Internet et les pays en voie de développement : le fossé Nord-Sud risque-t-il encore de s agrandir avec la diffusion générale d Internet? De nos jours, Internet prend de plus en plus de place dans nos sociétés occidentales. Ce nouveau média offre des possibilités extrêmement importantes notamment pour les pays en développement puisqu il élargit l accès à l information et à la connaissance en accélérant les communications. Ainsi, Internet et les autoroutes de l information peuvent potentiellement contribuer au développement de pays qui n ont encore qu un accès marginal à cette nouvelle technologie. Certes, Internet dans les pays du Tiers Monde semble être en phase exponentielle. Néanmoins, il faut être conscient que ce service est accessible qu à une portion congrue de la population des pays les plus pauvres. Des facteurs économiques, sociologiques ou politiques exercent une influence certaine sur son expansion. Au Sud Sur le continent africain, les données disponibles signalent une augmentation de l utilisation de cette nouvelle technologie, mais ces indications sont trompeuses puisque l expansion du Net est réelle dans un seul pays : l Afrique du Sud. Toutefois, il est vrai qu Internet a atteint quasiment tous les états de notre planète et qu'il se développe rapidement. L investissement dans les autoroutes de l information et dans Internet signifie pour les pays du Tiers Monde un effort financier considérable. Cela traduit une volonté d ouverture et un effort pour une meilleure intégration à l économie mondiale. Néanmoins, les pays en voie de développement font face à de grandes contraintes qui freinent l expansion rapide du Web : un système de télécommunication peu performant, des difficultés à obtenir facilement et à un moindre coût du hardware, les coûts élevés des services Internet, un personnel peu ou mal formé, un bas niveau d éducation, et le poids économique, culturel et linguistique des Etats-Unis. un système de télécommunication peu performant Enormément de pays du Tiers Monde sont dotés de réseaux de télécommunication limités. Cette constatation est loin d être négligeable puisque que l existence d Internet dépend des infrastructures téléphoniques. Dans des pays à bas revenus tels que l Afghanistan, la Guinée, le Liberia, le Niger et la Somalie, il y seulement un téléphone pour 500 habitants. La situation du Cambodge et du Tchad est encore plus problématique avec un téléphone pour 1000 personnes. En fait, 80% de la population mondiale n a pas
accès à des réseaux de télécommunication de qualité alors que trois-quarts des téléphones recensés sur cette planète sont localisés dans seulement huit pays industrialisés. En fait, le monde économiquement développé représente environ 20% de la population mondiale, mais 80% de la consommation. Les nouvelles technologies fonctionnant sur Internet comme les documents multimédias, la navigation, les agents intelligents, etc. demandent de plus en plus d espace disque, de puissance de calcul et de bande passante. Ainsi, les pays africains sont encore confrontés à un autre problème majeur: le peu d accès disponible aux bandes passantes de standard international qui permettent un accès à Internet. Cependant, le succès de ce média en Afrique, et spécialement celui de l e-mail, s explique par le fait que ce système peut délivrer des messages de manière assez sûre, même lorsque les connections téléphoniques sont faibles. Pour la première fois, le courrier électronique a permis à des pays peu développés de communiquer entre eux rapidement, efficacement et pour un faible coût alors que d autres formes de communication comme le service postal sont quasi inexistantes. des difficultés à obtenir facilement et à un moindre coût du hardware L accès à des ordinateurs capables de se connecter sur Internet pose également un problème. Souvenons-nous qu un habitant sur trois n a pas accès à l électricité sur notre planète. En fait, le Web reste un média minoritaire lorsqu il est comparé au téléphone. Dans les pays industrialisés, chaque station, reliée à Internet, est utilisée par trois ou quatre personnes alors que dans les pays en développement, elle dessert environ 100 usagers. Pour surfer sur la Toile, l utilisateur doit avoir à sa disposition un ordinateur individuel et un ou plusieurs serveurs qui gèrent le trafic vers les lignes internationales. Ces produits sont souvent importés et proposés à des prix trois à quatre fois plus chers que dans les pays producteurs. Cet investissement peut facilement égaler plusieurs années du revenu moyen d un habitant. De plus, le producteur ou les intermédiaires considèrent souvent les pays en voie de développement comme des marchés où écouler les fins de série ou les produits de seconde main. Les analystes concèdent tous que les coûts pour installer un ordinateur dans chaque maison et pour établir les infrastructures nécessaires pour les télécommunications sont prohibitifs. Malgré cette constatation, on a noté ces dernières années une hausse rapide de la vente d ordinateurs dans des pays extrêmement pauvres. En fait, si Internet est un marché prometteur, les fournisseurs cherchent d abord à contenter les besoins des utilisateurs des pays riches et ne prennent pas en compte ceux des pays pauvres. La technologie devient de plus en plus séduisante et les techniques antérieures souvent plus simples et plus facilement transférables sont ainsi délaissées. Cependant, la pauvreté n est pas le seul problème auquel doivent faire face les personnes qui souhaitent se connecter à Internet. Souvent, des restrictions politiques freinent l'entrée sur ce réseau mondial. Pour tenter de libéraliser l accès à Internet, des télécentres l équivalent pour Internet des cabines téléphoniques publiques ont été installé dans différents pays en voie de développement. La Banque mondiale considère ces lieux comme un moyen pour faciliter le développement rural et combattre la pauvreté. En effet, ceux-ci peuvent devenir des centres d activité de communautés de personnes en proposant des services liés à l information allant de la mise à disposition d un téléphone et d un fax à des programmes
sur la santé et la nutrition. Ainsi, le nombre de télécentres et de cybercafés augmentent rapidement. Presque chaque capitale en possède au moins un actuellement. les coûts élevés des services Internet Il est évident que devant l absence de formes de communication fiables, Internet est bien plus utile et précieux dans les pays en développement que nulle part ailleurs. Cependant, ce service est malheureusement bien plus cher dans les pays pauvres que dans les pays industrialisés. Pour un même type de service, l abonnement mensuel sur Internet est nettement inférieur dans les pays occidentaux que dans les pays du Tiers Monde. De plus, il faut tenir compte des coûts élevés des communications téléphoniques locales. un personnel peu ou mal formé Les personnes formées aux nouvelles technologies dans les pays en développement sont peu nombreuses. Par ailleurs, la plupart d entre elles ont été catapultées : «networking technicians», sans aucune formation professionnelle solide! De plus, les guides, la documentation et l aide en ligne semblent avoir été développés de manière insuffisante pour faire face à la demande. un bas niveau d éducation Ce sont les utilisateurs qui ont modelé le développement d Internet. La plupart de ses adeptes sont jeunes. Ces derniers ont la capacité et l enthousiasme pour imposer des nouvelles avancées dans le domaine des nouvelles technologies de l information. Les pays en voie de développement sont des nations jeunes. En 1995, plus de 17% de la population de pays à bas revenus avait moins de 14 ans contre seulement 9% dans les pays à revenus élevés. Cependant, le bas niveau d études et d alphabétisation ne permet pas vraiment de considérer cette population jeune et adaptable comme un avantage. De plus, l usage largement répandu de l anglais sur Internet est également un autre handicap. Certes, d autres langues commencent à être mieux représentées, mais Internet reste largement un média anglophone. A long terme, l implantation et l utilisation d Internet dans les pays en développement dépendront peut-être moins de la technologie et des coûts que de l éducation de la jeune génération. le poids économique, culturel et linguistique des Etats-Unis Les pays anglophones ou utilisant couramment l anglais comme langue de travail sont naturellement assez bien équipés. Effectivement, les Etats-Unis sont l «inventeur», le principal financier et le «promoteur» du réseau Internet. Ainsi, ils ont une influence sur la dynamique du développement de la Toile, ce qui se traduit par un impact de cette nouvelle technologie en priorité sur les pays les plus proches par leur niveau économique, leur culture et leur langue. En Afrique, les pays les plus à la pointe sont l Afrique du Sud
nation de très loin la mieux équipée la Namibie, l Ile Maurice, l Egypte, le Maroc et la Zambie. Dans cinq d entre eux, l anglais est au moins une langue de travail répandue. Un exemple : le Maroc Le Maroc a toujours eu des relations privilégiées avec l Europe. Ce pays est bien informé sur ce qui se passe en Espagne et en France, notamment. Ainsi, il est directement exposé aux nouvelles technologies. Cet état a commencé assez récemment son investissement dans les autoroutes de l information. La nécessité économique d ouverture et de compétitivité a poussé le Maroc à s intéresser à ce média. De fait, les universités et les écoles supérieures offrent plus de spécialités dans ce domaine. Quant aux réseaux téléphoniques, ils furent modernisés. Toutefois, ce pays d Afrique possédait un avantage non négligeable sur d autres nations de ce continent : des infrastructures de télécommunication opérationnelles dès le départ. Quelques personnes ont fait un travail de promotion, de vulgarisation et de sensibilisation à Internet auprès des décideurs. L introduction de cette nouvelle technologie dans ce pays n est donc pas initialement le fruit d une volonté politique ou nationale. Les facteurs décisifs furent : la nécessité de posséder un système de télécommunication permettant la participation de l Etat au marché global, le besoin de procéder à des échanges d informations dans le pays lui-même, afin d être compétitif à l extérieur, et l existence d un déséquilibre entre les régions du Maroc, notamment entre zones urbaines et zones rurales. Cependant, pour différentes raisons, Internet risque de rester pour quelques années encore un outil professionnel plutôt qu un outil grand public. En effet, ce pays d une sensibilité culturelle différente de celle des Occidentaux à une forte tradition orale. Les contacts humains sont essentiels et une importante partie de la population ne sait ni lire, ni écrire. De plus, le parc des ordinateurs est limité et est dédié à une utilisation professionnelle. Quant aux prix des ordinateurs, des modems et des abonnements à Internet, ils sont très élevés. Enfin, le taux d utilisation du téléphone est assez bas. Parfois, il existe seulement un téléphone par village. A l Est En Europe centrale, la situation n est pas la même qu en Afrique. Le niveau d équipement et d infrastructure, en qualité comme en quantité, est élevé. La même remarque peut être formulée pour le niveau moyen de formation de la population. L anglais est parlé par une par importante des habitants ; il tend naturellement à remplacer le russe comme première langue apprise. La réceptivité des populations à Internet est particulièrement forte. Il y a un réel besoin de communication vers l extérieur. Devant la mauvaise qualité du service postal, l habitude a été prise d utiliser le e-mail pour communiquer. Le Web est appréhendé comme une technologie moderne et valorisante qui fait fi des frontières et de la censure. Il facilite l expérimentation de nouvelles formes de création et rend possible un parcours virtuel dans le monde occidental. Ce média symbolise
l ouverture vers l extérieur, le voyage vers d autres cultures, la participation à des forums de discussion ou encore la multiplication des sources d information. Ces éléments suffisent à rendre Internet populaire après des années de dictature. Au Nord Un écart risque également de voir le jour au Nord au sein des populations. Effectivement, les disparités et la fracture sociale peuvent s accroître entre les techniciens et les détenteurs du savoir et du savoir-faire relatifs à Internet et une partie de la population. Aux Etats-Unis, par exemple, le taux de pénétration de cette nouvelle technologie dans les foyers est directement lié aux variables sociales et économiques. Des études ont montré que moins de 10% des familles dont les revenus annuels sont inférieurs à 10'000 dollars possèdent un ordinateur alors que 60% des foyers sont équipés en informatique si les revenus annuels sont supérieurs à 70'000 dollars. En fait, les utilisateurs d Internet dans les pays industrialisés sont généralement jeunes, urbains et bien insérés dans la société. Ils disposent d un capital culturel élevé. Conclusion La conception et l expansion d Internet aux Etats-Unis ont été prises en charge par des organismes publics ou des universités. Actuellement, le fonctionnement de ce nouveau média dépend encore dans une large mesure de ces institutions, mais nombreux sont ceux qui plébiscitent un développement autonome du Web par le seul jeu des lois du marché. Ce nouveau scénario conduirait au déplacement et au renforcement du fossé de l information entre les riches et les pauvres. Dans les pays du Tiers Monde notamment, des privilégiés disposeraient certainement d équipements dont ils seraient propriétaires (hommes d affaires, etc.) ou dont ils auraient l usage (universitaires, etc.). En revanche, le reste de la population resterait à l écart de ces nouvelles technologies et serait probablement encore plus vulnérable qu aujourd hui. Ainsi, la fracture dite «informationnelle» entre pays riches et pays pauvres se déplacerait du niveau international vers l intérieur des pays du Tiers Monde. Cependant, les pays dits développés sont loin d être à l abri d une telle dérive et ses populations défavorisées courent le risque d être encore plus marginalisées au niveau national. Il semble donc qu il faille absolument empêcher ce nouveau scénario susmentionné de voir le jour, c est-àdire, empêcher que des populations entières au Nord comme au Sud n aient pas accès aux réseaux et aux interactions correspondantes. Toutefois, il ne faut pas non plus être excessivement alarmiste. Actuellement, les pays en voie de développement peuvent obtenir de nombreux avantages, grâce au Web, en matière d emploi, de santé, d éducation, de commerce et de communication. Cette nouvelle technologie rend, par exemple, possible des économies de déplacements, le recours à des experts, l accès aux versions les plus récentes de l information, etc. De fait, de nombreuses micros expérimentations jaillissent un peu partout. Trois milieux sont plus touchés que les autres : l université, la santé et la formation. Cette nouvelle technologie et un outil incroyable pour les chercheurs et les universitaires désirant des informations et des échanges avec leurs collègues. Ainsi, l e-mail permet de remédier à certains problèmes d accès à l information et aux entraves bloquant la diffusion des
résultats de la recherche. De plus, des rencontres virtuelles sont possibles et des données peuvent être exploitées sans avoir besoin de les ressaisir. La santé problème majeur sur le continent africain est également une source de développement d Internet à travers la télé-médecine. Le même type de remarque peut être formulé pour la formation. Les enseignants, en milieu rural, ont la possibilité avec leurs élèves de se connecter sur des centres disposants de ressources documentaires et de cours duplicables. Internet est essentiellement un nouveau moyen de communication et de diffusion de l information. Il ne transforme donc pas les conditions de développement. En revanche, il peut permettre une amélioration de la coopération Nord-Sud et Sud-Sud. A l avenir, il ne faudrait pas non plus oublier de promouvoir, dans les pays pauvres, le développement d Internet dans les villes secondaires et les zones rurales où une demande existe. De même, n oublions pas que le taux de pénétration d Internet, y compris au sein des pays occidentaux, n est pas homogène ainsi que sa répartition entre les différentes couches de la population! Maude Graeppi