A R R E T. En cause : la question préjudicielle relative à l article 171 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d appel d Anvers.



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Transcription:

Numéro du rôle : 5549 Arrêt n 168/2013 du 19 décembre 2013 A R R E T En cause : la question préjudicielle relative à l article 171 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d appel d Anvers. La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * *

2 I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 18 décembre 2012 en cause de Maria Vrolix contre l Etat belge, dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 janvier 2013, la Cour d appel d Anvers a posé la question préjudicielle suivante : «L article 171 du CIR 1992, combiné avec l article 130 du CIR 1992, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les pensions versées sous forme d un capital unique sont imposables distinctement au taux de 16,5 %, alors que les pensions versées sous forme de rentes mensuelles sont imposables au taux progressif?». Des mémoires ont été introduits par : - Maria Vrolix, demeurant à 2000 Anvers, Kipdorp 33/04; - le Conseil des ministres. A l'audience publique du 29 octobre 2013 : - a comparu Me A. van Lidth de Jeude, avocat au barreau d Anvers, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Alen et F. Daoût ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et la procédure antérieure Maria Vrolix perçoit, à la suite du décès de son époux, des versements périodiques de l assurance-vie de ce dernier, qui avait été contractée par son ancien employeur. Le contrat prévoit des versements périodiques et stipule également qu en cas de décès du travailleur assuré, l époux survivant ou l épouse survivante bénéficiera de ces versements sous la forme d une rente jusqu à son décès ou son remariage. Les versements périodiques que perçoit Maria Vrolix sont imposés au taux progressif en vertu de l article 130 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992). Elle ne peut prétendre à l imposition distincte au taux de 16,5 % visée à l article 171 du CIR 1992 parce qu elle ne reçoit pas un versement sous la forme d un capital unique mais des versements périodiques. Le 23 juin 2009, Maria Vrolix demande au Tribunal de première instance d Anvers l annulation de l imposition établie à son nom et le remboursement de tous les montants qui ont été recouvrés de manière illégale sur la base de ces impositions. Le 9 février 2011, le Tribunal de première instance d Anvers déclare cette demande non fondée. A la demande de Maria Vrolix, la Cour d appel d Anvers pose la question préjudicielle précitée.

3 III. En droit - A - A.1.1. Maria Vrolix expose que les versements périodiques effectués en exécution d un contrat d assurance-vie sont imposés, en vertu de l article 130 du CIR 1992, au taux progressif, tandis qu un versement sous la forme d un capital unique est imposé, en vertu de l article 171, 4, f), du même Code, à un taux distinct de 16,5 %. Elle fait valoir qu il n existe aucune justification objective pour imposer plus lourdement des versements effectués sous la forme d une rente que les versements sous forme de capital. A.1.2. Selon Maria Vrolix, les versements périodiques et les versements sous forme de capital unique sont comparables. L élément pertinent ne serait pas la durée des versements sous forme de rentes, et par conséquent le montant total de celles-ci, mais bien les deux taux d imposition différents. A.1.3. Elle soutient, en outre, que la différence de traitement n est pas justifiée. En effet, il ressortirait de l exposé des motifs du projet de loi ayant conduit à la loi du 13 mars 2003 «relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci» que cette loi poursuivait notamment l objectif «de rendre plus [attractive] la prise de la rente» et, à cet effet, d améliorer le statut fiscal de celle-ci par rapport au statut fiscal d un versement en capital (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1340/001, p. 55). Cet objectif serait atteint en permettant de convertir un versement en capital en un versement sous la forme d une rente, assortie d un régime fiscal plus favorable qu une imposition progressive. Cette solution ne suffirait néanmoins pas à faire entièrement disparaître l inégalité. A.2.1. Le Conseil des ministres soutient tout d abord que la question préjudicielle concerne des situations non comparables. Tant la durée des versements sous forme de rentes que le montant total versé dépendraient, en effet, de facteurs incertains. Selon la date du décès ou du remariage de l épouse bénéficiaire, le total des versements sera supérieur ou inférieur au montant fixe du versement en capital. A.2.2. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que la différence de traitement entre les contribuables qui reçoivent un versement sous la forme d un capital unique et ceux qui perçoivent des versements périodiques sous la forme d une rente ne dépend pas d éléments d appréciation personnels. Le critère de distinction est donc objectif. A.2.3. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement est également pertinente, eu égard au caractère exceptionnel du versement sous la forme d un capital unique. Si ce versement était soumis au taux progressif, cette situation conduirait en pratique le plus souvent à imposer le versement en capital au taux marginal le plus élevé. Pour éviter les conséquences sévères de l imposition progressive de ces revenus à caractère exceptionnel, le législateur a choisi un taux d imposition distinct. Ces taux d imposition distincts s élèvent à 10 % si le capital a été constitué par des cotisations personnelles et à 16,5 % si le capital a été constitué par des cotisations patronales. A.2.4. En ce qui concerne le caractère proportionné de la différence de traitement par rapport au but poursuivi, le Conseil des ministres observe tout d abord que l objectif du législateur fiscal ne consiste pas à prévoir pour les contribuables le taux le plus favorable dans toutes les circonstances. Le but est d imposer les contribuables de la manière la plus juste possible, sans tenir compte de circonstances spécifiques. Le Conseil des ministres soutient qu une imposition distincte pour les versements de pension périodiques serait discriminatoire par rapport aux contribuables qui perçoivent une pension légale versée périodiquement. Le fait que le capital aurait été constitué par des primes de l employeur ne saurait en effet justifier un système fiscal distinct. En outre, le Conseil des ministres soutient qu un taux d imposition distinct de 10 % ou de 15 % ne serait pas nécessairement toujours plus favorable que le taux progressif. Cela dépendrait des caractéristiques spécifiques de chaque situation et doit donc être apprécié séparément.

4 - B - B.1. L article 171, 4, f), du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), tel qu il s appliquait à l exercice d imposition 2006, disposait : «Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables : [ ] 4 au taux de 16,5 p.c. : [ ] f) les capitaux et valeurs de rachat constituant des revenus visés à l'article 34, 1er, 2, alinéa 1er, a à c, lorsqu'ils ne sont pas imposables conformément à l'article 169, 1er, et qu'ils sont liquidés au bénéficiaire à l'occasion de sa mise à la retraite ou à partir de l'âge de 60 ans ou à l'occasion du décès de la personne dont il est l'ayant droit, à l'exclusion : - des capitaux ou valeurs de rachat constitués au moyen de cotisations personnelles visées à l'article 145/1, 1 ; - des capitaux et valeurs de rachat attribués, en vertu d'un engagement individuel de pension complémentaire visé dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale, soit à un travailleur visé à l'article 31 en l'absence d'engagement collectif de pension complémentaire dans l'entreprise pendant la durée de l'engagement individuel de pension complémentaire répondant aux conditions de la loi précitée, soit à un dirigeant d'entreprise visé à l'article 32 qui n'a pas reçu de rémunérations répondant aux conditions de l'article 195, 1er, alinéa 2, pendant la durée de l'engagement individuel de pension complémentaire». B.2.1. Cette disposition prévoit un taux d imposition distinct de 16,5 % pour les contribuables bénéficiaires de capitaux, valeurs de rachat de contrats d assurance-vie, pensions, pensions complémentaires et rentes, au sens de l article 34, 1er, 2, alinéa 1er, a) à c), du CIR 1992.

5 L article 34, 1er, 2, alinéa 1er, a) à c), du CIR 1992, tel qu il s appliquait à l exercice d imposition 2006, disposait : «1er. Les pensions, rentes et allocations en tenant lieu comprennent, quels qu'en soient le débiteur, le bénéficiaire, la qualification et les modalités de détermination et d'octroi : [ ] 2 les capitaux, valeurs de rachat de contrats d'assurance-vie, pensions, pensions complémentaires et rentes, constitués en tout ou en partie au moyen de : a) cotisations personnelles d'assurance complémentaire contre la vieillesse et le décès prématuré en vue de la constitution d'une rente ou d'un capital en cas de vie ou en cas de décès, ou de cotisations patronales. En ce qui concerne les dirigeants d'entreprise visés à l'article 32, alinéa 1er, qui ne sont pas employés dans le cadre d'un contrat de travail, la notion de cotisations patronales doit être remplacée, pour l'application de cette disposition, par la notion de cotisations de l'entreprise ; b) cotisations et primes en vue de la constitution d'une pension complémentaire visée dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale, en ce compris les pensions complémentaires attribuées en exécution d'un engagement de solidarité visé aux articles 10 et 11 de la loi précitée et les pensions constituées au moyen de cotisations et primes visées à l'article 38, 1er, alinéa 1er, 18 et 19 ; c) cotisations et primes en vue de la constitution d'une pension complémentaire visée dans la loi reprise sous b, lorsque ces cotisations sont versées dans le cadre d'une continuation à titre individuel d'un engagement de pension visé à l'article 33 de la même loi». B.2.2. Cette imposition distincte s applique si les capitaux et valeurs de rachat sont liquidés au bénéficiaire à l occasion de sa mise à la retraite, à partir de l âge de 60 ans ou à l occasion du décès de la personne dont il est l ayant droit. B.2.3. L imposition distincte au taux de 16,5 % ne s applique qu aux capitaux et aux valeurs de rachat qui ne relèvent pas du champ d application de l article 169 du CIR 1992, lequel disposait pour l exercice d imposition 2006 : «1er. Les capitaux liquidés à l'expiration normale du contrat ou au décès de l'assuré et les valeurs de rachat liquidées au cours d'une des cinq années qui précèdent l'expiration normale du contrat et pour autant que ces capitaux et valeurs de rachat soient alloués à raison, soit de contrats d'assurance-vie au sens de l'article 145/1, 2, et jusqu'au montant servant à la reconstitution ou à la garantie d'un emprunt hypothécaire, soit de contrats d'assurance-vie au sens de l'article 104, 9, soit de pensions complémentaires conformément à l'article 52bis de

6 l'arrêté royal n 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants tel qu'il était en vigueur avant d'être remplacé par l'article 70 de la loi-programme du 24 décembre 2002, soit de pensions complémentaires visées au titre II, chapitre Ier, section 4, de la loi-programme du 24 décembre 2002, ainsi que les allocations en capital qui ont le caractère d'indemnité constituant la réparation totale ou partielle d'une perte permanente de revenus professionnels, n'interviennent, pour la détermination de la base imposable, qu'à concurrence de la rente viagère qui résulterait de la conversion de ces capitaux et valeurs de rachat suivant des coefficients, déterminés par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, qui ne peuvent dépasser 5 p.c. Le même régime de conversion est applicable à la première tranche de montant de base 50.000 EUR de capital ou de valeur de rachat d'une pension complémentaire visée à l'article 34, 1er, 2, alinéa 1er, a à c, qui a fait l'objet d'avances sur prestations ou qui a servi à la garantie d'un emprunt ou à la reconstitution d'un emprunt hypothécaire, pour autant que ces avances aient été accordées ou ces emprunts contractés en vue de la construction, de l'acquisition, de la transformation, de l'amélioration ou de la réparation de la seule habitation située en Belgique et destinée exclusivement à l'usage personnel de l'emprunteur et des personnes faisant partie du ménage». B.3. L article 171 du CIR 1992 déroge, pour les revenus énumérés dans cet article, au principe de la globalisation, c est-à-dire l addition des quatre différentes catégories de revenus définies à l article 6 du CIR 1992. En vertu de ce principe, le revenu imposable à l impôt des personnes physiques est constitué de l ensemble des revenus nets, soit la somme des revenus nets des catégories énumérées dans cette disposition, à savoir les revenus des biens immobiliers, les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers, diminuée des dépenses déductibles mentionnées aux articles 104 à 116 du CIR 1992. L impôt est calculé sur cette somme selon les règles fixées aux articles 130 et suivants, mais après l accomplissement de quelques opérations. L article 171 du CIR 1992 fixe un mode de calcul particulier de l impôt et des taux d imposition spéciaux pour certains revenus, à condition toutefois que le régime de l addition de tous les revenus imposables, en ce compris ceux qui peuvent être imposés distinctement, ne s avère pas plus avantageux pour le contribuable. B.4. Par l article 23 de la loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus, qui est devenu plus tard l article 93 du CIR 1964 et l article 171 du CIR 1992, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l application rigoureuse de la progressivité de l impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux

7 préparatoires de l article 23, qui a instauré les impositions distinctes, le législateur a voulu «freiner la progressivité de l impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques» (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n 264/1, p. 85; ibid., n 264/42, p. 126). Même si les travaux préparatoires précités ne pouvaient pas encore porter sur les versements en capital et les valeurs de rachat, la justification qu ils contiennent peut également s appliquer aux versements sous la forme d un capital unique d une assurance-vie, qui revêt également un caractère exceptionnel (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1340/007, p. 49). B.5. L imposition distincte des capitaux et valeurs de rachat d assurances-vie a été instaurée par l article 17 de la loi du 27 décembre 1984 portant des dispositions fiscales. Cette disposition a complété l article 93 du CIR 1964, avec pour effet que ces capitaux et valeurs de rachat ne pouvaient désormais plus être imposés sur la base de l article 92 du même Code. Par conséquent, il ne fallait plus recourir à une rente fictive comme base d imposition au taux progressif pour ces versements; ils étaient soumis à l imposition distincte au taux de 16,5 %. B.6.1. L exposé des motifs du projet qui est devenu la loi précitée mentionne, outre l objectif de freiner la progressivité de l impôt, trois justifications spécifiques de la modification du régime fiscal et du choix du taux de 16,5 %. B.6.2. Tout d abord, l exposé des motifs indique que le taux d imposition appliqué au capital représente l équivalent de l impôt qui s appliquait sous l empire du régime des rentes fictives de conversion, comme prévu par l article 92 du CIR 1964 (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/1, p. 4). Sous ce régime, les versements en capital et les valeurs de rachat étaient convertis en rentes annuelles fictives, selon des échelles de conversion établies par le Roi. Ces rentes annuelles fictives servaient ensuite de base imposable et étaient imposées, après globalisation, au taux progressif.

8 L exposé des motifs explique que l imposition distincte au taux de 16,5 % correspond à «l impôt [ ] cumulé et actualisé sur la rente fictive afférente à ce même capital, compte tenu de l espérance normale de vie au moment où celui-ci est attribué» (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/13, p. 47). Ce calcul a conduit à un taux d imposition de 16,68 % (ibid., pp. 5 et 36-37). B.6.3. Ensuite, l exposé des motifs souligne que les indépendants sont eux aussi imposés à un taux de 16,5 % sur les capitaux qu ils perçoivent à l occasion de la cessation de leurs activités (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/1, p. 4; ibid., n 1010/13, pp. 36-37). Afin de traiter les travailleurs salariés et les indépendants de manière identique sur ce point, le taux d imposition de 16,68 % mentionné en B.6.2 a été arrondi vers le bas. B.6.4. Enfin, le législateur vise, avec l imposition distincte au taux de 16,5 %, à lutter contre l évasion fiscale. Le législateur a constaté que les contribuables éludaient ces impôts sous le régime des rentes fictives de conversion en établissant leur domicile à l étranger (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/1, p. 4; ibid., n 1010/13, pp. 5 et 47) ou en ne déclarant pas la conversion annuelle fictive du capital qui leur avait été versé (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/13, p. 5). C est la raison pour laquelle le législateur a instauré une imposition distincte pour ces capitaux (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/1, p. 4; ibid., n 1010/13, pp. 5 et 47) et a prévu «une retenue à la source lors du paiement du capital par le débiteur» (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n 1010/1, p. 6). B.7. La différence de traitement entre les contribuables qui reçoivent un versement sous la forme d un capital et les contribuables qui reçoivent un versement sous la forme d une rente repose sur un critère objectif, à savoir le fait que le versement est ou non réparti dans le temps. B.8. La différence de traitement en cause est également pertinente par rapport aux objectifs indiqués en B.6.2 à B.6.4, étant donné que le bénéficiaire d un versement en capital perçoit immédiatement l intégralité de sa pension complémentaire. Si le bénéficiaire d un versement sous la forme d un capital était imposé au taux progressif, il se retrouverait en

9 pratique, après globalisation avec ses autres revenus, dans une tranche de revenus plus élevée et serait imposé à un taux plus élevé. B.9.1. Le fait que par la loi du 13 mars 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci, le législateur a voulu rendre plus attrayants les versements sous la forme d une rente en les soumettant à un régime fiscal plus avantageux (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1340/001, p. 55) n a pas nécessairement pour conséquence que le législateur ne pouvait pas maintenir l imposition distincte au taux de 16,5 % qui s applique aux versements en capital. B.9.2. Si les versements sous la forme d une rente étaient eux aussi soumis au taux distinct de 16,5 %, cela créerait d ailleurs une différence de traitement entre les pensions complémentaires versées sous la forme de rentes et les pensions légales, qui sont elles aussi versées sous la forme de rentes et qui sont imposées, après globalisation, au taux progressif. B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

10 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L article 171 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l audience publique du 19 décembre 2013. Le greffier, Le président, F. Meersschaut M. Bossuyt