TRAITEMENTS PHARMACOLOGIQUES DES ADDICTIONS : SUBSTITUTION, AIDE AU SEVRAGE L addiction est une dépendance physique et/ou psychique à une substance ou à un comportement. Réussite au sevrage avec une aide psychologique, médicamenteuse et sociale. Médicaments Substitution : méthadone, buprénorphine, nicotine Aide au sevrage : - naltrexone : pour les opiacés puisqu effet sédatif, - bupropion, varénicline : pour le tabac, - disulfirame, acamprosate : pour l alcool. On associe la plupart du temps un antidépresseur, un anxiolytique ou un antipsychotique. I. Sevrage au tabac 1. Récepteurs nicotiniques Les récepteurs nicotiniques ont été découverts chez un poisson ( Torpedo marmorata). C est un récepteur canal, hétéropentamère. Il est composé de 2 sous-unités alpha, 2 sous-unités beta et une autre sous-unité. Il existe 10 combinaisons identifiées. On en trouve au niveau neuronal et au niveau de la jonction musculaire squelettique. Ils sont activés par la liaison d un ligand agoniste, qui induit l ouverture du canal. Au niveau musculaire, c est essentiellement du sodium, parfois du calcium. L entrée de cations entraine un effet dépolarisant, contraction musculaire ou PPSE au niveau neuronal avec exocytose des NM. Selon les combinaisons et les récepteurs considérés, les ligands ont des affinités différents et sont identifiés comme agonistes entiers ou partiels. L Ach est la référence. Le récepteur qui nous intéresse est l α4/β2. Pour ce récepteur, la nicotine se comporte comme un agoniste entier alors que la cytisine est beaucoup moins efficace et est définie comme un agoniste partiel. La composition du récepteur affecte l affinité et l efficacité des agonistes nicotiniques. Innervation cholinergique des récepteurs nicotiniques au niveau de l ensemble du cortex, de l hippocampe, du thalamus, du striatum. Concerne notamment des fonctions d apprentissage et de mémoire, de comportement et d humeur, de motricité. Quand il y a des dégénérescences des innervations cholinergiques, on aboutit à des troubles de la mémoire comme la maladie d Alzheimer ou des troubles de la motricité pour la maladie de Parkinson. 1
2. Les cibles du sevrage tabagique Le système de récompense se trouve au niveau du système limbique : libération importante de dopamine suite à l ingestion de substances addictives. Cette libération est très importante dans le développement de l addiction et le plaisir que procurent ces substances. Les ligands qui nous intéressent sont la nicotine comme substitut, et la varénicline et le bupropion comme aide au sevrage. Leur cible est le récepteur α4/β2. Ce récepteur est très exprimé au niveau du SNC. On a identifié de manière sure que c est ce récepteur qui est responsable de la dépendance et de la tolérance à la nicotine. On utilise des modèles animaux particuliers modifiés génétiquement pour augmenter, diminuer ou muter l expression du récepteur. Test de conditionnement à une place préférentielle : 3 compartiments : un compartiment central avec de part et d autre un compartiment A et un compartiment B, séparés par des portes. On place l animal dans le compartiment central avec toutes les portes ouvertes. On mesure combien de temps il passe dans chaque compartiment sur une durée d environ 20 minutes. Ce comportement est aléatoire. Pendant une semaine, on administre à l animal de la nicotine en le plaçant dans l un des compartiments. L animal associe le compartiment à l effet de l injection de la nicotine. Si l injection donne un effet plaisant, le compartiment est associé à cet effet. Au bout d une semaine, on remet l animal au milieu, sans injection, et on le laisse se déplacer comme il veut. Si l injection de la nicotine lui a donné un effet plaisant, il va se diriger vers ce compartiment. Mais si l expérience a été désagréable, il évite ce compartiment. On observe que lorsqu on induit unemutation sur le récepteur alpha2beta4, on a une augmentation de la préférence : l injection de la nicotine est agréable, elle est encore plus agréable que chez un individu non muté. Mutation sur α4 = préférence augmentée. Test de tolérance à l hypothermie induite par la nicotine (1 injection par jour) On sait que la nicotine enduit une hypothermie. On mesure l effet hypothermique induite par l injection. Mutation sur α4 = tolérance augmentée. Test d auto-administration iv de nicotine et mesure de la stimulation dopaminergique. Délétion de β2 = effet addictogène diminué. Moins d effet dopaminergique. 2 3. Le principe du sevrage tabagique On cible les récepteurs nicotiniques directement ou on essaie de modifier la libération de dopamine. On utilise en substitut la nicotine qui permet de substituer la nicotine apportée par le tabac. La varénicline est un agoniste partiel à forte affinité. Action au niveau de la recapture de la dopamine : le bupropion (Zyban ) bloque la recapture.
a) Traitement de substitution : nicotine Evolution de la nicotinémie dans le plasma d un fumeur (simulation). Consommation d une cigarette par heure pendant 16 heures. Le fumeur peut contrôler et modifier la quantité de nicotine apportée en fonction de la cigarette, du nombre, du temps et de la profondeur de bouffée. La nuit constitue une forme de mini-sevrage. La substitution nicotinique par des patchs doit reproduire l augmentation de nicotinémie qu on retrouve avec la cigarette. Quelle concentration plasmatique est nécessaire pour saturer les récepteurs? Quelle vitesse d administration? On utilise un radioligand qui occupe les récepteurs nicotiniques. Dès 0,1 bouffée, on a déjà un marquage. Au bout de 3 bouffées, le radioligand a été déplacé par la nicotine absorbée de la cigarette. A moins d une cigarette, on a quasiment déplacé 100% des radioligands marqués. La quantité de nicotine nécessaire pour occuper les récepteurs est très faible. La pharmacocinétique est très différente selon la voie d administration. Avec la cigarette : concentration plasmatique veineuse augmente très fortement. Pour la gomme, augmentation plus lente mais on attend le même plateau. Tandis que pour le patch, il faut attendre plusieurs jours pour retrouver les concentrations plasmatiques stables qu on a avec la cigarette. Un traitement avec le patch va mettre plus de temps à avoir un effet. Métabolisme et élimination de la nicotine Temps de demi-vie de la nicotine : 2h (extrêmement variable selon l individu), 5-10% excrété par le rein. Métabolisme de la nicotine par le CYP450 = cotinine dont le temps de demi-vie est de 16h, éliminé entre 15 er 20% par le rein. La substitution nicotinique est basée sur l hypothèse selon laquelle la dépendance est directement reliée à la nicotinémie. Mais plusieurs éléments suggèrent que ce n est pas aussi simple : - absence de corrélation entre la vitesse de pénétration dans l organisme et la dépendance - dépendance aux substituts nicotiniques rares (pas de dépendance aux gommes ou aux patchs alors qu ils apportent autant de nicotine que la cigarette) - préférence pour la cigarette en dépit de concentrations plasmatiques équivalentes avec le substitut, souvent même une préférence pour une marque de cigarettes! La nicotine n est donc sans doute pas le seul déterminant de l addiction à la cigarette. b) Aide au sevrage : varénicline Le Champix Homologie entre la varénicline et la cytisine qui est un alcaloïde du genêt. Ce ligand est un agoniste partiel puisque son efficacité est plus faible que le ligand de référence : la nicotine. 3
La nicotine entraine une augmentation très nette de la dopamine puis un retour au taux normal. Avec la varénicline, l effet max est plus faible que pour la nicotine mais le plateau est maintenu dans le temps plus longtemps que pour la nicotine. La cytisine bloque partiellement la nicotine, tandis que la varénicline bloque complètement la nicotine. La varénicline a donc un effet agoniste durable (dissociation lente), un effet max inférieur à celui de la nicotine (agoniste partiel), provoque une inhibition des effets de la nicotine (effet antagoniste). Le traitement a un effet en soi et bloque en plus la nicotine. Dualité d effet : ago partiel + antago. c) Aide au sevrage : bupropion Le Zyban Au départ développé comme antidépresseur, bloque le système de recapture de la noradrénaline (NET). Augmentation de la durée de vie de la NA dans la fente synaptique donc amplification des effets noradrénergiques. En 2001 : AMM comme aide au sevrage tabagique. Structure amphétaminique. Effet amphétaminique : libération de dopamine au niveau du noyau accumbens mime les effets de la nicotine càd qu on retrouve le plaisir par augmentation de dopamine après une cigarette. Cette libération de dopamine diminue le manque lié à l abstinence. Mais : les autres amphétamines ne sont pas efficaces! Et si le bupropion faisait autre chose? On a observé que ce ligand est aussi un antagoniste du récepteur nicotinique α4β2. II. Sevrage aux opiacés 1. Historique Jusqu en 1995 : usager de drogue = délinquant. Seul traitement possible = abstinence. 1995 : politique de réduction des risques de transmission du HIV : autorisation de prescription de méthadone dans les centres de soins spécialisés pour les toxicomanes (CSST). Pour tout patient de plus de 15 ans volontaire et avec dépendance majeure et avéré à un produit opiacé. 1996 : mise sur le marché de la buprénorphine haute-dose 2002 : prescription des MSO possibles dans les CSST et par les médecins exerçant dans un établissement de santé. Mise en place d un traitement de substitution qui a pour but à long terme d amener à l abstinence. Il faut garder en tête que le traitement de substitution maintient la pharmacodépendance. 4
Drogues Illicite Achetée/procurée Action courte, demi-vie de l héroïne : 3 à 10 min Administration nasale ou IV Usage non contrôlé Désocialisation Délinquance Substances de substitution Licite Prescrit Action longue : demi-vie de la méthadone : 36 à 48h, demi-vie de la buprénoprhine : 2-5h Orale ou sublinguale Usage contrôlé Réinsertion sociale 2. Objectifs du traitement substitutif A court terme : insertion dans un processus thérapeutique, suivi médical. Diminution puis arrêt de la consommation des opiacés illicites réduction des risques. A long terme : abstinence complète de toute substance psychoactive (illicite et MSO) réinsertion sociale. Nécessité d évolution personnelle, de temps et d un accompagnement. Les récepteurs opioïdes (rappels) Récepteurs Effets pharmacologiques µ µ1 Analgésie supraspinale, analgésie périphérique µ2 Analgésie spinale, myosis, dépression respiratoire, euphorie, dépendance physique, diminution de la motilité gastrique Kappa κ1 Analgésie spinale, myosis κ2 Dysphorie, psychotomimesis κ3 Analgésie supraspinale δ δ Analgésie spinale Opioïdes exogènes : analgésique, anti-diarrhéique, antitussif L effet sur l humeur est biphasique : - première phase euphorique intense et brève - suivie d un sentiment de profonde quiétude qui dure plusieurs heures. Phase de descente moins agréable : somnolence, variations de l humeur, assombrissement mental, apathie, ralentissement moteur. Les récepteurs opioïdes sont largement exprimés dans le SNC. Il y a 2 noyaux particulièrement importants : le noyau accumbens et le VTA. Ce sont des structures très riches en récepteurs µ et sont importantes pour l addiction. Récepteurs µ responsables de la dépendance aux opiacés, à la cocaïne, la nicotine, le cannabis, l alcool. Test chez la souris qui montre que le récepteur µ est responsable des effets et de la dépendance à l alcool. La souris doit appuyer sur un levier et est récompensée avec une boisson sucrée. On teste des animaux contrôle et des animaux qui n ont plus le récepteur µ. 5
Quand on administre de l alcool, les performances des animaux contrôle s altèrent. Pour les animaux dépourvus de µ, l alcool n a aucun effet. Aucune dépendance, aucune tolérance. Délétion de µ = diminution de l effet de l alcool. 3. Principe du sevrage Sur les récepteurs µ : La méthadone est un agoniste entier. La buprénorphine est un agoniste partiel. La naltrexone est un antagoniste. a) Traitements de substitution Ils miment les effets de la substance opiacée. Différences entre les 2 : Méthadone Agoniste Risque de surdosage mortel : réanimation avec la naloxone Réduction de l anxiété Stupéfiant, ordonnance sécurisée, prescription limitée à 14 jours, délivrance fractionnée Buprénorphine Agoniste partiel Moindre risque de surdosage sauf interactions avec BZD. Réanimation avec la naloxone Anxiété, risque de consommation associée Liste I, ordonnance sécurisée, prescription limitée à 28 jours, délivrance fractionnée recommandée Dose minimale : pas de syndrome de manque à la drogue. Interactions avec d autres NM : dopamine, sérotonine, noradrénaline effets antidépresseurs et anxiolytiques. b) Aide au sevrage : naltrexone Antagoniste des récepteurs µ : prévention des effets de la drogue. Le sevrage doit être avéré. Pas de pharmacodépendance, action prolongée (24 à 72h), maintien de l abstinence. S il y a une dépendance aux opiacés, syndrome de sevrage sévère! Durée du traitement : au moins 3 mois, voire plusieurs années si le risque de rechute est important. III. Sevrage à l alcool 1. Intoxication aigue Phase 1 : excitation psychique et motrice Phase 2 : ébriété Phase 3 : dépression -> coma. Hallucinations, délires, convulsions, troubles de la mémoire, ACCIDENTS! 4 e cause de mortalité en France. 6
2. Intoxication chronique Modifications physiques : atrophie cérébrale, épilepsie, troubles neurologiques, coma éthylique, délirium tremens, troubles cardiovasculaires, troubles métaboliques, troubles gastro-intestinaux, troubles sexuels. Modifications psychologiques : changement de caractère, syndrome dépressif. Dépendance psychique et physique : alcool «plaisir» <-> alcool «souffrance». S accompagne d une addiction. 3. Le principe du sevrage Conséquences à 3 niveaux : - pour traiter l addiction : le naltrexone, Revia. Même principe d action, antagoniste µ. - pour rétablir le déséquilibre entre l hypersensibilisation au glutamate et la désensibilisation du GABA : l acamproste, Aotal. C est un antagoniste mglur5, NMDA/GABA. D autres effets. - pour inhiber une enzyme qui intervient dans le métabolisme : le disulfirame, Esperal. a) Le disulfirame Ethanol (alcool déshydrogénase) acétaldéhyde (acétaldéhyde déshydrogénase) acétylcoa cycle de Krebs. Le disulfirame inhibe l acétaldéhyde déshydrogénase donc accumulation de l acétaldéhyde qui entraine des symptômes désagréables et un effet antabuse. Si la personne absorbe de l alcool, cela entraine des symptômes désagréables. Effet antabuse : - flush du visage, sueurs - sensation de malaise, céphalée - nausées, vomissements - tachycardie, hypotension orthostatique. Potentiellement mortel pas d ingestion d alcool! Mise en place du traitement : au moins 24h après début du sevrage alcoolique. L abstinence est très importante. On commence le traitement avec une dose de 500 mg/jour, pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Traitement dégressif jusqu à l arrêt du traitement qui se fait des mois voire des années après. Attention à la consommation d alcool (parfois dans les sirops). On associe ce traitement à des vitamines B1 et B6, à des anxiolytiques. On surveille le rapport ASAT/ALAT. Indication : prévention des rechutes après sevrage. 7
b) L acamprosate Ce médicament agit via une action antagoniste glutamatergique, particulièrement sur le récepteur mglur5 (RCPG) et via une action agoniste sur le récepteur GABA. Il semblerait que le ligand soit agoniste ou antagoniste sur le récepteur NMDA selon la quantité. La consommation d alcool n augmente pas chez les souris dont les mglur5 sont délétées, tandis que chez les souris normales, la consommation d alcool augmente. Délétion/ blocage de mglur5 = diminution de la préférence en alcool Acamprosate blocage de mglur5 diminution du syndrome de sevrage Pas de liaison à GABA-A. On normalise le niveau de GABA dans le SNC de ces animaux. Action stimulante. Mise en place du traitement : dès le début du sevrage alcoolique Pendant 12 mois au maximum. Association avec des vitamines B1 et B6, avec des anxiolytiques. N empêche pas une consommation occasionnelle d alcool Association possible avec le naltrexone ou le disulfirame. Indication : maintien de l abstinence (avec psychothérapie). Efficacité? Après 6 mois de traitement, pas de différence très importante avec un traitement avec un placebo. IV. Les perspectives? Sevrage tabagique : Développement des cigarettes électroniques. Hors réglementation, ce ne sont pas des médicaments donc ils ne sont pas soumis à une réglementation. Pas d AMM. Il est possible de mettre des substances contenant de la nicotine dans ces dispositifs. On devrait donc les considérer comme des médicaments. Pas d étude indépendante qui montre l efficacité de cette technique. Utilisation du baclofène qui est utilisé hors AMM pour aider au sevrage alcoolique. Agoniste GABA-B. développement d un analogue. Ne permet pas l abstinence à l alcool mais de réduire la consommation. 8