CONCLUSIONS. M. Laurent Olléon, Commissaire du Gouvernement



Documents pareils
SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Service pénal Fiche contrevenant

Responsabilité pénale de l association

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, premier décembre deux mille onze.

Cour de cassation Chambre commerciale Cassation partielle 30 mars 2010 N

CEDH FRANGY c. FRANCE DU 1 ER FEVRIER 2005

Décrets, arrêtés, circulaires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS N , , , , M. Olivier Yeznikian Rapporteur

CC, Décision n QPC du 23 novembre 2012

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf mai deux mille onze.

Conclusions de Madame l'avocat général Béatrice De Beaupuis

N 25/ 07. du Numéro 2394 du registre.

Composition Président: Roland Henninger Hubert Bugnon, Jérôme Delabays

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

Etat des lieux de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle de risques S. Abravanel-Jolly

La chambre du conseil de la Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg a rendu le douze février deux mille quatorze l'arrêt qui suit:

Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

FACTURES : MENTIONS OBLIGATOIRES

Fiche d information relative au fonctionnement des garanties «responsabilité civile» dans le temps

dans la poursuite pénale dirigée contre en présence du Ministère Public l arrêt qui suit :

Décrets, arrêtés, circulaires

La taxe foncière est-elle une charge récupérable par le propriétaire immobilier?

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES INSTRUCTION DU 9 MARS B-13-12

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

Numéro du rôle : Arrêt n 167/2014 du 13 novembre 2014 A R R E T

La légalité du mécanisme du «découvert utile» et du «découvert maximum autorisé» dans le cadre des crédits renouvelables

Point sur la régularisation fiscale des avoirs non déclarés situés à l étranger.

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

I S agissant de l article 7 bis

M. Lacabarats (président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

A Nancy 14 novembre 2012 n 12/00388, Ch. soc., M. c/ Sté Lorraine Environnement

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

dans la poursuite pénale dirigée contre

CONDITIONS GENERALES DE MAINTENANCE DES LOGICIELS

ARRET Cour Administrative d Appel de Paris 30 avril 2013 n 12PA02246 et 12PA02678

Les responsabilités des professionnels de santé

Cour de cassation. Chambre sociale

Arrêt n CAISSE DE CREDIT MUNICIPAL DE LYON

Quel cadre juridique pour les mesures d investigation informatique?


Commentaire. Décision n QPC du 3 février M. Franck S. (Désignation du représentant syndical au comité d entreprise)

Votre droit au français

info DROIT SOCIAL Egalité de traitement et avantages catégoriels

La responsabilité juridique des infirmiers. Carine GRUDET Juriste

TABLE DES MATIERES. Section 1 : Retrait Section 2 : Renonciation Section 3 : Nullité

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l arrêt suivant :

L ABUS DE CONFIANCE I - CONDITION PREALABLE A - LES BIENS CONCERNÉS B - LA REMISE DU BIEN

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

Le délai de reprise de longue durée en matière de droits d enregistrement et d ISF passe de 10 à 6 ans

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TOULOUSE. ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 01 Juillet 2014

TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE (VERSION CONSOLIDÉE)

Note technique extraite de la documentation de l Ordre des Experts Comptable

Obs. : Automaticité de la pénalité de l article L C. ass. : la victime n a aucune demande à formuler

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

N Section du Contentieux Publié au recueil Lebon M. Stirn, président M. Bernard Stirn, rapporteur SCP BOUZIDI ; BLONDEL, avocats

Institutions L'organisation de la Justice

Commentaire. Décision n QPC du 27 septembre M. Smaïn Q. et autre

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

B.O.I. N 71 DU 6 OCTOBRE 2011 [BOI 7I-1-11]

Commentaire. Décision n QPC du 6 juin Société Orange SA

M. Gosselin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Chapitre 9 : La transformation de la SA

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR DE CASSATION R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E. Audience publique du 21 septembre 2011 Rejet M. LACABARATS, président. Arrêt n o 1054 FS-P+B

Textes abrogés : Notes de l administration pénitentiaire du 15 juillet 2002 et 29 mars 2004 Circulaire AP9206GA3 du 26 novembre 1992

dans la poursuite pénale dirigée contre comparant par Maître Daniel NOEL, avocat à la Cour, en l étude duquel domicile est élu,

Commentaire. Décision n QPC du 20 juin Époux M.

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E. Audience publique du 16 janvier 2014 Cassation Mme FLISE, président. Arrêt n o 47 F-P+B

Commande publique. 1. Une question délicate : la détermination du champ d application de l article 2.I. de la loi «MURCEF»

SOS OPPOSITION SUITE A FRAUDE A CARTE BANCAIRE

ISF Point information Octobre Audit Expertise comptable Conseil

Conseil d'état - 5ème et 4ème sous-sections réunies. Lecture du mercredi 30 mars Société Betclic Enterprises Limited

inaptitude quelles sont les obligations?

BENELUX ~ A 2004/4/11 COUR DE JUSTICE GERECHTSHOF. ARRET du 24 octobre En cause. Etat belge. contre. De La Fuente

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

La responsabilité des présidents d A.C.C.A.

Décrets, arrêtés, circulaires

SECTION 3 APPRÉCIATION DU MONTANT DES ÉLÉMENTS DE CALCUL À RETENIR CONTESTATIONS RELATIVES À CES MONTANTS [DB 4N113]

Droit social R È G L E M E N T A T I O N. Fraude au détachement de travailleurs et travail illégal Décret du 30 mars 2015

conforme à l original

DOCUMENT D INFORMATION

NOTICE EXPLICATIVE QUI SOUSCRIT CETTE DÉCLARATION?

COMMENT PREPARER AU MIEUX SON CONTRÔLE TVA?

Règlement relatif aux sanctions et à la procédure de sanction

PUBLICITÉ & PROMOTION IMMOBILIÈRE

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

L employeur peut-il mettre un salarié en congés payés forcés?

«Gagnez vos places pour l événement Løvely Bike du 22 juin 2014»

Quelles sont les conséquences d une mention erronée des délais de recours dans l affichage du permis de construire?

Réponses aux questions de la page 2 du questionnaire RESPONS sur la responsabilité sociale des cadres

- JURISPRUDENCE - Assurances Contrat type d assurance R.C. auto Inapplication d une directive européenne Action récursoire

ACTUALITES FISCALES. Loi de finances 2014 : les censures du Conseil Constitutionnel

Procédure pénale. Thèmes abordés : Procédure par contumace/ Nouvelle procédure par défaut

CONTENTIEUX JUDICIAIRE DU PERMIS DE CONSTRUIRE

CONDITIONS GENERALES D ACHAT

Faire réaliser des travaux chez soi. Ce qu il faut savoir pour préparer, suivre et faire aboutir des travaux dans votre logement

Société PACIFICA / SociétéNationale des Chemins de fer Français. Conclusions du Commissaire du Gouvernement.

REPUBLIQUE FRANCAISE

*** Ledossicr a été appelé à J'audience du 27 janvier 2010.

Transcription:

N 292705 Société anonyme SIDEME 8 ème et 3 ème sous-sections réunies Séance du 12 novembre 2007 Lecture du 30 novembre 2007 CONCLUSIONS M. Laurent Olléon, Commissaire du Gouvernement La société industrielle d équipement moderne, SIDEME, est spécialisée dans l importation et le négoce d appareils ménagers. En 1998, elle a fait l objet d une vérification de comptabilité portant, en matière de TVA, sur la période comprise entre le 1 er janvier 1995 et le 30 septembre 1997. A l issue de ce contrôle, le service a procédé au rappel de la TVA due à raison d acquisitions intracommunautaires non déclarées en 1996 et 1997 et de la taxe récupérée à tort sur des factures demeurées impayées. Ces rappels ont été assortis de l intérêt de retard et de l amende de 5 % prévue par l ancien article 1788 septies du code général des impôts (disposition qui ont été transférées par l ordonnance n 2005-1512 du 7 décembre 2005 au 4. de l article 1788 A du code), aux termes duquel : «Lorsqu au titre d une opération donnée, le redevable de la TVA est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue au 1 de l article 287, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne un rappel de droits correspondant assorti d une amende égale à 5 % du rappel pour lequel le redevable bénéficie d un droit à déduction». L administration s est ensuite ravisée s agissant du rappel de TVA afférent aux acquisitions intracommunautaires, dans la mesure où la taxe déductible a été imputée sur la taxe rappelée. L omission de déclaration a donc été sanctionnée par la seule application de l amende de 5 %. La société a sollicité de l administration l abandon des intérêts de retard et de l amende, qui se montaient respectivement à 20.000 et 27.000 euros environ. Cette demande ayant été rejetée, la société a porté le litige devant le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement en date du 4 décembre 2002, a rejeté sa requête. Cette position a été confirmée par la cour administrative d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 9 février 2006 contre lequel la société se pourvoit en cassation. Elle soutient tout d abord que la cour n a pas répondu au moyen tiré de ce que l intérêt de retard doit être motivé conformément aux stipulations de l article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux prescriptions de la loi du 11 juillet 1979, l administration disposant du pouvoir de le supprimer partiellement ou totalement. Toutefois, à partir du moment où la cour a jugé, en application de votre avis d Assemblée du 12 avril 2002, SA Financière Labeyrie (RJF 6/02 n 673), que les intérêts de retard ne constituent pas des sanctions, ce qui était le présupposé du moyen de la société, elle n avait pas à répondre à l argument ayant trait à la nécessité de les motiver. Et cette solution vaut tant pour la convention européenne que pour la loi de 1979. 1

Naturellement, ce raisonnement ne tient que si la cour ne s est pas trompée en statuant ainsi, ce que la société conteste par un moyen tiré de l erreur de droit qu elle aurait commise en jugeant que, pour le montant dépassant le taux légal, les intérêts de retard n ont pas le caractère d une sanction soumise au respect des exigences de l article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais ce moyen sera lui aussi écarté par application de votre jurisprudence SA Financière Labeyrie. La société soutient ensuite que c est au prix d une erreur de droit que la cour a jugé que les dispositions de l article 1788 septies du code général des impôts ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines. Si elle mentionne d un trait de plume ce principe en tant que norme constitutionnelle et principe général du droit communautaire, la société ne consacre toutefois aucun développement de son pourvoi à ce sujet. Son moyen peut donc être écarté comme dépourvu des précisions permettant d en apprécier le bien-fondé. Au demeurant, s agissant du principe constitutionnel de proportionnalité des peines, le moyen se heurte bien sûr à la théorie de la loi-écran (CE Section 6 novembre 1936, Arrighi, p. 966). C est donc en définitive seulement sous l angle de l article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le moyen est longuement développé. Il vous est tout d abord expliqué que l amende prévue par l article 1788 septies du code général des impôts est une sanction pénale au sens de l article 6 de la convention. Sur ce premier point, il ne nous est pas très difficile de suivre la société. Par votre avis de Section du 31 mars 1995, n 164008, SARL Auto-Industrie Méric (RJF 5/95 n 623), vous avez en effet défini l accusation en matière pénale au sens de l article 6 de la convention européenne par la réunion des critères, empruntés à l arrêt Bendenoun rendu le 24 février de l année précédente par la cour de Strasbourg (RJF 4/94 n 503). Il faut que la mesure ait le caractère d une punition visant à empêcher la réitération des agissements qu elle vise, et qu elle n ait pas pour objet la seule réparation pécuniaire d un préjudice. Ces critères sont remplis par l amende de l article 1788 septies du code général des impôts, qui rejoindra donc les sanctions fiscales dont vous avez déjà admis qu elles constituaient des accusations en matière pénale au sens de l article 6 de la convention : pénalités pour mauvaise foi et manœuvres frauduleuses de l article 1729 du code général des impôts (Avis CE 8 juillet 1998 n 195664, Fattell : RJF 9/98 n 970), pénalités pour distributions occultes de revenus de l article 1763 A (CE 24 mars 2006 n 257330, SA Martell et Co : RJF 6/06 n 667), et surtout, pour ce qui nous intéresse aujourd hui, pénalités pour défaut ou retard de déclaration de l'article 1728 (CE 8 mars 2002 n 224304, SARL Clinique médicale de Mazargues : RJF 6/07 n 671). Le ministre tente pourtant, en défense, de semer le trouble sur ce point en se prévalant d un arrêt par lequel la Cour européenne des droits de l homme a jugé que la majoration de 10 % prévue en cas de défaut ou de retard de déclaration par l ancien article 1728 du code général des impôts, s élevant en l espèce à 4.450 F, était, tant par son taux que par son montant en valeur absolue, d une ampleur insuffisante pour relever de la matière pénale au sens de l article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH 3 juin 2003, Morel c/ France : RJF 11/03 n 1337), contrairement donc à ce que vous aviez jugé dans l affaire Clinique médicale de Mazargues. Il souligne que le taux de l amende de l article 1788 septies du code général des impôts, soit 5 %, est deux fois inférieur à celui de l amende prévue par l ancien article 1728 du code général des impôts, ce qui exclut qu elle soit regardée comme une sanction pénale au sens de l article 6 de la convention. Mais la Cour est, depuis lors, revenue en grande chambre sur la jurisprudence 2

Morel, en jugeant qu une majoration de 10 % prévue en cas d'erreurs commises dans la déclaration relève bien de la matière pénale au sens de l'article 6 1 de la convention, quand bien même le montant de la sanction serait modique (CEDH 23 novembre 2006 n 73053/01, Gr. ch., Jussila c/ Finlande : RJF 4/07 n 527). Il est amusant de noter que, dans les motifs de son arrêt, la Cour fait mine d avoir fondé la solution de l arrêt Morel sur la seule modicité du montant de la majoration, alors qu elle l avait, comme nous venons de le dire, fondée simultanément sur le taux et sur le montant en valeur absolue. La pénalité de l article 1788 septies du code général des impôts entre donc bien dans le champ de l article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La société requérante soutient alors que c est au prix d une erreur de droit que la cour a jugé que cette sanction fiscale ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité des peines, alors même que le texte de l article 1788 septies ne permet pas de la faire varier en fonction du comportement du contribuable. Faute d échelle des peines adaptée au comportement individuel, la société soutient que la sanction est incompatible avec le principe de proportionnalité que la Cour a notamment affirmé dans son arrêt Malige c/france du 23 septembre 1998, rendu au sujet du permis à points (RJF 11/98 n 1384). Pour répondre à ce moyen, penchons-nous un instant sur ce que la Cour a jugé à ce sujet dans son arrêt Malige. Elle a validé le système français du permis à points, en relevant que la loi avait prévu, dans une certaine mesure, la modulation du retrait de points en fonction de la gravité de la contravention commise par le prévenu, si bien que la proportionnalité de la peine était assurée, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un contrôle séparé supplémentaire de pleine juridiction portant sur le retrait de points, et donc, sur sa modulation. La société Sideme voit dans cet arrêt un a contrario. Selon elle, si la loi ne permet pas une modulation de la sanction en fonction du comportement de l intéressé, elle est incompatible avec l article 6 de la convention et doit être écartée. Rappelons en effet que la société réclame, depuis le début, non pas l atténuation de l amende à laquelle elle a été assujettie, mais sa décharge pure et simple. Pour commencer, nous ne sommes pas convaincu que l arrêt Malige comporte un a contrario. En effet, la Cour européenne des droits de l homme n utilise pas cette pratique rédactionnelle à laquelle vous êtes pour votre part accoutumés. Au demeurant, à supposer qu il y ait un a contrario dans la jurisprudence Malige, quel serait-il? Pas forcément celui que voit la société requérante, qui consisterait à prononcer la décharge de l amende prononcée sur le fondement des dispositions défaillantes. Il peut même être raisonnablement soutenu, à la lecture de l arrêt Malige, que si la loi ne prévoit pas une modulation de la sanction en fonction du comportement du contrevenant, c est le juge qui, dans son pouvoir de pleine juridiction, va lui-même moduler le niveau de la sanction. C est en tout cas ainsi que raisonne la Cour de cassation depuis son arrêt Fereira du 29 avril 1997 (RJF 6/97 n 641). Surtout, pour apprécier la proportionnalité de la sanction qui avait été infligée à M. Malige (un retrait de quatre point sur les douze que compte le permis), la Cour ne s est pas limitée à rapprocher cette sanction du comportement de l intéressé. Elle a, ainsi que nous venons de le dire, relevé que les différentes sanctions prévues dans le cadre du permis à points étaient modulées en fonction du comportement de l intéressé. Dans la présente espèce, vous ne sauriez donc raisonner comme si l amende de l article 1788 septies du code général des impôts était la seule susceptible d être infligée en cas de méconnaissance par un contribuable de ses obligations déclaratives. Le code en compte bien d autres. Rappelons ainsi que l article 1728, que nous avons déjà mentionné, prévoit en cas de retard de production d une 3

déclaration comportant l indication d éléments à retenir pour l assiette ou la liquidation d un impôt (la rédaction actuelle ne distingue plus selon que l impôt est ou non établi ou recouvré par la direction générale des impôts), une majoration de 10 % des droits en l absence de mise en demeure ou si la déclaration a été déposée dans les trente jours de la mise en demeure, de 40 % si la déclaration n est pas déposé dans les trente jours de la mise en demeure, et de 80 % en cas de découverte d une activité occulte. La rédaction en vigueur avant l ordonnance du 7 décembre 2005 envisageait également une majoration de 80 % lorsque le document n avait pas été déposé dans les trente jours d une deuxième mise en demeure. Rappelons également que l article 1763 A du code général des impôts, dont nous avons parlé, prévoyait une pénalité de 100 % du montant des sommes concernées par une distribution occulte (et non des droits rappelés), lorsque l identité du bénéficiaire n avait pas été déclarée. Il faut rapprocher ces taux du taux de 5 % des rappels de TVA auquel se monte l amende de l article 1788 septies du code général des impôts. Sa relative modicité s explique par la circonstance que l amende vise à réprimer le défaut de déclaration d une TVA déductible, dans lequel le préjudice pour le Trésor est, en principe, nul, puisque, comme dans la présente espèce, la déclaration par le contribuable autorise immédiatement la déductibilité. Vous voyez donc que le code général des impôts prévoit des sanctions différentes en cas de non respect des obligations déclaratives, si bien que le constat qu opérait la Cour dans l arrêt Malige au sujet du permis à points nous semble pouvoir être opéré par vous, aujourd hui, s agissant des sanctions fiscales pour méconnaissance des obligations déclaratives. Notez que le code général des impôts, dans sa rédaction issue de l ordonnance du 7 décembre 2005, prévoit également, à son article 1788 A, une amende forfaitaire de 750 euros pour défaut de production dans les délais de la déclaration périodique d échanges de biens entre Etats membres de la Communauté, prévue à l article 289 C du code, et de 15 euros pour chaque omission ou inexactitude relevée dans cette déclaration. Le constat qu il existe une échelle des sanctions pour défaut de déclaration dans le code général des impôts ne suffit pas, toutefois, à épuiser le débat sur la proportionnalité. C est ce qui vous interdit aujourd hui de répondre au moyen de la société en recopiant simplement le considérant de votre avis Fattell précité du 8 juillet 1998, par lequel vous avez affirmé que les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, qui proportionnent les pénalités aux agissements commis par le contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci, sont compatibles avec les stipulations de l'article 6 de la convention européenne, alors même qu'elles ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation du taux de ces pénalités. En effet, la société requérante, dans son pourvoi, fait grief à l amende de l article 1788 septies d être disproportionnée au comportement qu elle vise à réprimer. Elle souligne que ce comportement ne se traduit par aucun préjudice pour le Trésor, mais cet argument nous semble inopérant, dans la mesure où une amende ne vise précisément pas à compenser un préjudice, sinon elle ne serait pas une amende, mais une réparation. Quoi qu il en soit, l idée exprimée par la société est que s il existe une échelle des sanctions pour défaut de déclaration, le barreau de l échelle correspondant à l amende de l article 1788 septies du code général des impôts est trop haut, alors même que le juge n a pas la faculté de l abaisser. Vous retrouvez donc le débat sur la modulation des sanctions, à ceci près que la société ne vous invite pas à moduler le montant de sa sanction, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, mais, nous l avons déjà dit, à la décharger purement et simplement de cette sanction, au motif que la loi ne vous permet pas de moduler son niveau en fonction du comportement du contribuable. 4

Ce débat vous est familier. Il est ancien, et tranché en ce qui vous concerne dans un sens différent de celui qu à retenu la Cour de cassation. Vous considérez que l article 6 de la convention européenne impose seulement que le juge dispose d un pouvoir de pleine juridiction en matière de sanction. Or vous avez jugé au sujet des sanctions de l article 1728 du code général des impôts que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, soit de maintenir le taux auquel l'administration s'est arrêtée, soit de lui substituer un taux inférieur parmi ceux que prévoit le texte, s'il l'estime légalement justifié, soit de ne laisser à la charge du contribuable que les intérêts de retard, s'il estime que ce dernier ne s'est pas abstenu de souscrire la déclaration ou de déposer l'acte dans le délai légal. Vous en avez déduit que le juge dispose d'un pouvoir de pleine juridiction conforme aux stipulations de l'article 6 de la convention, en précisant expressément que ces stipulations n'impliquent pas que le juge puisse moduler l'application du barème (CE 8 mars 2002 n 224304, SARL Clinique médicale de Mazargues : RJF 6/02 n 671). Rien, depuis cette décision, n est venu changer les termes du débat qui puisse justifier que vous abandonniez cette jurisprudence pour vous rallier à la jurisprudence de la Cour de cassation. Relevons d ailleurs qu il semble qu il y ait un obstacle de taille à une jurisprudence qui permettrait au juge de moduler une sanction dont le législateur n a pas prévu la modulation. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé il y a vingt ans qu'en prescrivant que l'amende fiscale encourue en cas de divulgation du montant du revenu d'une personne en violation des dispositions de l'article L. 111 du livre des procédures fiscales serait, en toute hypothèse, égale au montant des revenus divulgués, l'article 92 de la loi de finances pour 1988 avait édicté une sanction qui pourrait, dans nombre de cas, revêtir un caractère manifestement disproportionné, si bien que ces dispositions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines découlant de l article 8 de la déclaration des droits de l homme et du citoyen (décision n 87-237 DC, loi de finances pour 1988). Or, ce faisant, il n a pas tenté de sauver la disposition en question en s en remettant à un pouvoir de modulation du juge de l impôt. Mutatis mutandis, il nous semble donc que vous devez appliquer la jurisprudence Clinique de Mazargues au cas de l espèce, en relevant que le juge de l impôt a toujours la possibilité de prononcer la décharge de l amende de 5 % s il estime, dans son contrôle des faits, que le défaut de déclaration de la TVA déductible n est pas avéré, si bien qu il exerce les pouvoirs de pleine juridiction qu impose l article 6 de la convention. Vous écarterez donc le moyen de la société tiré de l erreur de droit que la cour aurait commise en jugeant que l article 1788 septies du code général des impôts respectait le principe de proportionnalité des sanctions découlant de l article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Demeure un dernier moyen, tiré de ce que la cour aurait commis une autre erreur de droit en jugeant que les dispositions de l article 1788 septies du code général des impôts n étaient pas discriminatoires au regard de l article 14 de la convention européenne combiné avec l article premier du premier protocole additionnel à cette convention. Relevons tout d abord que, devant la cour, si elle avait évoqué au détour d une phrase l article 1 er du premier protocole additionnel à la convention, la société s était bornée à soutenir que l article 1788 septies du code général des impôts méconnaissait le principe de non discrimination posé par l article 14 de la convention. Or, ainsi que vous le savez, cet 5

article n est pas autonome, mais doit toujours être invoqué en combinaison avec un droit garanti par la convention ou ses protocoles additionnels, ce que la société n a pas fait. Ce constat emporte deux conséquences : la première est que la cour aurait pu, selon nous, écarter le moyen pour ce motif. Au lieu de quoi elle a jugé que l article 1788 septies n est pas incompatible avec l article 14 de la convention, sans l articuler avec un droit garanti par la convention, pas plus que ne l avait fait la société. La seconde conséquence est que, stricto sensu, le moyen dont vous êtes saisis est nouveau en cassation, et par suite, irrecevable. Mais nous vous proposons de fermer les yeux sur ces approximations. Votre décision sera plus pédagogique si vous écarter au fond le moyen d erreur de droit. Devant la cour, la société soutenait que l amende de 5 % entraînait une discrimination injustifiée entre des contribuables placés dans une situation analogue comme ayant commis la même faute en ne respectant pas l obligation déclarative et qui, pourtant, encourent une sanction différente selon leurs droits à déduction. Mais la cour a fort justement jugé, selon nous, que, précisément, la possibilité de déduire ou non la taxe constitue une différence de situation qui justifie une différence de traitement. En effet, la gravité du défaut de déclaration de TVA n est pas la même selon que la TVA est ou non déductible, ce qui justifie une amende à un taux inférieur lorsque la taxe non déclarée est déductible. Notons d ailleurs que l argumentation de la société est baroque, puisqu elle en est réduite à dénoncer par principe la différence de traitement, faute de pouvoir la dénoncer en l espèce, puisque l amende à laquelle elle aurait été assujettie pour défaut de déclaration en cas de non déductibilité de la TVA aurait été supérieure à celle qu elle a supportée. Vous écarterez donc ce dernier moyen du pourvoi, ce qui fera obstacle à ce que vous fassiez droit aux conclusions que la société vous a présentées sur le fondement de l article L. 761-1 du code de justice administrative. Et par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi. 6