ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique



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ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique 1

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ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique CHAPITRE I L origine des habitants de l Île de Pâques La question de l origine des habitants de l Île de Pâques, découverte en 1722, fit l objet de nombreuses interrogations. L Île étant isolée en plein océan Pacifique, les îles polynésiennes habitées les plus proches, à plus de 3 000 km à l ouest et les côtes sud-américaines à plus de 3 700 km à l est, étaient malgré tout, les deux endroits habitées les plus proches d où auraient pu provenir les Pascuans. Les premières expéditions chargées d étudier l Île de Pâques et la culture qui s y était développée ont considéré que les Pascuans étaient fort probablement d origine polynésienne. L apparence physique des Pascuans, la langue qu ils parlaient et des éléments culturels, à première vue polynésiens, rendaient très plausible, pour la majorité des chercheurs, une colonisation polynésienne de l Île. Mettant à profit leur grande compétence de navigateurs en haute mer et profitant de vents favorables, il semblait en effet fort possible que les Polynésiens soient finalement parvenus à l'île de Pâques à partir des îles polynésiennes les plus proches. La thèse de Thor Heyerdahl Thor Heyerdahl observa cependant, en 1955, que certains éléments architecturaux de l Île s apparentaient beaucoup à ceux du Pérou. De même, il recensa plusieurs plantes d origine typiquement sudaméricaine sur l Île. Ainsi, notamment, la présence de la patate 3

douce, aliment de base des Pascuans, suggérait soit : un contact entre les Pascuans et les Sud-Américains, soit un contact entre les Polynésiens et les Sud-Américains. Quoi qu il en soit, ne niant aucunement une origine polynésienne aux Pascuans, tous ces éléments étaient suffisamment troublants aux yeux d Heyerdahl pour lui laisser croire à une première colonisation sud-américaine de l Île. Fort de son exploit avec l expédition du Kon-Tiki en 1947, qui démontrait que l on pouvait effectivement, avec un radeau construit comme à l époque inca, se rendre du Pérou aux îles polynésiennes les plus proches, ainsi que de la découverte de très nombreux fragments de poteries sud-américaines de l époque précolombienne, lors de ses fouilles aux îles Galapagos, Thor Heyerdahl affirmait que non seulement des Sud-Américains avaient la capacité de naviguer en haute mer, mais qu ils s étaient effectivement rendus à l Île de Pâques et qu ils faisaient probablement régulièrement des voyages aller-retour aux îles Galapagos. Croyant que des Sud-Américains avaient apporté avec eux leurs compétences du travail de la pierre et avaient introduit la patate douce sur l Île de Pâques, Heyerdahl s est par la suite évertué à défendre l hypothèse d'une première colonisation sud-américaine de l Île de Pâques suivie d une seconde colonisation, polynésienne cette fois. La majorité des chercheurs étaient cependant convaincus, à cette époque, d une unique colonisation polynésienne. Ces deux thèses fort différentes se sont alors affrontées dans un débat très animé qui dura plusieurs années, soit, jusqu à ce que les progrès de la génétique permettent d effectuer, pour la première fois, une analyse de l ADN provenant de squelettes pascuans. 4

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique Ainsi, les conclusions de Erika Hagelberg, à la suite de son analyse de l ADN provenant de douze squelettes pascuans, mirent historiquement fin au débat en faveur de la thèse d une unique colonisation polynésienne. Cependant, en revoyant d un œil plus critique les conclusions de Erika Hagelberg et celles tirées par la majorité des chercheurs en réaction à ses travaux, il y a tout lieu de se demander si cette analyse n aurait pas, à tort, mis prématurément fin au débat. 5

CHAPITRE IV Détermination de l origine des Pascuans par une analyse de leur ADN Les progrès scientifiques ont rendu possibles, vers 1984, l analyse de l ADN de vestiges biologiques, dont, notamment, les restes humains. Les os, constituant les restes humains les plus durables, représentent évidemment les vestiges que l on retrouve le plus souvent sur les sites archéologiques. Une étude de l ADN d anciens squelettes exhumés à l Île de Pâques Dix ans plus tard, soit en 1994, Erika Hagelberg entreprit l analyse de l ADN pascuan pour mettre fin à la polémique concernant l origine des Pascuans et déterminer si la colonisation de l Île était effectivement polynésienne, comme cela semblait être le cas à première vue, ou bien, si elle était sud-américaine comme le prétendait Heyerdahl. Bien qu elle ait jugé qu il y avait peu de preuves archéologiques pour appuyer le point de vue de Heyerdahl, Erika Hagelberg considérait effectivement que certains éléments intrigants, combinés à l'aura de mystère qui imprégnait l'île, feraient en sorte que le débat sur les origines des habitants de l'île de Pâques pourrait se poursuivre encore longtemps. 1 1 HAGELBERG, Erika Hagelberg. Ancient DNA Studies, Evolutionary Anthropology, 1994, p. 204. 6

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique Ainsi, acceptant d emblée les prémisses de l opinion générale selon laquelle les éléments archéologiques, anthropologiques et linguistiques tendaient à démontrer une origine polynésienne des Pascuans, Erika Hagelberg tenta de clore le débat en établissant une preuve génétique. Le marqueur polynésien Suite à une recherche effectuée sur l ADN des Polynésiens, Erika Hagelberg découvrit une séquence particulière d ADN présente, aussi bien chez les Polynésiens actuels que dans les vestiges des anciens Polynésiens. Cette séquence, présente dans tout le vaste bassin polynésien, constituait un élément majeur permettant de déterminer la spécificité polynésienne à partir de vestiges humains. Cette séquence fut donc considérée comme un «marqueur» polynésien. Erika Hagelberg eut par la suite l idée d utiliser ce marqueur polynésien afin de vérifier si les Pascuans étaient d origine polynésienne. Elle croyait en effet que déceler ce marqueur génétique polynésien suite à l'analyse de l ADN des Pascuans ferait la lumière sur la question. Erika Hagelberg considéra que sa recherche ne pouvait être menée sur les habitants actuels de l Île de Pâques, du fait que l'île avait été presque totalement dépeuplée après les premiers contacts avec les Européens et que la majorité des habitants de l'île sont maintenant principalement d'origine chilienne. Une analyse génétique des habitants actuels de l Île ne pouvait donc être effectuée valablement en raison du niveau élevé de métissage avec des étrangers. Elle 7

décida donc d effectuer sa recherche sur des squelettes exhumés plusieurs décennies auparavant. Ainsi, elle analysa l ADN de douze squelettes pascuans exhumés par l expédition archéologique norvégienne de Heyerdahl en 1955. Ces squelettes provenaient de deux sites archéologiques différents, quatre d entre eux provenaient de l Ahu Tepeu, à l ouest de l Île, et les huit autres provenaient de l Ahu Vinapu, au sud-est de l Île. Erika Hagelberg décela dans chacun des échantillons prélevés sur ces douze squelettes le «marqueur» génétique polynésien en question, confirmant ainsi que ces squelettes étaient tous ceux de Pascuans ayant eu des ascendants polynésiens. Le lien entre les Pascuans et les Polynésiens était donc enfin confirmé avec certitude par leur ADN. Erika Hagelberg commenta ses résultats en ces termes : Our results indicate that relatively recent prehistoric inhabitants of Easter Island were undoubtedly Polynesians. 2 «Nos résultats indiquent que les habitants préhistoriques relativement récents de l'île de Pâques étaient sans aucun doute des Polynésiens.» Suite à cette recherche, il semblait en effet bien clair pour les scientifiques de l époque que les Pascuans étaient d origine polynésienne et que le débat était clos. 2 HAGELBERG, Erika Hagelberg. Ancient DNA Studies, Evolutionary Anthropology, 1994, p. 204. 8

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique Il nous semble cependant que, bien malheureusement, les conclusions que Erika Hagelberg tira de sa recherche mirent prématurément fin à la polémique qui régnait sur l origine des Pascuans. En effet, nous croyons qu absolument rien ne permettait à partir de ces douze squelettes, de conclure que l Île avait été colonisée exclusivement par des Polynésiens. Le très petit nombre de squelettes étudiés sur l ensemble des squelettes exhumés disponibles, lesquels provenaient de surcroît de seulement deux endroits différents de l Île, ne pouvait pas lui permettre de généraliser de cette manière. Rien ne nous permet de supposer que ces douze squelettes sont ceux de Pascuans représentatifs de la totalité de la population de l Île à l époque à laquelle ils vivaient, ni même qu ils soient ceux de Pascuans représentatifs de la totalité de la population de l Île à quelque époque que ce soit. À la limite, il est en effet possible de supposer que ces douze squelettes ne constituent qu un échantillon fort peu représentatif de l ensemble de la population. Les résultats de cette étude sont d un grand intérêt, puisqu ils nous permettent maintenant d affirmer avec certitude qu il y a bel et bien eu, à un moment donné, des Pascuans d origine polynésienne sur l Île de Pâques. Cependant, rien ne nous assure que l Île ait été colonisée uniquement par des Polynésiens et encore moins que ces douze squelettes soient ceux des premiers colonisateurs. 9

Ainsi, Erika Hagelberg souligna elle-même que dans l impossibilité de pouvoir identifier des ossements qui appartiendraient aux tous premiers colonisateurs de l Île, elle n était pas en mesure de réfuter la thèse de Heyerdahl. Selon ses propres propos : Althought in the absence of well characterized skeletal material from early sites we cannot refute Heyerdahl s idea of an initial non- Polynesian settlement.. 3 «Cependant en l'absence de squelettes bien identifiés provenant de sites archéologiques du tout début de l implantation de l homme sur l Île nous ne pouvons pas réfuter l'idée d Heyerdahl d'une colonisation initiale par des non Polynésiens.». Effectivement, d un point de vue strictement génétique, si nous ne pouvons avoir la certitude que les douze squelettes sur lesquels Erika Hagelberg a trouvé le marqueur polynésien sont ceux des tous premiers Pascuans, il nous est donc impossible de conclure que les Polynésiens sont les premiers colonisateurs de l Île. Ainsi, imaginons une colonisation initiale sud-américaine de l Île de Pâque, suivie d une seconde colonisation, polynésienne celle-là. La découverte de ces douze squelettes présentant le «marqueur» polynésien ne révèlerait en rien cette première colonisation sudaméricaine. La recherche de Erika Hagelberg ne peut donc effectivement en rien invalider la thèse de Heyerdahl selon laquelle il y aurait eu une colonisation initiale sud-américaine de l Île de Pâques. Cette 3 HAGELBERG, Erika Hagelberg. Ancient DNA Studies, Evolutionary Anthropology, 1994, p. 204. 10

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique recherche peut uniquement nous permettre de conclure, qu à un moment donné, il y a eu des Pascuans d origine polynésienne sur l Île, ce qui n est d ailleurs contesté par personne, ni même par Heyerdahl. C est donc erronément que les conclusions tirées de cette recherche mirent fin à la polémique qui régnait dans la communauté scientifique sur l origine des Pascuans. En effet, la méthodologie utilisée ne pouvait en aucun cas permettre de conclure à une colonisation unique ou même initiale polynésienne. La découverte de la présence du marqueur polynésien dans les douze squelettes étudiés ne peut en rien nous aider à déterminer si la colonisation initiale de l Île était effectivement polynésienne ou non. Si effectivement Heyerdahl avait eu raison et qu il y avait bel et bien eu une première colonisation par des Sud-Américains, il aurait fallu avoir la chance inouïe de découvrir au moins un de leurs squelettes, ce qui semble irréaliste compte tenu du grand nombre de personnes qui ont vécu sur l Île au cours de centaines d années de colonisation. L étude d aucun marqueur génétique sud-américain ne fut envisagée Remarquons aussi que Erika Hagelberg n a pas vérifié, à cette époque, la possibilité de la présence de marqueurs sud-américains dans les douze squelettes qu elle a étudiés. 4 Elle ne pouvait donc en 4 Dans une recheche récente, l équipe de scientifiques dont fait d ailleurs partie Erika Hagelberg, prend en compte l étude d un marqueur sud-américain pour analyser la génétique pascuane. Nous reviendrons un peu plus loin sur les conclusions de cette recherche. 11

aucun cas conclure à une colonisation sud-américaine de l Île de Pâques, initiale ou subséquente, quant bien même cela aurait effectivement été le cas. Ainsi, imaginons encore une colonisation initiale sud-américaine de l Île de Pâque, suivie d une seconde colonisation, polynésienne celle-là. La découverte de douze squelettes présentant le «marqueur» polynésien, mais présentant aussi un ou plusieurs marqueurs typiquement sud-américains ne permettrait en rien de conclure à une colonisation initiale polynésienne, ni même à une première colonisation initiale sud-américaine. Ainsi, avoir identifié le marqueur polynésien chez les douze squelettes étudiés ne prouve en rien que les Polynésiens soient les premiers colonisateurs de l Île, de même qu avoir éventuellement constaté l absence totale de ce marqueur polynésien chez tous les squelettes étudiés ne prouverait en rien que les premiers colonisateurs de l Île soient sud-américains. De même, à partir du moment où on ne recherche qu un marqueur polynésien, sans en même temps faire la recherche d éventuels marqueurs sud-américains, on ne peut en rien prouver ni infirmer que des Sud-Américains ont colonisé l Île à un moment donné ou à un autre. Des indices mis de côté Erika Hagelberg a aussi généralisé les résultats de sa recherche sans tenir suffisamment compte de données pourtant accessibles à son époque. Ainsi, elle affirme que : 12

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique The lack of plausible evidence for the multiple migration hypothesis suggests that the first Easter Island were indeed from Polynesia.. 5 «L'absence de preuve plausible pour concevoir l'hypothèse de migrations multiples sur l Île suggère que les premiers habitants de l Île de Pâques sont originaires de la Polynésie.». Autrement dit pour Erika Hagelberg, il n y avait aucun indice plausible qu il aurait pu y avoir d autres colonisateurs sur l île. Pourtant, Heyerdahl clamait haut et fort que des éléments troublants militaient en faveur d une influence sud-américaine sur l Île de Pâques. Ainsi, ne prenant aucunement en considération la possibilité de migrations multiples, Erika Hagelberg n a pas jugé pertinent d analyser la possibilité d une colonisation sud-américaine, bien que son intention déclarée était bien pourtant de mettre fin à la controverse entourant la possible colonisation sud-américaine de l Île de Pâques. Mais comment mettre fin à cette controverse sans vérifier aussi la possibilité d une colonisation sud-américaine? Il aurait pourtant suffit de vérifier chez les Pascuans la présence de marqueurs génétiques sud-américains de la même façon que cela avait été fait pour vérifier la présence de marqueurs polynésiens. Les éléments troublants qui, selon Heyerdahl, militaient en faveur d une influence sud-américaine n étaient-ils pas suffisants pour qu elle envisage d analyser la possibilité de la présence d un marqueur sud-américain dans les anciens squelettes des Pascuans? 5 HAGELBERG, Erika Hagelberg. Ancient DNA Studies, Evolutionary Anthropology, 1994, p. 204. 13

Quoi qu il en soit, les résultats de sa recherche ne supportent en rien les conclusions que l on en a tirées. Ainsi, Erika Hagelberg considère qu en l absence d indices plausibles qui laisseraient envisager plus d une colonisation sur l Île, les premiers habitants de l Île de Pâques seraient donc exclusivement Polynésiens. Or, l appréciation d indices autres que ceux de nature strictement génétique sort du cadre d une recherche strictement génétique. Il semble, à notre avis, que Heyerdahl avait soulevé des éléments troublants laissant supposer une colonisation de l Île différente de celle des Polynésiens. Ainsi, l élément significatif et déterminant sur lesquels les conclusions furent basées, soit l existence de preuve plausible pour concevoir l'hypothèse de migrations multiples sur l Île, n ayant pas été pris en compte, les conclusions qui furent avancées ne pouvaient qu être biaisées. Nous ne retiendrons donc de cette étude que le fait que douze squelettes anciens de l Île de Pâques présentaient le marqueur polynésien, et que donc ces douze squelettes avaient eu pour ascendants des Polynésiens. Il n y a donc plus aucun doute que les Pascuans avaient des origines polynésiennes Des Polynésiens furent présents sur l Île En fait, tout ce que l on peut réellement retenir de l étude d Erika Hagelberg c est que des Polynésiens ont été présents à un moment ou à un autre sur l Île de Pâques 14

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique À défaut de pouvoir découvrir et identifier les squelettes des tous premiers arrivants sur l Île, Erika Hagelberg en conclut qu elle ne pouvait réfuter la possibilité d une colonisation sud-américaine telle que supposée par Heyerdahl. Or, découvrir de tels squelettes et pouvoir les identifier est d autant plus complexe s il y a eu plusieurs migrations ou implantations sur l Île, ces migrations ayant pu avoir lieu à des périodes très espacées, peut-être même par plusieurs centaines d années. Malgré tout, cette étude de Erika Hagelberg fut largement invoquée, et l est encore aujourd hui, pour établir hors de tout doute la thèse d une unique colonisation polynésienne de l Île de Pâques. Un «marqueur» génétique transmis par la lignée maternelle Le marqueur polynésien découvert et utilisé par Erika Hagelberg est un gène d ADN mitochondrial (mtdna), c est-à-dire un gène qui ne se transmet que par la lignée maternelle. La mère transmet ce gène à ses filles qui le transmettent à leur tour à leurs propres filles. Mais cela ne signifie pas pour autant que les garçons ne possèdent pas ce gène. Ils le possèdent bel et bien, leur mère le leur ayant aussi transmis, ils ne peuvent cependant pas le transmettre à leur tour à leur descendance. Ainsi, si des hommes de l Île de Pâques d origine polynésienne s étaient accouplés avec des femmes d Amérique du Sud parvenues sur l Île, leurs descendances, mâle et femelle, ne présenteraient en aucun cas ce marqueur polynésien. Tout au contraire si des hommes sud-américains parvenus sur l Île de Pâques s étaient accouplés avec des femmes de l Île d origine 15

polynésienne, leur descendance, mâle et femelle, et ce, dés la première génération, présenteraient invariablement ce fameux marqueur polynésien d ADNmt. Cependant, les femmes étant seules à transmettre ce marqueur polynésien, les descendants mâles, tout en possédant ce gène, ne pourraient le transmettre à la génération suivante. Est-ce à dire alors qu en aucun cas la descendance des mâles ne peut avoir ce gène puisqu ils ne peuvent le transmettre? Théoriquement, leurs descendants ne pourraient effectivement avoir ce marqueur polynésien, sauf évidemment, si ces descendants mâles s étaient accouplés eux aussi avec des femmes le possédant. À la lumière de l étude de Erika Hagelberg et des règles de transmission de ce gène d ADNmt, revoyons maintenant l hypothèse que nous avions émise dans une précédente étude. 6 Contrairement à la thèse de Heyerdahl, selon laquelle des Sud- Américains auraient initialement colonisé l Île de Pâques, selon notre hypothèse, des Incas seraient parvenus à l Île et y seraient demeurés, et ce, seulement après le début d une première colonisation polynésienne. En effet, bien que Heyerdahl ait soulevé des points intrigants laissant croire à une colonisation en provenance d Amérique du Sud, nous ne pouvons acquiescer à sa thèse d une première colonisation sudaméricaine de l Île de Pâques, celle-ci étant en effet incompatible avec la tradition orale pascuane, tout autant qu incaïque. De même les éléments architecturaux et sculpturaux qui ont tant intrigué Heyerdahl et lui ont fait entrevoir la venue de Sud-Américains sur l Île de Pâques correspondraient davantage, d après nous, à une 6 DAUDE, Jean Hervé. Île de Pâques - L empreinte des Incas, Laval, Québec. 2009. 16

ÎLE DE PÂQUES L empreinte génétique époque incaïque précise postérieure à l arrivée des Polynésiens sur l Île. Selon nous, vers 1465, les Incas participant à une expédition d exploration et de conquête, arrivés jusqu à l Île de Pâques sans aucune femme, se seraient alors nécessairement accouplés avec des femmes pascuanes d origine polynésienne. Tous leurs enfants mâles auraient aussi fait de même et se seraient accouplés avec des femmes pascuanes d origine polynésienne, seules et uniques femmes disponibles sur l Île. Ce qui signifie qu automatiquement tous les habitants de l Île de Pâques devaient posséder ce marqueur polynésien, mis à part, bien sûr les tous premiers arrivants sudaméricains. Les gènes polynésiens seraient donc entrés dans le bagage génétique des descendants de ces Incas dès la première génération qui aurait suivi leur arrivée sur l Île. Tous les enfants de ces premiers Incas auraient présenté le marqueur polynésien, ainsi que tous leurs descendants. Le nombre de squelettes disponibles de ces tous premiers incas arrivés sur l Île et ne recelant donc pas le «marqueur» polynésien serait nécessairement infime en regard de la population totale présente sur l Île à chaque génération, et ce, sur plusieurs centaines d années. Il faudrait donc une chance inouïe pour réussir à exhumer un de ces squelettes. Notons que dans le cas de l hypothèse d une première colonisation sud-américaine tel que suggérée par Heyerdahl, des Sud Américains des deux sexes seraient arrivées sur l Île et leur descendance ne posséderait donc pas dans leurs gènes le marqueur polynésien avant qu arrive la seconde colonisation polynésienne. Il y aurait donc, dans le cadre de cette hypothèse, plus de vestiges disponibles ne présentant pas ce marqueur polynésien. 17

Ainsi, conformément à l hypothèse que nous avions émise dans L empreinte des Incas, il serait pratiquement impossible de trouver le squelette d un Pascuan qui ne possède pas le marqueur polynésien dans son bagage génétique, et ce, peu importe l origine de l ancêtre paternel, à moins qu il ne s agisse des restes de l un des tous premiers arrivants sud-américains; encore faudrait-il que ces vestiges puissent être retrouvés, s ils ne se sont pas déjà complètement disparus. L étude de Erika Hagelberg n établit en rien la preuve d une colonisation uniquement polynésienne de l Île de Pâques et ne peut donc valablement être invoquée pour réfuter la thèse d une colonisation sud-américaine postérieure à l arrivée de Polynésiens. Si à l époque d Heyerdahl, Erika Hagelberg pouvait peut-être considérer qu il y avait une relative absence d indices plausibles qui permettraient d envisager plus d une colonisation sur l Île de Pâques, tel n est plus le cas. En effet, aux nombreux éléments que Heyerdahl avaient mis de l avant, s ajoutent maintenant ceux que nous avons présentés dans L empreinte des Incas, de sorte qu il n est plus possible de rejeter l hypothèse qu il ait pu y avoir d autres colonisations, non polynésiennes, de l Île de Pâques, et notamment, une colonisation sud-américaine concomitante à celle des Polynésiens. Ainsi, non seulement la généralisation de Erika Hagelberg à l effet que les anciens Pascuans seraient d origine exclusivement polynésienne n est génétiquement pas prouvée, mais en plus, à la lumière de recherches plus récentes, elle est de moins en moins plausible 18