Le retour au travail après un cancer du sein : un second combat pour les femmes? (2007)



Documents pareils
Évaluation et recommandations

Module 1. Formation à la structure Mutuelle et aux outils d'accès aux soins de santé

BELGIQUE. 1. Principes généraux.

Quelle est l influence d une réduction des prestations d 1/5, via le crédit-temps et l interruption de carrière, sur le revenu du ménage?

LES ACCIDENTS DE TRAJET

AVIS N 68 DU BUREAU DU CONSEIL DE L EGALITE DES CHANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES DU 14 FEVRIER 2003, RELATIF AU TRAVAIL AUTORISÉ POUR LES PENSIONNÉS :

GERANCE MINORITAIRE OU MAJORITAIRE : QUEL EST LE MEILLEUR STATUT?

La protection sociale en France

UNE INTERVENTION CHIRURGICALE AU NIVEAU DU SEIN

Focus. Lien entre rémunération du travail et allocation de chômage

Préoccupations en matière de retour au travail chez les personnes confrontées à un cancer et les personnes qui leur prodiguent des soins

Les sept piliers de la sécurité sociale

L écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique

À retenir Ce qu en disent les acteurs communautaires

Inégalités sociales de santé et accès aux soins. Inégalités sociales de santé et protection sociale Psychomot 1 UPMC/VHF

Qui fait quoi sur internet?

Une famille, deux pensions

Assurance Arrêt de Travail

inaptitude quelles sont les obligations?

Migration: un plus pour la Suisse Relations entre État social et migration: la position de Caritas

Belgique : Gros plan sur les maladies professionnelles et les accidents du travail

C R É D I T A G R I C O L E A S S U R A N C E S. Des attitudes des Européens face aux risques

Le référentiel RIFVEH La sécurité des personnes ayant des incapacités : un enjeu de concertation. Septembre 2008

Insuffisance cardiaque

Guide à l intention des familles AU COEUR. du trouble de personnalité limite

Réformes socio-économiques

Tableau de bord des communautés de l Estrie DEUXIÈME ÉDITION INDICATEURS DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIOÉCONOMIQUES

Les durées d emprunts s allongent pour les plus jeunes

1er thème: comment les revenus et les prix influencent-ils les choix des consommateurs?

L assurance soins de santé en Belgique : une introduction. Thomas Rousseau 12 juin 2014

4. L assurance maladie

Contrat d adaptation professionnelle INFORMATIONS A L USAGE DE L ENTREPRISE FORMATRICE ET DE SON SECRETARIAT SOCIAL

LE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL AU QUÉBEC

Se libérer de la drogue

Les allocataires des minima sociaux: CMU, état de santé et recours aux soins

Des fins de carrière progressives : une réponse au vieillissement en emploi?

La réforme des pensions expliquée

COMMENTAIRE. Services économiques TD

La Régie des rentes du Québec

Assurance maladie grave

REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE ET PREVOYANCE : CONDITIONS D EXONERATION DE COTISATIONS

Participation des employeurs publics au financement de la protection sociale complémentaire. L analyse de la MNT sur le projet de décret

REGARDS SUR L ÉDUCATION 2013 : POINTS SAILLANTS POUR LE CANADA

2 La chaîne de survie canadienne : espoir des patients cardiaques

Qu est-ce que la maladie de Huntington?

Rencontres de février 2013 CCT 103 Le crédit temps

POLITIQUE D ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Compte rendu du séminaire sur les RPS qui a eu lieu mardi 4 février à la MMSH

CONGÉS ET AMÉNAGEMENTS DU TEMPS DE TRAVAIL LORS DE LA NAISSANCE D UN ENFANT juin 2011

LUTTER POUR UNE MEILLEURE SANTÉ : QUE PEUT-ON FAIRE DANS NOTRE QUARTIER?

Le dépistage du cancer de la prostate. une décision qui VOUS appartient!

Fiche pratique REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE ET PREVOYANCE : CONDITIONS D EXONERATION DE COTISATIONS

Consultations prébudgétaires

Le système de protection sociale en santé en RDC

OSGOODE HALL LAW SCHOOL Université York MÉMOIRE PRIVILÉGIÉ ET CONFIDENTIEL

www Sécurité sociale en Suisse: > Thèmes > Aperçu > Données de base

Sondage sur le phénomène de la cyberintimidation en milieu scolaire. Rapport présenté à la

Résumé de la réforme des pensions février 2012

Les étudiants dans le rouge : l impact de l endettement étudiant

Plan et résumé de l intervention de Jean-Philippe Dunand

MÉMOIRE RELATIF À L ÉVALUATION DU RÉGIME GÉNÉRAL D ASSURANCE MÉDICAMENTS PRÉSENTÉ PAR LA FÉDÉRATION DES MÉDECINS SPÉCIALISTES DU QUÉBEC

Qu est-ce qu un sarcome?

Si vous tombez malade peu après une autre période de maladie, s il s agit d une rechute ou d une nouvelle maladie.

PIERRE MARTELL PRéSIDENT MARTELL HOME BUILDERS

La Loi sur l aide aux personnes et aux familles

Le parcours professionnel des chômeurs de longue durée en Suisse

Article. Bien-être économique. par Cara Williams. Décembre 2010

Définition, finalités et organisation

Enquête 2014 de Manuvie / Ipsos Reid sur la prospérité et la santé

NOTORIETE DE L ECONOMIE SOCIALE SOLIDAIRE ET ATTENTES DE LA JEUNESSE

Les femmes restent plus souvent au foyer, travaillent davantage à temps partiel, gagnent moins et sont plus exposées à la pauvreté

La solution santé et prévoyance modulable de Generali.

Plateforme électorale Ecolo Elections fédérales du 13 juin Axe Emploi et Solidarité. PME - Indépendants

L aide aux aidants. Psychologue clinicienne. Capacité de gériatrie mars 2009

MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ. Assurance maladie, maternité, décès. Direction de la sécurité sociale

Le dispositif de la maladie imputable au service

Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être

A - Nomenclature des préjudices de la victime directe

INDEMNISATION DES SÉQUELLES EN DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

VIVRE ET TRAVAILLER EN SUISSE

Document d information n o 1 sur les pensions

Les Cahiers du DESS MRH

Assurance-accidents et chômage de A à Z

Baromètre : Le bien être psychologique au travail

LES MODES D ADAPTATION ET DE COMPENSATION DU HANDICAP : Les personnes handicapées motrices à domicile (enquête HID 1999)

Quel est le régime d assurance maladie applicable à l artiste de spectacle vivant, mobile dans la Grande Région?

MÉMOIRE CONSEIL QUÉBÉCOIS DU COMMERCE DE DÉTAIL SUR LE DOCUMENT DE CONSULTATION VERS UN RÉGIME DE RENTES DU QUÉBEC RENFORCÉ ET PLUS ÉQUITABLE

L allocataire dans un couple : l homme ou la femme?

N.-B. 18 à 34 24,3 28,1 20,1 24,4. 35 à 54 36,7 23,0 31,6 49,3 55 à 64 18,7 18,7 21,3 16,9 65 et plus 20,3 30,2 26,9 9,4

les télésoins à domicile

Fermeture? Faillite? Le Syndicat libéral est là pour vous aider. Le Syndicat libéral est là pour vous aider. fermeture de votre entreprise

Décision du Défenseur des droits MLD

HARCÈLEMENT CRIMINEL. Poursuivre quelqu un, ce n est pas l aimer!

Écoutez ce qui se dit sur l épargne-retraite au Canada

Enquête internationale 2013 sur le Travail Flexible

Parce que tout repose sur vous Reposez-vous sur nous pour votre couverture Prévoyance et Santé! Conjugo TNS : offre Prévoyance/Santé

Comment va la vie en France?

Conférence mondiale sur les déterminants sociaux de la santé. Déclaration politique de Rio sur les déterminants sociaux de la santé

PARTIE I - Données de cadrage. Sous-indicateur n 9-1 : Nombre de consultations de médecins par habitant, perspective internationale

Les responsabilités à l hôpital

Transcription:

Le retour au travail après un cancer du sein : un second combat pour les femmes? (2007)

Merci aux Docteurs Valérie Fabri et Dominique Feron, de la direction médicale de l Union Nationale des Mutualités Socialistes, à Catherine Spièce du service promotion santé de l UNMS, pour leurs précieux conseils et leurs relectures attentives. Marie Van den broeck Service Etudes du Secrétariat Général 02/515.04.06 marie.vandenbroeck@mutsoc.be Editeur responsable : Dominique Plasman 2

Table des matières 1. Introduction... 4 2. Les facteurs influençant le retour au travail après un cancer du sein... 8 2.1. Les conséquences physiques et psychologiques d un cancer du sein 8 a) Les séquelles liées à la chirurgie du sein... 9 b) Les effets dus aux traitements post-opératoires...11 c) L influence du stade évolutif de la maladie...12 d) L anxiété et la dépression...13 e) Remarque...14 2.2. La discrimination au travail...16 2.3. La couverture sociale...19 a) L accès à une assurance soins de santé...19 L assurance médicale aux Etats-Unis en 1991...20 b) Le niveau des revenus de remplacement...22 c) Conclusions...23 2.4. Les facteurs individuels...25 a) L âge...25 b) L état civil et la situation familiale...26 c) La profession ou le niveau d éducation...26 d) La nationalité...28 3. Quelques pistes d action...30 3.1. Améliorer l accès au programme de dépistage...30 3.2. Faut-il étendre le dépistage aux plus jeunes femmes?...31 3.3. Sensibiliser les médecins aux problèmes psychologiques...32 3.4. Permettre la reprise progressive de l activité professionnelle...33 3.5. Encourager le sentiment d empathie des employeurs et des collègues 34 3.6. Fournir de l aide domestique...34 4. Conclusions...36 5. Bibliographie...37 Editeur responsable : Dominique Plasman 3

1. Introduction En tant que mouvement d émancipation des femmes et de promotion de la santé, la qualité de vie, l emploi et la santé des femmes constituent pour nous, Femmes Prévoyantes Socialistes, des préoccupations de première ligne. Par conséquent, la question de la réinsertion professionnelle après un cancer du sein nous interpelle. Nous pensons, en effet, que la réintégration professionnelle après une absence pour raison de santé, comme vecteur d appartenance à la vie en société, est une composante importante du processus de guérison. De notre point de vue, la problématique se pose donc tant en terme de santé publique qu en terme de qualité de vie et d égalité professionnelle. L aspect santé : le cancer du sein, un problème de santé publique au féminin Les chiffres du Registre national belge du cancer l indiquent clairement : le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. En 2001, cette maladie concerne 37% des nouveaux cas en cancérologie 1. Il risque de toucher une femme sur dix et est la cause de mortalité la plus fréquente parmi les femmes âgées de 35 à 55 ans dans l'union européenne (Jöns K., 2002). Les données du Registre montrent également une évolution croissante du taux d incidence, d année en année : on a recensé 7343 nouveaux cas en 1999, 7656 en 2000 et 8118 en 2001 (derniers chiffres nationaux disponibles actuellement). Cette tendance s observe dans tous les pays européens et les raisons de ce phénomène sont multifactorielles : citons principalement un meilleur enregistrement des données, le vieillissement accru de la population, un renforcement du dépistage (Ferlay J. et al., 2007) ou encore une plus grande connaissance des facteurs de risque. En Belgique, le système d enregistrement s est, en effet, largement amélioré au cours des dix dernières années et depuis 2001, un programme national de dépistage du cancer du sein a été mis en place, permettant à toutes les femmes de 50 à 69 ans de faire un mammotest, une mammographie de dépistage gratuite et de qualité, une fois tous les deux ans. Les chiffres cités ci-dessus démontrent l ampleur du phénomène et par conséquent, la nécessité de mobiliser l attention de tous les acteurs médicaux, sociaux et politiques sur les conséquences (physiques, psychologiques, financières, professionnelles, en terme de qualité de vie ) d une telle maladie. 1 Le site du Registre national belge du cancer : www.registreducancer.org Editeur responsable : Dominique Plasman 4

L aspect emploi : la reprise du travail après le cancer du sein, une question d égalité professionnelle Aujourd hui, un nombre croissant de femmes actives sont confrontées à la reprise de leur activité professionnelle après avoir vécu l expérience du cancer du sein, et cela pour différentes raisons : - les taux d incidence en fonction de l âge indiquent des chiffres élevés pour les femmes en âge d activité : en 2001, les femmes de moins de 65 ans représentent 73,614% des cas 2 ; - les efforts en matière de dépistage permettent de détecter plus précocement un cancer et les progrès réalisés au niveau des traitements ont augmenté l espérance de vie des patientes (Jöns K., 2002) ; - si les traitements contre le cancer du sein ont fortement progressé ces dernières années et s ils sont moins agressifs ou mutilants, ils restent malgré tout très lourds pour les patientes : les répercussions au niveau de la santé physique et psychologique leur imposent une période de convalescence plus ou moins longue ainsi que des adaptations de leur mode de vie habituel. Nous aborderons tout cela en détail par la suite. Face à ce phénomène, une série de questions liées à la reprise du travail se pose : Le retour au travail se déroule-t-il dans de bonnes conditions pour la femme concernée par le cancer du sein? La travailleuse observe-t-elle des changements importants dans son activité ou son entourage professionnel? Quels types de changements rencontre-t-elle? Ressent-elle des besoins particuliers d adaptation ou d aménagement dans sa fonction ou au niveau de son temps de travail? Pour les FPS, la problématique du retour au travail après un cancer du sein se place donc également sous l angle de l égalité professionnelle. Rappelons, qu à l heure actuelle, les femmes sont encore loin d avoir atteint l égalité dans le monde du travail. Les faits et chiffres généraux sont aussi sans équivoque : les femmes perçoivent toujours des salaires inférieurs d environ 15% pour une même fonction 3, elles travaillent davantage à temps partiel (42,6% des femmes contre 7,8% des hommes 4 ), elles sont souvent victime de harcèlement sur le lieu de travail et doivent faire face à la difficulté de combiner vie familiale et professionnelle à cause du déséquilibre persistant dans la répartition des tâches ménagères et dans les soins et 2 chiffres du Registre national du cancer : www.registreducancer.org 3 Niveau de vie - revenus et rémunérations, SPF Economie, Direction générale statistique et information économique, octobre 2004. 4 Enquête sur les forces de travail, SPF Economie, Direction générale statistique et information économique, 2005. Editeur responsable : Dominique Plasman 5

l éducation des enfants (les tâches domestiques sont accomplies en moyenne aux deux tiers par les femmes 5 ) Notons encore que toutes ces inégalités professionnelles ont de lourdes répercussions sur les droits sociaux! Au-delà de toutes ces inégalités «courantes», on peut supposer que les travailleuses souffrant d un problème de santé grave sont de plus confrontées aux préjugés de la part de collègues ou de l employeur concernant leur capacité à assumer à nouveau leurs fonctions. Certains employeurs craindront une possible rechute ou des absences répétées susceptibles de porter atteinte à la qualité de leur travail. Toutes ces appréhensions peuvent être à l origine de comportements discriminatoires et constituer, comme nous le verrons, un obstacle influant la reprise de l activité. Postulat Sur base de ces considérations, nous sommes amenées à penser qu une fois la maladie vaincue, la reprise du travail constitue un second combat à mener pour les femmes. Nous vous proposons, à travers une revue de la littérature, de comprendre la réalité et les difficultés des celles qui sont confrontées au cancer du sein et à un retour au travail. Structure et contenu A travers la littérature, nous avons pu distinguer différents facteurs qui influencent de façon positive ou négative la situation d emploi des femmes, une fois finis le traitement pour la maladie. Les principales études sur le sujet proviennent essentiellement des Etats-Unis et du Québec, aucune étude belge n ayant été réalisée jusqu alors. C est pourquoi nous tenterons à chaque fois de replacer les résultats de ces travaux dans le contexte spécifique belge. Nous commencerons notre analyse des facteurs par observer les effets du cancer du sein sur l état de santé de la travailleuse. Le traitement est complexe et lourd : il peut combiner la chirurgie avec la chimiothérapie, la radiothérapie et/ou l hormonothérapie. Dès lors, les conséquences physiques et psychologiques du traitement entraînent-elles des répercussions négatives sur la reprise travail? Si c est le cas, exercent-ils un effet de découragement sur l offre de travail des femmes? Observe-t-on des attitudes discriminantes des supérieurs ou de l employeur reflétant leurs craintes quant à la productivité des travailleuses malades (récidives, absence, fatigue, démotivation )? 5 Chiffre pour la Belgique. Sur une moyenne de 6h07 par jour, 2h15 sont accomplies par les hommes et 3h52 par les femmes. Glorieux et Vandeweyer, Centre de recherche tor-vub, et SPF Economie, Direction générale statistique et information économique. Editeur responsable : Dominique Plasman 6

Dans la troisième partie de notre analyse, nous considérerons les facteurs de reprise du travail, liés à la couverture sociale et à l organisation du régime de Sécurité Sociale. Ces éléments sont d une importance cruciale puisqu ils déterminent le niveau de remboursement des frais médicaux et hospitaliers ainsi que les indemnités d incapacité de travail. Le point suivant portera sur l influence de facteurs sociodémographiques (l âge, la nationalité, la situation familiale, le type de profession, les revenus, etc.) qui peuvent également modifier les comportements lors de la reprise du travail après un cancer du sein. Finalement, la dernière partie de ce travail mettra en débat des pistes d action susceptibles de faciliter la reprise de l activité professionnelle après un cancer du sein. Nous commencerons par aborder la question du dépistage et enfin, nous nous concentrerons sur le rôle que peuvent jouer les médecins (les médecins à l hôpital, le médecin traitant, le médecin conseil ) et le réseau associatif ainsi que sur l action des pouvoirs publics. Editeur responsable : Dominique Plasman 7

2. Les facteurs influençant le retour au travail après un cancer du sein Véritable cœur de notre travail, cette partie examine une série de facteurs et de phénomènes pouvant influencer la situation d emploi des femmes après un cancer du sein ainsi que les conditions de travail lors de la reprise de l activité. 2.1. Les conséquences physiques et psychologiques d un cancer du sein Deux études nous ont amenées à considérer l impact d un cancer du sein sur la santé physique et psychologique des patientes. - La première est une étude américaine sur l offre de travail après une maladie ou un accident grave. Celle-ci démontre l effet négatif de ces évènements sur la reprise de l activité professionnelle de la personne malade, surtout lorsque la maladie ou l accident engendre des pertes importantes de fonctionnement (Coile C., 2004) Ces détériorations des capacités fonctionnelles ont été définies sur base de l aptitude à effectuer une série de 17 activités quotidiennes (monter les escaliers, sortir de son lit, tendre une pièce de monnaie ) La recherche a permis d évaluer qu être victime d une maladie ou d un accident grave, induisant des pertes de fonctionnement importantes, augmente de 25,8% la probabilité de ne plus retravailler ; tandis qu un accident ou une maladie n impliquant aucune perte de mobilité fonctionnelle du corps augmente la probabilité d être inactif de seulement 8,8%. Dans cette étude, l effet d un cancer du sein sur la reprise du travail n a pas été évalué. A titre d exemple, les personnes ayant eu une crise cardiaque ont 23% de chance en moins que les autres d être professionnellement actifs, et cela, durant une période de deux ans. Les résultats de l étude américaine ont donc attiré notre attention sur un élément à prendre en compte afin d évaluer l impact d un cancer du sein sur la situation d emploi des femmes : celui de la présence d effets secondaires, responsables d une perte de mobilité chez les patientes. - La seconde étude qui nous a semblée pertinente, réalisée par Grimberg C. et al. (2004), est basée sur une enquête française menée auprès de 152 patients et portant sur la Editeur responsable : Dominique Plasman 8

qualité de vie après le cancer. La moitié (51%) des personnes ayant participé souffraient d un cancer du sein. Les conclusions de cette étude sont très explicites : l état de santé physique mais également psychologique des femmes est décisif sur le plan professionnel. En effet, ces facteurs détermineraient le choix ou la possibilité de retravailler et seraient en grande partie responsables des difficultés rencontrées dans le travail. Voyons plus en détails l origine des difficultés physiques et psychologiques auxquelles sont confrontées les femmes atteintes d un cancer sein et observons ce que nous disent les études empiriques quant à leurs effets possibles sur la situation d emploi des femmes. a) Les séquelles liées à la chirurgie du sein Dans le traitement pour un cancer du sein, quatre types de chirurgie peuvent être réalisés : la mastectomie (ablation complète du sein), la mastectomie avec une reconstruction du sein, la quandrantectomie (ablation partielle) avec le retrait de tous les ganglions lymphatiques au niveau de l aisselle et de la partie supérieure du bras (curage ou évidement axillaire) et enfin, la quadrantectomie avec le retrait de quelques ganglions seulement, appelée aussi la technique du ganglion sentinelle. Les séquelles occasionnées par un cancer du sein dépendent notamment du type d intervention chirurgicale pratiqué. Après une mastectomie ou un curage axillaire, il est courant de voir deux types d effets secondaires se manifester. Le premier est une difficulté de mobilité de l épaule provoquée par la cicatrisation, pouvant durer plusieurs semaines. Le second est le développement d un lymphoedème 6, avec le risque de développer un «gros bras». Un lymphoedème peut survenir dans les cinq ans après le traitement conservateur du sein et dans les quinze ans après l ablation complète du sein. La technique du ganglion sentinelle qui permet d éviter un curage axillaire, devrait considérablement réduire les séquelles au niveau des membres supérieurs (Marti, 2002). Les patientes exerçant une activité demandant une certaine mobilité du bras se retrouvent handicapées par ces séquelles, dans leurs activités quotidiennes. De plus, les femmes dont le métier implique des travaux astreignants, de longue durée ou répétitifs (travail à la chaîne, 6 Accumulation anormale de lymphe dans les tissus, provoquant le gonflement d un membre. Il débute au niveau du bras avant d atteindre l avant bras et la main. Il commence à devenir gênant lorsque la différence des circonférences entre les deux bras est supérieure à 5 cm. Au début, l œdème est mou, indolore mais après inflammation il devient dur et progresse rapidement. (Cfr. Effets secondaires d un cancer du sein, Fondation Contre le Cancer, www.cancer.be) Editeur responsable : Dominique Plasman 9

dactylographie, nettoyage ) sont encore plus exposées à leur développement (Fondation Contre le Cancer) 7. L impact observé sur l emploi Deux principales études américaines ont étudié l impact de la chirurgie du sein sur la situation d emploi des patientes. Dans la première portant sur 296 patientes, trois mois après le diagnostic du cancer du sein, DeLorenze et al. (1996) ont remarqué une influence négative des séquelles physiques laissées par la maladie sur le retour à l activité professionnelle. Plus particulièrement, les auteurs ont constaté que si la personne a besoin d assistance pour se mouvoir ou si elle souffre d une diminution du fonctionnement de la partie supérieure du corps ( bras, épaule, buste ), elle se retrouvera plus souvent dans une situation de nonemploi. En outre, les auteurs soulignent que l impact négatif de la chirurgie sur la situation d emploi est encore accentué lorsque la patiente exerce un métier nécessitant une activité physique importante. En ce sens, Bloom et al. (2000) ont observé l impact négatif et significatif sur l emploi d une baisse des capacités physiques de fonctionnement. Ils ont également estimé que le fait d avoir une activité physique sera déterminante sur la situation d emploi. De manière globale, leurs résultats indiquent, sur un échantillon de 390 femmes âgées de moins de 50 ans, que 8 % des patientes étaient encore absentes du marché du travail 12 à 15 mois après le diagnostic mais, avec des disparités importantes, notamment en fonction de ces deux facteurs (une diminution des capacités physiques et avoir un métier requérant des efforts physiques) 8. Ces deux études aboutissent dès lors à la même conclusion : les séquelles physiques liées à la chirurgie du sein ont un impact significatif sur la situation d emploi des femmes. Ces répercussions sont d autant plus importantes si la personne exerce une profession impliquant des tâches ou des efforts physiques lourds et répétitifs. 7 Les effets secondaires d un cancer du sein, site Internet de la Fondation Contre le Cancer (www.cancer.be) 8 Rien n est précisé toutefois sur la durée de cette inactivité : est-elle temporaire, c est-à-dire, liée à l incapacité de travail prescrite par le médecin? Ou bien est-elle définitive? Dans ce cas, qu elle en est la cause? Editeur responsable : Dominique Plasman 10

b) Les effets dus aux traitements post-opératoires Les traitements post-opératoires (la chimiothérapie, la radiothérapie et l hormonothérapie) entraînent aussi une série d effets secondaires s estompant, en général, au fil du temps mais pouvant influencer la reprise du travail. Dans un premier temps, nous détaillerons les différents effets secondaires provoqués par ces trois traitements post-opératoires et puis, nous examinerons les conséquences observées sur l emploi. La chimiothérapie provoque souvent une fatigue intense chez les patientes 9. Après avoir interviewé 157 patientes hollandaises, quatre à douze semaines après le dernier cycle de leur traitement, N. de Jong et al. (2004) notent que cet état de fatigue est également associé à une perte des capacités physiques. Bearz et al. (2004) confirment cette diminution des performances physiques due à la chimiothérapie, ils observent encore une série d autres caractéristiques liées à ce type de traitement : un sentiment de lassitude à laquelle même le repos ne peut remédier, une faiblesse généralisée rendant difficile toute initiative ou activité, une fatigue mentale affectant la concentration, des pertes de mémoire ainsi qu une instabilité émotionnelle. Tout comme la chimiothérapie, la radiothérapie s accompagne aussi d une fatigue progressive causée par les rayons. Celle-ci varie en fonction de la dose, de la durée totale du traitement et de la plus ou moins grande surface corporelle irradiée. Précisons encore que cet état de fatigue peut persister encore pendant deux à trois mois après la fin du traitement, ce qui est moins long que pour la chimiothérapie. Enfin, il existe des symptômes spécifiques liés au traitement par hormonothérapie (antihormones sexuelles). Ils s apparentent aux signes habituels de la ménopause (bouffées de chaleur, changements d humeur, sécheresse vaginale ). Par ailleurs, on remarque que les jeunes femmes sont plus particulièrement affectées par ces transformations du corps, dues aux symptômes de la ménopause qui ont un impact sur leur vie sexuelle et affective. L impact observé sur l emploi Dans l étude de Bloom et al. (2000) citée ci-dessus, les auteurs ont aussi testé, en plus des effets causés par la chirurgie, ceux provoqués par les traitements post-opératoires. Ils ont donc évalué l impact d un traitement par chimiothérapie sur la situation d emploi auprès d un échantillon de 390 femmes âgées de moins de 50 ans. Ils ont constaté que les symptômes de 9 Le cancer: en comprendre la maladie et les traitements, site Internet de la Fondation Contre le Cancer (www.cancer.be) Editeur responsable : Dominique Plasman 11

la chimiothérapie ont un effet négatif et significatif sur la reprise du travail. Cet effet risque en outre de perdurer quelques 12 à 15 mois après le diagnostic du cancer du sein. Au vu des effets que peuvent entraîner les traitements post-opératoires (fatigue, difficulté de concentration, perte de mémoire, fragilité émotionnelle ), on peut suggérer un réel impact négatif de ces derniers sur la situation d emploi, en particulier lorsque les patientes suivent un traitement par chimiothérapie. Remarquons encore que pour retrouver la santé, les patientes ont besoin d un temps de convalescence assez long. La durée moyenne d arrêt du travail prescrite en cas de chimiothérapie varie entre quatre mois et un an. Lors d un traitement par radiothérapie ou par hormonothérapie, les femmes reprennent en général plus vite leur travail, au plus tôt, trois ou quatre mois après l opération. Une si longue absence au travail sera-t-elle acceptée par l employeur? Ces femmes auront-elles la possibilité de reprendre leur profession normalement, même si elles éprouvent des difficultés à réaliser certaines tâches? Nous verrons plus loin les conclusions des études relatives à l attitude des employeurs et des collègues à l égard de la travailleuse concernée. c) L influence du stade évolutif de la maladie Le stade évolutif du cancer du sein (déterminé notamment par la taille de la tumeur et le nombre de foyers) va indiqué le type d intervention chirurgicale ainsi que les traitements post-opératoires qui seront prescrits à la patiente. Le stade évolutif joue donc un rôle clé. Plus le stade est avancé, plus la patiente sera confrontée à un traitement lourd par chimiothérapie ou radiothérapie. De même, plus le stade de la maladie est sévère, plus la patiente risque de subir une ablation totale du sein (mastectomie) ou un évidemment axillaire complet (retrait des ganglions au niveau de l épaule et du bras) avec toutes les conséquences physiques que nous avons détaillées plus haut (difficulté de mobilisation de l épaule et lymphoedème ) L impact observé sur l emploi Bednarek et al. (2005) ont examiné la situation d emploi de 370 travailleuses américaines non pas en fonction du type de chirurgie, ni des traitements post-opératoires, mais en tenant compte du stade évolutif de la maladie. Ils ont également comparé la situation d emploi des patientes, six mois après le diagnostic, à celle d un groupe de femmes qui n a jamais eu de Editeur responsable : Dominique Plasman 12

cancer du sein (appelé «groupe témoin» 10 ). Leurs résultats montrent que plus l état d avancement de la maladie est sévère, plus la probabilité de retravailler est faible : pour les femmes diagnostiquées avec une tumeur locale (au niveau du sein uniquement) la probabilité d être active occupée est diminuée de 18% par rapport au groupe témoin, tandis que pour les patientes avec un cancer régional la probabilité d être en situation d emploi est inférieure de 34% par rapport au groupe témoin. Les auteurs remarquent encore que les femmes avec un cancer in situ, c est-à-dire avec un meilleur pronostic de guérison, retournent normalement au travail. Ainsi, elles ne se comporteraient pas de manière significativement différente qu un groupe de femmes n ayant jamais eu de cancer du sein. d) L anxiété et la dépression Etre atteinte d un cancer du sein n est pas sans conséquence sur la santé psychologique de certaines patientes. On observe souvent l apparition de troubles plus ou moins sévères, caractérisés par un état d anxiété ou de dépression. Il est difficile cependant d évaluer la durée du phénomène, celle-ci dépend d une série de facteurs propres à chaque individu. Selon D. Razavi et al (1994), les réactions psychologiques au cancer sont provoquées par des éléments de natures différentes. D une part, elles peuvent être directement liées à la maladie et aux traitements, c'est-à-dire aux souffrances physiques qu ils induisent (douleurs, affections du système nerveux central ) ; d autre part, elles peuvent être causées par des réactions secondaires à la maladie, comme par exemple, la menace existentielle que représente un cancer ou encore les incertitudes et les changements dans l environnement social (relation avec l entourage familial, professionnel ou autre ; changement de comportement des proches ) générés par la maladie. Aux Etats-Unis, Dwight-Johnson et al. (2005) ont étudié l ampleur de la dépression chez 250 femmes soignées pour un cancer du sein et 250 autres femmes ayant un cancer de l utérus. Ils ont cherché à déceler les facteurs pouvant influencer ce phénomène. Parmi ces personnes interrogées au cours de leur traitement ou lors d un suivi, 30% des femmes concernées par le cancer du sein éprouvaient de l anxiété ou souffraient de dépression, contre 17% des femmes atteintes d un cancer de l utérus. Il ressort cependant que ni le stade évolutif de la maladie, ni le traitement post-opératoire (chimiothérapie, radiothérapie ou hormonothérapie) ne sont associés avec l état de dépression. Des éléments comme une perte de fonctionnalité ou la peur des effets secondaires provoqués par les traitements en seraient plutôt à l origine. 10 L intérêt d une analyse comparative avec un groupe témoin est d isoler les effets de la maladie aux autres effets liés à des facteurs externes. Pour cela, il faut considérer deux groupes de femmes ayant des caractéristiques sociodémographiques identiques mais dont l un comprend des femmes ayant eu un cancer du sein et l autre, des femmes n ayant jamais développé la maladie. Editeur responsable : Dominique Plasman 13

D autres facteurs ont encore été cités par ces patientes comme responsables de leur état dépressif. On recense l annonce de la maladie, l âge (les femmes plus jeunes seraient d autant plus déprimées), un faible soutien familial et social ainsi que le fait d être anxieuse. Le phénomène semble se renforcer auprès des femmes économiquement défavorisées (Avis et al., 2005). Les auteurs ont en effet remarqué auprès d un échantillon composé de 202 personnes, toutes âgées de moins de 50 ans et ayant eu un cancer du sein moins de trois ans et demi auparavant, que plus de 70% de ces femmes souffraient psychologiquement et éprouvaient un sentiment général de tristesse. Il nous semble évident de penser que les personnes rencontrant des difficultés financières sont d autant plus fragilisées que d autres. La crainte de ne pas pourvoir assumer les frais liés à l hospitalisation, aux traitements et autres médicaments représente une inquiétude supplémentaire à laquelle elles sont confrontées. L impact observé sur l emploi L anxiété et la dépression semblent donc être un phénomène présent chez certaines femmes atteintes d un cancer du sein. L effet de la dépression sur l emploi, après cancer du sein, a été mesuré par Bednarek et al (2002). Ceux-ci ont effectivement observé une influence négative et significative de la dépression sur la probabilité de travailler. Parmi une liste d autres maladies que peuvent présenter ces femmes atteintes d un cancer du sein (diabète, hypertension, dépression, problèmes cardiaques et thromboses), la dépression constitue le facteur le plus influent sur le comportement face à l emploi : la probabilité de retravailler pour une femme ayant eu un cancer du sein et souffrant de dépression diminue de 13% par rapport à la probabilité de retravailler pour l ensemble de l échantillon des femmes qui ont vécu l expérience du cancer du sein et qui souffrent en plus de diabète, d hypertension, ayant eu un problème cardiaque ou une thrombose, au cours de sa vie. Par rapport à une femme en bonne santé, la probabilité de travailler pour une femme ayant eu un cancer du sein et souffrant également d une dépression diminue de 22%. On peut donc conclure que les difficultés psychologiques telles que l anxiété et la dépression ont une influence négative sur la reprise du travail. e) Remarque Les résultats de l étude française sur la qualité de vie après un cancer (Grimberg C. et al., 2004) indiquent que 78,5% des personnes interrogées ont en effet souffert de difficultés physiques et psychologiques mais que seulement 62,7% des répondants avaient été avertis du risque de ces séquelles liées à la maladie. Pour les auteurs, le fait que plus d un tiers (37,3%) des répondants n'aient pas été informés de ce risque constitue un Editeur responsable : Dominique Plasman 14

dysfonctionnement dans la relation médecin/patient. Ce déficit d information a eu pour conséquence une absence de prise en charge médicale adéquate. A travers cette même enquête, les personnes interrogées ont d ailleurs émis une revendication sur ce point: ils attendent, de la part du corps médical et soignant, plus d écoute, d information et de communication ainsi qu un accompagnement psychologique adapté. Editeur responsable : Dominique Plasman 15

2.2. La discrimination au travail Etant donnés les inégalités persistantes auxquelles sont confrontées plus généralement les femmes ainsi que le contexte actuel du marché du travail où la pénurie d emploi joue largement en faveur des entreprises, il est probable que des femmes soient confrontées à des situations discriminatoires dues à leur mauvaise santé. Malheureusement, très peu d études se sont focalisées sur l aspect «demande de travail» (entendre ici l offre émanant des entreprises) et sur les éventuelles attitudes discriminantes de la part des employeurs et des collègues à l égard d une travailleuse victime d un cancer du sein. Il est donc difficile d évaluer l ampleur réelle du phénomène. Néanmoins, l initiative menée par l association «Jeunes Solidarité Cancer» (Grimberg C. et al., 2004) réalisée avec 152 personnes ayant eu un cancer, constitue un indicateur pertinent de l existence de tels comportements. Parmi les interrogés, 20,3% affirment faire l objet de discrimination dans leur travail. La nature des discriminations semble varier selon le sexe : les travailleurs masculins sont plus souvent victimes d une «mise au placard» ou d une perte de responsabilité alors que les femmes souffrent de propos calomnieux ou rencontrent des difficultés à obtenir un mi-temps thérapeutique. La recherche de Maunsell E. et al. (1999) a permis de déceler d autres types de comportements discriminatoires dont sont victimes des travailleuses ayant eu un cancer du sein. En se basant sur une méthode d analyse qualitative, les chercheurs sont parvenus à classer par thèmes les éléments issus du discours des 13 participantes. Les résultats de cette étude mettent en avant quatre formes potentielles de discrimination au travail : le licenciement, la dégradation du statut du travailleur, les changements non désirés dans les tâches assignées et les conflits avec l employeur et les collègues. Les effets sur l emploi Les travaux réalisés par Bouknight R. et al. (2006) se sont focalisés sur le comportement des employeurs, ils ont démontré le rôle positif de ceux-ci lorsqu ils adoptent une attitude accommodante au moment où leur employée retourne travailler à l issue de son traitement. Douze mois après le diagnostic, il s avère en effet que 80% des 416 femmes interrogées, âgées de 30 à 64 ans, ont repris leur travail et que parallèlement, 87% de celles qui retravaillent disent avoir eu un employeur conciliant par rapport à la maladie et aux traitements. Remarquons toutefois les écarts entre les femmes issues de différentes catégories socioprofessionnelles : la vraisemblance de retourner travailler est presque deux Editeur responsable : Dominique Plasman 16

fois plus élevée pour les femmes détenant un diplôme d études supérieures ou universitaire que pour celles qui ne disposent d aucun diplôme 11. Ceci traduit le fait que les femmes plus qualifiées vivent dans un environnement professionnel souvent mieux adapté et plus flexible et aussi que leur travail est plus compatible avec les séquelles de la maladie. Remarque Ce constat nous a amené à nous poser la question suivante : lorsqu une femme est victime de discrimination au travail suite à un problème de santé, quels sont les recours légaux dont elle peut disposer? En Belgique, le droit du travail ne prévoit qu une protection limitée dans le temps pour les travailleurs malades. L employeur a le droit, en effet, de mettre un terme à un contrat après six mois de maladie, pour «cas de force majeure 12». Endéans les six mois à compter de l arrêt de travail, l employeur peut aussi licencier la personne mais sa décision risque de faire l objet d un recours de la part du travailleur, pour licenciement abusif. Le travailleur peut, en outre, demander une indemnité supplémentaire à l indemnité de rupture ordinaire. S il est employé, ce sera à lui de prouver l attitude discriminatoire de son employeur et de convaincre le tribunal du dommage subi ; s il est ouvrier, c est à l employeur de prouver qu il n a pas discriminé. En dehors de cette protection ordinaire, une loi anti-discrimination a vu le jour en 2003. Celleci prévoit une protection spécifique vis-à-vis de l employeur, en cas de plainte pour discrimination liée à l état de santé, à l orientation sexuelle, aux origines nationales ou ethniques, aux convictions religieuses, au sexe, etc. 13 Durant 12 mois à dater de la plainte, l employeur n a pas le droit de licencier une personne en évoquant de tels motifs. Cette loi prévoit en outre des sanctions pénales (peine d un an d emprisonnement) et civiles (nullité des clauses d un contrat contraire à la loi anti-discrimination ou action en cessation) mais dans ce cas, c est à l Inspection des lois sociales qu il revient de mener l enquête sur la plainte. Récemment, une nouvelle loi anti-discrimination a été publiée 14, à l initiative du ministre de l Egalité des chances Christian Dupont (Ps). Désormais, ce n est plus à la victime d apporter la preuve de cette discrimination mais à l auteur présumé de prouver qu il n a pas discriminé. Des sanctions plus effectives (via un système d indemnités) ainsi qu une liste plus objective des motifs de discrimination ont été fixées. 11 Ratio de vraisemblance pour les femmes ayant un diplôme d études supérieures ou universitaire égale 1,8 ( modalité de référence : pas de diplôme). 12 dans le cas où la travailleuse n est pas encore apte à reprendre ses fonctions ou en cas de reprise si l employeur n a pas la possibilité d offrir à la travailleuse un poste compatible 13 www.fgtb.be 14 Moniteur belge du 30 mai 2007 Editeur responsable : Dominique Plasman 17

Bien que cette loi constitue une avancée importante, sa récente apparition rend encore difficile son application (la jurisprudence est encore peu développée). Des protocoles de collaboration ont, cependant, été établis entre les syndicats et le Centre pour l égalité des chances pour lutter conjointement contre les discriminations et y associer leurs compétences et attributions. Editeur responsable : Dominique Plasman 18

2.3. La couverture sociale Les facteurs ciblés dans cette partie sont liés au régime de Sécurité Sociale en vigueur dans un pays. Ils concernent, en particulier, les dispositions en matière d assurance maladie et de revenus de remplacement en cas d incapacité de travail. Comme nous l avons constaté, les femmes soignées pour un cancer du sein sont sujettes à toute une série d effets secondaires, entraînant une période de convalescence plus ou moins longue, évaluée entre trois mois et un an au cours de l année suivant le diagnostic. Les patientes actives professionnellement sont souvent obligées d interrompre leur activité. Cette interruption peut engendrer des difficultés d ordre financier lorsque la personne fait face à une diminution voire à une suppression de ses revenus, associée à des frais médicaux élevés. Si la travailleuse dispose d une assurance maladie-invalidité, d une part, elle aura droit à un remboursement des frais médicaux 15 et hospitaliers et d autre part, elle bénéficiera d un revenu de remplacement durant la période d incapacité de travail. Dans cette partie, nous remarquerons que le comportement face à l emploi, après un grave problème de santé, dépend incontestablement du niveau et du type d accès à une assurance maladie-invalidité (Burkhauser et Daly (1998), R. Riphahn (1998), J. Currie et B.C. Madrian (1999), Bednarek et al. (2002), Bednarek et al. (2004 ), Brisson et al. (2005)) Lors de l évaluation et de la comparaison des résultats des différentes analyses empiriques sur le sujet, il est pertinent de prendre en compte le contexte institutionnel propre à un pays étant donné les divergences importantes entre les régimes de Sécurité Sociale en vigueur aux Etats-Unis, au Québec et en Europe. a) L accès à une assurance soins de santé Aux Etats-Unis, la couverture du risque maladie repose en grande partie sur l assurance privée, l accès à une assurance-maladie étant encore le plus souvent lié à la participation au marché du travail. Le tableau ci-dessous illustre le fait que deux tiers des Américains de moins de 65 ans sont ainsi assurés par le biais de leur employeur (Chambaretaud et al, 2001). Cette dépendance risque fortement d influencer la reprise du travail (Currie et al., 1999). 15 En Belgique, les médicaments prescrits en Oncologie sont remboursés à 100%. Editeur responsable : Dominique Plasman 19

L assurance médicale aux Etats-Unis en 1991 Genre de protection Nombre de personnes (millions) Population totale des Etats-unis 253 Medicare (régime public d assurance-maladie à l intention des personnes de 65 ans et plus et de certains travailleurs gravement handicapés) 35 Medicaid (régime public d assurance maladie pour les familles les plus pauvres 27 Aucune assurance 35 Régime privé d assurance médicale 156 Source: William Lowther, «Medicare to the Rescue», Maclean s, vol. 105, 13janvier1992, p. 33-34. Selon Bednarek et al.(2004), les traitements associés à un cancer du sein impliquant de lourdes dépenses en soins de santé, les travailleuses américaines seraient incitées à rester actives sur le marché du travail afin de ne pas perdre leur emploi, et par conséquent leur couverture d assurance maladie offerte par l employeur. Afin de vérifier leur hypothèse, ils ont réalisé une comparaison du taux d emploi entre les travailleuses assurées via leur employeur et celles disposant d une couverture via l assurance maladie de leur conjoint. Au total, 444 femmes âgées de 30 à 64 ans, issues du «Metropolitan Detroit Cancer Surveillance Systeme», ont composé l échantillon. Malgré le besoin de convalescence, les travailleuses américaines assurées via leur employeur ont tendance à poursuivre leur activité professionnelle durant les traitements. En effet, six mois après le diagnostic, l impact de la maladie n est pas significatif sur la probabilité de retravailler, c est-à-dire, que ces travailleuses n ont pas un comportement significativement différent d un groupe témoin constitué de femmes n ayant jamais eu de cancer du sein. A Editeur responsable : Dominique Plasman 20