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Transcription:

Numéro du rôle : 3081 Arrêt n 102/2005 du 1er juin 2005 A R R E T En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 34, 1er, 1 et 1 bis, et 39, 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Gand. La Cour d'arbitrage, composée du président A. Arts, du juge P. Martens, faisant fonction de président, et des juges R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * *

2 I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 8 septembre 2004 en cause de L. De Cock et H. Michiels contre l Etat belge, dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour d arbitrage le 17 septembre 2004, le Tribunal de première instance de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. «Les articles 34, 1er, 1, du Code des impôts sur les revenus 1992 et 34, 1er, 1 bis, du Code des impôts sur les revenus 1992 violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu ils permettent qu une indemnité versée par une compagnie d assurance qui offre une couverture en vertu d une police du type revenu garanti soit imposable dans le chef du bénéficiaire, alors que ce dernier ne subit aucune perte de revenus, cependant qu une indemnité versée par un assureur des accidents du travail ou une indemnité du Fonds des maladies professionnelles n est pas imposable dans le chef du bénéficiaire qui ne subit aucune perte de revenus (conformément à l arrêt de la Cour d'arbitrage du 8 septembre 1998 [lire : l arrêt n 132/1998 du 9 décembre 1998] et à l exécution subséquente de l article 39 du Code des impôts sur les revenus 1992), bien que, tant pour l assurance revenu garanti que pour l assurance des accidents du travail et pour le Fonds des maladies professionnelles, l invalidité qui est à l origine de l indemnité versée puisse être consécutive à l exercice de l activité professionnelle, bien qu il n y ait dans les deux hypothèses aucune perte de revenus et bien que, pour les deux types d assurance ou pour l intervention du Fonds des maladies professionnelles, les primes ou cotisations soient déduites des revenus imposables, soit par les bénéficiaires eux-mêmes, soit par leur employeur?»; 2. «L article 39, 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu il prévoit une exonération des indemnités versées par un assureur des accidents du travail ou par le Fonds des maladies professionnelles sans qu il y ait perte de revenus, et en tant qu il établit même, en son alinéa 2, une présomption d absence de perte de revenus, alors que cette exonération n existe pas pour les indemnités résultant d une assurance revenu garanti, bien que ces deux formes d assurance ou de protection sociale soient constituées grâce à des primes déductibles, soit dans le chef du bénéficiaire, soit dans le chef de son employeur, et bien que les causes de la couverture puissent se présenter dans toutes les hypothèses dans le cadre de l activité professionnelle et que les assurances comme le Fonds couvrent en substance le même risque, à savoir une invalidité économique?». Des mémoires ont été introduits par : - L. De Cock et H. Michiels, demeurant à 9270 Laarne, Kasteeldreef 82; - le Conseil des ministres. Par ordonnance du 23 mars 2005, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 13 avril 2005, après avoir demandé aux parties demanderesses devant le juge du fond de répondre à l audience à la question suivante : «Les parties demanderesses devant le juge a quo confirment-elles les affirmations du Conseil des ministres selon lesquelles les primes du contrat d assurance individuelle revenu garanti de la première partie demanderesse devant le juge a quo ont été portées en déduction par elles depuis la conclusion de cette assurance (ou plus tard) et ont été admises comme frais professionnels?».

3 A l'audience publique du 13 avril 2005 : - ont comparu :. Me L. De Meyere, avocat au barreau de Gand, pour L. De Cock et H. Michiels;. Me E. Van Acker, avocat au barreau de Gand, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs E. De Groot et J.-P. Moerman ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l affaire a été mise en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d arbitrage relatives à la procédure et à l emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et la procédure antérieure Le 1er octobre 1981, L. De Cock a souscrit un contrat d assurance du type «revenu garanti» auprès de la compagnie AG 1824. La police lui garantit une intervention en cas d invalidité due à une maladie ou à un accident, proportionnellement au degré et à la durée de l invalidité. A la suite d une maladie, L. De Cock a été frappé d invalidité. Depuis la consolidation des lésions, le 1er janvier 1992, il a perçu une indemnité de «revenu garanti» pour une incapacité de travail partielle permanente de 30 p.c. Pendant plusieurs années cette indemnité a été déclarée comme revenu imposable sous le code 271 (revenus de remplacement, pensions, prépensions). Pour ce qui concerne l exercice d imposition 2001, L. De Cock et son épouse H. Michiels ont également introduit une déclaration régulière et non tardive, en mentionnant l indemnité «revenu garanti» sous le code 271. Après avoir introduit leur déclaration, L. De Cock et H. Michiels ont pris connaissance de l arrêt de la Cour d'arbitrage n 120/2001 et constaté que l indemnité de «revenu garanti» n est pas imposable. Dans une réclamation du 23 août 2002, ils ont demandé une révision de leur déclaration. Cette réclamation a été rejetée comme non fondée par décision directoriale du 13 février 2003. A la suite de cette décision, L. De Cock et H. Michiels ont cité l Etat belge devant la sixième chambre fiscale du Tribunal de première instance de Gand. III. En droit - A A.1.1. En ce qui concerne la première question préjudicielle, les parties demanderesses devant le juge a quo font valoir que l article 34, 1er, 1 et 1 bis, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992) viole les articles 10 et 11 de la Constitution au motif que la distinction établie sur la base de la déduction éventuelle comme frais professionnels des primes payées dans le cadre de l assurance «revenu garanti» ne se justifie pas. Eu égard à l historique de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage (arrêts n os 132/98, 120/2001 et 55/2003), il faut en effet constater que l imposabilité d une indemnité versée ne dépend ni du type d assurance (assurance du type

4 «revenu garanti», assurance des accidents du travail, assurance collective) ni du fait de savoir qui a déduit comme frais professionnels les primes payées (l employeur ou le bénéficiaire des indemnités), mais que l imposabilité ne peut être admise que lorsque l indemnité payée compense une perte de revenus. Si l indemnité perçue ne compense pas une perte de revenus, cette indemnité ne peut être rendue imposable et si cette indemnité est, comme en l occurrence, malgré tout imposée, il y a violation du principe constitutionnel d égalité. A.1.2. Pour ce qui concerne la deuxième question préjudicielle, les parties demanderesses estiment qu en fait, l application de l article 39, 1er, du C.I.R. 1992 ne fait rien en l espèce puisque l indemnité ne compense pas une perte de revenus. En dépit du contenu de l article 39, 1er, du C.I.R. 1992, l indemnité perçue n est pas imposable puisque la première partie demanderesse n avait pas subi de perte de revenus. En ordre subsidiaire, les parties demanderesses devant le juge a quo observent que l article 39, 1er, du C.I.R. 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution au motif que cette disposition prévoit une exonération explicite de l impôt pour les allocations versées par un assureur des accidents du travail ou par le Fonds des maladies professionnelles en tant qu il n y a pas eu de perte de revenus, alors que cette exonération n existe pas pour l indemnité versée par une assurance libre, sans qu existe une justification raisonnable pour cette distinction. L assurance «revenu garanti», d une part, et l assurance des accidents du travail et le Fonds des maladies professionnelles, d autre part, couvrent en fait les mêmes risques. Elles ne se distinguent en substance que par celui qui paie la prime (l assuré lui-même) ou la cotisation (l employeur) et par le statut social du bénéficiaire (travailleur indépendant ou travailleur salarié). Ces différences sont dues au fait que, du point de vue historique, l assurance des accidents du travail et le Fonds des maladies professionnelles ont été institués en tant qu éléments de la protection sociale des travailleurs. Les travailleurs indépendants doivent se charger euxmêmes d une protection sociale analogue et faire appel à cette fin à une compagnie d assurances qui propose des polices «revenu garanti». A.2. Le Conseil des ministres attire l attention sur la jurisprudence existante ainsi que sur un certain nombre de circulaires ministérielles pour démontrer que selon l interprétation administrative actuelle, les indemnités pour incapacité permanente qui sont versées dans le cadre d une assurance «revenu garanti» ne sont imposables que si elles portent sur l incapacité professionnelle ou s il y a une réparation d une perte de revenus. A l estime du Conseil des ministres, il découle de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage qu imposer au titre de pensions des indemnités qui concernent manifestement l activité professionnelle est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Or, il peut également être déduit de cette même jurisprudence que les indemnités qui sont payées à la suite d un contrat conclu afin d indemniser une invalidité physiologique ou économique ne sont pas imposables lorsqu il n y a pas de perte de revenus et qu elles sont versées indépendamment de toute activité professionnelle, quelles que soient les conséquences sur l activité professionnelle et sur les rémunérations, bénéfices ou profits de l assuré et quelles que soient les circonstances de l accident. De surcroît, il y a dans la présente affaire un élément supplémentaire, à savoir le fait que les primes pour l assurance «revenu garanti» ont été déduites des revenus imposables. En d autres termes, si ces primes ont été déduites chaque année comme frais professionnels, il doit en résulter l imposabilité des indemnités perçues, en application de l article 34, 1er, 1, du C.I.R. 1992. A.3. En réponse à la question posée par la Cour dans son ordonnance du 23 mars 2005, les parties demanderesses devant le juge a quo ont confirmé, à l audience du 13 avril 2005, que les primes relatives au contrat d assurance individuel «revenu garanti» ont été déduites par elles et admises à titre de frais professionnels.

5 - B Quant au contexte des dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles posées par le Tribunal de première instance de Gand portent sur l article 34, 1er, 1 et 1 bis, et sur l article 39 du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992). Les dispositions en cause font partie du titre II «Impôt des personnes physiques», Chapitre II «Assiette de l impôt», section IV «Revenu professionnel», l article 34 ressortissant à la matière des revenus imposables (sous-section I, G) alors que l article 39 ressortit à celle des revenus exonérés (sous-section II, B). Les pensions, rentes et allocations en tenant lieu sont taxables à l impôt des personnes physiques, mais certaines pensions et rentes sont exonérées en application de l article 39 du C.I.R. 1992. B.1.2. L article 34, 1er, 1 et 1 bis, du C.I.R. 1992, modifié par l article 2 de la loi du 19 juillet 2000 visant à modifier les articles 34, 1er, et 39 du Code des impôts sur les revenus, dispose : «Les pensions, rentes et allocations en tenant lieu comprennent, quels qu'en soient le débiteur, le bénéficiaire, la qualification et les modalités de détermination et d'octroi: 1 les pensions et les rentes viagères ou temporaires, ainsi que les allocations en tenant lieu, qui se rattachent directement ou indirectement à une activité professionnelle; 1 bis les pensions et les rentes viagères ou temporaires, ainsi que les allocations en tenant lieu, qui constituent la réparation totale ou partielle d'une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits;». B.1.3. L article 39, 1er, du C.I.R. 1992, inséré par l article 3 de la loi du 19 juillet 2000, énonce : «Les pensions, les rentes viagères ou temporaires et les allocations en tenant lieu visées à l'article 34, 1er, 1, qui sont attribuées en cas d'incapacité permanente en application de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, sont exonérées dans la mesure où elles ne constituent pas la réparation d'une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits.

6 Ne sont notamment pas censées constituer la réparation d'une telle perte, les pensions, rentes ou allocations en tenant lieu visées à l'alinéa précédent qui sont octroyées soit en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ayant entraîné un degré d'invalidité n'excédant pas 20 % soit en complément à une pension de retraite ou de survie. Dans les cas qui ne sont pas visés à l'alinéa 2, les pensions, rentes et allocations en tenant lieu visées à l'alinéa 1er, ne sont pas, sauf preuve contraire, censées constituer la réparation d'une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits, à concurrence de la quotité qui correspond à l'indemnité totale multipliée par une fraction dont le numérateur est égal à 20 % et le dénominateur au degré d'invalidité exprimé en pour cent». Quant aux dispositions en cause, en ce qui concerne l imposabilité des allocations résultant d accidents du travail ou de maladies professionnelles B.2. Les articles 34, 1er, 1 et 1 bis, et 39 du C.I.R. 1992 ont été, l un modifié, et l autre inséré par les articles 2 et 3 de la loi du 19 juillet 2000. Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur entendait supprimer une discrimination existante : «[ ] le simple fait que l accident dont une personne a été victime, et qui est la cause dans son chef d une incapacité de travail permanente, entre dans une sphère couverte par une législation sociale, est insuffisant pour justifier la taxation de l indemnité qu elle perçoit alors même qu elle n a, suite à cette incapacité, subi aucune perte de rémunérations. Décider autrement nous paraît introduire une discrimination par rapport aux personnes bénéficiaires d une rente ou d allocations de droit commun qui, dans les mêmes conditions, sont non imposables. Le critère central doit être à notre sens la perte effective de revenus liée à l incapacité, et ce quelles que soient les circonstances qui ont présidé à l incapacité. Ces circonstances ne peuvent pas, comme c est le cas actuellement, avoir pour effet de déclarer imposable une indemnité qui compense une diminution de la capacité de travail ou la nécessité d efforts accrus alors qu il n y a pas de répercussion sur les revenus professionnels de la victime» (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, DOC 49-1408/001, p. 5). Il fut aussi précisé que la modification législative proposée répondrait à l arrêt de la Cour n 132/98 du 9 décembre 1998 (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, DOC 49-1408/3, p. 2, et DOC 49-1408/004, p. 7), parce que les pensions, rentes ou allocations en tenant lieu qui sont octroyées dans le cadre de la législation sur les accidents du travail ou les maladies

7 professionnelles seraient exonérées de l impôt sur les revenus dans la mesure où elles ne réparent pas une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, DOC 49-1408/004, p. 8). Dans son arrêt n 132/98, la Cour a dit pour droit : «En ce qu il rend imposables les indemnités versées en réparation d une incapacité permanente en application de la législation sur les accidents du travail, sans qu il y ait perte de revenus dans le chef de la victime, l article 32bis du Code des impôts sur les revenus 1964 (actuellement l article 34, 1er, 1, du Code des impôts sur les revenus 1992) viole l article 10 de la Constitution». Quant aux dispositions en cause, en ce qui concerne l imposabilité des allocations versées en exécution d un contrat d assurance «revenu garanti» B.3.1. La Cour a aussi statué sur cette matière à propos de l indemnité versée, en application d une assurance «revenu garanti», en réparation d une incapacité permanente, sans perte de revenus pour la victime, comparée à l indemnité versée en application de la législation sur les accidents du travail ou en application du droit commun, en réparation d une incapacité permanente, sans qu il n y ait non plus perte de revenus pour la victime. Dans son arrêt n 120/2001 du 10 octobre 2001, la Cour a dit pour droit : «L article 32bis du Code des impôts sur les revenus 1964, actuellement l article 34, 1er, 1, du Code des impôts sur les revenus 1992, avant sa modification par la loi du 19 juillet 2000, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu il rend imposables les indemnités versées par une compagnie d assurances en réparation d une invalidité physiologique et/ou économique, sans qu il y ait perte de revenus dans le chef de la victime, et alors que les primes liées au contrat d assurance n ont pas été déduites par le bénéficiaire de l indemnité au titre de charges professionnelles». L inconstitutionnalité précitée concernait toutefois exclusivement la circonstance qu une indemnité versée en exécution d un contrat d assurance individuel «revenu garanti», pour la réparation d une invalidité physiologique ou économique et sans qu il y ait perte de revenus,

8 était taxable, lorsque les primes liées au contrat d assurance n avaient pas été déduites à titre de charges professionnelles par le bénéficiaire de l indemnité. B.3.2. La Cour a ensuite dit pour droit dans son arrêt n 55/2003 du 30 avril 2003 : «En ce qu il rend imposables les montants versés, en indemnisation d une invalidité physiologique et/ou économique causée par un accident, en exécution d un contrat d assurance collectif conclu par l employeur de la victime, sans que celle-ci ait subi une perte de revenus, l article 34, 1er, 1, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution». L inconstitutionnalité constatée par cet arrêt ne portait que sur la circonstance qu une indemnité versée en exécution d un contrat d assurance collectif «revenu garanti», en réparation d une invalidité physiologique ou économique et sans perte de revenus, était imposable. Il s agissait d une assurance souscrite et payée par l employeur du bénéficiaire qui ainsi n avait pas la possibilité de déduire les primes à titre de frais professionnels. Quant aux questions préjudicielles posées par le juge a quo dans l instance principale B.4. Le juge a quo demande à la Cour si les dispositions en cause violent les articles 10 et 11 de la Constitution, d une part, en tant qu elles permettent que l indemnité versée par une compagnie d assurances qui offre une couverture en vertu d une police de type «revenu garanti» soit taxée lorsque le contribuable n a subi aucune perte de revenus, alors qu une indemnité versée par l assureur-loi ou celle provenant du Fonds des maladies professionnelles n est pas imposable lorsque le contribuable n a subi aucune perte de revenus (première question préjudicielle) et, d autre part, en tant que l article 39 précité instaure une exonération des indemnités versées par l assureur-loi ou par le Fonds des maladies professionnelles sans qu il y ait perte de revenus «et en tant qu il établit même, en son alinéa 2, une présomption

9 d absence de perte de revenus», alors que cette exonération n existe pas pour les indemnités résultant d une assurance «revenu garanti» (deuxième question préjudicielle). B.5.1. Le choix du législateur d exonérer de l impôt les seules rentes, pensions, rentes viagères, rentes temporaires et les allocations qui en tiennent lieu, pour autant qu elles sont attribuées en cas d incapacité permanente en application de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles et dans la mesure où elles ne constituent pas une réparation d une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits a été justifié comme suit : «[ ] les auteurs de l amendement n 3 ont voulu se limiter aux cas visés par l arrêt [132/98] de la Cour d arbitrage. [ ] Le ministre [aussi] souhaite se limiter à une application stricte de l arrêt de la Cour d arbitrage du 9 décembre 1998, qui assimile dorénavant l interprétation donnée à la disposition visée à l article 34, 1er, 1, CIR 92, en matière d accidents du travail à celle qui s applique déjà en ce qui concerne les accidents survenus dans le cadre de la vie privée, réglés par le droit commun» (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, DOC 49-1408/004, p. 9). Il fallait en outre tenir compte, selon le législateur, de l incidence budgétaire de chacune des solutions possibles et aussi d une question de principe : «Si le gouvernement a opté pour un champ d application plus vaste que celui prévu par l arrêt de la Cour d arbitrage, en ce sens que les indemnités versées en application de la législation sur les maladies professionnelles sont également visées, alors que l arrêt avait trait uniquement aux allocations versées en application de la législation sur les accidents du travail, il n a cependant pas été jusqu à proposer une exonération fiscale complète, ce qui s explique par des raisons d ordre budgétaire. La troisième considération concernait la question de principe de savoir jusqu où l exonération fiscale peut aller? Au cas où la loi instaurerait une présomption d exonération totale de certaines allocations, la question se poserait immédiatement de savoir pourquoi tous les revenus de remplacement ne sont pas exonérés» (Doc. parl., Sénat, 1999-2000, n 2-286/4, pp. 7-8). B.5.2. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la circonstance que l indemnité est versée ou non en application de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles.

10 B.6. En exonérant de l impôt sur les revenus les pensions, rentes et allocations qui ne constituent pas la réparation d une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits pour autant qu elles soient octroyées en application de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, le législateur a pris une mesure pertinente au regard de l objectif de la modification législative du 19 juillet 2000, qui était de se conformer à l arrêt n 132/98. B.7. En l espèce, il ressort du mémoire du Conseil des ministres et de la réponse des parties demanderesses devant le juge a quo à la question posée par la Cour dans son ordonnance du 23 mars 2005 que ces parties ont toujours déduit, à titre de charges professionnelles, les primes d assurances «revenu garanti», de sorte que la Cour examine uniquement cette hypothèse. B.8.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 janvier 1976 qui a inséré l actuel article 38, 8, du C.I.R. 1992, instaurant une exonération en faveur des allocations obtenues en exécution d un contrat d assurance individuelle contre les accidents corporels, que le législateur a choisi de supprimer toute possibilité de déduction des primes en contrepartie de cette exonération, pour deux motifs : d une part, parce qu il n y aurait pas de liaison automatique et nécessaire entre ces avantages et les revenus que les assurés perdent en cas de réalisation du risque contre lequel ils se couvrent, la prime étant calculée en fonction des avantages que l assuré entend obtenir en cas de réalisation du risque; d autre part, parce que l assurance individuelle contre les accidents corporels a plus le caractère d une «assurance-épargne» que d une «assurance perte de revenus» (Doc. parl., Chambre, 1975-1976, n 680/10, p. 25). B.8.2. Si le législateur admet que les allocations versées en exécution d un contrat d assurance individuelle contre les accidents corporels sont exonérées d impôt lorsque les primes liées au contrat n ont pas été déduites fiscalement par le bénéficiaire de l indemnité, cela justifie que l indemnité attribuée en exécution d un contrat d assurance «revenu garanti» soit taxée lorsque les primes ont été déduites par le bénéficiaire de l indemnité.

11 Il résulte en outre de la définition de la notion de «frais professionnels» donnée par l article 49 du C.I.R. 1992 combiné avec l article 52, 10, du C.I.R. 1992 qu une prime déduite a pour but d acquérir ou de conserver des revenus imposables, de sorte que l indemnité octroyée est nécessairement imposable. B.9. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

12 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 34, 1er, 1 et 1 bis, et 39, 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu ils rendent imposables les indemnités versées par une compagnie d assurances qui offre une couverture en exécution d une police «revenu garanti», sans que le bénéficiaire de l indemnité ait subi une perte de revenus et lorsque les primes liées au contrat d assurance ont été déduites à titre de charges professionnelles par le bénéficiaire de l indemnité. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d arbitrage, à l audience publique du 1er juin 2005. Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux A. Arts