optimisation s'en inspire. LEAN Qui signifie «dégraisser» : méthode de gestion qui vise à optimiser les processus en éliminant le gaspillage et en priorisant les activités à valeur ajoutée, c est-à-dire celles qui sont utiles pour l usager ou l efficacité du service à restructurer. LEAN HEALTHCARE La méthode Lean adaptée au milieu de la santé : les objectifs sont définis en fonction des besoins de l usager, de la diminution des coûts, des délais d'attente et temps de réaction, de la qualité des soins et services ainsi que de la qualité de vie au travail. SIX SIGMA Qui signifie «six fois l'écart type» : méthode de gestion statistique développée par Motorola aux États-Unis pour analyser les instabilités et la variation dans le processus de fabrication. HEALTHCARE SIX SIGMA Juxtaposition de la méthode Lean adaptée au réseau de la santé et des services sociaux ainsi que de l'analyse Six Sigma. L'objectif est de réduire ce qui provoque un frein (le gaspillage), tout en prenant en compte les variations qui sont liées à la complexité des processus. KAIZEN Fusion des mots japonais kat (changement) et zen (bon) : qui signifie «processus d'amélioration continue». Faire une activité Kaizen dans un établissement consiste à mandater une équipe de personnes dans un secteur donné afin de trouver des solutions aux problèmes qui touchent le personnel et qui sont sous son contrôle. DMAIIC Technique de résolution de problèmes en six étapes : Définir le problème, Mesurer les conditions de base et liste de cause, Analyser les causes fondamentales sélectionnées et quantifiées, Innover par l'amélioration, Implanter les solutions par leurs mises en œuvre et finalement, Contrôler les solutions partagées et maintenues. Le DMAIIC est associé au Six Sigma. 14

5S Les 5S sont cinq mots japonais (sein, serton, seiso, seiketsu, shifsuke) qui signifient : débarrasser, ranger, nettoyer, ordonner et être rigoureux. Les 5S sont cependant traduits en français par ORDRE : Ordonner (ou ôter l'inutile), Ranger, Dépoussiérer (ou découvrir les anomalies), Rendre évident et Être rigoureux. JUSTE À TEMPS OU 5 ZÉROS Mode de production qui vise à éliminer les stocks inutiles par une production «à mesure» où l'on réduit au minimum le temps de passage à travers les étapes de production. Les «5 zéros» sont : zéro panne, zéro délai, zéro papier, zéro stock, zéro défaut. 15