CEM: les comptes d épargne médicale 1. Situation Le financement du système suisse de santé est à l évidence en passe de devenir un des sujets les plus discutés au cours du siècle. Comme dans la plupart des pays industrialisés, les coûts de la santé ont augmenté en Suisse plus que proportionnellement par rapport au produit intérieur brut. Cette hausse des coûts et les problèmes de financement qui lui sont liés se reflètent dans les fortes hausses des primes des assurances-maladie. Des réformes visant à réaliser des économies sont souhaitées par divers milieux. Ces réformes peuvent être appliquées aussi bien du côté des consommateurs (secteur de la demande) que du côté des fournisseurs de prestations (secteur de l offre) et du catalogue des prestations. Moins d aléa moral, plus de responsabilité Secteur de la demande personnelle ; davantage de prévention. Baisse du prix des prestations et des médicaments ; amélioration de la qualité. Secteur de l offre Catalogue des Catalogue de prestations fixé selon la LAMal. prestations Tableau 1: Voies de réforme dans le système de santé. Alors qu au cours des dernières années les propositions de réforme avaient pour cibles principales les secteurs de l offre et du catalogue des prestations, le présent article est centré d abord sur une réforme qui vise le secteur de la demande. 1
2. Proposition de réforme touchant la demande Les propositions de réforme visant la demande tendent à renforcer la responsabilité personnelle, l initiative personnelle et l autosuffisance des patients. Les démarches proposées devraient les amener à un comportement plus conscient des coûts et, par conséquent, provoquer une baisse de la demande de biens et services liés à la santé. Pour que la responsabilité personnelle des patients puisse être élargie, il faut d abord résoudre le problème de l aléa moral. Ce dernier est, en large part, la conséquence d une disparité dans l information (asymétrie de l information) de la personne assurée et de l assurance. Les trois situations suivantes peuvent se présenter : 1. La personne assurée peut influencer la probabilité de dommages. Par le fait même de la conclusion d un contrat d assurance, elle se comporte alors de manière moins responsable, prend davantage de risques et se trouve moins disposée à prévenir les maladies et la consommation de prestations sanitaires. 2. La personne assurée peut influencer la survenue d un dommage, par exemple en adoptant consciemment un comportement générateur de maladie ou en induisant en erreur l assurance. 3. La personne peut influencer le montant des coûts engendrés. Poussée par l idée qu elle doit payer chaque mois des primes d assurance élevées, la personne veut profiter de l offre, ce qui l amène à la consommation de prestations inutiles. Le problème de l aléa moral consiste dans le fait que les biens relatifs à la santé sont surconsommés par les personnes assurées parce que les coûts de ces biens sont presque complètement pris en charge par une assurance-maladie. Les conséquences de cette attitude sont des coûts de santé plus élevés et, par conséquent, des primes d assurancemaladie en hausse ; en règle générale, en effet, lors de la conclusion d un contrat d assurance, les personnes concernées n ont pas réellement de raison de réfléchir plus avant à la relation entre coûts et utilité des prestations. 2
3. Les CEM Comptes d épargne médicale Les comptes d épargne médicale (CEM) répondent à un nouveau concept pour le financement des coûts de la santé qui vise le secteur de la demande et tente de trouver une solution au problème de l aléa moral. C est à Singapour que ce système particulier a été développé puis introduit en 1984. Depuis son introduction, les coûts de santé ont pu être maintenus à un très bas niveau. Vu le succès obtenu dans cette ville, d autres pays comme la Chine, l Afrique du Sud et les Etats-Unis ont suivi avec des systèmes semblables ou mènent des projets pilotes. 3.1 Caractéristiques Le système du compte d épargne médicale est un cas particulier de l auto-assurance. Il est relié à celui d une assurance en cas de catastrophe et il représente une solution de remplacement aux formes actuelles de l assurance-maladie. La responsabilité personnelle et l autoassistance des patients devraient être renforcées par le biais d une augmentation de la participation aux frais, augmentation couplée à un mécanisme d épargne. Les exigences posées par le système devraient inciter les individus à épargner de l argent pour les cas de maladie. Le montant de la protection par l assurance-maladie elle-même serait limité aux situations de catastrophe ; pour les petits risques, ce serait donc le principe de l auto-assurance qui prévaudrait. On qualifie le compte d épargne médicale d auto-assurance : en effet, le montant des frais entraînés en cas de maladie est préalablement épargné par l individu lui-même. La forme de l auto-assurance peut être plus ou moins accentuée. Une faible participation aux coûts peut déjà être considérée comme une sorte d auto-assurance par le fait même que certains petits risques et cas-bagatelle ne sont plus pris en charge par l assurance-maladie. Plus le montant de la participation aux coûts est élevé, plus larges sont donc les risques exclus par l assurance-maladie. En effet, la participation aux coûts fait que l assuré, malgré une couverture par son assurance-maladie, doit assumer lui-même les coûts de ses traitements jusqu à concurrence d un certain montant. 3
3.2 Mode de fonctionnement Le système de compte d épargne médicale demande à l individu, selon la hauteur choisie de la participation au coûts, de verser sur un compte spécial la franchise annuelle plus élevée qui autorise une réduction des primes. Ce compte, comme tout autre compte d épargne, reste l entière propriété du particulier. En cas de coûts de maladie, ce dernier peut alors aller puiser par lui-même dans le compte en question. Le compte d épargne médicale peut être ouvert auprès d une banque, d une société d assurance ou d une autre institution financière. Le titulaire du compte doit lui-même prendre en charge les coûts de nombreuses petites prestations médicales, jusqu à concurrence du montant de la participation aux coûts. L assurance-maladie, elle, n intervient plus désormais que pour les dépenses importantes et réduit par là même les risques en cas de maladie chronique ou d accident grave. Les montants restés inutilisés sont propriétés du titulaire du compte et s accumulent au fil des années sans être obérés par une charge fiscale ; ils restent disponibles pour le titulaire, le plus souvent après sa retraite. Le graphique 1 montre que jusqu à l âge de 51 ans, les coûts moyens engendrés par un assuré sont situés en dessous de la participation aux frais de 2500 francs. En d autres termes, un assureur est mis à contribution dès que les coûts dépassent le montant de la participation - ce qui est généralement le cas lorsque l âge dépasse 51 ans. En règle générale, le montant de la participation dans le cadre d un CEM est d environ 2500 francs. 4
SFr CEM: un exemple 35'000 30'000 Coûts/ Assuré 25'000 CEM avec participation de 2500 fr. 20'000 15'000 10'000 5'000 0 0-5 6-10 11-15 16-18 19-20 21-25 26-30 31-35 36-40 41-45 46-50 51-55 56-60 61-65 66-70 71-75 76-80 81-85 86-90 91-95 96-100 101- Àge 105 106-110 Graphique 1: CEM, un exemple 3.3 Avantages et inconvénients du CEM Le système décrit ci-dessus incite le particulier à faire des économies. Il ne consomme plus, dès lors, que les prestations dont il a vraiment besoin pour obtenir une guérison et il vise un but, à savoir disposer sur son compte du montant le plus élevé possible. En ce sens, le système du compte d épargne médicale, outre son attrait du point de vue fiscal pour la personne assurée, a un effet de modération des coûts pour tout le système de santé. Le sérieux inconvénient d une forte participation aux coûts est représenté par un risque : celui que le patient ne puisse pas réunir l argent qui lui est nécessaire si une maladie arrive soudainement et entraîne des coûts élevés et qui n étaient pas prévisibles. De manière générale, l assuré n est pas incité à mettre de côté de l argent en vue payer les coûts de ses maladies. La tentation d utiliser cet argent dans d autres buts est forte. Le CEM renforce alors son attrait en offrant des conditions favorables du point de vue fiscal. Par ailleurs, une forte participation aux coûts doit aller de pair avec une obligation à l auto-assistance par le 5
fait que l Etat doit déclarer le CEM obligatoire pour tous les assurés, comme c est le cas à Singapour. Pour limiter le risque couru par l individu de devoir faire face à des coûts de santé très élevés, un système de CEM devrait être mis sur pied en combinaison avec une assurance-maladie. L assurance-maladie devient alors une manière d assurance en cas de catastrophe et c est elle qui paie les dépenses à partir d une certain montant, montant représenté par la participation aux coûts. Une auto-assurance dans l esprit du CEM signifie également un changement dans le système de financement ; on passe alors d un système de répartition à un système de formation de capital de couverture. La solidarité entre jeunes et vieux et entre riches et pauvres est dès lors supprimée. D un autre côté, toutefois, il n y a plus que les personnes qui occasionnent des frais qui assument les frais en question. Le tableau qui suit résume les avantages et les inconvénients du système du CEM : Partisans Réduction des primes pour les assurés. La prise de conscience des coûts réduit le problème de l irresponsabilité des patients à l égard de ces mêmes coûts. Les patients économes sont récompensés de leur comportement par le fait qu ils accumulent des excédents sur leur compte d épargne. Les patients plus conscients des coûts et mieux informés exercent une plus forte pression de concurrence parmi les fournisseurs de prestation, ce qui conduit à une qualité plus élevée et des coûts plus bas Les frais administratifs au sein des assurances-maladie diminuent puisque seuls les cas de catastrophe doivent être traités. Adversaires L Etat encaisse moins d impôts en raison des allégements fiscaux dont bénéficient les comptes d épargne médicale Les CEM ne profitent qu aux personnes nanties et en bonne santé, et cela au détriment de toutes les autres. La solidarité ne joue plus. L incitation aux économies réduit le nombre ou repousse les examens indispensables (par exemple, les examens à caractère préventif). La probabilité de survenue de maladies graves en est augmentée, entraînant une hausse des dépenses de santé. Les patients ne sont pas réellement en mesure de bien juger des prestations de santé. Le danger existe de voir la pression concurrentielle favoriser les coûts réduits au détriment de la qualité. Les coûts administratifs ne baissent pas. De nouvelles réglementation et prescriptions relatives aux comptes d épargne sont nécessaires. La protection contre les risques élevés est fournie par l assurance en cas de catastrophe. Les comptes d épargne médicale retirent les bons risques au pool des assurances Tableau 2: Arguments des partisans et adversaires du compte d épargne médicale. 6
4. Possibilités d application en Suisse L idée des comptes d épargne médicale n est pas complètement neuve en Suisse. Les objectifs poursuivis par l auto-assurance se retrouvent chez nous sous la forme des franchises à options. Selon l OAMal (modification du 1.1. 2004) l assuré peut, en Suisse, choisir une franchise entre 300 et 1500 francs et par là même choisir le montant de sa participation aux coûts. Il n y a toutefois pas de CEM au sens propre en Suisse. Les assureurs paient de leur poche et sont responsables de la disponibilité de l argent nécessaire à la rétribution des prestations fournies. Si l on devait prendre en considération l introduction en Suisse des CEM, il serait opportun de coupler la franchise à option à l épargne (à partir d un certain montant de franchise les CEM seraient ainsi obligatoires) et de prévoir des incitations supplémentaires à l épargne (compte épargne exempté de charges fiscales). La question de la disponibilité des avoirs en solde sur un compte épargne doit également trouver une réponse. Il existe diverses possibilités et il s agit de prendre garde au maintien de l attrait des CEM. Une de ces possibilités consiste dans le versement des excédents (fiscalement sans charge) après l entrée en retraite, de telle manière qu un CEM devienne une sorte de prévoyance vieillesse. Une autre possibilité serait le report de l excédent comme valeur de crédit lors du paiement de la franchise annuelle suivante. 5. Conclusions Dans son principe, le concept de CEM doit être considéré comme positif, tout particulièrement en ce qui concerne le renforcement de la responsabilité personnelle par le biais d une plus large participation aux coûts. Le relèvement de la participation aux coûts peut être considéré sans réserve comme un instrument efficace de réduction des coûts. Il ne s agit toutefois pas ici d un instrument à même de résoudre tous les problèmes du système de santé suisse. Les économies possibles par le biais des comptes d épargne médicale ne doivent pas être surestimés. De puissants facteurs de coûts comme le progrès techniques, les prestations surpayées, des médicaments à prix élevés et les coûts d hospitalisation se trouvent du coté de l offre, c està-dire des fournisseurs de prestations, et ils ne peuvent que partiellement être influencés par des CEM. 7
Le concept de compte d épargne médicale peut néanmoins être considéré comme une mesure supplémentaire appropriée au sein d un groupe de mesures présentant des propositions de réforme touchant aux versants de l offre et de la fourniture des prestations. 8