4 ème Congrès de l Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l usage du français Allocution de Son Excellence Monsieur Abdou DIOUF Secrétaire général de la Francophonie Paris, le 13 novembre 2006 Seul le texte prononcé fait foi www.francophonie.org
Aux termes de l article 3 de ses statuts, l Association des Cours constitutionnelles «ayant en partage l usage du français» a pour but «l approfondissement de l Etat de droit ( )». «Usage partagé du français», «approfondissement de l État de droit» : voilà bien deux raisons majeures pour que le Secrétaire général de la Francophonie soit présent devant vous aujourd hui, puisque votre raison d être et vos objectifs sont ceux de la Francophonie toute entière. Fort de la confiance que m ont renouvelée les chefs d État et de gouvernement en me réélisant, au mois de septembre dernier, au Sommet de Bucarest, pour un second mandat en qualité de Secrétaire général de la Francophonie, je suis venu vous dire, au nom de toute la Francophonie, l importance que nous attachons à vos fonctions, à vos travaux, au bon fonctionnement de votre Association et de vos Cours, et le soutien que notre Organisation va continuer de leur apporter. Je tiens tout d abord à remercier le Président du Conseil constitutionnel de France, Monsieur Pierre Mazeaud, de nous accueillir dans ce lieu prestigieux, le Palais royal, ce lieu où souffle l esprit du droit public. Je sais le rôle éminent qu avec votre équipe vous jouez, Monsieur le Président, pour assurer la continuité des travaux de l ACCPUF et animer son secrétariat général et, au nom de l Organisation internationale de la Francophonie, je tiens à vous exprimer notre gratitude. Je n oublie pas non plus que votre 4 ème congrès devait initialement se tenir à Beyrouth. La tragédie dont ce pays et sa population ont été victimes, ne l a pas permis. Nos pensées vont vers ce pays et ses citoyens, si cruellement éprouvés, et nous ne négligerons ni nos efforts ni notre soutien pour que le Liban retrouve, avec le plein exercice de sa souveraineté, le fonctionnement normal de ses pouvoirs publics constitutionnels. 2
Après avoir choisi d axer vos travaux en 1997 sur «le principe d égalité», puis, en 2000, sur «l accès au juge constitutionnel» et, en 2003, sur «la fraternité», vous avez décidé de consacrer ce 4 ème congrès aux «compétences des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes». Veiller au respect de la constitutionnalité des lois ; faire respecter l indépendance de la justice et d abord la vôtre, celle des juges constitutionnels ; veiller à l équilibre et à la séparation des pouvoirs ainsi qu au fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ; rendre possible la tenue d élections libres, fiables et transparentes ; contribuer au respect et au renforcement des droits de l Homme : voilà bien des missions essentielles qui requièrent compétence et sagesse, mais aussi, nous en sommes conscients, du courage, tout particulièrement dans les pays en sortie de crise, et dans ceux où les fondements de la démocratie sont encore insuffisants. Le monde francophone s est doté à Bamako, le 3 novembre 2000, d une déclaration qui constitue, en matière de démocratie et de droits de l Homme, notre charte fondamentale. La pertinence des engagements ainsi pris par les Etats membres de la Francophonie a été réaffirmée lors du Symposium Bamako + 5 concernant la prévention des conflits et le renforcement de la paix. La Déclaration adoptée par la Conférence ministérielle sur la prévention des conflits et la sécurité humaine à Saint-Boniface, au Canada, au mois de mai 2006, a prolongé et complété les engagements pris à Bamako. Mais ces textes et ces engagements, pour nécessaires et importants qu ils soient, ne suffisent pas. Vous êtes confrontés, je le sais, aux difficultés de leur mise en œuvre : qu il s agisse des pressions de nature politique que certains reçoivent, de la difficulté à faire appliquer les décisions que vos formations prennent, du manque de ressources humaines ou matérielles ou des insuffisances de votre statut, vous 3
mesurez chaque jour l écart qui existe, trop souvent, entre les engagements solennels, les déclarations de principe et la réalité du terrain. C est pourquoi vous attendez de l Organisation francophone et vous l avez dit notamment dans la Recommandation que vous avez adoptée à Bucarest le 1 er juin 2005 à l occasion de la conférence sur l indépendance des juges et des juridictions -qu elle appuie vos démarches auprès de vos gouvernements et qu elle contribue à vous apporter le soutien et les moyens dont vous avez besoin pour mieux exercer vos compétences, accroître votre indépendance et renforcer votre autorité. Je veux vous dire que l Organisation internationale de la Francophonie, désormais opérateur intergouvernemental unique depuis l adoption, au mois de novembre 2005 à Antananarivo, d une nouvelle Charte, entend vos demandes, qu elle y est attentive et qu elle y répond d une manière concrète. Depuis votre précédent congrès, la Francophonie a fait entendre sa voix chaque fois qu une crise a interrompu ou mis en danger la démocratie, le respect des droits de l Homme ou le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, allant même jusqu à suspendre temporairement son soutien à certains États lorsque cela paraissait utile pour accélérer le retour à l ordre public constitutionnel. Nous avons mandaté des médiateurs ou des représentants chaque fois qu il nous a paru possible d aider au dénouement d une crise.nous avons envoyé des missions d observation ou de contrôle lors des consultations électorales les plus importantes. L Organisation internationale de la Francophonie s est attachée également à répondre à vos demandes concernant le renforcement des moyens de travail. C est ainsi, pour prendre des exemples dans la période récente, qu elle a apporté son concours à l équipement bureautique et informatique de plusieurs Cours, 4
notamment celles du Bénin, du Burundi, de Djibouti, de Madagascar, de Moldavie, du Niger, du Tchad. Notre Organisation a également envoyé des missions d expertise auprès des Cours qui en ont fait la demande, et ces expertises ont été réalisées notamment par des membres et techniciens d autres Cours francophones, illustrant ainsi la solidarité qui existe à l intérieur de la Francophonie. L OIF a également financé et co-organisé plusieurs séminaires de formation et d expertise juridique en matière électorale, notamment au Burkina-Faso, aux Comores, en République Centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Mauritanie. Le développement de la base de données Codicès sur la jurisprudence constitutionnelle constitue un autre exemple concret de la coopération entre l ACCPUF, l OIF, ainsi qu avec la Commission de Venise du Conseil de l Europe. Le soutien au développement du site Internet de l ACCPUF, celui apporté à la publication de vos travaux et à la constitution de fonds de documentation spécialisés ont également permis de répondre à plusieurs de vos demandes. La prévention des crises est un autre volet important de notre action pour aider à la consolidation de l État de droit. C est ainsi qu a été mis en place, à l initiative de la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l Homme de l OIF, un dispositif interactif d observation et d évaluation des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans les États francophones. L ACCPUF a été associée à la constitution de ce réseau, et elle a participé activement à l élaboration du 2 ème Rapport en cours de publication. Mesdames et Messieurs les Présidents et Membres des Cours, vous le voyez à travers cette liste non exhaustive des actions menées depuis votre dernier congrès, nous nous sommes efforcés d œuvrer de manière concrète à la mise en 5
œuvre des orientations que vous aviez définies dans le programme triennal 2004-2006 adopté à Ottawa. Des progrès sensibles ont été accomplis dans le fonctionnement de plusieurs Cours. Vous en êtes les premiers artisans, je tiens à vous en féliciter et à vous remercier au nom de la Francophonie toute entière. Mais je sais bien que ces efforts que nous avons réalisés ensemble ne suffisent pas. Il reste bien des progrès à faire pour assurer partout l indépendance des juges et des juridictions, la séparation des pouvoirs, l accès le plus large à la justice constitutionnelle, l autonomie budgétaire des Cours. Je tiens à vous assurer que je me ferai, à chaque occasion, votre interprète dès lors qu il s agira de faire avancer nos objectifs communs, c est-à-dire la progression de l État de droit et le fonctionnement régulier et démocratique des pouvoirs publics constitutionnels. Dans le même esprit, l OIF examinera avec la plus grande attention la synthèse de vos réponses aux questionnaires diffusés par l ACCPUF sur les compétences des Cours constitutionnelles ainsi que les orientations que vous définirez dans votre prochain programme triennal, notamment en ce qui concerne les actions de formation et d information des Cours et de leurs membres, la participation de l ACCPUF aux réseaux de prévention des crises et d observation des pratiques de la démocratie, ainsi que le développement du partenariat avec la Commission de Venise du Conseil de l Europe. Je souhaite, en particulier, que l ACCPUF s implique de façon encore plus déterminée dans l identification et la mobilisation de l expertise disponible dans chaque pays membre, ainsi que dans l évaluation des besoins de ses institutions membres. 6
La démocratie et l État de droit sont le fruit d une longue marche. Une marche parfois ponctuée de faux pas ou de retours en arrière, comme nous le constatons, de temps en temps, malheureusement à l intérieur de l espace francophone, mais une marche qu il faut reprendre inlassablement, quels que soient les obstacles à surmonter. Ils sont le produit d une histoire, d un environnement, d un apprentissage, d une volonté partagée à tous les niveaux de l État. Là où ils existent, leur maintien exige une vigilance de tous les instants et de tous les acteurs, car ils ne sont jamais définitivement garantis, et sont toujours perfectibles. Là où ils n existent pas encore, ou pas suffisamment, leur conquête ou leur renforcement implique courage, persévérance et solidarité. Solidarité, pour ce qui concerne la justice constitutionnelle, entre les membres de chaque Cour, pour augmenter, avec la collégialité, la force de l institution, sa résistance aux pressions et vous permettre d avoir le courage de l indépendance. Solidarité entre les juges en général, et entre l ensemble des professions judiciaires, pour que les différentes branches de l institution judiciaire se fécondent et se renforcent mutuellement. Solidarité entre les Cours francophones, pour que l échange d expériences et d expertise participe au renforcement de chacune et au rayonnement de l ensemble. Solidarité aussi entre l Organisation internationale de la Francophonie et l Association des Cours constitutionnelles francophones. Soyez sûrs à cet égard de pouvoir compter, dans la mission difficile mais essentielle qui est la vôtre, sur notre entière coopération et notre soutien vigilant. 7
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de fructueux débats. 8