ANNEXE 2 L'économie fondée sur le savoir 9 (Knowledge-based economy) La technologie transforme les économies développées en des économies fondées sur le savoir, c'est à dire s'appuyant directement sur la production, la distribution et l'utilisation de savoir et d'information. La technologie deviendrait alors plus que jamais le moteur de la croissance économique. Il s'agit dès lors (i) de caractériser cette évolution vers une économie du savoir ainsi que (ii) ses principaux mécanismes avant d'approfondir la question des relations (iii) entre innovation technologique et travail et (iv) entre innovation technologique et croissance. I - Les manifestations de l'évolution vers une économie du savoir : les changements dans la production ou la diffusion des connaissances L'évolution de la structure des économies de l'ocde procède de la diffusion de technologies nouvelles (en particulier les technologies de l'information et de la communication) qui modifie tant les schémas de consommation que les procédés de production. En effet, le changement technologique crée des possibilités élargies ou nouvelles de consommation par le biais des innovations de produit ou de procédé. De la sorte, les méthodes de production s'en trouvent également changées, en particulier le travail tant d'un point de vue (i) quantitatif (suppressions et créations d'emplois) que (ii) qualitatif (évolution des qualifications et des emplois). Cette transformation structurelle se traduit, dans un premier temps, par le déclin/disparition de secteurs d'activité et l'apparition/croissance concomitantes d'autres secteurs, auxquels sont associées des réallocations d'emploi. La manifestation principale en est la part croissante du secteur des services (autrement dit la "tertiarisation" de l'économie) tant en termes d'activité économique (environ les 2/3 de la production) que d'emploi (70 % des emplois en raison d'une moindre productivité du 9 Cette note emprunte à l'analyse de N. DOISY (Ministère de l'industrie) du rapport de l'ocde "Technologie Productivité et Emploi", paru en 1998. Réf. : Page 50 / 60
travail dans ces secteurs). Le même type d'évolution transparaît au sein de la production manufacturière avec (ii) l'importance relative croissante des industries de haute technologie (ou industries high tech : informatique, électronique, aérospatial, pharmacie,...) et (ii) la recherche constante d'une meilleure qualité ainsi que d'une plus grande différenciation des produits industriels. De ce point de vue, il contient de souligner l'importance autant (i) des producteurs d'innovations (et en particulier de hautes technologies) que (ii) des utilisateurs de celles-ci dans l'industrie (plastiques, voitures, textiles,...) ou dans les services (en particulier finance, assurance, services aux entreprises, communication,...). C'est pourquoi les concepts de "contenu technologique" ou encore de "technologie acquise" (OCDE, 1996) semblent appropriés dans la mesure où autant si ce n'est plus que leur production, la diffusion des innovations et des technologies se manifeste par un effet sur les prix, la productivité, les salaires et les revenus. La diffusion du savoir passe par l'acquisition de biens (capital matériel voire immatériel, biens intermédiaires) ou de travail (capital humain) dans lesquels il est incorporé. Elle emprunte également une forme non incorporée autorisée par l'accessibilité, qui peut être peu coûteuse, à une information codifiée ou codifiable : brevets, imitation, mobilité du capital humain,... Cette seconde voie de diffusion souligne l'importance de la "capacité d'absorption" des agents économiques, et singulièrement des entreprises, elle-même dépendante de deux facteurs : (i) le capital humain et (ii) le capital de R&D,;, constitutifs du capital technologique ou de savoir. Il a été démonté que les entreprises disposant d'un niveau initial élevé de capital humain et en R&D et maintenant un effort important d'investissement dans ces domaines sont celles dont la capacité d'absorption est la lus performante ; on en vient ici au concept de learning economy ou d'économie d'apprentissage. II - Les mécanismes fondamentaux de l'économie du savoir : les investissements immatériels ou la constitution d'un capital de connaissances. La constitution d'un capital de savoir passe, selon l'ocde, par des investissements immatériels en R&D, dans d'autres formes d'actifs innovant (dont les investissements matériels - hardware - ou immatériels - software -) ou encore dans les technologies de l'information et de la communication (TIC). L'amélioration du capital humain par la formation Réf. : Page 51 / 60
ou l'élévation des qualifications et des compétences y contribue également, donne du capital de savoir (knowledge capital) une définition un peu plus large : il est constitué de l'accumulation d'actifs en R&D, marketing, software et éducation dont les rendements sont appropriés par les firmes elles-mêmes. On peut ici accepter la notion de capital technologique, plutôt proche de celle défendue par l'étude de l'ocde, comme équivalent approximatif de capital de connaissance, à ces quelques investissements immatériels près (marketing, communication dont publicité,...). Il apparaît évidemment, à ce stade, que de redoutables difficultés méthodologiques s'opposent à une mesure exacte de ce type d'investissements réalisés dans des proportions croissantes par les entreprises (question de l'obsolescence). En effet, les dépenses de R&D sont l'indicateur le plus généralement retenu bien qu'elles soient le plus souvent la fait de grandes entreprises. Les plus petites entreprises réaliseraient la plus grande part de leurs investissements liés à l'innovation en dehors du domaine de la R&D, procédant ainsi à une acquisition indirecte seulement de R&D. III - Technologies, productivité et création d'emplois : les relations complexes ente le progrès technique et le travail dans une économie du savoir L'effet des évolutions technologiques, toujours plus intensives en savoir, sur l'emploi transite par leur impact sur la productivité dont on a une vision : - relativement claire au niveau micro-économique : les performances relatives en matière de gains de productivité des entreprises entretenant un effort continu de R&D sont plus élevées que celles des entreprises n'effectuant pas de R&D. - bien moins évidente au niveau macro-économique : le paradoxe dite de Solow met en évidence que, depuis le premier choc pétrolier, les économies de l'ocde connaissent simultanément un ralentissement des gains de productivité et un changement technologique exceptionnellement rapide. Une première explication à ce paradoxe est fournie par les difficultés de mesure (i) du changement technique (seul les dépenses de R&D sont prises en compte à défaut d'autres efforts d'innovation) et (ii) des gains de productivité (en particulier dans le secteur des services). Une seconde explication, de nature plus économique, consiste à mettre en évidence un Réf. : Page 52 / 60
effet retard imputable au processus d'apprentissage du changement technique, accompagnant notamment un investissement dans une technologie nouvelle (investissements complémentaires en organisation et formation) 10. Par ailleurs, il semble que l'effort d'innovation des entreprises se porte sur des domaines dont les bénéfices leur sont plus directement appropriables (fort rendement privé) et présentent donc de faibles externalités de diffusion (faible rendement social) : différenciation de produit, amélioration de la qualité, production en flux tendus,... Enfin, le progrès technique n'est pas le seul déterminant des gains de productivité qui procèdent également des structures de marché, des économies d'échelle, de la qualité des infrastructures publiques, des évolutions démographiques. L'impact des évolutions technologiques sur l'emploi mérite également d'être appréhendé au niveau tant micro-économique que macroéconomique, afin d'expliquer l'équivalent du paradoxe de Solow dans ce domaine. En effet, les économies de l'ocde connaissent, dans une période de changement technologique rapide, des niveaux de chômage élevés en même temps qu'une faible croissance de l'emploi. Au niveau de la firme, différentes études ont identifié une relation positive entre innovation (approximée par l'effort de R&D) et emploi (meilleure préservation ou plus fortes créations d'emplois). Pour autant, l'effet net final du changement technologique sur l'emploi dépend autant de l'intensité et de la nature de celui-ci que du processus de substitution du capital au travail ou du fonctionnement du marché du travail (degré de flexibilité, mode d'ajustement des salaires, mécanismes d'élévation des qualifications,...). La présence d'un biais technologique en défaveur de l'emploi (labour saving technology), en particulier peu ou non qualifié, fait l'objet de nombreux débats encore bon définitivement tranchés. Certaines études estiment que les effets du progrès technique en défaveur du travail peu qualifié sont indirects et limités (Cotis, Germain, Quinet, 1997). Ce biais, pour ceux qui en soutiennent l'existence, se traduirait différemment selon la nature des innovations (Duguet et Greenan, 1997) : les innovations de produits radicales seraient plutôt destructrices d'emplois d'exécution et de conception tandis que les innovations incrémentales de produits ou de procédés favoriseraient ces types d'emplois. De même, la qualité initiale 10 Robert Solow a calculé en 1956 une décomposition de la croissance économique faisant la part (i) de l'accroissement du capital physique et de la population active et (ii) du progrès technique mesuré par les gains de productivité totale des facteurs (PTF). Réf. : Page 53 / 60
du facteur travail (structure des qualifications et distribution fonctionnelle des emplois) influence la capacité d'innovation des entreprises. Bien que ces éléments puissent être et soient discutés abondamment, il semble que les grandes tendances de l'emploi résultant du changement technologique puissent se caractériser ainsi : - la montée en puissance des secteurs d'activité intensifs en savoir (industrie high tech, services sociaux et à la personne, services financiers et aux entreprises) se traduit par un accroissement de leur emploi en même temps que l'emploi industriel traditionnel décline - les inégalités sur le marché du travail liées à la présence d'un biais technologique se manifestent en France plutôt par un chômage accru des travailleurs peu ou non qualifiés et aux Etats-Unis par un élargissement de l'éventail des rémunérations en défaveur de ces travailleurs. IV - Innovation et croissance dans une économie du savoir : entre production et diffusion des innovations technologiques La croissance dans une économie fondée sur le savoir procède d'un processus d'innovation (de produit ou de procédé) intensif en savoir et conduit, pour plusieurs raisons, à intégrer les apports des réflexions fondatrices des théories de la croissance endogène. Si dans le modèle de Solow le progrès technique est exogène, i.e. indépendant des mécanismes et des variables économiques, le processus d'innovation, dans ce nouveau paradigme, est endogène. Par ailleurs, la présence d'externalités de production positives explique celle de rendements constants voire croissants et, par conséquent, la possibilité d'élever durablement le niveau du taux de croissance. Le résidu de Solow (identifié comme la croissance de la productivité totale des facteurs - PTF) représente entre 50 et 75 % de la croissance économique sur longue période et peut s'expliquer par (i) l'investissement en capital humain, (ii) la présente d'infrastructures (publiques et/ou privées) performantes ou (iii) le progrès technique, autrement dit l'innovation. Ce dernier facteur de production résulte, pour sa partie identifiée, d'un effort continu et soutenu de R&D qui, en raison d'externalités positives, présente un taux de rendement social supérieur à son taux de rendement privé, ainsi que l'ont démontré nombre d'études économétriques. Réf. : Page 54 / 60
Ces externalités positives, dites de connaissance, que présentent les innovations élaborées par certaines entreprises, résultent de la prédominance de connaissances codifiées ou codifiables (information dont l'acquisition est aisée ou présente un coût pratiquement nul) utilisables par d'autres entreprises, concurrentes ou non, ainsi que de la mobilité du capital humain. Elles entraînent un risque de sousinvestissement privé dans ce domaine. En effet, étant complémentaires à d'autres technologies, elles génèrent des effets collectifs bénéfiques non appropriables à l'origine d'un taux de rendement privé inférieur à leur taux de rendement social. Ces externalités positives dominent généralement les externalités négatives, dites stratégiques, conduisant à un risque de duplication de dépenses de R&D substituables (sur-investissement). Réf. : Page 55 / 60