Analyse de l étude réalisée par Christopher Bowie Professeur et Chercheur à la Queens University [Etude] «Amélioration des marqueurs neurophysiologiques et neuropsychologiques après un court entrainement intensif visant les fonctions exécutives et la mémoire de travail chez les personnes porteuses d'une schizophrénie, d'un trouble de bipolarité ou d'une dépression majeure»
Commentaire rédigé par Aurore Morel, doctorante en neuroscience cognitive chez SBT Introduction Notre quotidien, notre vie professionnelle ou encore notre sphère sociale sont orchestrées par notre capacité à nous adapter aux situations non routinières. Nous utilisons notre aptitude à présenter un comportement flexible, à se focaliser sur les informations les plus pertinentes et à inhiber les autres, à récupérer des informations en mémoire, à mettre à jour les informations que nous possédons déjà et enfin notre aptitude à planifier nos actions. Ces capacités, appelées fonctions exécutives, sont étroitement liées avec notre mémoire de travail définie comme notre capacité cognitive à retenir des informations auditives ou visuelles pendant quelques secondes afin de les manipuler et les utiliser pour construire un raisonnement, résoudre un problème, ou tout simplement pour prévoir une action. Sans cesse, nous utilisons ces capacités sans y prêter attention. Par exemple, si je dois aller chercher du pain avant d aller chercher les enfants à l école mais que ma boulangerie habituelle est fermée (situation non routinière). Je dois aller chercher en mémoire des informations pour trouver quelle est la seconde boulangerie la plus proche. Je dois planifier mon trajet pour qu il soit optimal, en effectuant un bref calcul mental pour prendre en compte le temps du trajet et le temps passé dans la boutique (mémoire de travail). Mais à la radio, j apprends qu il y a de nouveaux travaux sur la route, je dois donc mettre à jour mes informations et ajuster mes calculs en fonction. Bien sûr, je réfléchis à ce trajet tout en cuisinant, en étant capable d alterner entre la pesée de aliments solides et la mesure des liquides qui ne requiert pas les mêmes instruments (flexibilité mentale), tout en inhibant le tic tac de l horloge, une information non pertinente. La mémoire de travail et les fonctions exécutives sont ainsi nécessaires pour évoluer de manière efficiente dans notre sphère sociale, dans notre vie quotidienne et nos activités professionnelles. Ainsi un trouble de ces capacités est un handicap majeur au quotidien. Or ces fonctions sont particulièrement perturbées chez les personnes porteuses d un trouble mental sévère, affectant ainsi leur qualité de vie. Selon «the National Institute of Mental Health», ces troubles peuvent être définis selon trois critères : un diagnostic de psychose ou un trouble de la personnalité d origine non-biologique, une maladie prolongée nécessitant un traitement à long terme et causant une invalidité pour le patient (suivant une échelle précise). Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement aux patients porteurs d une schizophrénie, d un trouble de bipolarité ou d une dépression majeure.
Les patients porteurs de ces pathologies peuvent bénéficier d un programme de remédiation cognitive, définie comme l ensemble des techniques rééducatives visant à restaurer ou à compenser les fonctions cognitives défaillantes (mémoire, attention, fonctions exécutives, cognition sociale). Lorsque les neuroleptiques sont surtout destinés à agir sur les symptômes positifs (délires, hallucinations ), les outils de remédiation cognitive ont pour fonction d agir essentiellement sur les symptômes négatifs (déficits cognitifs et comportementaux). Ainsi elle représente un outil complémentaire de réhabilitation. En restaurant des fonctions dégradées, elle permet de diminuer l handicap et d améliorer le confort de vie des patients. Il est donc nécessaire de valider scientifiquement chaque programme de remédiation. L électro-encéphalographie (EEG), peut servir à démontrer l efficacité d un traitement (pharmacothérapie ou psychothérapie) en évaluant l activité cérébrale électrique avant et après l intervention. L EEG est non invasif et permet de capter l activité des neurones du cortex à l aide d électrodes placées sur le cuir chevelu, ces électrodes sont reliées à une chaine d amplification du signal. Cette activité cérébrale se traduit par des oscillations électriques qui varient en amplitude, en fréquences et en puissance. Cette activité est modulée en fonction de l activité cognitive. Le signal EEG obtenu est la somme de plusieurs oscillations de différentes fréquences. L'EEG se compose ainsi de plusieurs " bandes " distinctes, définies par la fréquence des ondes. On distingue six bandes de fréquences qui sont définies comme suit: les fréquences delta, comprises entre 0.5 et 4 Hertz, les fréquences thêta entre 4.5 et 7.5, les fréquences alpha entre 7.5 et 12.5 Hertz, les fréquences sigma entre 12.5 et 14.5, les fréquences bêta entre 15 et 35 Hz, et les fréquences gamma entre 35.5 et 45 Hz. Certaines bandes de fréquences sont particulièrement sensibles à la charge cognitive impliquée dans la réalisation d une tâche. Les chercheurs de cette étude se sont particulièrement intéressés à deux bandes de fréquences : les fréquences alpha et theta. La puissance (amplitude au carré) de certaines fréquences, tend à diminuer avec l'augmentation de la difficulté de la tâche, c est le cas de la fréquence alpha. A l'inverse, la puissance de la fréquence theta frontal augmente lors de la réalisation de tâches nécessitant une forte charge attentionnelle. Dans cette étude, nous allons également nous intéresser au phénomène de désynchronisation/ synchronisation. Ces termes sont employés pour désigner un changement relatif de puissance d une bande de fréquence entre deux conditions expérimentales. Ce changement est dû aux
neurones qui se synchronisent. En d autres termes leurs activités oscillent à la même fréquence, leurs champs électriques s additionnent, l amplitude du signal est donc plus élevée ainsi que leur puissance (Et inversement lorsque les neurones se désynchronisent). Objectif Dans cette étude, il est donc proposé d étudier la puissance des fréquences alpha et theta avant et après un entrainement intensif de deux semaines visant les fonctions exécutives et la mémoire de travail comparé à un groupe placébo. Méthode 18 personnes, d une moyenne d âge de 43 ans, porteuses d un trouble mental sévère ont participé à cette étude, soit 10 personnes porteuses d une schizophrénie, 6 personnes porteuses d un trouble bipolaire et 2 participants porteurs d une dépression majeure. Le programme de prise en charge spécifique aux fonctions exécutives et à la mémoire de travail est comparé à une prise en charge contrôle/placebo équivalente en termes de fréquence, de durée et d investissement pour le patient et l équipe éducative. Les 2 groupes sont définis par le type d intervention allouée : Groupe test : les participants ont travaillé avec des exercices de remédiation de l entreprise SBT spécifiques aux fonctions cognitives étudiées avec une augmentation de la difficulté Groupe contrôle : les participants ont travaillé avec des exercices de remédiation cognitive de l entreprise SBT visant la perception visuelle et auditive et avec une difficulté croissante perçue (temps d exercice plus long, mais l exercice en lui-même n est pas plus difficile). L expérience dure quatre semaines. Dans chacun de ces bras, le patient bénéficie, la première semaine, d une évaluation neuropsychologique, complétée, les deux semaines suivantes par un entrainement intensif. Enfin, la dernière semaine, le patient effectue à nouveau un test neuropsychologique. Les deux bras diffèrent seulement par la nature de l entrainement (placebo ou entrainement spécifique des fonctions exécutives et de la mémoire de travail). Les jeux visant la mémoire de travail et les fonctions exécutives mobilisent fortement la perception visuelle et auditive. Ainsi les chercheurs ont comparé le groupe test à un groupe contrôle jouant à des jeux stimulant uniquement la perception visuelle et auditive. En comparant ces deux groupes, les chercheurs montrent que les modulations observées
avant/après la remédiation sont spécifiquement liée à l entrainement de la mémoire de travail et des fonctions exécutives avec une augmentation réelle de la difficulté et non à l entrainement de la perception visuelle et auditive. Résultats Figure 1 Dans un premier temps, les chercheurs ont examiné la différence de puissance des fréquences alpha lors d une tâche d entrainement cognitif, avant et après la remédiation cognitive et ce pour chaque groupe. Pour quantifier la taille d'un effet dans le cas de deux groupes sur lesquels on compare une même variable X, on utilise le test statistique de "taille d'effet" proposé par Cohen (1992) et noté d. Il propose d'appeler "faible" un d de 0,2 ; moyen un effet de d=0,5 ; et fort un effet de 0,8 lorsqu'on compare deux groupes. Pour cette étude, on obtient un d =.005 (effet faible) pour le groupe placebo et un d=.796 (effet fort) pour le groupe test. On observe aucune différence avant/après la remédiation pour le groupe contrôle, les tâches utilisée non spécifique aux fonctions exécutives et à la mémoire de travail n ont donc pas d effet sur cette fréquence. Cependant, pour le groupe test, nous observons une diminution de ce pouvoir des fréquences alpha après la remédiation. En comparaison avec le groupe contrôle, ces variations sont spécifiquement liées à l entrainement ciblé sur la mémoire de travail et des fonctions exécutives et ces variations ne sont pas dues à l entrainement de la perception visuelle et auditive qui est particulièrement stimulée par les jeux de remédiation. On observe également, avant l entrainement et chez les patients du groupe test, une plus grande puissance des fréquences alpha lors d une tâche visant les fonctions exécutives et la mémoire de travail que chez le groupe contrôle ayant un entrainement non spécifique. Cette différence est caractéristiques des patients porteurs d un trouble mental sévère. En effet, lors d une tâche impliquant les fonctions exécutives et la mémoire de travail, la puissance des fréquences alpha est plus élevée par rapport à une autre tâche standard. Il important donc par la suite d étudier si ce changement de puissance liée à la remédiation est corrélé ou non aux changements obtenu avec les tests neuropsychologiques.
Figure 2 Les chercheurs ont également évalué la puissance des fréquences theta lors d une tâche de remédiation. On obtient d=.009(effet très faible) pour le groupe placebo et d=.323 (effet moyen faible) pour le groupe test. On observe aucune différence avant/après la remédiation pour le groupe contrôle, les tâches utilisée non spécifiques aux fonctions exécutives et à la mémoire de travail n ont donc pas d effet sur cette fréquence. Cependant, pour le groupe test, nous observons une augmentation de la puissance des fréquences theta après la remédiation, ce qui suggère que ces variations sont spécifiquement liées à l entrainement ciblé sur la mémoire de travail et des fonctions exécutives et que ces variations ne sont pas dues à l entrainement de la perception visuelle et auditive qui est particulièrement stimulée par les jeux de remédiation. Figure 3 Dans un second temps, les chercheurs ont examiné l évolution des résultats obtenus aux tests neuropsychologiques avant/après la remédiation cognitive. Tests neuropsychologiques D de Cohen Trail Making Test A & B -.27 Letter Number Sequencing.7 Spatial Span forward.56 Spatial Span backward Spatial Span backward.98 Tower of London.78 Pour chacun des tests étudiés, il montre une taille d effet très forte, suggérant que la remédiation a été très efficace et a amélioré les fonctions exécutives et la mémoire spatiale des participants. Dans une future étude, il sera important de montrer que cette amélioration se maintien à long terme.
Figure 4 Et enfin, les chercheurs ont évalué les liens/corrélation entre les variations de la puissance des fréquences alpha et celle de la puissance des fréquences theta avec les variations de chacun des tests neuropsychologiques. Etudier la corrélation entre deux variables, c est étudier l'intensité de la liaison qui peut exister entre ces variables et un certain pouvoir de prédictibilité. Cependant, un coefficient de corrélation élevé n induit pas une relation de causalité entre les deux phénomènes mesurés. En réalité, les deux phénomènes peuvent être corrélés à un même phénomène-source : une troisième variable non mesurée, et dont dépendent les deux autres. Le nombre de médicaments contre la toux vendu en hiver, par exemple, peut être fortement corrélé au nombre de bonnets vendus ; mais aucun des deux phénomènes n'est probablement la cause de l'autre. Et inversement, ce n est pas parce que deux variables ne corrèlent pas ensembles qu elles n ont pas la même cause. Pour cette évaluation, nous utilisons le test de Pearson. Parfaite r=-1 r=1 Forte -1 < r < -0,75 0,75 < r < 1 Moyenne -0,75 < r < -0,6 0,6 < r < 0,75 Faible -0,6 < r < -0,4 0,4 < r < 0,6 non significative -0,4 < r r < 0,4 Nous obtenons : Tests neuropsychologiques Puissance fréquences alpha Puissance fréquences theta Trail Making Test A Test B -0.123-0.08 0.147 0.492 Letter Number Sequencing -0.148 0.305 Spatial Span forward -0.058 0.266 Spatial Span backward Spatial Span backward -0.136 0.449 Tower of London -0.228 0.62
En sommes, les changements observés avant/après remédiation cognitive pour les fréquences alpha ne corrèlent pas avec ceux obtenus pour les résultats aux tests neuropsychologiques. Ces marqueurs neurophysiologiques ne seraient donc pas un marqueur spécifique de la réponse au traitement avant-après remédiation cognitive. Cependant, nous observons une légère corrélation entre les changements observés avant/après remédiation cognitive pour les fréquences theta et ceux obtenus pour les résultats aux tests neuropsychologiques. Ce qui suggère que l évolution des ondes theta serait un meilleur marqueur spécifique de la réponse au traitement avant-après remédiation cognitive. Conclusion : Les auteurs ont ainsi démontré qu un entrainement cognitif ciblé sur la mémoire de travail et les fonctions exécutives améliore la neurocognition et les marqueurs neurophysiologiques. Ils ont également démontré, grâce au groupe placebo pour lequel aucune différence notable avant et après la remédiation n est montrée, que cette amélioration est spécifique à la nature de l entrainement utilisé et non à l entrainement lui-même. Enfin, ils ont ainsi montré que l entrainement cognitif pourrait diminuer la suppression des bandes de fréquences alpha et l amélioration de la synchronisation des bandes de fréquence theta. Et que la synchronisation des bandes theta (plus que la suppression des bandes alpha) serait un marqueur neurophysiologique de la réponse au traitement avant/après remédiation cognitive. Ainsi quand bien même cette étude présente très peu de participants, une population hétérogène et un effet pas encore défini de la remédiation cognitive sur les marqueurs physiologiques, ses premiers résultats sont très prometteurs et impressionnants, d autant plus qu ils ont été obtenus après un entrainement de deux semaines seulement, et ouvrent toujours plus les perspectives pour la remédiation cognitive et l amélioration de la qualité de vie des patients. Commentaire rédigé par Aurore Morel, doctorante en neuroscience cognitive chez SBT