LE BREVET COMME OUTIL STRATÉGIQUE DES ENTREPRISES : VERS L ÉMERGENCE D UNE NOUVELLE CAPACITÉ ORGANISATIONNELLE?



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LA REVUE INTERNATIONALE DE MANAGEMENT ET DE STRATEGIE Revue académique francophone 100% en ligne Ecrit par : valérie Mérindol 1 Le brevet comme outil stratégique des entreprises : Vers l émergence d une nouvelle capacité organisationnelle? Summary : Today patents contribute to several dimensions of a firm s strategy in order to improve its technological and competitive leadership. The purpose of the article is to identify the implication of the strategic role of patents on the acquisition of new organizational capabilities. It analyses why changes are slow in the French firms as compared to the other European and transatlantic competitors. Key words : Patents, Corporate strategy, Organizational capabilities, Competitive leadership Résumé : Les brevets peuvent répondre à une grande variété de fonctions, toutes stratégiques pour le positionnement technologique et concurrentiel des entreprises. L objectif de cet article est de proposer une analyse des incidences de l évolution du rôle des brevets sur les capacités organisationnelles qu elles doivent acquérir pour gérer au mieux leurs portefeuilles de brevets. Cet article tente aussi d essayer de comprendre le retard français en la matière. Mots clés : Brevets, Stratégie d entreprises, Capacité organisationnelle, Position concurrentielle LE BREVET COMME OUTIL STRATÉGIQUE DES ENTREPRISES : VERS L ÉMERGENCE D UNE NOUVELLE CAPACITÉ ORGANISATIONNELLE?

Introduction 2 Aujourd hui les brevets répondent à une grande variété de fonctions, toutes stratégiques pour les entreprises (Corbel & Le Bas, 2012 ; Graevenitz & al, 2010 ; Lallement, 2010 ; Blind. & al, 2006). Si ces transformations sont largement abordées tant par les professionnels de la propriété intellectuelle que par les académiques, il est assez symptomatique de noter que cette littérature florissante laisse de côté les incidences de ces changements sur les nouvelles capacités organisationnelles que les entreprises doivent acquérir pour gérer leur portefeuille de brevets. Après un rapide rappel des nouvelles fonctions stratégiques des brevets (1), cet article analyse leurs conséquences sur la capacité organisationnelle des firmes pour tirer parti pleinement du rôle des brevets (2). Cet article tente ainsi de comprendre le retard français en la matière. Cet article s appuie sur une série d entretiens et de participation à des groupes de travail en France. 1. Le brevet comme dispositif clé dans la stratégie de l entreprise La première fonction stratégique est liée au rôle traditionnel du brevet : la protection d une invention sur un marché. Toutefois, les brevets apportent rarement une situation de monopole d exploitation. Plusieurs enquêtes montrent que moins de 30 % des entreprises considèrent que leurs brevets leur apportent une situation monopolistique sur un marché car l imitation et le contournement de la technologie brevetée sont fréquents (Corbel, 2011). Les brevets sont davantageconsidérés comme un moyen de se garantir une libre exploitation de la technologie (Ziedonis, 2004 ; Lebas, & al, 2010). La deuxième fonction du brevet est de se signaler. Dans le paradigme de l open innovation où les collaborations sont de plus en plus essentielles (Chesbrough, 2003), le brevet devient un dispositif incontournable. Il peut accroitre la réputation de l entreprise en renforçant son image d excellence (Ayerbe & al. 2005). Ainsi, l Oréal dans le secteur des cosmétiques ou encore SNECMA dans les moteurs d avions constituent des illustrations de cette stratégie, même si bien entendu les dépôts de brevet ne reposent pas sur cette seule stratégie. Les brevets peuvent aussi permettre de signaler l existence de compétences spécifiques en vue de développer des partenariats (Cohendet & al. 2006 et 2009). A titre d illustration, nombre d entreprises en Asie brevettent aux Etats-Unis dans l optique de se signaler sur le marché américain, et ceci afin de devenir incontournables; cette stratégie découle en partie des pratiques de dépôts de brevets menées par les firmes américaines : lorsque celles-ci réalisent leur demande de brevet à l office américain des brevets, l état de l art se fait principalement à partir des inventions brevetées au sein de cet office (Criscuolo and al, 2008). Les inventions brevetées dans d autres offices sont souvent ignorées.

Progressivement des usages détournés du brevet se développent : il s agit de bloquer les progrès technologiques des concurrents, soit pour les amener à entrer en négociation, soit pour les décourager d investir dans un champ technologique (Ziedonis, 2004 ; Lebas & al, 2010). Ces stratégies d encerclement sont fondées sur des pratiques assez «agressives» de dépots : les entreprises déposent de nombreux brevets secondaires autour d un brevet protégeant une invention majeure. On constate aussi la multiplication de brevets dits «préemptifs». La demande n a pas alors besoin d aboutir pour avoir un pouvoir de blocage ; l entreprise peut même retirer la demande si les négociations inter-firmes aboutissent. D autres pratiques dénommées Patent Fences émergent : il s agit de brevets qui sont le résultat de la subdivision d un brevet original pour mieux bloquer la stratégie technologique des concurrents sur un marché (Orsenigo & al 2010). 3 Une autre explication de l usage détourné des brevets résulte des interactions entre brevets et normes. Les brevets occupant une place croissante comme sources potentielles de normes (Briden & an 2010), des stratégies dites de «Patent ambush» se développent (Hemphil, 2005). Plusieurs affaires célèbres comme celle de Qualcom et Rambus ou encore Rockwell contre 3Com illustrent ce phénomène. On note ainsi des affaires concernant les entreprises. En cachant l existence de demande de brevets en cours d examen pendant la négociation sur l adoption de normes, les entreprises s assurent pour l avenir une rente via les redevances qu elles recevront à partir de l octroi de licences. Il s agit d une forme de «hold-up technologique». La combinaison de ces fonctions (protéger, signaler et collaborer, bloquer et créer des rentes d exploitation) introduit des changements majeurs dans la manière d aborder la fonction PI dans les entreprises. Une telle évolution questionne la capacité stratégique et organisationnelle des entreprises françaises à prendre en compte ces mutations. 2. Répondre aux défis des nouveaux usages des brevets 2.1. Méthodologie utilisée L approche retenue repose sur des entretiens auprès de grandes entreprises françaises et des échanges dans le cadre de groupes de travail constitués de responsables de la PI de grands comptes français et des groupes d experts publics et privés animés par l OCDE sur le thème de la gestion de la PI. Ces groupes de travail se sont déroulés en parallèle sur la période 2009 à 2012. Ces échanges ont permis d analyser la prise de conscience par les entreprises françaises de l évolution du rôle des brevets dans la stratégie d entreprises et d analyser les freins à la mise en œuvre d une gestion stratégique des brevets pour les grandes entreprises, et ceci quel que soit le secteur d activités. Cette approche a permis de caractériser les dimensions clés nécessaires pour construire une nouvelle capacité organisationnelle qui permettrait aux entreprises de tirer parti des avantages des différentes

fonctions des brevets. L exploitation du portefeuille de brevets doit être envisagée comme un dispositif beaucoup plus intégré à la stratégie de l entreprise. Elle ne doit donc plus être le monopole du service de la PI et de quelques spécialistes. Certains professionnels confrontés directement à ces évolutions ont mis en évidence que les entreprises vont devoir mettre en place un management beaucoup plus actif en la matière (Caillaud, 2010). Reste à en définir les contours, car sur bien des aspects construire une telle capacité constitue une gageure pour les entreprises (Deepak, 2012). 4 2.2 Une prise en compte partielle des enjeux par les entreprises françaises La plupart des travaux de recherche (Lebas & al, 2010 ; Corbel, 2011 ; Orsenigo & al, 2010 ) mettent en évidence que plus les firmes sont de grande taille, plus elles développent une gestion stratégique de leur portefeuille de brevets. Leurs ressources financières et humaines et leurs expériences en matière de gestion de la propriété intellectuelle expliqueraient ce phénomène. Pourtant en France l évolution des stratégies des grandes firmes est lente ou partielle. On constate ainsi un retard relatif dans ce domaine par rapport aux entreprises américaines et peut être même par rapport aux firmes asiatiques. Ce retard se manifeste comme par exemple par leur faiblesse de leur positionnement actuel sur le marché de la technologie comparativement à leurs concurrents. En particulier, la cession nette des brevets des firmes françaises à l étranger constitue une tendance qui est à l opposé de ce que l on constate en Allemagne, aux Etats-Unis et en Asie (France brevets-mines ParisTech, 2012). Cette situation est le reflet d une position assez «passive» des entreprises françaises par rapport aux nouvelles pratiques de gestion des portefeuilles de brevets. Les grandes entreprises françaises sont dans une situation paradoxale. Si elles consacrent souvent des moyens importants à la gestion de leur portefeuille, celle-ci se fait encore dans une approche assez traditionnelle fondée sur la vision et la culture de l ingénieur et du juriste. La prise de conscience du rôle stratégique des brevets est progressive, mais elle n aboutit pas à de nouvelles orientations concrètes au niveau de la gestion du portefeuille de brevets. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette situation : tout d abord, la complexité même de la gestion de la propriété intellectuelle, qui laisse les acteurs parfois démunis ; ensuite l absence de recul sur l évolution des pratiques, souvent la conséquence directe du manque de temps dont disposent les acteurs en charge de la PI et de la stratégie de l entreprise pour appréhender leurs activités. 2.3 Construire une nouvelle capacité organisationnelle: identification des critères clés La variété des échanges et des entretiens réalisés permet d identifier les contours de cette nouvelle capacité organisationnelle à partir de 3 critères clés. Le premier critère est lié à une réorganisation interne qui vise à repenser le lien entre l unité en charge de la propriété intellectuelle (PI) et la direction générale de l entreprise. La prise en compte de

l ensemble des fonctions stratégiques du brevet conduit à rapprocher considérablement cette fonction de la direction générale de l entreprise. Il est symptomatique de noter que les entreprises françaises qui ont le plus de difficultés à prendre en compte l ensemble des fonctions stratégiques des brevets sont généralement des entreprises pour lesquelles les services de la PI sont le plus éloignés hiérarchiquement de la direction générale et pour lesquelles la gestion de la PI est la plus décentralisée dans les business unit. 5 Le second critère est lié aux modalités de coordination qui doivent être mises en place autour de la fonction PI. Cette fonction de coordination est d autant plus nécessaire que l expertise est éclatée dans l organisation. En effet, les nouvelles fonctions des brevets supposent une articulation plus fine des compétences d ingénieurs (dans des équipes R&D, marketing ou open innovation), de juristes et de manageurs. Cette capacité d articulation peut en partie s exercer autour de la constitution de nouveaux comités de brevets qui doivent davantage expliciter et faire partager les critères associés aux décisions de dépôt de brevet et de vie du brevet (renouvellement, extensions, abandon.). Le changement est assez radical. L usage «traditionnel» du dépôt de brevet associé à la protection d une invention était indissociablement associé à la qualité de l invention d un point de vue technologique et à son potentiel économique c est-à-dire d exploitations commerciales. Le modèle de sélection des inventions éligibles au dépôt de brevets reposait alors sur l expertise de l ingénieur et du responsable marketing avant tout. Lorsque d autres critères rentrent en jeu (signalement, blocage), d autres dimensions doivent être prises en compte comme le marché et la stratégie de collaboration gérée par l entreprise. Cela suppose d intégrer davantage la direction en charge de la stratégie de l entreprise et d introduire une variété plus grande de critères pour faire des choix de dépôts et de maintien de brevets. Le rôle du service de la PI en matière de coordination implique de nouvelles modalités d échanges avec les experts technologiques et scientifiques. Les outils de veille fondés sur l information brevet contribuent à aider les acteurs à construire une vision partagée du positionnement technologique de l entreprise et de réduire les asymétries de connaissances et d informations sur l environnement concurrentiel (Mérindol & al, 2011). Les entretiens réalisés permettent de mettre en évidence que lorsque la fonction PI au sein de l entreprise intègre ce type d outils, elle peut contribuer à alimenter les réflexions pour des décisions qui dépassent les champs traditionnels de la gestion du portefeuille de brevets comme le choix des partenaires technologiques ou encore la définition de nouveaux champs de recherche technologique à investiguer. Le service de la PI devient alors un dispositif clé dans les décisions stratégiques de l entreprise. Si les experts technologiques ont toujours un rôle central à jouer dans ce processus, celui-ci change : ils ne doivent pas seulement se baser sur leur savoir d experts mais aussi sur une lecture attentive des cartographies de l activité technologie apportée par les nouveaux outils de veille brevets et leur articulation avec leur propre savoir d expert. La variété et la transformation de données externes (les brevets) en carte synthétique de l activité technologique à l échelle mondiale peut inciter les experts à modifier leur représentation du monde et les aider à orienter leurs propres activités au sein de l organisation. Le troisième critère est lié à l évolution et l acquisition de compétences. La fonction de responsable PI évolue profondément et s élargit. Elle suppose de construire une vision intégrée des défis

technologiques, juridiques, économiques et stratégiques que peuvent supporter les brevets. Il faut aussi mobiliser des compétences plus diversifiées et des méthodologies plus sophistiquées que par le passé. Le recrutement de nouveaux profils capables de développer une approche stratégique de l analyse brevets se révèlent indispensable. Il s agit d individus qui ont une compétence multidisciplinaire au croisement du droit de la PI, de l économie et de la technologie avec une capacité à articuler ces dimensions pour créer du sens et contribuer à une analyse stratégique. Il s agit aussi d individus qui ont une appétence particulière pour exploiter des bases de données riches d informations et les logiciels de traitements associés. Ces profils sont émergents et il n existe pas encore de filières dédiées pour ce type de profil, ce qui laisse aujourd hui les entreprises dans des logiques de bricolages et de formation interne par la pratique uniquement. 6 Conclusion Cette analyse a permis de proposer une grille d analyse des fonctions stratégiques des brevets et de définir les dimensions clés d une nouvelle capacité organisationnelle permettant aux entreprises de faire face aux nouveaux défis de la gestion stratégique du portefeuille de brevets. Cette capacité constitue en soi une compétence clé de l entreprise qui peut donner un avantage concurrentiel majeur sur les marchés. Parce qu il s agit d une compétence clé, elle ne peut être qu internalisée par les entreprises. Si pour les grandes entreprises, il s agit d une question de temps et de ressources mobilisées pour l acquérir ; en revanche pour les petites entreprises cette capacité ne peut se développer que collectivement, dans une logique de réseaux d entreprises et en partenariat étroit avec les pouvoirs publics. Bibliographie Ayerbe C. & Mitkova L. 2005. Quelle organisation pour la valorisation des brevets d invention?, Revue française de gestion, Blind K., Elder J.; Frietsch R. et Schmoch U. 2006., Motives to patent : Empirical evidence from Germany, Research Policy, vol. 35 (5) Briden A. & Ollivier P. 2001, Normalisation, standardization et brevets : leviers de l innovation, dans Guellec & al, Le marché des brevets dans l économie fondée sur la connaissance, Rapport du Centre d analyse économique, Paris,

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