Le voleur de Bicyclette Vittorio De Sica Italie 1948 «Plus d acteurs, plus d histoire, plus de mise en scène, c'est-à-dire enfin dans l illusion esthétique parfaite de la réalité : plus de cinéma.» André Bazin Le genre : une fiction appartenant au mouvement néo-réaliste En cette période d après-guerre, le néoréalisme s impose dans une Italie vaincue. Le Voleur de bicyclette, au même titre que Rome ville ouverte de Roberto Rossellini, est emblématique d un cinéma qui se veut plus proche de la réalité : tournages en extérieur dans des décors naturels, lumières naturelles, acteurs non professionnels. Consacré à la pauvreté, au chômage et à la vie dans les banlieues populaires, on a parfois conféré à ce film une valeur quasidocumentaire. A sa sortie en Italie, il suscita une mini-polémique, les communistes lui reprochant de n être qu une peinture de la vie des classes les plus pauvres, sans apporter de propositions et d autres lui reprochant son misérabilisme. Le film connut un grand succès international. Voir Cahier p.3 Une nouvelle voie pour le cinéma, à l opposé de Méliès (le merveilleux, voir trimestre 1). «Nous découvrîmes, au milieu des ruines, que le cinéma nous avait donné bien trop peu d images propres à nous faire ouvrir les yeux sur notre prochain et l aider à affronter, ou mieux à empêcher d aussi monstrueux événements.» Cesare Zavattini, scénariste du film «Pour moi, c est surtout une position morale de laquelle on regarde le monde. Elle devient ensuite une position esthétique, mais le départ est moral.» Roberto Rossellini 1
Il s agit pour ces cinéastes d utiliser le cinéma comme langage pour parler, représenter le monde tel qu il est. Trouver une nouvelle forme de «spectacle» pour parler à son spectateur, l objectif n étant plus de le distraire mais de le mettre face à une réalité du monde qu il habite. Le voleur de bicyclette est un film emblématique des positions esthétiques et éthiques de ce mouvement : Une histoire, un scénario anti-spectaculaire pour raconter une réalité sociale mais aussi une aventure humaine Une «histoire» mais sa nature est différente de celle que nous voyons d ordinaire. Ici, un incident de la vie quotidienne d un travailleur. «L événement (le vol de bicyclette) ne possède en lui-même aucune valeur dramatique propre. Il ne prend de sens qu en fonction de la conjoncture sociale(et non pas psychologique ou esthétique) de la victime.» André Bazin Mais comme le souligne André Bazin «C est l enfant qui donne à l aventure de l ouvrier sa dimension éthique et creuse d une perspective morale et individuelle ce drame qui pourrait n être que social.» Des décors naturels L Italie d après guerre. Filmer les scène en décor naturel et non en studio est une position éthique pour ces cinéastes. Montrer le réel tel qu il est. Ici, la guerre est finie mais ses conséquences sont visibles aussi dans les décors. Il y a un désir d authenticité aussi bien du côté des situations que des décors. 2
Une lumière naturelle Pour la lumière aussi, il y a nécessité pour ces cinéastes d être au plus proche d une lumière naturelle. On est loin des visages surexposées d Hollywood pour mettre en valeur les acteurs ou des lumières expressionnistes. C est aussi ce qui donne ce caractère quasi documentaire à ce film et souvent pour le spectateur le sentiment que les scènes se déroulent sous ses yeux et ont été filmées au moment où elles se sont produites. Des personnages joués par des non-acteurs Pas un d entre eux n avait la moindre expérience du théâtre ou du cinéma. Le père est un vrai ouvrier, l enfant trouvé dans les rues, la mère, une journaliste. «De Sica, en quête d un producteur, avait fini par le trouver à condition que le personnage de l ouvrier soit tenu par Cary Grant.. Il suffit de poser le problème en ces termes pour en faire apparaître l absurdité. Cary Grant, en effet, est excellent dans ce genre de rôle, mais on voit bien qu il ne s agissait précisément pas ici de tenir un rôle, mais d en effacer jusqu à l idée. Il fallait que cet ouvrier fût à la fois aussi parfait, anonyme et objectif que sa bicyclette.» André Bazin 3
Le cinéma, aussi des corps en marche «De Sica, avant de se décider pour cet enfant, ne lui a pas fait des essais de jeu mais uniquement de marche. Il voulait, à côté de la démarche de loup de l homme le trottinement du gamin. L harmonie de ce désaccord étant à lui seul d une importance capitale pour l intelligence de la mise en scène.» Héritage de Chaplin On est très proche de ce qu a pu exploiter le cinéma burlesque au cinéma. Difficile de ne pas penser à la démarche de Chaplin et aussi dans The Kid, au couple «père/fils» 4
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Le réel mis en scène / Le montage et le découpage mettent en scène Selon André BAZIN, le montage, langage qui distingue le film d'une simple photographie animée, est le premier élément affecté par le néo-réalisme. Dans les films américains d'avantguerre le montage était invisible. Le morcellement des plans n'avait pas d'autre but que d'analyser l'événement selon la logique dramatique de la scène. Dans les années 40 apparaît un nouveau type de montage, avec un changement de fond impliquant une transformation de la forme. Ces cinéastes utilisent les possibilités du langage cinématographique car pour eux sont indissociables le fond de la forme. Voir l analyse de séquence Cahier p.21, Alain Bergala montre bien les choix de filmage et de montage très perceptible à l analyse dans cette mise en scène. La caméra change de point de vue, le spectateur aussi Caméra à hauteur d enfant Caméra à hauteur d adulte Caméra à hauteur d enfant Caméra à hauteur d adulte Un cadre qui correspond au désarroi du personnage 6
Mise en parole Ce film va susciter chez les enfants des discussions. Je pense que vous pouvez revenir sur certaines scènes du film pour connaître leur point de vue, voir comment ils ont ressentis certaines situations. L actualité du contenu Comme le dit Alain Bergala ce film date de 1948 mais la situation d un homme au chômage concerne à nouveau au premier degré notre représentation du monde. La scène de la gifle Symptomatique de ce père défaillant, cette scène va pour certains être injuste pour Bruno mais pour d autres être le signe du désarroi du père et vont plus facilement lui pardonner. La scène de la noyade et du restaurant Le père a eu peur que son fils se soit noyé. Cette séquence chargée en émotion pour le spectateur qui y croit aussi va être contrebalancée par la séquence plus joyeuse du restaurant. VO : «On va pas s en faire! Tout s arrange sauf la mort!» VF : «Quand il y a de la vie, il y a de l espoir! C est quand on est mort qu il n y en a plus!» Ces deux séquences juxtaposées relativisent la situation du père. Mais très vite au sein de cette seconde scène le père joyeux au départ s assombrit et repense à sa situation, le spectateur aussi... La scène du vol de bicyclette, Comment le père de victime devient coupable. Les enfants seront partagés entre l envie qu il vole cette bicyclette pour s en sortir et sans doute aussi la conscience que ce n est pas forcément la solution. Voir, avec l analyse de séquence du Cahier p.21, comment par la mise en scène le spectateur ressent bien le dilemme pour le personnage. La fin On est loin d Hollywood et de ses Happy end! Le film s arrête peut-être trop «tôt» pour les enfants. Cette fin correspond à l éthique et l esthétique de ce mouvement. Vous pouvez peutêtre les inciter à imaginer une suite. «Un film de propagande chercherait à nous démontrer que l ouvrier ne peut pas retrouver son vélo et qu il est nécessairement pris dans le cercle infernal de sa pauvreté. De Sica se borne à 7
nous montrer que l ouvrier peut ne pas retrouver son vélo et qu il va sans doute à cause de cela retourner au chômage.» André Bazin Cette mise en scène, même si le film est réaliste et nous parle aussi d une réalité sociale, laisse de l espoir au spectateur tout au long du film. 8
Mise en pratique - Le point de vue au travail L effet Koulechov En 1921, Koulechov (cinéaste russe) avec son élève Poudovkine, a fait une expérience de montage très célèbre, baptisée, l effet Koulechov. Il a emprunté à un film le plan d un acteur célèbre où il n exprimait aucun sentiment. Il juxtaposa chacun de gros plans identiques avec le plan d une assiette de soupe, d un cercueil où reposait une femme morte et le plan d une petite fille. Le public admira le jeu de l acteur qui savait si bien exprimer, la faim, le chagrin, et la tendresse. C est le spectateur qui va projeter un sentiment sur l acteur en fonction de l image suivante. A partir de ce principe propre au langage cinématographique, vous pouvez avec d autres images le mettre en pratique. Bruno veut retrouver la bicyclette Bruno est inquiet pour son père qui se bagarre Bruno comprend que son père va voler la bicyclette 9
- Cadrage et échelle de plan «Les choses sont bizarres» séquence photographique de Duane Michals (photographe américain), distribuée à la formation. Vous pouvez également voir la séquence photographique sur le site : http://revenigmatik.canalblog.com/albums/duane_michals les_choses_sont_bizarres thi ngs_are_queer /index.html ou lien sur le site de l école d art : www.bab-art.fr Rubrique : école et cinéma Rubrique : Fiches pédagogiques trimestre 2 Cette suite d images permettra de voir comment le cadrage ne restitue qu une partie du réel, comment on peut jouer avec. C est la suite d images (une image plus une image, comme au cinéma) qui permet finalement de comprendre l espace. 10
«Reportage» de l école Amener les élèves à comprendre comment une prise de vue est le fruit d une intention, que le choix du cadrage et de ce qu on montre au spectateur détermine un point de vue. Avec un appareil photo numérique proposition de deux ateliers : Un trajet quotidien Je raconte en 5 images un trajet dans l école Par groupes, demander aux enfants de faire 5 photos d un trajet quotidien dans l école (le même pour tous les groupes). Aucun trajet ne sera identique. Les enfants pourront ensuite raconter «leur histoire», leurs intentions. Les autres pourront dire ce qu ils y ont vu. C est où? Regarder et montrer à voir son école autrement Demander aux enfants de faire des photos de l école mais en essayant de regarder ce que l on ne regarde pas forcément : les interrupteurs, les plinthes, le plafond, le sol, etc. et en jouant sur des axes de prise de vue ou des gros plans. Il s agira ensuite au groupe d essayer de retrouver où la photo a été prise. 11