Recherches chronométriques. Von J. ANDRADE aus Besançon. Dans ce mémoire j'exposerai d'une part le résumé de mes recherches sur quelques problèmes importants de chronométrie et d'autre part mes idées sur le rôle d'un laboratoire de recherches expérimentales. [. Quelques mots sur les fondateurs de la chronométrie. Recherches sur quelques problèmes fondamentaux des théories chronométriques. J'ai eu à m'occuper, dans mon enseignement de chronométrie, de livers problèmes de la mécanique des horloges et des chronomètres; c'est-là une science relativement récente, dont les premiers fondements :mt eu pour but de.préciser les lois qui avaient déjà été soupçonnées ît appliquées d'instinct par des artistes de génie au premier rang desquels je nommerai le Français Pierre le Roy et l'anglais Arnold. Les fondateurs de ce que l'on peut appeler la dynamique du chronomètre, furent l'ingénieur Phillips, l'astronome Yvon Vili arceau et M. Caspa ri, l'ingénieur hydrographe qui dirigeait encore récemment le service chronométrique de la marine française. A ces noms il convient d'ajouter, au moins pour l'influence de ses idées, Ré sal. La théorie des horloges, beaucoup plus facile que celle des chronomètres, a donné heu au problème intéressant de la synchronisation, problème dont la solution, devinée par Foucault, précisée pour la première fois par Cornu, demandait encore un dernier effort. On pourra s'étonner que la théorie des échappements qui, en somme, devrait être commune aux horloges et aux montres ne soit pas ici mentionnée. C'est que le problème des échappements est un problème de l'horlogerie dans lequel les théoriciens, sauf un conseil très général facile à énoncer, n'ont guère apporté de clarté. Après les fondateurs de la 29*
452 II. Teil: Wissenschaftliche Vorträge. dynamique de la montre sont venus ces techniciens horlogers qui continuent encore leur œuvre délicate, plus difficile peut-être que l'œuvre des fondateurs: MM. Grossman père et fils, MM. Berner qui sont l'honneur de l'enseignement technique en Suisse, pour ne citer que ceux que j'ai le mieux étudiés. Les fondateurs représentaient pour ainsi dire l'œuvre mathématique fondamentale de la théorie de l'horlogerie. Les techniciens suisses se placent entre eux et les créateurs de ce que j'appellerai volontiers l'horlogerie physique, inaugurée récemment par les travaux de M. Brillouin, de M. Guillaume, et continuée par M. Ditisheim pour ne citer que les chercheurs les plus heureux. Mes travaux personnels déjà poursuivis peuvent se rattacher à la première catégorie de recherches. Le plan des travaux pour lesquels je n'ai pas encore de ressources mais dont je crois cependant devoir signaler les tendances, se rattache à l'horlogerie physique. Mes travaux d'horlogerie mathématique, dont j'ai énoncé les principaux résultats dans la France horlogère" et dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève" ont porté jusqu'ici sur l'étude de l'échappement de Graham, sur l'effet d'inertie propre au spiral cylindrique Phillips des chronomètres marins, et sur la théorie de la synchronisation. Je me bornerai ici à l'exposé de ces deux derniers travaux qui, je l'espère, vous intéresseront. II. Effet d'inertie du spiral cylindrique Phillips. M. Caspari a le premier attiré l'attention sur cet effet, et il en a le premier assigné une valeur approchée. Mais la question doit être reprise, car les calculs du savant auteur et même son analyse doivent être corrigés et complétés. Considérons un spiral cylindrique de chronomètre marin, spiral à spires très rapprochées; de la partie régulière et cylindrique du spiral, soit en un point B, le régleur distrait par un pincement approprié du métal deux courbes terminales planes qui admettent un axe de symétrie commun, l'une PB s'encastre en P dans le bâti du chronomètre, l'autre va se détacher sur une spire beaucoup plus éloignée et s'encastrer dans le pivot du balancier du chronomètre. Phillips a montré que si le centre de gravité géométrique de l'arc PB est placé d'une manière qu'il a fait connaître par rapport à la
C. Vorträge in den Sektionssitzungen: Andrade. 453 ongueur de l'arc PB et aux points de raccord P et B, la réaction de 'encastrement du piton se réduira à un couple en sorte que lorsque e spiral est écarté de la position du point mort et maintenu m repos, il transmet au balancier un couple égal au premier, et dont 'intensité est proportionnelle à l'écart a du balancier au point mort. C'est-là une condition suffisante d'isochronisme de la vibration du )alancier qui, abstraction faite des autres résistances, aura alors un nouvement pendulaire. Les lois de Phillips ont été vérifiées par des pesées statiques; la ègle de Phillips donne les conditions de l'isochronisme statique i'est-à-dire en négligeant la masse même du spiral. J'ai évalué la perturbation de cette masse sur l'isochronisme; ce )roblème avait été étudié en 1876 par M. Caspari; ce savant a sup- )osé que le moment transmis au balancier pendant le mouvement Lvait même valeur que dans les pesées statiques de Phillips, cette îypothèse néglige ainsi des quantités de même ordre que celles qu'on ie propose d'évaluer, et il est indispensable de tenir compte de l'inertie lu spiral dans la distribution du moment de flexion le long de la fibre noyenne de ce spiral. Les mémoires de M. Caspari ont été republiés dans le volume du Congrès de Chronométrie de 1900. En 1903 dans la France horlogère" j'ai repris la théorie de M. Caspari it montré que si, à l'approximation que nous indiquerons tout à l'heure, 1 est permis de négliger l'effet du déplacement du centre de gravité lu spiral, il est nécessaire de tenir compte de l'influence de l'inertie lu spiral dans la distribution du moment de flexion. Je me contenterai d'indiquer ici le résultat de la correction qu'il àut apporter à l'évaluation de M. Caspari; renvoyant pour plus de létails à mon mémoire de la France horlogère" ou à un résumé de elui-ci dans les Archives de Genève." Soient: a l'écart du balancier au point mort, r 0 le rayon de la»ortion cylindrique du spiral au repos, p son étendue angulaire seniblement égale au rapport de sa longueur complète L à r 0, m la masse lu ressort spiral muni de ses courbes Phillips; EI le moment d'élastiité du spiral. Je trouve pour le mouvement du balancier du chronomètre, dont e moment d'inertie est A, l'équation: mrj d 3 a 1 mrj 1 (da\% /da\ 2 w T a dt* 3 t A, a\ 2 p + +~S a \dt) ~~ L i) A + (i+î)t '(»+3 L'analyse incomplète de M. Caspari l'avait conduit à l'équation:
454 H- Teil: Wissenschaftliche Vorträge. (2) A, 1 mr, ^ + 2 "' ~^ (i+jcj" &a 1 1 /^?\ 2 FriL df* 2 /",ä\2 p"+»(i + D Les équations (1) et (2) rentrent d'ailleurs dans un même type que nous écrirons, en faisant w dès lors, si nous posons: i + j -». * - & (' + F>Sf-?(5f), +^- 1 )- i r»8 f 2 =A " 2 = w 2 / > " l + w 2 ' a 0 = demi-amplitude du balancier; et si nous avons égard d'une part à la petitesse de n 2 qui, dans l'interprétation (1) et pour un type usuel est moindre que -, d'autre part à la petitesse de, nous trouverons en intégrant par la méthode d'approximation des séries que la durée de l'oscillation simple du mouvement (3) a pour valeur approchée: (3bis) T-*ygyr+i?[i + (ß-+ (»-' >))* Le coefficient de l'avance aux petits arcs est proportionnel au coefficient de ~ dans la parenthèse précédente; ce coefficient sera ïê " ^ ~~A~~ t ' ans ^e mouvemen^ (X)> - ---, dans le mouvement (2), notre coefficient d'avance aux petits arcs est donc à celui de M. Caspari sensiblement dans le rapport de 5 à 3, or, pour les types usuels de la Marine, M. Caspari avait assigné, pour une réduction de l'amplitude totale passant de 3 demi-tours à 1 demi-tour, une avance diurne de l 8 ; cette avance diurne des chronomètres marins doit donc être portée à l 8, 66. III. Mes recherches sur la théorie de la synchronisation. Lorsque l'on néglige l'effet propre de l'échappement d'une horloge synchronisée, la synchronisation se réduit à l'étude d'un mouvement pendulaire uniformément amorti, troublé par une force fonction périodique du temps. Ce problème célèbre a été étudié avec soin par divers géomètres ou physiciens; sa solution analytique n'offre aucune difficulté et l'on
C. Vorträge in den Sektionssitzungen: Andrade. 455 sait que la force synchronisante impose asymptotiquement sa période lu mouvement qui sans elle s'éteindrait indéfiniment: oscillations iniéfiniment réduites mais qui seraient encore isochrones avec une période jui ne dépend que de la force pendulaire et du coefficient constant l'amortissement, pourvu que celui ci soit modéré. Les représentations que Cornu a données de ce phénomène m'ont mggéré une méthode nouvelle, tout à fait élémentaire et aisément assimilable par les élèves de toute école d'horlogerie. J'ai donné cette méthode aux Archives de Genève" (1904) et j'en li résumé une esquisse dans ma communication à la section pédagogique de ce congrès. Si le beau mémoire de Cornu épuise complètement la théorie et [es vérifications physiques du problème réduit à ses termes simples cnoncés plus haut, il ne saurait cependant constituer une théorie complète de la synchronisation des horloges, car il ne tient aucun compte le l'échappement propre à l'horloge synchronisée. Le problème ainsi posé semblait au premier abord beaucoup plus ufficile, et je ne l'aurais probablement pas abordé si dans la théorie élémentaire du problème réduit que je viens de rappeler je n'avais pas trouvé le germe d'une généralisation féconde. Dans le problème réduit du mouvement amorti synchronisé, le mouvement périodique asymp to tique, à période donnée à l'avance, résultait d'une transformation de figure très simple: la transformation par similitude directe avec condensation, le point double de cette transformation définie pour une époque t Q était le point limite des points représentatifs de l'état du mouvement envisagé aux époques: t 0 + nt, (»-0,1,2,3,.--, oo) T étant la période synchronisante. C'était-là évidemment l'idée qu'il Fallait généraliser; il fallait encore former ici un critérium de la convergence de substitutions répétées plus générales, et un criterium qualitatif capable de nous renseigner même dans l'emploi d'une méthode ^approximations successives. Dans cet ordre d'idées un théorème bien connu de M. Kœnigs se présentait alors de lui-même à l'esprit; ce théorème concerne les substitutions répétées: *i+i-vfoi) lui sont convergentes pour i = oo et vers la valeur pourvu que 1 o/( ) ait un module moindre que 1, 2 que la valeur de départ x 0 soit suffisamment voisine de g. Dans une courte note qui se trouve au volume publié en l'honneur lu jubilé de M. le professeur Boltzmann j'ai montré que la généra-
456 II. Teil: Wissenschaftliche Vorträge. lisation facile du critérium de M. Kœnigs pour plusieurs variables donnait la clef d'une théorie complète de la synchronisation des horloges, et aussi une théorie du régime permanent des chronomètres; cette théorie est alors débarrassée des hypothèses trop spéciales que l'on rencontre dans les monographies de mouvements faites par Villarceau. Puis j'ai donné des conditions de synchronisation un peu plus larges aux Comptes Rendus de l'académie des sciences de Paris en 1903. Et enfin en 1904 aux Archives de Genève j'ai montré que cette nouvelle théorie permettait de comparer simplement la méthode de Foucault et la méthode de Cornu. Je résume ici cette comparaison: L'élément essentiel de la synchronisation des horloges réside dans l'amortissement naturel ou augmenté de l'horloge à synchroniser; et pour produire la synchronisation on atténue le rapport de l'effet de l'échappement à l'amphtude vis-à-vis de l'amortissement: ce résultat peut s'obtenir soit par l'atténuation de la force de l'échappement de l'horloge qui sera soumise à la force magnétique synchronisante, soit par une augmentation artificielle de l'amortissement; la première méthode est celle de Foucault, la seconde celle de Cornu. Pour simplifier l'énoncé de cette loi j'ai supposé que l'échappement agissait instantanément au point mort (hypothèse habituelle de Villarceau) et ce que j'appelle dans les notes précitées effet de l'échappement est le rapport du moment de l'impulsion dû à l'échappement au produit du moment d'inertie du pendule multiplié par -~, T étant la durée approchée de l'oscillation du pendule. Cet effet devra être doublé lorsque l'échappement agit dans les deux sens, ce qui est le cas habituel. IV. Ce que devrait être un laboratoire de chronométrie expérimentale. Les théories des problèmes fondamentaux de la chronométrie sont, nul ne le conteste, les guides les plus sûrs pour l'art du régleur; certes aussi les questions théoriques de la mécanique horlogère ne sont pas épuisées. N'oublions pas toutefois que les méthodes d'approximation employées dans la mécanique de la montre n'ont qu'une approximation même théoriquement limitée; et l'approximation cesse dès qu'il n'y a plus d'huile; cette seule raison suffit pour nous inviter à multiplier les recherches de chronométrie expérimentale; au premier abord ces mots Recherches de chronométrie expérimentale" peuvent surprendre, et je dois m'en expliquer.
C. Vorträge in den Sektionssitzungen: Andrade. 457 Qui donc, semble-t-il, a le plus d'intérêt à perfectionner la marche des chronomètres? les artistes évidemment; or les efforts de ceux-ci sont enregistrés par les concours des observatoires; le véritable champ des recherches expérimentales c'est l'atelier de l'artiste chronométrier, l'observatoire contrôle et atteste les progrès, que voulez vous de plus? Cela est vrai: l'observatoire contrôle et l'artiste progresse. J'ajouterai même qu'il y a des artistes qui, non contents de réussir, veulent comprendre les lois les plus cachées de leur art. Exemple: c'est un artiste M. Ditisheim qui vient de nous apprendre comment l'air agit sur le mouvement des chronomètres, beaucoup plus par la surcharge d'une gaine entrainée avec le balancier que par la résistance balistique. Je sais aussi que les artistes n'ont pas attendu l'analyse de leur art pour marcher de l'avant; ils avaient deviné le balancier compensateur. Et c'est précisément pour cela que je proclame le besoin de recherches de chronométrie expérimentale; recherches qui devront être aussi variées que possible et auxquelles participeront un jour et l'intuition de l'artiste et la sagacité du physicien. Sans entrer dans de trop longs détails je dirai de suite pourquoi des laboratoires de chronométrie expérimentale, travaillant sur des problèmes plus variés que ceux qui suffisent à l'industrie horlogère du moment, me paraissent nécessaires pour les progrès même de la chronométrie. Et pour fixer nos idées, je prendrai comme exemple le problème du régulateur des chronomètres marins. En supposant la bienfacture parfaite, les huiles longtemps constantes, la précision des chronomètres marins pouvait, aux yeux d'un pur théoricien, sembler complètement définie il y a quelques années par la connaissance approfondie de l'échappement, et de l'appareil compensateur. Surviennent les belles expériences de M. Brillouin, photographiant les mouvements mêmes du balancier, et surprenant l'effet irrécusable des irrégularités des dentures du rouage sur l'amplitude de son oscillation; par l'effet de ces irrégularités l'amphtude peut varier du vingtième. Bien plus, ces variations s'accentuent si le fini de dentures est à la main, poussée trop loin, d'où: des règles de bienfacture; déduites de ces recherches nées cependant hors du comptoir. On savait que ces irrégularités doivent se produire, car il faut fatiguer un peu le rouage soit par la marche naturelle, soit par une marche factice du chronomètre avant d'obtenir la période de marche normale; mais on ne supçonnaît pas une telle variation de l'amphtude.
458 H. Teil: Wissenschaftliche Vorträge. Ces perturbations de l'amphtude, se répercutent par le défaut d'isochronisme sur la marche de la montre. Un échappement électrique les pourrait certainement atténuer; et voici une première direction de recherches expérimentales. Mais si nous remarquons que nous n'utilisons que deux organes régulateurs, le pendule et le ressort spiral des chronomètres, ne voyons nous pas immédiatement le secours immense que l'étude physique systématique de variétés plus étendues de mouvements vibratoires conservables apporterait aux chronométriers de demain? Ces exemples peuvent suffire à montrer l'importance de recherches chronométriques expérimentales, nouvelles et variées. Nous avons déjà à l'université de Besançon un enseignement de chronométrie; cet enseignement auquel collaborent l'université et l'école d'horlogerie est l'objet d'une sollicitude éclairée de la part de nos assemblées régionales, sollicitude à laquelle je me plais à rendre ici un public hommage. Mais à côté de cette œuvre éminemment utile, et éminemment intéressante au point de vue pédagogique, œuvre où disparaissent les barrières factices que les administrations se plaisent volontiers à établir entre les diverses catégories d'enseignement, sans se soucier parfois de reconnaître qu'on ne coupe point l'esprit humain en deux, à côté de l'enseignement proprement horloger, nous voulons établir un laboratoire de recherches chronométriques. Nous voulons espérer que cette œuvre nouvelle mais urgente trouvera en France et en particulier à Besançon les moyens de naître et de se développer. Et, à ce propos, je me plais à rappeler ce qui a été fait pour une science plus favorisée; il y a quelques années nous manquions en France d'un observatoire élevé sons un ciel clair; uu ami éclairé de la science fit surgir l'observatoire de Nice. Nous avons besoin aujourd'hui d'un laboratoire pour provoquer une suite de sérieuses recherches de Chronométrie expérimentale. J'espère que notre effort sera lui aussi compris et appuyé dans notre pays.