«Temps Forts» Cécile Le Corroller, Marcel Caballero, Jordane Legleye et Ceges



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Transcription:

«Temps Forts» Cécile Le Corroller, Marcel Caballero, Jordane Legleye et Ceges Revue internationale de l'économie sociale : Recma, n 317, 2010, p. 7-11. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1020874ar DOI: 10.7202/1020874ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 27 June 2016 03:42

Actualité TEMPS FORTS Les X es rencontres du Riuess A l invitation du Réseau interuniversitaire de l économie sociale et solidaire (Riuess ; voir «Actualité», Recma, n 315), quelque cent vingt participants, en majorité chercheurs et doctorants, étaient réunis les 3 et 4 juin 2010 à Luxembourg pour réfléchir et contribuer à l élaboration d un «corpus théorique de l économie sociale et solidaire pour un autre modèle de société». Programme ambitieux, d autant plus que la diversité des approches de l ESS, par les statuts juridiques, par le tiers secteur (secteur non lucratif, satisfaction des besoins non satisfaits par le marché), par l économie solidaire (réciprocité, dimension politique), fait que la définition même de l ESS pose question. Or il en va de l identité de ce secteur, qui doit être affirmée et visible pour pouvoir faire mouvement. Des pratiques opposables au capitalisme et à l individualisme Malgré les discussions parfois vives, malgré les doutes, qui sont somme toute salutaires puisqu ils font avancer, un consensus de base a été clair : l ESS se définit par des pratiques sociales et économiques distinctes ou opposables au capitalisme et à l individualisme ; elle prône les pratiques collectives qui replacent l homme au cœur de l activité économique. Ces X es rencontres du Riuess ont donc participé à la réflexion sur les caractéristiques des théories dont l ESS a besoin, l exposé de méthodes de construction scientifique pour qu elle puisse s affirmer comme véritable modèle. L ESS ne peut s appréhender fondamentalement que par des démarches partant du micro pour aller vers le macro, des pratiques vers le projet de société. Elle a été discutée comme un champ de pratiques en quête de nouvelles références théoriques. Clairement pluridisciplinaire, l élaboration du corpus théorique de l ESS suppose d aborder toutes les questions sur lesquelles les chercheurs en sciences humaines et sociales se penchent quotidiennement : des rapports sociaux à la solidarité, des modes de production à la qualité des échanges commerciaux, de la gouvernance territoriale à la régulation des marchés mondiaux, de la participation citoyenne à la démocratie Des autorités revisitées L intérêt de revisiter les grands auteurs a été à nouveau révélé lors de ces rencontres. Les travaux sur les écrits de C. Fourier, R. Owen, P. Leroux, J.-B. A. Godin, A. Comte, C. Gide, L. Walras, P.-J. Proudhon, G. Fauquet et même A. Smith, pour n en citer que quelques-uns, ont offert, à partir de cas emblématiques, des analyses permettant de comprendre pourquoi le modèle capitaliste s est imposé, pourquoi des pratiques collectives existant à certaines époques ont pu disparaître, quelles sont les grandes étapes qui ont conduit aux situations actuelles Un passage obligé pour remettre en cause les mythes de l économie capitaliste et structurer une pensée théorique contemporaine de l ESS. Le contexte actuel, marqué notamment par l utilisation de plus en plus fréquente de vocables tels que l entrepreneuriat social (social business), l entrepreneur social, l entreprise sociale, a suscité des interrogations quant aux pratiques associées et à la motivation réelle des acteurs. Derrière les mots, des écoles de pensée s affirment qui mêlent et hiérarchisent des objectifs sociaux et des objectifs de profit. Le positionnement de l ESS dans ce paysage lui confère un rôle cardinal en matière de recherches théoriques sur les déterminants des actes économiques, les modes de réflexivité et la gouvernance de groupes sociaux. n 317 recma revue internationale de l économie sociale 7

Temps forts Elaborer un corpus à partir du vivant L apport de théories économiques hétérodoxes a été étudié. En particulier, l économie des conventions pourrait offrir un référentiel d analyse pertinent en permettant notamment le passage entre les dimensions micro et macro. L éventuelle pertinence de ces approches provient aussi du fait qu elles remettent en cause l Homo œconomicus et sa rationalité unique pour envisager une pluralité des raisons économiques. Tout un pan de recherches nouvelles est potentiellement ouvert, à condition toutefois de réussir à se positionner par rapport à des méthodes d observation et de participation avec le terrain. Le corpus théorique de l ESS ne peut être élaboré qu à partir du «vivant». Cette assertion largement partagée a été illustrée par de nombreux exposés. L étude de cas est un outil méthodologique utilisé depuis longtemps par les chercheurs de l ESS, du fait qu il est en adéquation avec les pratiques d expérimentation sociale des acteurs. Des expériences internationales de monnaies sociales, de circuits courts, d éducation populaire ont été présentées, dont il ressort de nouvelles logiques d acteurs, de nouveaux types de réseaux, de nouvelles pratiques qui en tant qu objets de recherche sont susceptibles d ouvrir à de nouveaux paradigmes. Véritable vivier d idées nouvelles, l ESS mobilise les chercheurs qui, lors de ces rencontres, auraient peut-être gagné à s émanciper un peu de l académisme universitaire pour mieux travailler avec les quelques acteurs présents. Cécile Le Corroller, université de Caen, Acte 1 Ciriec : d un congrès à l autre, l espoir déçu Organisés tous les deux ans, les congrès internationaux du Ciriec constituent un temps fort de réflexion et de proposition sur les enjeux auxquels doivent répondre l économie publique et l économie sociale. C est dire que les débats sont fortement influencés par le contexte et les politiques économiques du moment. L avant-dernier congrès s était tenu à Séville, quelques jours après le 15 septembre 2008 (voir «Actualité», Recma, n 310). Le dernier s est déroulé à Berlin du 16 au 19 mai 2010, sur fond de crise grecque et de menaces sur l ensemble des économies européennes. La tempête d il y a deux ans avait paradoxalement fait naître un espoir : la leçon serait comprise et l économie deviendrait enfin vertueuse. Le prix Nobel d économie Joseph Stiglitz n annonçait-il pas lui-même, à l ouverture du congrès, l avène ment d «une économie plus équilibrée, parce que plurielle, avec un secteur privé traditionnel, un secteur public efficace et une économie sociale en progression»? Plus encore, il exprimait la conviction que le 15 septembre 2008 (faillite de Lehman Brothers, NDLR) avait «sonné la fin du fondamentalisme de marché comme la chute du mur de Berlin celle du communisme». Nous n avons pas tardé à comprendre que cet espoir serait déçu. Nous écrivions nous-même, quelques mois plus tard : «Grande fut la déception lorsque, sitôt un semblant de calme revenu, la folle course au profit immédiat, le détricotage des acquis sociaux, la dérégulation à tout va ont repris comme avant.» Cette déception a marqué les débats de Berlin. S exprimant au nom du Ciriec France, Alain Arnaud résumait le sentiment général : «Sait-on tirer les bons enseignements de cette très grave crise et de ses conséquences économiques et sociales? Nous savons aujourd hui que ce n est pas le cas.» Le président d honneur, Jacques Fournier, ajoutait : «Beaucoup d entre nous avaient pensé que la crise allait conduire à réhabiliter l action publique et à lui permettre de prendre un nouveau départ. Ce n est pas ce qui est arrivé jusqu à présent (1).» Le congrès a constaté non seulement que la leçon n avait pas été comprise, mais que les attaques spéculatives contre la Grèce et d autres pays méditerranéens, la mise en œuvre par les gouvernements de sévères restrictions des dépenses qui (1) Les interventions sont en ligne sur www.ciriec-france.org. 8 recma revue internationale de l économie sociale n 317

Actualité fondamentalement affectent les services publics et les prestations sociales, etc., montrent que la course à l abîme a repris de plus belle. Un motif de satisfaction toutefois : la meilleure capacité de résistance des entreprises de l économie sociale, leur rôle dans la limitation des pertes d emploi et l exemplarité de leurs pratiques dans des secteurs aussi affectés que la finance, où les banques coopératives se sont caractérisées jusqu ici par leur solvabilité et leur sens des responsabilités. Face à cette crise dont les dramatiques conséquences sociales n en sont qu à leur début, quelque 500 participants de 36 pays et 40 intervenants ont témoigné de la vitalité du Ciriec et de sa volonté de continuer à promouvoir, plus que jamais, par la recherche et l information, la nécessaire défense de l économie d intérêt général. Marcel Caballero, vice président du Ciriec France Rapport Vercamer pour le «développement de l ESS» Le député du Nord Francis Vercamer (voir «Actualité», Recma, n 314) a rendu son rapport à M. Daubresse, ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, le 28 avril 2010. Après cinquante auditions (dont la Recma), quatre groupes de travail ayant siégé plusieurs semaines, les 176 pages du rapport (2) dressent trois grands constats et détaillent cinquante propositions pour améliorer la visibilité du secteur et promouvoir des politiques publiques d aide et d accompagnement. Des constats et des propositions partagées Notons seulement ici que la première partie du rapport reprend à peu près l estimation du poids de l ESS en France proposée par Ph. Kaminski dans le cadre des travaux de l Addes (voir Recma, n 312), soit 7 % du PIB, et relaie notamment (2) Consultable sur www.recma.org/node/1040. la demande du Groupement national de la coopération d élargir le périmètre coopératif aux filiales et entreprises associées (voir «Actualité», Recma, n 312). En confirmant le dynamisme des structures de l ESS en cette période de crise, le rapport dresse un état succinct de la situation européenne, avant d insister, troisième constat, sur la diversité et le manque de visibilité du secteur, qui pour «nombre de ses acteurs» pourrait constituer «un modèle alternatif [... et] une référence pour le nouveau modèle de développement à concevoir» (p. 31). Les cinquante mesures formulées par la mission parlementaire ont été proposées par ses principaux interlocuteurs (Le Labo de l ESS, le CJDES, le CNCress, le GNC et ses composantes, le Mouves, la CPCA, l Usgeres, France active, Médéric ). Pour l essentiel, il s agit donc de revendications partagées depuis longtemps : obtenir de l Insee un programme d études statistiques propre au secteur, développer les réseaux territoriaux, diffuser plus largement les pratiques d autoévaluation de l utilité sociale, promouvoir l enseignement et la formation initiale en ESS, renforcer les instances de concertation nationales et européennes, r enforcer les fonds propres des structures et leur faciliter l accès au crédit (éligibilité au dispositif Oséo, extension du crédit d impôt recherche en matière d innovation sociale ), etc. Vers un label unique? La plus emblématique des propositions, mais aussi certainement la plus délicate à mettre en œuvre (voir «Actualité», Recma, n 316) consiste à «engager une démarche de création de labels qui dépasse la seule approche statutaire pour mieux reconnaître l appartenance à l ESS» (p. 39). Il s agirait «de faire le tri entre le bon grain et l ivraie, d éviter l abus du recours à l appellation économie sociale et solidaire en distinguant la nature de l entité (statut, gouvernance) et son objet (finalité et/ou utilité sociales)». Devant la levée de boucliers suscitée par l idée d un label unique «entreprise sociale», la mission parlementaire évoquait donc prudemment n 317 recma revue internationale de l économie sociale 9

Temps forts une logique de labellisation au pluriel, l une sanctionnant les statuts des entreprises, l autre la finalité sociale. L objectif à terme restant toutefois de ne fermer «nullement la porte au développement de synergies avec les entreprises de capitaux [... et] de parvenir à regrouper les structures de l ESS et celles se référant à ses valeurs et à ses pratiques sous le vocable [ ] d utilité et de finalité sociales», c est logiquement que le 14 juin Marc-Philippe Daubresse s est déclaré favorable à la création d un label «entreprise sociale». En attendant que tout le monde se mette d accord sur ce point, d autres préconisations du rapport connaissent un début de concrétisation, comme l aiguillage d un fonds ESS dans le cadre du Grand Emprunt ou le renforcement du maillage territorial d aide à l entrepreneuriat dans le secteur (voir «En bref» dans ce numéro). Jordane Legleye Le Ceges «pour une autre réforme des retraites» Le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l économie sociale (www.ceges. org) a pris connaissance des propositions du gouvernement pour la réforme des retraites et des réactions des syndicats de salariés et d employeurs. S appuyant sur les travaux d analyse et les propositions de l Union mutualiste retraite (UMR) (3), l assemblée générale du Ceges a décidé de proposer les pistes de réflexion sur les retraites portées par ceux qui ont choisi d entreprendre autrement, en se fondant sur un projet collectif, un autre partage des richesses et une gouvernance démocratique. Réunissant les organisations représentant 2,3 millions de salariés et 200 000 employeurs de l économie sociale, «le Ceges dénonce l injustice à l égard des jeunes générations des propositions actuellement en débat, ainsi que le caractère (3) L UMR gère deux régimes de retraite supplémentaire, soit 7,4 milliards d euros d actifs gérés. inéquitable et opaque des systèmes actuels de retraite entraînant une insécurité pour les bénéficiaires», déclare Gérard Andreck, son président. Pour rétablir les équilibres financiers, les organisations de l économie sociale proposent à court terme un élargissement de l assiette des cotisations, une participation supérieure de l impôt au financement de la solidarité avec les catégories défavorisées et l allongement de la durée de cotisation pour tous. Refusant de se limiter à des mesures d urgence, le Ceges invite à une meilleure prise en compte des enjeux démographiques et économiques à long terme et propose de réfléchir à une refondation profonde du système des retraites pour assurer, à l horizon 2025, le maintien des acquis positifs du système actuel tout en préservant la situation des générations à venir. Les pistes de réflexion proposées par le Ceges pour la réforme des retraites se fondent sur les principes suivants : une concertation associant toutes les parties prenantes, pour assurer une décision consensuelle et un engagement responsable à long terme ; l universalité, pour assurer la couverture de l ensemble de la population ; la solidarité, avec le maintien d un système par répartition préservant les droits familiaux et prenant en compte les moins favorisés ; l équité fondée sur la proportionnalité entre pensions perçues et cotisations versées quel que soit le sexe, le statut, l activité ou la génération ; la liberté de choix fondée sur la transparence du système et la possibilité de concilier activité et cessation d activité. S appuyant sur la proposition de l UMR, le Ceges propose comme piste de réflexion la mise en place d un régime universel par points, avec le maintien du principe de répartition et de l âge légal de 60 ans pour la cessation d activité : le financement des retraites est assuré, dans le cadre d un régime de base universel et unique, par des cotisations assises sur la totalité des revenus professionnels et converties en points ; le nombre de points acquis chaque année est 10 recma revue internationale de l économie sociale n 317

Actualité égal au montant des cotisations versées divisé par le prix d achat du point de retraite ; le montant de la pension est égal au produit du nombre de points acquis tout au long de la vie professionnelle par la valeur du point à la date de la liquidation. Le rétablissement de l équilibre financier du régime se fait de manière simple et transparente, en agissant sur l augmentation du prix d achat du point. Lors de la mise en place du nouveau système, la valeur d acquisition du point est établie, pour garantir aux retraités un revenu de remplacement équivalent. Les modalités envisagées pour le fonctionnement de ce système de retraite par points sont les suivantes : l assiette des cotisations est élargie à la totalité des revenus du travail (salaires, primes, intéressement, participation, stock-options, retraite chapeau ) ; la conversion en points doit être effectuée de manière à assurer aux futurs retraités un niveau de pension équivalent à celui des retraites d aujourd hui ; l impôt contribue au financement de la solidarité nationale : minimum vieillesse, compensation des périodes non cotisées (chômage, maladie, maternité), droits familiaux, mesures compensatoires au profit des femmes, prise en compte de la pénibilité de certains emplois. Le financement est assuré par un élargissement de l assiette de l impôt aux revenus du capital ainsi qu aux retraites elles-mêmes (de manière limitée) ; Ce régime unique et universel ferait l objet d une gestion paritaire par les partenaires sociaux pour en garantir l impartialité. Il pourrait être complété par des dispositifs de retraite supplémentaires volontaires, collectifs et individuels. «Ayant choisi d entreprendre autrement, les acteurs de l économie sociale réunis au sein du Ceges proposent aujourd hui au gouvernement et aux partenaires sociaux d envisager une autre manière de relier l économique et le social, en engageant la réflexion sur une réforme du système des retraites vers un système universel par points fondé sur la répartition», indique Guillaume Légaut, délégué général du Ceges. Communiqué du Ceges du 29 juin 2010 n 317 recma revue internationale de l économie sociale 11