Été 2007 : UNE VIOLENTE CRISE FINANCIÈRE, PRÉLUDE À UNE CRISE GÉNÉRALE



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Transcription:

Été 2007 : UNE VIOLENTE CRISE FINANCIÈRE, PRÉLUDE À UNE CRISE GÉNÉRALE Au milieu du mois de juillet, une brutale crise financière a éclaté aux Etats-Unis, et s est très vite répercutée sur d autres et importantes places financières. La question taraude désormais les «marchés» : jusqu à quand, et avec quelle ampleur, cette crise va-t-elle se développer? Révoltes n 12 octobre 2007 Page -20 - Les États-Unis au cœur de la tourmente On savait qu une «bulle spéculative» s était formée dans l immobilier américain, et que les crédits immobiliers avaient atteint un niveau sans précédent. On savait qu un nombre croissant d américains ne pouvait rembourser les emprunts réalisés pour leur maison, que le nombre des expulsions allait croître, et que la bulle immobilière se dégonflerait. Mais nombreux étaient ceux qui espéraient que, avec l aide de la Banque fédérale, serait organisé un «atterrissage en douceur». L espoir fut vain. 17 juillet 2007 : le naufrage des fonds de Bear, Stearns & Co Le 17 Juillet, Bear Stearns, cinquième banque américaine, prévenait ses «chers clients» que leurs capitaux placés dans deux fonds à risques de la banque ne valaient désormais plus rien. Ces «hedges funds» étaient spécialisés dans des obligations adossées à des crédits immobiliers risqués. La banque sacrifiait ses deux fonds, et ses clients aventureux avec. L inquiétude devint générale. Toutes les banques, à des degrés divers, sont engagées directement ou indirectement sur le marché immobilier et notamment sur le marché «sous prime», ou «subprime». Le «subprime» qualifie cette fraction du marché du crédit accordé à des emprunteurs «à risques», c'està-dire d emprunteurs à qui l on a vendu une maison avec des crédits qui dépassent toutes leurs capacités de remboursement. Pour les banques et les investisseurs, ce marché est très profitable car on applique à ces crédits des taux exorbitants. Mais pour le client, ces taux élevés rendent plus difficiles encore les remboursements. Or une grande partie de ces emprunts sont faits à taux variable Les conséquences son immédiates : depuis l année 2006, les défauts de paiement se multiplient et, à leur suite, les saisies de maisons et les expulsions. Arrive le moment où les fonds qui ont misé sur ce marché sont touchés, tels ceux de Bear Stearns. Mais tous sont menacés. 1er-18 août : la crise atteint les banques allemandes Ainsi, la banque allemande IKB a engagé 17 milliards sur le marché américain à risque. Au bord de faillite, elle est sauvée in-extremis par l intervention du gouvernement et des autres banques allemandes : 3,5 milliards d euros sont prêtés, auxquels s ajoute une ligne de crédit de 8 milliards. Bien que IKB puisse désormais faire face à ses engagements, l annonce de ce sauvetage le 1 août secoue tout le système bancaire ; car l affaire IKB montre que cette crise, partie des Etats-Unis, devient une menace pour toutes les autres places financières. Le 18 août, une seconde banque allemande, la Sachsen LB, est touchée, par le biais de deux fonds de droit irlandais, engagés à hauteur de 3 milliards d euro. Pour éviter la faillite, le système bancaire allemand lui ouvre une ligne de crédits de 17,3 milliards d euros. 9 août 2007 : BNP Paribas touchée par la crise Le 9 août, c est au tour d une banque française : BNP Paribas décide de suspendre la cotation de ses trois fonds de placement composés de titres adossés à des créances immobilières. Ses clients ne peuvent plus revendre les parts qu ils détiennent dans ces fonds. Ce blocage va durer jusqu au 28 août. Il s agit d une décision rarissime, car ce type de fond est réputé «liquide» : les trésoriers d entreprises y déposent des liquidités pour obtenir de meilleurs intérêts, mais veulent pouvoir reprendre ces dépôts à tout moment. En refusant de combler les pertes et en pénalisant ses clients, la BNP brise un tabou. «Le monde a changé le 9 août» La décision prise par BNP-Paribas provoque un choc. La méfiance générale quant à l état de santé réel des banques s installe, et le marché interbancaire est au bord de la dislocation.

En effet les banques, ordinairement, ne cessent de se prêter, au jour le jour ou pour quelques semaines, les sommes nécessaires à leur activité. Le 9 août, la méfiance fut telle que les prêts se raréfièrent, et les taux interbancaires au jour le jour montèrent aussitôt à 4,6%. Les banques centrales sont alors contraintes d agir : la Banque centrale européenne injecte 94,8 milliards d euros, la FED 17,5 milliards de dollars. La panique se poursuivant, la BCE intervient de nouveau pour 61 milliards d euros, suivie par d autres banques centrales. Les sommes sont considérables. Précisons néanmoins qu il s agit d injections pour un, deux ou trois jours, rarement plus. Ces interventions évitèrent la dislocation du système bancaire international. Mais les évènements du 9 août sont lourds de conséquences. «Le monde a changé le 9 août, quand les banques ont tout à coup cessé de se prêter de l argent les unes aux autres» expliquera un mois plus tard Adam Applegarth, directeur général de la banque anglaise Northern Rock. Révoltes n 12 octobre 2007 Page -21-16 août: La FED face à un dilemme Très vite, il est évident que la crise ne concerne pas les seuls crédits «à risque», mais tout le marché du crédit immobilier. Ainsi, le 6 août, c est l American Mortgage Investment qui dépose le bilan. Pourtant, la quasi-totalité de ses 59 milliards de crédits avaient été accordés à des emprunteurs jugés sans risques. Que cet organisme soit acculé à la faillite montre la fragilité des échafaudages financiers construits. Or le seul marché «à risque» est estimé à 1100 milliards de dollars au moins, le total des crédits immobiliers étant évalués à plus de 8500 milliards. Tout le système bancaire international est menacé, car tout l édifice des crédits est construit sur une illusion : les hypothèques accumulées n offrent aucune garantie, elles se dévalorisent avec la multiplication des impayés, elles ne sont qu un capital fictif. Et la crise fait peu à peu boule de neige : les maisons de ceux qui ne peuvent plus payer sont saisies pour être vendues ; mais la revente est plus difficile à cause de la hausse des taux de crédit. Ceci contribue à la baisse du prix de ces maisons. Or une grande partie des crédits est accordée sur la base de la valeur virtuelle de l immobilier. Les possibilités d emprunter, et d acheter, vont donc de se contracter, et la production avec Une parade immédiate serait que la banque fédérale américaine (FED) baisse ses taux, pour relancer crédits et ventes. C est ce que demandent les investisseurs. Mais la FED redoute que ceci entraîne une chute rapide du dollar et l accélération de l inflation, ce qui conduirait les acheteurs de bons du Trésor à se montrer plus exigeants, renchérissant le coût de la dette fédérale. Alors le gouvernement serait dans l incapacité de refinancer la monstrueuse dette de l État américain. Une situation incontrôlable surgirait. Lors de sa réunion mensuelle du 7 août, la FED décide donc de ne pas baisser ses taux. Mais la crise se poursuivant, la FED doit, le 17 août, «faire un geste» plus substantiel que les brèves injections de liquidités. Elle annonce la baisse de 0,50 point du taux d escompte, taux auquel les banques peuvent se procurer des liquidités supplémentaires. Le principal taux directeur, celui des Fed funds, demeure quant à lui inchangé ; l aide apportée aux banques semble, pour un temps, suffisante. La BCE sous pression La Banque centrale européenne (BCE), quant à elle, doit prendre en compte des intérêts divergents. D un côté, le gouvernement allemand, soutenu par la plupart des autres gouvernements, peut se satisfaire d un euro plutôt «fort», car sa balance commerciale est excédentaire. De l autre, Sarkozy ne cesse de gémir contre des taux et un euro jugés trop élevés La BCE doit également prendre en compte la menace que représente la «bulle immobilière» en Espagne et en Irlande Enfin, si elle augmentait ses taux, elle envoyait le dollar déjà bien mal en point au tapis, et accentuait la crise financière américaine. Finalement, le 6 septembre, la BCE annonçait qu elle laissait inchangés ses taux directeurs. «1929, le millésime maudit» Certes, nul ne sait alors à quel rythme et avec quelle ampleur va se développer la crise redoutée. Les économistes essaient de comparer cette crise à d autres crises antérieures : 1987? 1998? 2000? Mais un quotidien financier notait avec ironie, qu il y avait un «millésime maudit, celui que personne n ose évoquer, le 1929». Or, c est ce que beaucoup redoutent : non pas une crise «ordinaire», passagère, comme il en survient plus ou moins régulièrement dans le système capitaliste, mais une crise majeure bouleversant tous les économies.

Le problème est que, si les différentes crises depuis vingt ans ont été contenues, et si elles n ont pas conduit à la dislocation du marché mondial, c est entre autres raisons- parce que les banques centrales, la FED en particulier, ont inondé le marché de liquidités chaque fois que la crise menaçait de déferler. Mais cette politique de fuite en avant, de report des échéances, ne peut se répéter indéfiniment car elle crée de gigantesques bulles financières et le chaos sur les marchés. Pour les banques centrales, la question est de savoir s il est possible, une nouvelle fois, de reporter les échéances. Or la crise du crédit immobilier, et en particulier du «subprime», se poursuit et affecte l ensemble du système financier. En outre, personne ne sait vraiment quelle est la situation réelle des banques. Cellesci ont sorti environ un tiers des prêts immobiliers risqués de leur bilan par la technique de la titrisation. Le risque a ainsi été transféré à d innombrables investisseurs, et la méfiance est générale. Les banques centrales doivent donc renouveler les injections de liquidités à très court terme pour tenter d enrayer la crise sur le marché monétaire. Mais la défiance est telle que ces injections ne suffisent pas pour casser la hausse des taux exigés par les prêteurs. Ainsi, en Grande-Bretagne, le Libor à trois mois atteint 6,90%, alors que le principal taux directeur est à 5,75%. La conséquence allait être spectaculaire. 14 septembre : panique en Grande Bretagne Le vendredi 14 septembre, devant les portes des agences de Northern Rock, huitième banque anglaise, ont lieu des scènes jamais vu depuis 1930 en Europe: des centaines de clients attendant la journée entière pour vider leurs comptes. Ce jour là, plus d un milliard de livres sont retirées par les déposants pris de panique, craignant la faillite de cette banque. La panique va se poursuivre plusieurs jours, et ne cessera qu après que le ministre anglais des finances se soit engagé à ce que les dépôts soient «garantis» par la Banque centrale anglaise. Ce qui inquiète les marchés, c est que cette banque n est pas impliquée dans l immobilier américain. Sa spécialité, ce sont les prêts à des clients britanniques et jugés fiables. Mais Northern Rock, qui n est pas une banque généraliste, ne trouve auprès de ses clients que 25% des ressources nécessaires pour financer les prêts distribués. Elle a donc pour habitude d emprunter à court terme la différence aux autres banques. Tant que ces emprunts interbancaires se faisaient à taux bas, tout allait très bien. Mais avec la raréfaction des prêts interbancaires et la hausse des taux, la situation devient catastrophique. La banque anglaise a ainsi été victime d un début de «crédit crunch», l assèchement du crédit, luimême provoqué par la déconfiture du subprime. C est un nouveau palier dans la crise. 18 septembre : LA FED baisse ses taux «pour éviter un bain de sang» Durant la première quinzaine de septembre, les pressions s accroissent sur la FED afin qu elle baisse ses taux, ceci pour éviter, selon la presse financière, «un bain de sang sur les marchés». De fait, le 18 septembre, la banque centrale américaine abaisse son principal taux directeur d un demi point, à 4,75%. Une fois encore, il s agit d éviter ou d atténuer- le surgissement d une crise en fournissant des liquidités à bas prix. Les marchés sont satisfaits, les Bourses repartent à la hausse. Mais le dollar, déjà aspiré vers le bas, est encore plus fragilisé. Le 12 septembre il s échangeait déjà à un euro pour 1,39 dollar. Le 20 septembre, il faut 1,40 dollar pour un euro, et 1,42 le 9 octobre Cette chute, qui risque de devenir incontrôlable, menace l ensemble du système monétaire international, dans lequel le dollar joue un rôle central. Et la baisse des taux, arme trop usée, semble désormais incapable de bloquer la crise. Surproduction et montages financiers. Vers la crise économique En ce début octobre, il est trop tôt pour préciser à quel rythme et avec quelle ampleur la crise financière se développera dans l économie «réelle». Mais d ores et déjà, les banques réduisent leurs prêts, ce qui va peser sur la consommation. En réalité, la crise de surproduction est déjà à l œuvre. En particulier aux Etats Unis, c est en 2005 que le marché immobilier a commencé de fléchir. En 18 mois, les ventes de logements neufs y ont diminué de 40% environ, plus de 4 millions de logements étant invendus. De ce fait, les prix avaient commencé à baisser. Et c est bien parce qu il y avait surproduction de biens immobiliers (surproduction non pas par rapport aux besoins réels mais par rapport aux ressources financières des ménages) que les Révoltes n 12 octobre 2007 Page -22 -

promoteurs et les marchands de crédits ont, en toute connaissance de cause, mis en place ces prêts subprime, puis que les banques ont procédé à la titrisation des soi-disant garanties de crédits. De là résultent ces montages financiers conçus pour piéger les ménages peu solvables tout en leur faisant supporter des taux d intérêts plus élevés, parfois du double, que les prêts classiques. L une des astuces consiste à proposer pour les deux ou trois premières années des taux d appel très bas, de 1 à 3,5%. Puis le taux remonte selon les conditions du marché. Mais avec la remontée des taux de la FED (1% en mai 2004 et 5,25% en septembre 2007), ce système est une vraie bombe à retardement : prés de 60% des familles ayant signé de tels contrats verront leurs mensualités «réévaluées» de 25% en 2007, et de 50% en 2008 pour 19% de ces familles, selon un cabinet américain. La Bank of America estime que le montant des prêts hypothécaires qui doivent ainsi être «réévalués» en 2007 s élève à 515 milliards de dollars, et à 680 milliards en 2008. 20% au moins des crédits à risque ne seront pas remboursés. Le pire est donc à venir. Et la crise du marché immobilier menace d autres pays : Grande Bretagne, Irlande mais aussi Espagne, où plus de 75% des emprunts sont contractés à taux variables. L activité du bâtiment d abord, puis l ensemble de l économie, sont donc menacés. Une crise venue de loin Depuis quatre décennies, le capitalisme des monopoles utilise tous les instruments dont il dispose pour gommer les crises et surmonter les déséquilibres, les contradictions qui sont inhérentes à ce système. Le recours massif à l endettement, que ce soit celui des Etats ou celui des particuliers, à des niveaux jamais vus, a été l un de ces instruments. La fin du système monétaire international de Bretton Woods a marqué une étape majeure, que l on ne peut gommer, dans l histoire du capitalisme. Avec la fin de ce système instauré en 1944, le dollar n est plus échangeable contre de l or, et les vannes d émission de papier monnaie ont pu être tout grand ouvertes. Depuis 20 ans en particulier, la masse monétaire en circulation a considérablement augmenté. A chaque crise amorcée, les autorités monétaires ont répondu par des taux d intérêts bas et des injections de liquidités. Ceci a provoqué un renchérissement de toutes les classes d actifs : actions, obligations, immobiliers Des montages financiers de plus en plus complexes ont été conçus, dans l opacité la plus totale. Le mécanisme se retourne maintenant en son contraire : le remède devient mortifère. Sarkozy en difficulté Réunis le 14 septembre à Porto, les ministres des finances de la zone euro ne manifestent guère d inquiétude : la balance commerciale reste positive et la hausse de l euro gomme la hausse du pétrole, qui est libellé en dollar. Mais ils ne ménagent pas leurs critiques à l égard de la France : son déficit commercial est fort, et sa croissance faiblit : celle-ci est annoncée à 1,9% alors que le gouvernement de Sarkozy a bâti son projet de budget sur une prévision de 2,3%. Le déficit budgétaire sera donc excessif pour les autres puissances européennes. Ces critiques suscitent la hargne de Sarkozy, qui accuse le président de la BCE de «compliquer la vie des entrepreneurs» et d offrir des «facilités aux spéculateurs». Et il s exclame : «Que la croissance soit à 1,9% ou à 2,3%, au fond, cela ne change pas grand-chose car ce que je veux, c est 3%». Pour les ministres européens, ces déclarations témoignent de l incompétence de Sarkozy et menacent d ouvrir une crise politique en Europe. C est un phénomène assez classique : dès que surgissent les difficultés économiques, les rivalités s exacerbent dans l Union européenne, qui demeure pour l essentiel une collection d Etats bourgeois, nationaux, rivaux et inégaux. La perspective : une crise majeure de l économie capitaliste Une crise majeure se prépare. Au minimum, il y aura explosion de l ensemble des bulles immobilières, avec d inévitables et lourdes conséquences sur l économie réelle. Mais les événements de l été 2007 font surgir la perspective d une crise se combinant avec des faillites bancaires incontrôlées, et la dislocation du marché financier. Au-delà, c est l effondrement du dollar qui menace, entraînant toutes les monnaies papiers dans un cataclysme dont on a du mal à imaginer les contours. Mais pour la jeunesse et les travailleurs, sauf à devoir supporter la barbarie d un capitalisme en crise, il n y aura pas d autre alternative que de s organiser pour mettre à bas ce vieux monde et construire le socialisme. Révoltes n 12 octobre 2007 Page -23 -

À propos de quelques termes : Crédits immobiliers «subprime» : désigne des crédits accordés à des ménages qui auront du mal à rembourser ; on les enfonce un peu plus en leur imposant des taux d intérêts très élevés. Crédits immobilier hypothécaires, dits «mortgage» : typiquement anglo-saxon. Le crédit est garanti en hypothéquant la maison, et l hypothèque appartient au prêteur (société de crédit) qui peut donc faire saisir et vendre la maison si l emprunteur est défaillant. En attendant, la société de crédit se sert de l hypothèque pour obtenir de la banque de nouveaux crédits et recommencer l opération. Capital fictif : ce terme n est utilisé que par Marx. Les actions, les obligations et les hypothèques sont du capital fictif. Les économistes bourgeois détestent ce terme (et ils détestent Marx ). Ainsi les hypothèques récupérées par les banques sont considérées comme des avoirs sérieux, du capital qui permet d offrir de nouveaux crédits. Néanmoins, tout en détestant Marx, et pour respecter des règles de «prudence» qui leurs sont imposées, les banques sortent ces hypothèques en particulier celles risquées- de leur bilan en les revendant sous forme de titres financiers. Au cas où Marx aurait raison... Titrisation : les hypothèques ne sont pas conservées par les banques mais revendues sur le marché sous forme de titres, ce qui transfère le risque à d autres et leur permet de contourner les règles imposées aux banques. Mais qui se goinfrera de tels titres risqués? Les «hedges funds» bien sûr «Hedges Funds» : ce sont des fonds de placement à risque, souvent créés par les banques ellesmêmes. Ces fonds se sont repus de crédits «subprime» car les profits sont très élevés (à cause des intérêts invraisemblables imposés aux ménages pauvres). Et les banquiers conseillent à leurs meilleurs clients (qui n ont certainement pas lu Marx ) de placer leurs capitaux dans ces Hedge funds Le caractère fictif de tout ce capital apparaît quand les acheteurs de biens immobiliers ne peuvent plus rembourser leurs crédits : un nombre croissant de maisons sont saisies, vendues à moindre prix ; la valeur des hypothèques chute, et les hedges funds qui ont emprunté pour acheter, de telles hypothèques titrisées, sont alors menacés de faillite Tout peut s effondre comme un château de cartes. Confiance : mot fétiche pour les banquiers. On a ainsi découvert que des placements de «toute confiance» ont été «dynamisés» avec une ou deux cuillères de hedges funds spéculatifs. La «confiance» est désormais telle entre les banques qu elles préfèrent ne plus se prêter entre elles. Escroqueries : pour Marx et Engels, ce terme permet de caractériser l activité des spéculateurs en tous genres. Exemple : «tout se réduit à des escroqueries par trucage des faits et il n y a donc rien qui puisse changer sauf la manière.» (Lettre de Engels à Marx, 17 4 1868). Ceci dit pour rappeler que les fondements du capitalisme sont bien les mêmes depuis le XIX siècle Ce qui a par contre changé, c est l extraordinaire niveau de putréfaction atteint aujourd hui par ce système. Capital fictif (2) : les propriétaires d actions, d obligations et de titres divers (crédits hypothécaires) sont convaincus qu ils possèdent là un capital dont ils attendent des profits. Marx a montré qu à la différence du Capital mort (machines ) et du Capital vif producteur de plus value (les travailleurs), ces titres ne sont que du capital fictif. Cette sphère du capital fictif s est extraordinairement développée depuis trois décennies au moins. C est donc assez logiquement que ce soit dans cette sphère que la crise a éclaté. Cette crise reflète la difficulté à réaliser la plus value ; puis elle va accroître cette difficulté Réalisation de la plus value : c est le travailleur, et lui seul, qui produit la plus value car il n est payé que pour une partie du travail fourni. Cet excédent de travail non payé, le patron se l approprie. En vendant le produit à un prix plus élevé que ne lui en a coûté sa production, le patron «réalise» la plus value, à son profit bien sûr. La difficulté surgit quand les capacités de production sont largement excédentaires (non par rapport aux besoins de la population mais par rapport aux capacités d absorption du marché). La concurrence s aiguise, les profits dégringolent. C est ce qui a commencé dans l automobile, le transport aérien et le bâtiment aux Etats-Unis. C est ce qui risque d arriver rapidement en Chine Les capitalistes cessent alors d investir, et licencient les travailleurs. La crise fait alors boule de neige. Révoltes n 12 octobre 2007 Page -24 -