DROIT D OCCUPATION PRECAIRE OU PROROGATION DU BAIL COMMERCIAL APRES EPUISEMENT DES RENOUVELLEMENTS 1. Absence de disposition légale particulière. La loi relative aux baux commerciaux (LBC) ne prévoit aucune disposition particulière réglant la situation des parties ou organisant la prorogation du bail une fois épuisées les trois possibilités de renouvellement prévues aux articles 13 et suivants. L article 14, al. 3 LBC est étranger à cette question car il vise et organise un renouvellement tacite dans l hypothèse où le preneur forclos du droit au renouvellement est laissé en possession des lieux. 2. Possibilités de conclure une convention prolongeant le droit d occupation. Si les parties ne souhaitent pas conclure un nouveau bail commercial après épuisement des droits de renouvellement, il est admis par la jurisprudence et la doctrine qu elles sont libres de conclure une convention destinée à permettre la poursuite de l occupation sous la forme d un droit d occupation précaire ou d une prorogation du bail. 2.1. Convention d occupation précaire. La validité d une telle convention, non assimilable à un bail, est admise par la jurisprudence, pour autant qu elle soit sincère et n ait pas pour but de tourner les lois particulières protégeant certains locataires. 1 La jurisprudence exige en effet qu existent, lors de la conclusion d un tel contrat, des circonstances particulières qui justifient cette précarité, sans intention de fraude à la loi. La Cour de cassation a décidé que lorsque le juge constate qu après le terme d un bail commercial, l intention des parties a été de permettre au preneur de poursuivre l utilisation du local pour lui donner le temps de rechercher un autre établissement, le juge peut légalement décider que cette convention ne constitue pas un nouveau contrat de bail. 2 Dans le même sens, le Juge de Paix de Namur a décidé que s il y a fin du bail par refus de renouvellement de celui-ci, d une part, et accord sur une occupation 1 Cass., 17 mars 1972, Pas., I, 671; Cass., 30 avril 1971, Pas., I, 781. 2 «Overwegende dat de rechters wettelijk beslissen dat de handelshuurovereenkomst een einde heeft genomen op 31/12/1975 en dat de overeenkomst van 21/11/1975 geenszins een nieuwe huurovereenkomst heeft tot stand gebracht, doch enkel een wachttijd aan de huurders heeft toegestaan "; Cass. 25 mai 1979, Arr. Cass. 1979, 1123 ; Pas., 1979, I, 1108. 1
continuée des lieux par l ex-preneuse, celle-ci, depuis la fin du bail non renouvelé, a cessé d être tenue par une convention de bail, et a donc perdu, à cette date, son statut de locataire. 3 2.2. Prorogation de bail. Les parties ont également la faculté de proroger le bail commercial. A cet égard, la Cour de Cassation a décidé que toute prorogation du bail commercial originaire, par laquelle les preneurs conservent la jouissance ininterrompue du bien stipulée dans le dit bail, notamment la prorogation du bail consentie nonobstant l épuisement du droit des preneurs de demander le renouvellement, constitue un renouvellement du bail au sens de l article 13 de la loi sur les baux commerciaux. 4 Cette référence opérée par la Cour de cassation à l article 13 LBC implique deux conséquences certaines : - le contrat prorogé n est nullement un nouveau bail susceptible à son tour de trois renouvellements. 5 - les parties peuvent librement convenir de la durée de cette prorogation et notamment la faire dépendre d une condition résolutoire ou la soumettre à tout délai de préavis qui leur convient. 6 3. Droit applicable en cas de prorogation de bail. La jurisprudence et la doctrine restent imprécises quant au droit applicable au bail prorogé. S agit-il exclusivement du droit commun des baux ou bien les autres dispositions impératives de la LBC restent-elles applicables? Y. Merchiers se limite à affirmer que «c est le droit commun en matière de baux qu il convient d appliquer, et les parties sont censées retrouver leur pleine liberté contractuelle». La Haye et Vankerckhove considèrent simplement que «rien n empêche les parties de s entendre et de renouveler leur bail, une fois de plus, sans y être contraintes ; elles peuvent en convenir, en toute liberté». 7 3 J.P. Namur, 25/10/1994, J.J.P. 1997, p.148. 4 Cass. 07/05/1981, Pas., 1981, I, p. 1030-1033 ; Cass. 21/02/1991, Pas., 1991, I, p. 602. 5 Cass. 24/10/2002, Juridat F-20021024-9 et conclusions de l avocat général. 6 Y. Merchiers, «Bail commercial initial, bail commercial renouvelé, bail commercial prorogé, bail commercial tacitement reconduit et leur durée», note sous Cass., 7 mai 1981, R.C.J.B. 1983, pp. 530 et s. ; C. Delforge et Y. Ninane, Le bail Commercial, La charte, 2008, p. 72 ; B. Louveaux, Le droit du bail commercial, Louvain-la- Neuve, De Boeck Université, 2002, p. 367 ; M. La Haye et J. Vankerckhove, Les baux Commerciaux, Les Novelles, Droit Civil, VI, Bruxelles, Larcier, 1983, n 1589 7 M. La Haye et J. Vankerckhove, op. cit., n 1755bis. Dans le même sens, C. Delforge et Y. Ninane, op. cit., p. 72 2
De son côté, Kadaner écrit : «Lorsque le preneur a épuisé ce droit aux 3 renouvellements, il ne jouit plus de la protection légale et la loi sur les baux commerciaux ne s'applique donc plus». 8 Or, s il est exact que les dispositions légales impératives en matière de durée et de droit de renouvellement ne seront plus applicables, il n en reste pas moins que la convention de bail liant les parties sera toujours située dans le champ d application de la loi. En effet, il s agira toujours d un bail d immeuble affecté principalement par le preneur à l exercice d un commerce de détail ou à l activité d un artisan directement en contact avec le public. Par conséquent, pour autant que la convention de prorogation constitue un bail, on ne voit aucune raison pour qu elle échappe aux autres dispositions impératives de la LBC. A notre avis, à moins de prévoir une convention d occupation précaire dont les termes permettent d exclure la qualification même de bail, les parties resteront soumises aux dispositions impératives de la LBC telles que celles prévoyant la faculté pour le preneur de renoncer au bail à l expiration des triennats moyennent préavis de six mois, la faculté pour chaque partie de demander la révision du loyer à l expiration de chaque triennat, le droit pour le preneur d effectuer des travaux d aménagement moyennant les conditions prévues par la loi et les dispositions particulières en matière de cession et sous-location. L on ne trouve aucune confirmation ou infirmation de ceci dans la doctrine et dans la jurisprudence, mais cette interprétation doit être retenue dans la perspective de sécuriser au maximum la convention de prorogation. Partant du principe que, mises à part les dispositions en matière de durée et de renouvellement, les autres règles de la LBC protectrices du preneur resteront d application, il en résulte que le Juge pourrait s autoriser à contrôler la validité de la qualification retenue pour la convention. Le choix d une convention précaire pourra être invalidé si cette qualification ne résulte pas clairement de la volonté des parties et ne se trouve pas en outre justifiée par les circonstances propres au dossier, (permettre au preneur de disposer du temps nécessaire pour trouver un autre immeuble commercial, 9 ou pour organiser son déménagement et 8 KADANER, M., «Quelle est la situation du preneur qui demeure dans les lieux loués après la fin du bail commercial?», Cour. Immo. 1998, liv. 10, 6-9. 9 Cass., 25 mai 1979, Pas., 1979, 1108. 3
exécuter les réparations locatives auxquelles il est tenu, prochaine démolition de l immeuble, etc.) 4. Choix d une formule de prolongation : A première vue, le souhait du bailleur de pouvoir mettre un terme à tout moment à l occupation imposerait la conclusion d une convention purement précaire plutôt qu un bail. A titre d exemple, le risque d expropriation ou un projet de rénovation ou d extension d un complexe immobilier induira une incertitude bien réelle quant au sort à réserver à la surface du locataire et constituera une circonstance justifiant la précarité du droit d occupation à consentir. Le fait que l occupation se prolongerait ensuite plusieurs années (par exemple en raison du retard dans la délivrance des permis d urbanisme) n est pas de nature à invalider le caractère précaire. 10 Toutefois, certaines considérations justifient de préférer la formule de la prorogation de bail plutôt que la concession précaire. Par définition, la législation relative aux baux et en particulier celle relative aux baux commerciaux ne sera pas applicable à la concession précaire. Or une telle convention n est pas organisée par notre droit privé. Par conséquent, les parties devraient en préciser toutes les conditions dans un nouveau document. Cela reviendrait à reprendre les termes du contrat en cours, excepté ce qui concerne la durée. Toutefois, les dispositions supplétives prévues dans le droit commun du bail ne seront pas d application et il conviendra donc d y suppléer dans la convention. Certains aspects tels que les règles de prescription propres à la matière des baux ne seront pas applicables. Par ailleurs, il pourrait se faire que le motif ayant justifié la précarité soit définitivement caduc ou que sa réalisation n entraine finalement pas de perturbation à l exploitation. Dans ce cas, la précarité ne se justifiera plus. Par ailleurs, le preneur désirant faire usage des autres prérogatives prévues dans la LBC (droit d aménager les lieux, faculté de cession ou sous-location conjointement avec le fond de commerce, etc.) risque de contester la qualification de précaire et de revendiquer le 10 Civ. Bruxelles, (11 ch. Bis), 28 février 1957, J.T. 1957 p. 265 ; Cass. fr. 8 nov. 1954, Rev. Loyers, 1955, 627, Gaz. Pal., 1955, 1, 88 et Cass. fr., 1 er juillet 1954, J.C.C., v Bail en gén., 45. 4
bénéfice de la LBC si ces prérogatives lui sont refusées dans le cadre de la concession précaire. C est pourquoi, sachant que les parties pourront désormais convenir librement des conditions de durée de la convention, nous pensons qu il est préférable de faire usage du cadre légal habituel et bien connu de la LBC et de prévoir une prorogation de bail plutôt qu une concession précaire. 5. Conditions de formes : La jurisprudence ne donne pas d indication quant aux formes à respecter pour conclure les conventions destinées à permettre l occupation continuée ou la prorogation. A défaut de prescription légale particulière, la convention d occupation précaire peut être conclue sous la forme d un simple acte sous seing privé. La doctrine est partagée sur le point de savoir si la prorogation de bail ou «quatrième renouvellement» volontaire, convenu pour moins de neuf ans, peut être conclu sans recourir aux formes imposées par l article 13 LBC (acte authentique ou déclaration devant le juge). Suivant Y. Merchiers, en cas de prorogation du bail, c est le droit commun en matière de baux qui s applique. «Les parties sont censées retrouver leur pleine liberté contractuelle. Elles peuvent donc, de commun accord, renouveler alors le bail pour une période inférieure à neuf ans et dans ce cas, les formes particulières prévues à l article 13 de la loi sur les baux commerciaux ( ) ne s imposent plus. Un acte sous seing privé ayant date certaine suffira donc à prouver leur accord et à faire respecter la durée convenue». 11 Pour B. Louveaux, il y a également lieu d écarter les exigences de forme de l article 13. 12 Selon la Cour de cassation, toute prorogation après épuisement des droits de renouvellement constitue un renouvellement au sens de l article 13 de la loi. Cette jurisprudence vise à écarter toute prétention du preneur à des renouvellements ultérieurs. Toutefois, on pourrait y lire une exigence de respect des formes prévues à l article 13 LBC. La Haye et Vankerckhove considèrent que «l article 13 ne faisant aucune distinction, les formes imposées s appliquent tant au bail commercial, renouvelé en vertu de la loi qu au bail renouvelé selon le gré des parties ; il est donc prudent de passer par les formes prescrites». 13 11 Y. Merchiers, op.cit., p. 530. 12 B. Louveaux, op.cit. p. 368. 5
Par précaution, nous suivons cette position plus prudente et nous recommandons absolument de conclure la prorogation de bail par acte notarié ou par déclaration devant le Juge de Paix. 6. Libellé de la convention et dispositions à prévoir. Afin d éviter toute contestation future sur l intention des parties, il conviendra de rappeler en préambule de la convention de prorogation que le bail actuel est censé prendre fin définitivement à l expiration de la période en cours, toutes les faculté de renouvellement ayant été épuisées et de préciser que le bailleur consent toutefois gracieusement une prorogation, sans aucune obligation légale, étant entendu que cette prorogation ne constitue en aucun cas le point de départ d un nouveau bail susceptible d être lui-même renouvelé. Le bail sera prorogé aux conditions actuelles, hormis pour ce qui concerne la durée. A cet égard, la convention devra prévoir une durée fixe assortie d une faculté de renon anticipé pour le bailleur ou d une condition résolutoire. 20 septembre 2010 Gonzague de Crayencour gdc@edr.be Bd de la Cambre, 33 bte 8 1000 Bruxelles Tel. : +32 [0]2-672 58 00 Fax : +32 [0]2-672 68 31 http://www.edr.be ------------ 13 M. La Haye et J. Vankerckhove, op.cit., n 1755bis. 6