L'élargissement de l'otan : entre sécurité collective et défense collective



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Transcription:

CChaire Interbrew-Baillet Latour Union européenne - Russie UCL - KUL Iee Document n 25 - Septembre 2002 L'élargissement de l'otan : entre sécurité collective et défense collective Par Lionel Ponsard Conseiller politique au Ministère de la Défense Institut d études européennes Pôle européen Jean Monnet Université catholique de Louvain Place des Doyens, 1 1348 Louvain-la-Neuve Tel : +32 10 47 85 29 Fax : +32 10 47 85 30 http://www.euro.ucl.ac.be

IEE - Documents Cette collection, éditée par l'institut d'études européennes de l'université catholique de Louvain, entend rendre disponibles, dans une forme très dépouillée, des textes d essais, conférences, interventions de personnalités et de chercheurs dont les idées sont susceptibles de nourrir la réflexion sur la construction européenne, au plan général comme au plan particulier. Lionel Ponsard est conseiller politique auprès du Ministère de la Défense belge pour les questions relatives aux pays d Europe centrale et orientale et tout particulièrement la Russie. Il exerce également les fonctions d intervenant externe auprès de l Ecole de l OTAN et de l Institut Royal Supérieur de Défense belge pour les questions politico-militaires russes. Détenteur d un Master en relations internationales du King s College de Londres, il écrit actuellement une thèse de doctorat à l Université de Leiden (Pays-Bas). Il dispose également d une licence en traduction interprétation Allemand/Italien et parle couramment le Russe. La Chaire Interbrew-Baillet Latour «Union européenne - Russie» UCL - KUL http://www.euro.ucl.ac.be/fbl/fbl.htm La Chaire, créée au début de l année 2000 par la Fondation Interbrew-Baillet Latour, a pour objectif de stimuler l étude pluridisciplinaire des relations entre l Union européenne et la Russie. Basée sur une coopération entre l Institut d études européennes de l Université catholique de Louvain et l Instituut voor Europees Beleid de la Katholieke Universiteit te Leuven, la Chaire Interbrew-Baillet Latour se donne comme axe principal de recherche une analyse des origines, des déterminants et des évolutions possibles des relations euro-russes. Ces recherches sont menées dans diverses disciplines afin d impliquer et d intéresser un large public : le monde académique ainsi que les acteurs de la vie politique trouvent dans les séminaires, les publications ou encore les colloques organisés par la Chaire Interbrew-Baillet Latour l occasion d associer leurs connaissances sur les relations euro-russes envisagées notamment sous les angles des Relations internationales et de l Histoire. Parallèlement à l organisation de ces activités ponctuelles, la Chaire mène une recherche continue au sein de chaque Institut ; elle entend ainsi constituer un pôle d intérêt et encourager la recherche sur le sujet qui l occupe. Le programme des conférences ainsi que les publications peuvent être obtenus auprès des deux instituts. UCL : KUL : Prof. K. Malfliet Prof. T. de Wilde Melle L. Verpoest Melle L. Spetschinsky e-mail : lien.verpoest@soc.kuleuven.ac.be e-mail : spetschinsky@euro.ucl.ac.be tel +32 16 32.31.48 tel +32 10 47.84.90 fax +32 16 32.31.44 fax +32 10 47.85.49

Avant-propos Dans le prolongement de son exposé donné le 14 mars 2002 dans le cadre des activités de la Chaire Interbrew-Baillet Latour, Lionel Ponsard livre ici une réflexion sur les paradoxes de la sécurité européenne à l heure de l élargissement de l Otan. Le premier paradoxe mis en évidence par l auteur est celui qui articule l intérêt quasi exclusif des pays candidats pour la traditionnelle fonction de l Otan, la défense collective, et l évolution de la mission de l Otan, tel que l illustre entre autres son élargissement. Entre sécurité collective et défense collective, anciens et nouveaux membres semblent suivre des logiques bien différentes quant au rôle de leur Alliance. L article 5 du Traité de l Atlantique Nord, au nom duquel les États Membres conviennent qu'une attaque armée contre l'un d'entre eux sera considérée comme une attaque contre tous, pose des questions et provoque en somme un silence gêné. Premièrement, parce qu il n est plus certain que les Alliés sont prêts à mourir pour Dantzig. Deuxièmement, et plus fondamentalement, parce que la défense collective pose la question de l ennemi. La Russie, dont les forces conventionnelles ne constituent plus une menace, inquiète-t-elle encore réellement? Ou les pays d Europe centrale et orientale souhaitent-ils saisir l occasion historique qui leur est donnée de tourner définitivement et symboliquement la page, et de gagner une nouvelle respectabilité? De son côté, la Russie de Poutine a fait le deuil des promesses occidentales de ne pas élargir l Alliance atlantique. Pour bon nombre de Russes, l élargissement représente d abord une trahison ; il stigmatise ensuite la perte du statut de grande puissance ; enfin, il rapproche des frontières russes la ligne de fracture qui laisse en marge les pays non invités à rejoindre l Alliance. D une opposition farouche mais stérile, Moscou a adopté aujourd hui un ton résigné quant à l inévitable élargissement, tout en continuant d exprimer son désaccord. Elle y a gagné la création du Conseil Otan-Russie, organe de consultation et de co-décision en certaines matières d intérêt commun. Le nouveau Conseil pourra-t-il résorber la méfiance et la suspicion que les promesses occidentales ne parviennent pas à éliminer? A la veille du Sommet de Prague, divers scénarios pour l élargissement s affrontent encore. Certains défendent les mérites d un élargissement progressif, adapté aux évolutions de chaque candidat. D autres prônent un élargissement aussi ample que possible, ou big bang et arguent notamment du fait qu un tel élargissement diminuerait le nombre de confrontations avec la Russie et les régulières remises en question du processus. Quelle que soit la solution retenue, il demeure que des questions essentielles continueront à tarauder l Organisation et ses observateurs : celle de la raison d être de l Alliance atlantique et de son rôle pour la stabilité du continent ou celle du sort des pays laissés pour compte de ce dernier élargissement. Et, bien entendu, l avenir des relations entre la grande Alliance et sa voisine orientale, dans un contexte international bouleversé par de nouvelles menaces, qui appellent de nouvelles réponses. Laetitia Spetschinsky Assistante de recherhe Chaire Interbrew-Baillet Latour

L élargissement de l OTAN : entre sécurité collective et défense collective par Lionel Ponsard * L OTAN a changé plus d une fois de visage. La fin de la guerre froide conduisit l Alliance à revoir son concept stratégique en 1991. Il apparaissait alors indispensable de prendre en compte les changements drastiques survenus sur la scène internationale et d obliger l Alliance à s interroger sur sa raison d être. La dissolution du Pacte de Varsovie et la désintégration de l URSS allaient permettre à l Alliance de sortir de l antagonisme stérile de la guerre froide et d embrasser un rôle sécuritaire transatlantique plus large. 1 La création du Conseil de Coopération Nord Atlantique (COCONA) rassemblant autour d une même table les membres de l OTAN et les pays de l ancien Pacte de Varsovie fut la première illustration de cette transformation post-guerre froide. Les ennemis d autrefois furent ainsi invités à établir des relations diplomatiques permanentes avec l Alliance. Le COCONA offrait à la Russie, aux autres républiques de l ex-urss et aux anciens satellites de l ex-urss, un cadre de dialogue, de consultation et de mise en œuvre de projets communs. Il servit de cadre à des discussions sur le contrôle des armements, sur la coopération dans le domaine des efforts de défense, de la gestion des crises, des mesures pour le maintien ou le rétablissement de la paix. Toutefois, malgré son importance symbolique indiscutable, le COCONA n était guère plus qu un forum de discussions et une base pragmatique permettant une réelle coopération concrète faisait toujours cruellement défaut. Dans le but d assurer une plus grande transparence entre les États et une coopération dans le domaine militaire, le Conseil atlantique de janvier 1994 résolut d adopter au Sommet de Bruxelles le programme du Partenariat pour la Paix (PpP). L OTAN invita tous les membres du COCONA ainsi que tous les pays de l OSCE à participer à cette nouvelle initiative. Le but du PpP était de dépasser le stade de simple dialogue afin de forger un réel partenariat, un Partenariat pour la Paix. 2 L objectif principal était bien sûr de permettre à l OTAN et aux partenaires de participer conjointement à des opérations sur le terrain tout en favorisant le contrôle démocratique des différents ministères de la défense et la transparence du budget alloué aux forces armées. Il est indéniable que le PpP est intimement lié à l ensemble du processus d élargissement de l Alliance. Il s agit en effet, après le COCONA, d une nouvelle réponse de l OTAN aux volontés d intégration sans cesse plus pressantes des pays d Europe centrale et orientale. Le PpP présentait en outre l avantage d une solution de compromis. Il permettait de remettre à plus tard toute décision précise relative à l élargissement tout en donnant la possibilité aux pays candidats de se rapprocher de l Alliance. * Les opinions exprimées ici sont strictement personnelles et n engagent que leur auteur. 1 Stuart CROFT, Jolyon HOWORTH, Terry TERRIFF and Mark WEBBER, NATO s triple challenge, International Affairs, p. 495, 76/3, 2000. 2 Cf. Documents officiels du Conseil de l Atlantique Nord, 1994.

Pourtant, l OTAN n était pas destinée à s élargir. Dans les années qui suivirent la chute du communisme en Europe de l Est et en Europe centrale en 1989, l élargissement était loin de constituer un thème prédominant de l actualité internationale. Il ne fut jamais considéré comme une éventualité envisageable par l administration Bush. La politique américaine de l époque se concentrait davantage sur le potentiel du COCONA et tenait absolument à procéder par étapes avec toutes les précautions de rigueur. Il convenait dans un premier temps de soigner les cicatrices laissées par la Guerre froide. L administration Clinton en revanche fut influencée par un certain nombre de facteurs qui allaient progressivement faire de l élargissement une nécessité absolue. Des conseillers de prestige comme Zbigniew Brzezinski ou Henry Kissinger déclarèrent que l élargissement était la suite logique et inévitable du PpP. D autres personnes, à l instar de Richard Holbrooke et des membres éminents du Congrès comme les Sénateurs Richard Lugar ou Bob Dole, partageaient également cette opinion. 3 A vrai dire, la plupart des membres du Congrès soutenaient le principe selon lequel la raison d être de l Alliance et son rôle futur étaient indissociables de l élargissement. Quant au président Clinton, il entretenait des relations particulièrement amicales avec certains représentants est-européens comme le président tchèque Vaclav Havel ou le président polonais Lech Walesa. Ceux-ci avaient d ailleurs profité de l ouverture du Mémorial de l Holocauste aux États-Unis en avril 1993 pour demander au président américain son soutien pour leur cause commune. 4 Bill Clinton subissait également la pression de nombreux électeurs américains d origine est-européenne favorables à l intégration de leurs pays ancestraux dans les structures atlantiques. Une fois encore, des voix s élevèrent pour donner la priorité à une initiative existante, en l occurrence le PpP, plutôt que de se lancer tête baissée dans un processus aux implications extrêmes. Il était bien sûr indéniable qu aucun élargissement ne pourrait avoir lieu sans l acquiescement explicite des États-Unis. Alors que l administration Clinton avait véhiculé l idée d un PpP permettant de remettre l élargissement à plus tard et que les Alliés s étaient à peine fait à l idée du PpP, l idée de l élargissement était lancée sans coup férir. Dans le but d informer les pays candidats sur les attentes précises de l Alliance, une «Étude sur l élargissement de l OTAN» fut mise au point en 1995. Les expériences acquises lors des opérations multilatérales de maintien de la paix en Bosnie au sein de l IFOR puis de la SFOR allaient mettre en exergue la nécessité de disposer d un réel cadre politique pour le Partenariat. Le Sommet de Madrid de 1997 concrétisa cette volonté en créant le Conseil de Partenariat Euro-Atlantique (CPEA) qui remplaça dès lors le COCONA. Ce nouveau Conseil allait permettre d assurer des consultations plus étroites entre l OTAN et les partenaires sur des questions politicosécuritaires d intérêt commun. Le CPEA offre aussi la possibilité aux partenaires de prendre part au processus décisionnel pour les opérations auxquelles ils participent. Un autre rôle du CPEA vise à aider les pays candidats à préparer leur intégration dans l Alliance par le biais du Plan d Action d Adhésion. 5 Celuici implique la présentation d un Plan National Annuel qui couvre les aspects politiques, économiques, 3 Alvin Z. RUBINSTEIN, The Unheard Case Against NATO Enlargement, Problems of Communism, p. 54, Mai- Juin 1997. 4 David YOST, NATO transformed. The Alliance s New Roles in International Security, pp. 100-101, United States Institute of Peace Press, Washington, 1998. 5 Le Plan d Action d Adhésion est surtout connu sous sa dénomination anglo-saxonne de Membership Action Plan ou MAP. Le MAP, introduit au Sommet de Washington en 1999, permet aux pays candidats d identifier de façon plus précise leurs priorités en matière de réformes et de bénéficier des recommandations et des conseils de l Alliance. Il convient de noter que le MAP ne remplace nullement le PpP et n offre pas la moindre garantie d intégration.

militaires, sécuritaires et légaux de l adhésion ainsi que les questions relatives aux ressources. A l instar du PpP qui avait évolué en un programme plus approfondi que l initiative créée par ses fondateurs, le processus du MAP contient le même potentiel. A l aide de ce processus, l Alliance peut en effet suivre les progrès réalisés par les différents candidats et estimer leur niveau de préparation pour l adhésion. Ce processus conduit tout naturellement à renforcer et à intensifier les attentes des candidats vis-à-vis de l OTAN. Le 8 juillet 1997, l OTAN invita la Pologne, la Hongrie et la République tchèque à adhérer à l Alliance. En avril 1999, à l occasion de son 50 ème anniversaire, l OTAN intégrait officiellement les trois nouveaux membres sans exclure d autres vagues d élargissement pour d autres États. Au prochain sommet de Prague de novembre 2002, l OTAN sera à nouveau confrontée à la décision d inviter un ou plusieurs candidats à intégrer l Alliance. La question ne se pose même pas de savoir si l élargissement aura lieu : la politique de la porte ouverte trouvant son expression pratique dans le MAP ainsi que les différentes déclarations de l actuelle administration Bush et des principaux dirigeants européens ne laissent pas la place au moindre doute. L élargissement ne manque pas de réveiller en nous de vieux démons que nous voudrions taciturnes. Le premier est probablement le lien transatlantique et la nécessité de préserver la présence américaine en Europe. Le deuxième a trait sans nul doute à la Russie et son opposition bien connue à toute forme d élargissement à moins d être elle-même invitée à intégrer l Alliance. Le troisième est issu du parallélisme troublant entre l élargissement de l Union européenne d une part et l élargissement de l OTAN d autre part. Enfin, les conséquences des différents scénarios possibles et des différentes options allant de l élargissement modeste au fameux big bang. Toutes les décisions liées à l élargissement demeurent des décisions politiques. L élargissement ne sera pas basé uniquement sur des considérations relatives aux progrès réalisés en matière de défense ou par rapport aux réformes démocratiques et à l instauration d une économie de marché viable. Les décisions d inviter les candidats seront aussi influencées par la politique interne de ces pays et par les développements internationaux. Il sera nécessaire d obtenir un consensus au sein des membres actuels quant à la contribution sécuritaire des candidats. Cette évaluation périlleuse dépendra de facteurs difficilement prévisibles comme les tendances économiques, le processus de l élargissement de l UE et les développements en Russie. L intégration de nouveaux pays apporterait certains avantages évidents à l Alliance en termes d infrastructure et de présence géostratégique. D un autre côté, les capacités de défenses des différents candidats reflètent le lourd héritage du Pacte de Varsovie et d une doctrine militaire basée avant tout sur des forces conventionnelles surabondantes. Les réformes indispensables dans ce domaine et dans d autres non moins importants comme l établissement d une économie de marché ou le respect du droit humanitaire pourraient à terme porter atteinte à la cohérence de l Alliance. Il existe sans conteste des arguments favorables à l élargissement mais nous pourrions également reprendre à l envi la liste des craintes et des appréhensions inhérentes à ce processus. Certains experts vont jusqu à parler de paradoxe entre l intérêt quasi exclusif des pays candidats pour les fonctions originelles de l Alliance symbolisées par l Article 5 et le développement de nouvelles initiatives atlantiques dont la principale est précisément le processus d élargissement. Mais ce choix entre défense collective et sécurité collective existe-t-il vraiment? Quoi qu il en soit, l attachement de nombreux représentants russes

à l image d une grande puissance nucléaire russe jouissant d un statut privilégié dans l ordre sécuritaire européen a fortement alimenté la perception des pays d Europe centrale et orientale qui réclament la protection de l OTAN. 6 L Article 5 touche aux fondements mêmes de l Alliance. A cet égard, on pourrait se demander si les Alliés seraient prêts à mourir à nouveau pour Dantzig dans le cas d une Alliance élargie. Pourtant ce genre de préoccupations liées aux implications que l élargissement aurait sur les garanties de la défense collective sont loin d être prédominantes. On estime en général que la défense collective ne constitue plus la tâche essentielle de l Alliance, compte tenu de la faiblesse des forces conventionnelles de la Russie et de son processus de démocratisation. De toute évidence, on évite également de mentionner en public les garanties de défense collective dévolues aux nouveaux membres. En effet, ceci conduit tout naturellement à la question de savoir contre qui cette défense doit s opérer. En outre, cela augmenterait encore les inquiétudes des pays malchanceux qui pourraient dès lors se considérer exclus de cette protection atlantique. Enfin, de crainte de susciter un certain mécontentement auprès de leurs électorats respectifs, les pays de l Alliance préfèrent ne pas trop insister sur de nouvelles responsabilités en matière de défense collective à l égard de nouveaux membres éventuels. Il convient également de garder à l esprit que l existence de l Article 5 ne conduit pas nécessairement à l action ou à l absence d action. A titre d exemple, les États-Unis ne pourraient ignorer une attaque contre la Lettonie ou la Suède sous prétexte que ces deux pays ne sont pas liés par les garanties de l Article 5. Pourtant l élargissement aura bien lieu. Un vote en faveur de l élargissement nécessitera tout au plus une stratégie politique à court terme alors qu un vote négatif aurait des implications beaucoup plus importantes. L OTAN est avant tout une administration et à ce titre une bureaucratie composée d individus qui entendent conserver leurs emplois. Les décideurs politiques sont également la cible des pressions de différentes industries de défense qui voient dans l élargissement une source de bénéfices non négligeable. 7 1. L élargissement et le lien transatlantique L objectif premier de l OTAN avait toujours été de lier le destin des États-Unis à celui de l Europe occidentale afin de résister côte à côte à une attaque éventuelle de l Union soviétique grâce aux garanties prévues par l Article 5 de la Charte atlantique. La défense européenne fut ainsi pendant longtemps indissociable de la présence américaine. Les rares velléités d indépendance européenne en matière de défense se soldèrent pour la plupart par de cuisants échecs à l instar du Plan Pleven, de la Communauté Européenne de Défense (CED) et plus tard des Plans Fouchet. La volonté principalement française de considérer une défense européenne libérée de l influence américaine se heurtait à une position britannique homogène et immuable ainsi qu à une neutralité germanique timorée. Pourtant l arrivée de l administration Blair associée à un pouvoir présidentiel de confession gaulliste conduisit en décembre 1998 à la déclaration conjointe franco-britannique de Saint-Malo suivie des Conseils européens de Cologne et d Helsinki qui ouvrirent la voie à de réels débats sur la capacité de défense européenne. La 6 Isabelle FACON, La Russie, l OTAN et l avenir de la sécurité en Europe, Politique étrangère, p. 295, 3/1997. 7 On estime à environ 150 le nombre de F 18 et F 16 achetés par la Pologne afin d assurer une contribution nécessaire aux forces de l Alliance dans le cadre de son intégration.

coopération entre industries de défense européennes 8, mais également l avènement de l Euro, étaient autant de preuves d une véritable volonté de changement. Pourtant, la défense européenne est un rêve qui commence à peine à devenir réalité. Même s il est vrai que des moyens européens ont été utilisés lors de la campagne antiterroriste en Afghanistan, toute la première phase des opérations nécessitant des moyens opérationnels de technologie de pointe ont été assurés par les Américains. Ceux-ci décidèrent d ailleurs d emblée de prendre la direction des opérations, refusant cette prérogative à l Alliance qui avait pour la première fois de son histoire invoqué l Article 5 relatif à la défense collective. Il est relativement aisé de comprendre les différentes raisons ayant motivé cette prise de position américaine. La raison principale est bien entendu le fossé des capacités de défense séparant les États-Unis d une part, les Européens et les Canadiens d autre part. Lord Robertson, l actuel Secrétaire Général de l Alliance, soulève d ailleurs cette question à la plupart de ses allocutions. S il est vrai que l administration Bush a une fois de plus fait preuve d un goût prononcé pour l unilatéralisme, les Européens quant à eux rechignent encore et toujours à investir davantage dans le domaine de la Défense. Les gouvernements européens et la population ne semblent pas s en inquiéter mais les dirigeants politiques des deux côtés de l Atlantique ont de plus en plus de mal à accorder leurs visions respectives de la scène internationale. Les Européens ont le sentiment que les États-Unis envisagent exclusivement des solutions militaires aux menaces terroristes, en ignorant pour ainsi dire les aspects économiques, politiques et culturels sous-jacents. Les Américains quant à eux reprochent aux Européens leurs capacités insuffisantes et leurs bureaucraties lentes et inefficaces. Les Européens doivent à tout prix augmenter leurs capacités de défense s ils veulent demeurer les alliés privilégiés des Américains. Pour ce faire, il est indispensable de revoir à la hausse les dépenses en matière de Défense. Ceci est loin de susciter un enthousiasme fervent au sein des différentes classes politiques européennes. Il n est en effet pas aisé de justifier des dépenses de cet ordre en l absence de toute menace réellement tangible. Les nouvelles démocraties d Europe centrale et orientale sont, elles aussi, confrontées à ce dilemme : comment augmenter le budget de la Défense tout en préservant un soutien électoral indispensable à toute survie politique? La marge de manœuvre est limitée et il n est plus possible de se voiler la face. L Alliance a d ailleurs reconnu en son sein le caractère urgent de cette problématique en lançant l Initiative sur les Capacités de Défense (DCI 9 ) au Sommet de Washington de 1999. L administration Bush, quant à elle, continue d exhorter les Européens à assumer davantage leurs responsabilités sur le continent. Conformément aux principes directeurs définis par les Conseils européens d Helsinki et de Feira relatifs aux objectifs collectifs en matière de Défense, les États membres de l UE se sont engagés à consentir des efforts à moyen et à long terme pour continuer à améliorer leurs capacités opérationnelles et stratégiques. Ils se sont engagés, en particulier dans le cadre de la réforme en cours de leurs forces armées, à continuer de prendre des mesures pour renforcer leurs propres capacités et à poursuivre la réalisation des projets en cours ou prévus pour mettre en œuvre des solutions 8 Telle que EADS (European Aeronautic Defence and Space Company), née le 10 juillet 2000 de la fusion de l'allemand DaimlerChrysler Aerospace AG, du Français Aerospatiale Matra et de l'espagnol CASA. 9 DCI est l abréviation anglaise de Defence Capabilities Initiative.

multinationales, y compris dans le domaine de la mise en commun des ressources. Les structures militaires de l Union européenne continueront de se développer dans tous les domaines susmentionnés, afin que l objectif global soit atteint au plus tard en 2003. En se fondant sur les principes directeurs arrêtés lors du Conseil européen de Cologne et sur les rapports de la Présidence, le Conseil européen d Helsinki a fixé les objectifs suivants : en coopérant volontairement, les États membres doivent être en mesure, d ici à 2003, de déployer en 60 jours et de soutenir pendant au moins un an des forces militaires pouvant aller jusqu à 50.000-60.000 hommes, qui soient capables de remplir des missions humanitaires et d évacuation, des missions de maintien de la paix et des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix (missions dites «de Petersberg»), conformément à l article 17 du traité UE ; de nouveaux organes politiques et militaires ont été créés au sein du Conseil pour permettre à l Union d assurer le contrôle politique et la direction stratégique nécessaires de ces opérations, tout en respectant le cadre institutionnel unique. Si l Union parvient finalement à mettre en place sa force de réaction rapide de 60.000 hommes d ici 2003, il lui sera possible d assumer entièrement les fonctions de maintien de la paix dans les Balkans. A cet égard, il est certain que les pays européens pourront s appuyer sur de nombreuses années d expérience en matière d interopérabilité acquise au sein des structures atlantiques. Dans ce climat de tensions récurrentes, il est possible qu à terme les Américains finissent par préférer des alliés présentant plus d intérêt. D aucuns n hésitent pas d ailleurs à placer les rencontres répétées entre les Présidents Bush et Poutine dans ce contexte de coopération revue et corrigée. Selon ce raisonnement, le but de l administration Bush consisterait à favoriser un nouveau partenariat stratégique avec la Russie, ce qui en retour lui laisserait les mains libres dans certaines régions du Caucase et d Asie Centrale dont les ressources énergétiques sont incalculables. Les luttes intestines relatives au tracé des oléoducs dans ces régions ne seraient plus qu un lointain souvenir et une nouvelle collaboration résolument efficace pourrait dès lors voir le jour. Cette vision des choses s appuie en outre sur les tendances isolationnistes de la politique étrangère américaine qui ne connaît que des exceptions à caractère exclusivement pragmatique comme des intérêts géostratégiques évidents ou, pour prendre un exemple d actualité, la création d une coalition internationale antiterroriste. L OTAN représente un intérêt pour les États-Unis en termes d influence. Les différents élargissements possibles seront considérés par rapport à l exercice de cette influence. Si on se limite à l aspect sécuritaire, les États-Unis pourraient très bien se passer de l élargissement. L inverse est tout aussi vrai dans la mesure où un élargissement substantiel n aurait pas d impact conséquent sur sa sécurité. Le système militaire américain est à même de répondre à toute attaque conventionnelle et si la présence d alliés est politiquement souhaitable, ce n est pas une nécessité militaire. Alors que de nombreux Européens considèrent l OTAN comme un instrument de l influence américaine sur le continent, l élargissement de l Alliance est porté par la nécessité de créer une Europe intégrée. L OTAN rend également possible des liens militaires et diplomatiques étroits entre le monde occidental d une part et la Russie, l Asie centrale, l Ukraine et les pays du dialogue méditerranéen 10 d autre part. L UE n est pas en mesure actuellement de réaliser cela. 10 Le dialogue méditerranéen fait partie intégrante de l approche coopérative de l Alliance à l égard de la sécurité. Il procède de la reconnaissance du fait que la sécurité dans l ensemble de l Europe est étroitement liée à la sécurité et à la stabilité en Méditerranée. Le dialogue a été lance en 1994. Six pays s y sont joints initialement: l Egypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. L Algérie y participe depuis février 2000. Le

2. L élargissement et la Russie 11 L élargissement de l OTAN permettra d accroître la stabilité sur tout le continent européen, tout particulièrement si nous mettons aussi tout en œuvre pour intensifier de manière significative notre relation sécuritaire avec la Russie Manfred Wörner La plupart des Russes continuent de considérer la chute de l empire soviétique comme une tragédie au regard de la position de leur pays sur la scène internationale. La réaction russe face à l expansion de l OTAN doit être perçue dans le cadre de ce syndrome issu de la perte d un empire. L opinion publique russe se caractérise encore toujours par une hostilité viscérale à l égard de l OTAN. A l instar de Boris Kazantsev, nombreux sont ceux en Russie qui estiment encore à ce jour que l Alliance n a pas changé, qu il s agit d une organisation militaire qui n hésite pas à recourir à la force contraignante pour résoudre les problèmes internationaux. 12 Il n est donc pas étonnant que la majeure partie des Russes considère l élargissement de l OTAN comme une tentative d isoler, d encercler et d asservir la Russie plutôt que de l intégrer dans un nouveau système européen de sécurité collective. 13 Gorbatchev lui-même avait reçu en 1990 l assurance formelle que l OTAN ne s élargirait pas. Les responsables politiques européens avaient alors promis de prendre en considération les priorités sécuritaires de l ex-urss et de ne pas porter atteinte à ses intérêts géopolitiques. En échange, l Union soviétique ne s opposait pas à la réunification allemande et acceptait les termes d un Traité qui allait rassembler les deux États allemands et les quatre grandes puissances (les États-Unis, l Union soviétique, la Grande-Bretagne et la France). Aucun accord écrit ne fut signé mais les déclarations du Chancelier Kohl, du président George Bush et du Secrétaire d Etat James Baker présentaient un caractère contraignant selon les pratiques diplomatiques. Le 15 septembre 1993, Eltsine envoya une lettre aux décideurs politiques des États-Unis, de la France, de l Allemagne et du Royaume Uni pour souligner à nouveau son opposition à l élargissement de l OTAN. La Russie accepta d adhérer au Partenariat pour la paix le 22 juillet 1994 à condition que lui soit garanti, en tant que puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l ONU, un statut spécial de «partenaire privilégié». Le programme individuel de coopération bilatérale avec la Russie ne fut signé que le 31 mai 1995. Ce retard n était pas le fruit du hasard. Ces promesses oubliées allaient créer une atmosphère de méfiance et de suspicion. 14 Ceci explique sans doute que la Russie a d emblée considéré le processus d élargissement comme une forme de trahison. En outre, comme le souligne à juste titre Isabelle Facon, «les responsables russes mettent volontiers à leur Dialogue a pour objectif de contribuer à la sécurité et à la stabilité dans la région et de parvenir à une meilleure compréhension mutuelle. Il prévoit des discussions politiques avec les pays participants et comporte des travaux qui sont organisés selon un programme annuel axé sur la coopération pratique dans les domaines de l information, des plans civils d urgence et des activités scientifiques. Pour plus d informations, on consultera utilement le site internet de l OTAN www.nato.int ainsi que le Manuel de l OTAN. 11 Pour une analyse approfondie de la position russe face à l élargissement, on consultera l excellent ouvrage de J. L. BLACK, Russia faces NATO expansion. Bearing gifts or bearing arms?, Rowman and Littlefield Publishers, 2000 12 Boris KAZANTSEV, «NATO Moving East : The Aftertaste», International Affairs, N 1, p. 33, Moscou, 1998. 13 M. MCGWIRE, «NATO expansion : a policy error of historic importance», Review of International Studies, 1998. 14 Vladimir K. VOLKOV, «Expanding NATO Eastward», Problems of Post-Communism, p. 63, May-June 1997.

crédit l héritage positif, pour la sécurité européenne, de la nouvelle pensée de Mikhaïl Gorbatchev. Ils rappellent régulièrement que Moscou a procédé à des réductions unilatérales de forces, proposé la première une réduction des Forces conventionnelles en Europe (traité FCE), agréé la réunification de l Allemagne et son intégration au sein de l OTAN, accepté la dissolution du pacte de Varsovie, retiré ses forces basées en Europe de l Est malgré le coût de cette entreprise. Dans ce cadre, l avancée de l ancienne alliance ennemie en direction des frontières de la Russie est ressentie ou présentée comme une marque de mépris à l égard de la bonne volonté de Moscou. L Occident est accusé de faire fi du désir de la direction russe d intégrer son pays dans la communauté européenne, désir qu elle a manifesté en optant pour la voie de la démocratie et du marché, en rompant avec ses réflexes impérialistes». 15 En dépit de ces considérations, le 8 juillet 1997, l OTAN invita la Pologne, la Hongrie et la République tchèque à rejoindre l Alliance. En avril 1999, à l occasion de son 50 e anniversaire, l OTAN intégrait officiellement les trois nouveaux membres sans exclure d autres vagues d élargissement pour d autres États, y compris les États baltes. Ces perspectives allaient entièrement à l encontre des objectifs de la Russie visant à consolider son rôle international et à empêcher des développements susceptibles de la marginaliser. La Russie entend maintenir son influence sur son étranger proche constitué des anciens satellites de l URSS. La région des États baltes tout comme la Mer noire et la Transcaucasie constituent à cet égard des zones d intérêt stratégique pour la Russie et sont donc des thèmes particulièrement sensibles. Il est important de noter que lors d une réunion de l OTAN le 4 juin 1996, Primakov insista sur le fait qu il n avait aucune objection quant à «un élargissement politique doté de garanties de sécurité collective» mais qu il ne pouvait accepter «la présence de forces de l OTAN et d armes nucléaires sur le territoire d un nouveau membre». Les dirigeants russes ne semblent d ailleurs pas radicalement opposés à un élargissement de l Union européenne même dotée d une capacité de défense après l intégration des moyens de l UEO. En revanche, ils voient dans l expansion de l OTAN la plus grande erreur depuis la fin de la guerre froide. Un article publié dans Nezavisimaya Gazeta est très représentatif de l attitude russe : «Les plans d expansion de l Alliance atlantique portent en leur sein un nouveau Yalta et une nouvelle séparation de l Europe, quoique dans une moindre mesure. En acceptant les règles du jeu qui lui ont été dictées, la Russie est perdante et l Europe également». 16 Cette opposition radicale de la Russie n est pas sans danger. Le risque existe, en effet, de voir Moscou considérer l élargissement atlantique comme synonyme d un changement radical dans l actuel équilibre des puissances. Selon l éminent diplomate George Kennan, l élargissement de l OTAN constitue une erreur sans précédent de la politique étrangère américaine de l après-guerre froide. Il estime en outre que cette décision enflammera les tendances anti-occidentales et militaristes de l opinion russe et permettra l émergence d une nouvelle guerre froide dans les relations Est-Ouest. 17 Reprenant le flambeau de «l équilibre de la terreur», la Russie serait potentiellement susceptible de révoquer ses engagements sécuritaires en matière de désarmement et de contrôle d armements (Traités FCE, START I et II). Le Général Lebed avait déclaré à ce propos que «l élargissement de l OTAN entraînerait à terme une renégociation des traités START dès lors qu une Alliance élargie serait nécessairement plus puissante que 15 Isabelle FACON, La Russie, l OTAN et l avenir de la sécurité en Europe, Politique étrangère, p. 293, 3/97. 16 S. KARAGANOV, «La menace d une nouvelle défaite», Nezavisimaya Gazeta, 3 février 1995. 17 George F. KENNAN, «A Fateful Error», New York Times, February 5, 1997.

la Russie, ce qui impliquerait une augmentation du budget de la Défense russe. Cette déclaration illustre à merveille le célèbre dilemme sécuritaire. L extension de l espace stratégique occidental réalisée sans grande considération pour le point de vue de la Russie est de nature à alimenter une nouvelle logique de confrontation. L Occident n est pas encore parvenu à convaincre la partie russe que l élargissement n est pas dirigé contre la Russie. Moscou a l habitude de rétorquer à ce genre de déclarations qu il ne lui serait possible d admettre ce processus d expansion que si deux conditions étaient remplies. Tout d abord l admission de la Russie au sein de l Alliance en tant que membre à part entière et ensuite la transformation de l OTAN d une alliance défensive en une organisation de sécurité collective. Les Russes ont coutume de déclarer qu il faut étendre le rôle de l OSCE en tant que base d un nouveau système de sécurité paneuropéenne et transformer l alliance militaire symbolisée par l OTAN en une organisation de sécurité collective qui servirait d instrument mis à la disposition de l OSCE. L objectif ultime des dirigeants russes entrevoit une OSCE transformée qui intégrerait l OTAN. Les tentatives russes de favoriser cette institution sont toutefois souvent perçues comme autant de mouvements d opposition contre l OTAN. Cette attitude a pour conséquence de discréditer tout regain d importance de l OSCE. L option russe correspond au vœu de Moscou de voir s établir un système de sécurité véritablement paneuropéen qui lui réserverait un rôle à part entière et relativiserait le poids des États-Unis. Mais le gouvernement russe a affiché des positions ambivalentes quant aux missions qu il est prêt à reconnaître à l OSCE. Une vision de l OSCE en tant que superstructure du système de sécurité européenne de l aprèsguerre froide est pour le moins utopique et n a aucune perspective historique immédiate. Aucun État de puissance majeure n accepterait de confier sa sécurité à une structure aussi fragile. En outre, s il est vrai que la Russie a souvent plébiscité cette organisation de façon inconditionnelle, il n en demeure pas moins qu elle craint de voir sa liberté d action dans l espace géostratégique post-soviétique limitée par une OSCE renforcée. A titre d exemple, la Russie ne pourrait accepter la remise en question de sa politique au Nagorno-Karabakh ou de toute autre opération de maintien de la paix décidée par Moscou dans son étranger proche. La position intransigeante de la Russie face à la perspective de l élargissement de l OTAN a conforté de nombreux observateurs dans leur conviction que Moscou reste prisonnière de ses représentations stratégiques traditionnelles. Dans le même temps, le gouvernement russe, favorisant la participation et la coopération dans ses relations avec l Occident, réévaluant sensiblement ses rapports avec ses anciens satellites, semble signifier qu il n envisage pas pour son pays un destin coupé de l Europe. Dimitri Trenin estime en outre que l attitude négative de la Russie par rapport à l élargissement de l Alliance n est pas en soi un obstacle insurmontable dans la perspective d une coopération accrue entre la Russie et l OTAN. 18 Les événements tragiques du 11 septembre 2001 ont mis en exergue une communauté d intérêts sécuritaires entre la Russie et les États-Unis. Tandis que la Russie avait depuis longtemps souligné l importance des menaces transnationales comme le terrorisme, les États-Unis émergèrent soudain de la léthargie complaisante d un géant frappé en plein cœur. Bien sûr, nous ne pouvons ignorer l argument selon lequel la volonté première de la Russie a toujours été de justifier ses actions en Tchétchénie par le prisme de la condamnation euro-atlantique du terrorisme international. Il n en demeure pas moins que désormais cet entendement tacite existe bel et bien et que l assimilation intempestive des termes 18 Dimitri TRENIN, Russia and the West: Avoiding Complications, pp. 35-36, International Affairs, Vol. 42, N 1, Moscou, Janvier-Février 1996..

tchétchènes et terroristes ne semble plus poser de problèmes éthiques aux Américains, pas plus d ailleurs qu à bon nombre d Européens. Ces récents développements incitent à croire en l avènement d une nouvelle étape dans les relations OTAN-Russie. La récente création du Conseil OTAN-Russie au Sommet de Rome 19 en est d ailleurs l expression la plus flagrante. L administration américaine soutenue par la plupart des médias occidentaux n a d ailleurs pas hésité à célébrer une fois encore la fin définitive de la guerre froide. S il est vrai qu il s agit là d une avancée indiscutable, il faut en mesurer la portée avec prudence et circonspection. La Russie semble désormais entrevoir l élargissement comme quelque chose d inévitable. En réalité, le Kremlin a finalement reconnu le caractère vain d une opposition stérile et surtout les conséquences profondément négatives de cet entêtement. En outre, d autres problèmes plus urgents préoccupent le gouvernement russe : la centralisation du pouvoir, la préservation de la souveraineté territoriale et enfin les investissements étrangers indispensables à la survie de l économie russe sont autant de questions qui ne souffrent aucun retard et aucun atermoiement. La Russie est divisée en deux camps distincts. D un côté, Poutine et ses alliés, qui ont pour l heure le vent en poupe, et qui estiment que l OTAN ne constitue plus une menace primordiale et veulent simplement éviter que l Alliance ne devienne un obstacle aux intérêts russes et, d un autre côté, l establishment politico-militaire plus traditionnel qui considère encore et toujours l OTAN comme une menace. Les avantages d un rapprochement avec l OTAN semblent pourtant progressivement l emporter sur ceux d une crispation négative à l égard de l élargissement. D ores et déjà, les évolutions russes à la veille du sommet de Prague vont dans le sens d un grand marchandage mutuellement bénéfique pour le statut, l influence, et la sécurité des deux acteurs majeurs de l ordre européen, les États-Unis et la Russie. Une contradiction apparente dans le processus d élargissement de l Alliance est relative à la volonté des États-Unis et d autres gouvernements alliés de prétendre que l opposition de la Russie à l élargissement pourrait être compensée par une relation spéciale de coopération sécuritaire entre la Russie et l OTAN alors que le but principal des pays candidats à l adhésion est justement la protection contre la Russie. Un certain nombre de pays est-européens souhaitent intégrer l OTAN précisément car ils considèrent la Russie comme une menace potentielle pour leur sécurité. Ils craignent qu un nouveau gouvernement russe ne cherche à reconstruire un empire doté de sphères d influence. Le fait que la Biélorussie paraît à nouveau dominée par la Russie et que l Ukraine, déçue par le manque d engouement de l Occident pour sa destinée, semble partager peu à peu un sort semblable, renforce le désir de ces pays d intégrer les structures atlantiques. L Union entre la Biélorussie et la Russie ainsi que l avènement d un gouvernement communiste en Moldavie qui n hésite pas à faire à nouveau du russe une langue obligatoire ne font que renforcer ces craintes. 20 19 Le sommet de Rome OTAN-Russie a établi, le 28 mai 2002, le nouveau Conseil OTAN-Russie, fonctionnant sur la base du consensus, qui remplace l ancien Conseil Conjoint Permanent dont l origine remonte à l Acte Fondateur des relations OTAN-Russie de 1997. 20 La Roumanie, candidate à l adhésion, est particulièrement inquiète de la situation actuelle en Moldavie. Le gouvernement roumain a toujours entretenu des relations privilégiées avec la Moldavie et d aucuns soulèvent même parfois la question d une Grande Roumanie qui engloberait la Moldavie.

Pourtant, l Alliance insiste sur sa volonté de créer un vaste espace de sécurité en évitant de diviser à nouveau le continent le long de lignes artificielles. Plutôt que de considérer l élargissement de l OTAN comme un processus visant à «exporter la stabilité», ce qui serait dans l intérêt de toutes les nations de la zone euro-atlantique, y compris la Russie, de nombreux experts russes estiment que l élargissement de l Alliance vise à étendre les sphères d influence de l OTAN. Si l Alliance veut réellement construire une relation de partenariat et de coopération avec la Russie, il apparaît peut-être prématuré de proposer les garanties de défense collective à des pays candidats qui ont officiellement exprimé leur méfiance et leur antagonisme à l égard de la Russie.

3. OTAN et UE : deux élargissements parallèles L OTAN et l UE constituent les éléments essentiels du paysage sécuritaire européen. S il est vrai que les deux organisations se distinguent par des responsabilités et des moyens fort différents, il existe néanmoins une duplication évidente en matière d adhésion compte tenu d exigences pour le moins similaires. D aucuns pourraient arguer du caractère plus subjectif des critères requis pour intégrer l Alliance qui évaluent principalement la contribution du pays candidat à la sécurité transatlantique. 21 Dans le cas de l UE, une série de critères de convergence conditionnent l intégration effective des pays candidats dont les législations respectives doivent au préalable digérer l acquis communautaire. Malgré ces quelques particularités, il serait judicieux de considérer ces deux élargissements comme des processus parallèles. Il existe une similarité indiscutable entre les conditions d intégration exigées par l OTAN et celles reprises dans les critères de Copenhague de l UE. Les domaines couverts ont notamment trait à l État de droit, à l économie de marché et aux droits de l homme. On peut d emblée déduire que si un candidat satisfait aux critères de l UE, il aura toutes les chances d être accepté par l OTAN au niveau politique, économique et social. En dépit d efforts similaires, les décisions prises respectivement par l UE et l OTAN en matière d élargissement sont peu susceptibles d influencer réciproquement les politiques mises en œuvre par l autre. Il faudrait pourtant instaurer une consultation optimale afin de poursuivre le dialogue avec les pays non invités ou ceux qui n étaient pas candidats. On ne peut s empêcher de penser également que chaque processus d élargissement pourrait être utilisé comme une forme de compensation ou d antichambre pour l autre. Ceci pourrait être le cas pour les États baltes. En effet, leur accession à l Union poserait sans nul doute moins de problèmes que leur intégration dans l Alliance. Il est possible que leur intégration dans l UE soit accélérée si l OTAN leur ferme encore la porte. Les membres actuels de l UE ne sont pas tous résolument favorables à l élargissement. Certains craignent une diminution de leur propre influence, d autres des problèmes de cohésion, d autres enfin craignent que les ressources actuellement disponibles ne soient finalement dévolues aux nouveaux membres. Il est indiscutable qu une Union élargie va poser des problèmes de gouvernance et nécessitera probablement la mise en place de directoires. 22 Les États-Unis sont favorables à l élargissement de l UE dans la mesure où il devrait permettre d accroître la stabilité en Europe. Il permettra en outre de responsabiliser l Union européenne. Cependant, les réformes politiques et économiques que les États doivent mettre en œuvre dans le respect de l acquis communautaire représentent un défi non négligeable pour les pays d Europe centrale et orientale mais aussi pour la Turquie. Il faudra encore attendre des années avant que certains puissent enfin intégrer l Union. Toutefois, force est d admettre que le simple fait d être invité à commencer les négociations d adhésion constitue déjà un gage de stabilité sur la scène internationale. Les attentats du 11 septembre ont souligné l importance d une coopération renforcée entre les deux organisations sur des questions d intérêt commun relatives à la sécurité, la défense et la gestion des crises. Un travail conséquent doit encore être réalisé dans le domaine du soutien de l OTAN pour des opérations dirigées par l UE. Il convient également de trouver des solutions quant à la participation d alliés européens non-membres de l UE. 21 William HOPKINSON, «Enlargement of a New NATO», Institut d Etudes de Sécurité de l UEO, Cahiers de Chaillot, N 49, p. 59, Paris, octobre 2001. 22 Ibid.

4. Les différentes options Il y a neuf candidats confirmés pour l adhésion à l OTAN. Ces pays font tous partie du MAP (cf. supra) de même que la Croatie qui a intégré le processus au sommet de Reykjavik. La plupart d entre eux sont à la traîne par rapport aux exigences et aux standards européens. Leurs forces armées sont relativement petites et doivent subir des réformes. Certaines pourraient apporter dans le futur des contributions utiles dans la perspective d un déploiement de troupes. D autres sont d ores et déjà à même d offrir des infrastructures, des espaces aériens et des zones de transit afin de servir les intérêts de l Alliance. Les pays candidats ont ceci en commun qu ils recherchent tous une image de respectabilité par le biais de leur adhésion à l OTAN. La plupart d entre eux souhaitent avant tout pouvoir bénéficier des garanties de défense collective de l Article 5 du Traité de Washington. Le premier groupe de pays rassemble la Slovénie et la Slovaquie. Ces deux candidats ont enregistré une croissance continue de leur PIB ces dix dernières années. Ils ont également réalisé des progrès dans les domaines politiques et sociaux. Les rapports d évaluation effectués par l UE se sont avérés également fort élogieux. D un point de vue stratégique, l intégration de la Slovaquie permettrait la création d un bloc compact à l Est. La Slovénie constituerait un pont entre l Italie et la Hongrie et semble remplir tous les critères prévus par l OTAN. Quant à la Slovaquie, l élection possible de Meciar aux prochaines présidentielles pourrait l exclure de la course et faire de ce pays un électron libre, mais il est vrai que sa situation géostratégique joue en sa faveur. Il est probable que l Alliance aurait beaucoup à gagner - ou fort peu à perdre - en intégrant ces deux pays. Le deuxième groupe comprend les trois États baltes. Compte tenu de leur histoire commune depuis 1940 et de la position de la Russie quant à leur éventuelle intégration dans l Alliance, il convient de les considérer ensemble. En termes de progrès économiques et politiques, ils font figure de candidats valables. En revanche, d un point de vue militaire, ils n ont pas à proprement parler d armée nationale et ne pourraient pas vraiment contribuer de manière efficace à l Alliance dans ce domaine. Il serait en outre peu aisé de défendre leurs souverainetés territoriales respectives en cas d agression. D aucuns estiment en effet que l OTAN ne pourrait pas aisément assurer la défense conventionnelle de ces pays en raison de leur position géographique particulière. L Alliance devrait alors mettre l accent sur la dissuasion nucléaire et envisager le déploiement d armes nucléaires tactiques afin de pouvoir honorer d éventuels nouveaux engagements sécuritaires. Ce scénario doit pourtant être exclu car l OTAN s est toujours refusée à déployer des armes nucléaires sur le territoire des anciens satellites communistes. 23 Quant aux réactions russes, elles seraient probablement très véhémentes si l Estonie était intégrée et relativement modérées pour la Lituanie. Il est également fort probable qu une fois dans l Alliance, les États baltes adopteraient une position antagoniste vis-à-vis de la Russie. Le troisième groupe englobe la Bulgarie et la Roumanie. Ces deux pays ont connu un départ difficile après les révolutions de 1989. La Roumanie fut rapidement considérée comme un pays prometteur et était l un des favoris de la première vague d élargissement, bénéficiant entre autres du soutien de la France. Pourtant, le cas de la Roumanie a mis en exergue les déficiences initiales du processus d élargissement. 23 Lawrence FREEDMAN, «The New Great Power Politics», in A. G. ARBATOV; K. KAISER; R. LEGVOLD, Russia and the West, East West Institute, M.E. Sharpe, New York, 1999, pp. 36-37.

Alors que nul ne pouvait contester le caractère instable de la région balkanique et baltique, l Alliance décida d intégrer tout d abord les États stables d Europe centrale. En d autres termes, plus le pays était instable et moins il avait de chance de pouvoir être intégré. 24 Une des raisons majeures est sans doute que les pays les plus puissants sont aussi ceux qui sont le plus à même de mettre en œuvre des politiques agressives susceptibles de présenter une menace pour la Russie. Dans cette logique, il est essentiel de dissuader ces mêmes pays de tirer profit des faiblesses actuelles de la Russie. Enfin, il est également indéniable que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque seront moins facilement victimes de pressions économiques ou diplomatiques que des pays de moindre importance. 25 Quoi qu il en soit, et pour autant qu une stabilité soit maintenue, la Bulgarie et la Roumanie pourraient servir de postes avancés dans une zone troublée. Tous deux ont des frontières communes avec la Serbie, la Bulgarie a également des frontières avec la Grèce, la Turquie et la Macédoine. La Roumanie a des frontières avec la Hongrie, la Moldavie et l Ukraine. Tous deux présentent des lacunes importantes dans le domaine économique. Ils se situent tout juste au-dessus de l Albanie en termes de Produit Intérieur Brut (PIB) et ne peuvent être considérés comme de véritables économies de marché capables de faire face à la concurrence interne au niveau européen. Pourtant, ces deux pays constitueraient des alliés essentiels si l OTAN souhaite poursuivre ses opérations dans les Balkans. Le soutien dont ils ont déjà fait preuve pendant la crise du Kosovo et au sein de la KFOR est très explicite à cet égard. Le dernier groupe comprend la Macédoine, l Albanie et la Croatie. La Macédoine n est pas candidate à l adhésion pour l UE bien qu elle bénéficie de l assistance de l Union en vue d instaurer un système démocratique efficace. Le PIB de la Macédoine se situe juste au-dessus de celui de la Roumanie et de la Bulgarie. Le cas de l Albanie est fort semblable. L Albanie est actuellement soutenue par la communauté internationale sans laquelle ce pays sombrerait sans doute dans le chaos. Son PIB est le plus bas de tous les candidats. L Albanie a des frontières avec la Serbie, la Macédoine, le Monténégro et la Grèce. Le dernier arrivé est la Croatie qui a souffert des différentes turbulences de l ex-yougoslavie. Ce pays connaît désormais une période plus stable sur le plan politique et économique. Sa proximité avec l Europe occidentale et ses frontières communes avec la Hongrie et la Slovénie permettraient de consolider la zone atlantique aux portes de la poudrière balkanique. D aucuns estiment que l OTAN devrait entamer une période de réflexion avant de songer à intégrer d autres membres. Il s agirait pour l Alliance de digérer la première vague d élargissement avant de mettre en œuvre de façon concrète la politique de la porte ouverte. Tout au plus faudrait-il intégrer un seul État comme la Slovénie afin d apporter la preuve de la continuité du processus d élargissement. Les États membres actuels pourraient alors se concentrer utilement sur les conséquences prévisibles de l élargissement et exploiter les ressources du Partenariat pour la Paix. 26 Un élargissement conséquent que certains se plaisent à qualifier de big bang' présenterait au moins l avantage d une seule et unique confrontation avec la Russie. Cela serait sans doute préférable à des 24 Jonathan EYAL, NATO Enlargement: Anatomy of a Decision, pp. 708-709, International Affairs, Vol. 73, N 4, Octobre 1997. 25 Christopher L. BALL, Why Expansion may be a good thing, Review of International Studies, 1998. 26 Irina ISAKOVA, Relations with Russia: Go Slow, Don t Spoil the Illusion, RUSI Journal, pp. 29-30, Février/Mars 1999.

confrontations successives avec les inévitables pressions de part et d autre pour favoriser ou gêner l intégration de tel ou de tel pays. Un élargissement substantiel permettrait également des contributions significatives au niveau des opérations de maintien de la paix ainsi que dans d autres domaines. Il est vrai que les ressources de ces pays sont déjà en grande partie utilisables via le PpP mais leur intégration dans les structures de l OTAN les ferait bénéficier d un stimulus interne sans doute encore plus efficace que le MAP. En outre, une fois membres à part entière, les effets stabilisateurs de l adhésion pourraient aider certains pays à mettre en place la société civile qui leur fait souvent cruellement défaut. Il y aurait pourtant également des désavantages. Les pays qui seraient malgré tout exclus pourraient considérer leur exclusion comme quasi définitive. Même ceux qui n étaient pas candidats pourraient se sentir rejetés par l Occident. En outre, un élargissement conséquent pourrait porter atteinte à la cohésion de l Alliance au niveau politico-militaire. Tout d abord en termes d interopérabilité, ensuite au niveau du processus décisionnel avec la politique du consensus et enfin en raison du manque de stabilité interne de certains pays. Les pays du MAP estiment en revanche qu un élargissement quasi intégral permettrait à leurs gouvernements respectifs de justifier le poids des réformes et les sacrifices à réaliser dans le cadre de leur adhésion. D autres aspects négatifs d un élargissement massif peuvent être soulignés. Il est fort probable qu il conduirait à la perception de nouvelles lignes de division. Des pays comme la Croatie ou la Moldavie se sentiraient exclus du processus. En outre, un pays comme l Ukraine, qui oscille constamment entre Est et Ouest pourrait considérer sa position géostratégique menacée. Enfin, un tel élargissement rendrait la position de la Russie très difficile et pourrait compromettre les progrès réalisés dans l établissement d un régime de sécurité coopérative. Un élargissement médian viserait à intégrer un maximum de cinq nouveaux membres. Bon nombre de candidats seraient satisfaits et l accent serait également mis sur l importance des réformes. Seuls les pays offrant une stabilité politique suffisante feraient partie de ce type d élargissement et la cohésion de l Alliance ne devrait pas en être affectée. Enfin, un tel élargissement permettrait de repousser une autre vague d élargissement sine die. Il est indéniable que certains candidats exclus témoigneraient d un certain découragement mais le processus en tant que tel aurait largement fait ses preuves. Le choix pourrait s avérer difficile entre, d une part, la Bulgarie, la Roumanie et un État balte, ou, d autre part, les trois États baltes. Un élargissement limité à deux pays signifierait d emblée l exclusion des pays baltes et serait donc plus facile à accepter par la Russie. Il prouverait que la politique de la porte ouverte n est pas vide de sens mais présenterait certains désavantages. Tout d abord, la question de l élargissement resterait en suspens et des difficultés identiques surgiraient à nouveau d ici deux ans. Ensuite, il serait difficile de justifier les volontés stabilisatrices et pacificatrices de l Alliance étant donné que seuls des pays qui ne connaissent pas de réels problèmes de sécurité seraient intégrés. L intégration de pays comme la Slovénie et la Slovaquie ne résoudrait pas vraiment les problèmes d instabilité et d insécurité dans certaines zones à risque, même si l OTAN s en trouverait renforcée. Ce type d élargissement laisserait l Alliance quasi inchangée tout en préservant la crédibilité de l Article 10 du Traité de l Atlantique Nord relatif à l intégration de nouveaux membres. L OTAN se verrait cependant contrainte de prouver de manière convaincante aux candidats malchanceux que les pays intégrés avaient réalisé des réformes suffisantes justifiant leur intégration.

Conclusion D aucuns estiment que l élargissement va affecter profondément la nature même de l Alliance qui devrait peut-être renoncer à sa fonction intrinsèque d organisation de défense territoriale. 27 Deux arguments reviennent le plus fréquemment dans les critiques des principaux adversaires à l élargissement de l OTAN. Le premier concerne l épineuse question des différentiels de sécurité qu un élargissement ne manquerait pas de créer entre les premiers admis et les pays est-européens laissés pour compte sur une liste d attente vague et imprécise. Le second argument le plus souvent utilisé à l encontre de l élargissement concerne la perte de vitesse de l Article 5. Ceci est directement lié à l affaiblissement de l engagement militaire américain dans la défense des pays membres. Il n est pas exclu que le Congrès américain approuve d éventuels élargissements sous réserve d être à nouveau sollicité au cas par cas, à chaque fois par exemple que l éventualité d une défense collective d un pays membre resurgirait. Ces inquiétudes sont monnaie courante parmi les experts, mais elles ne sont aujourd hui officiellement avancées par aucun gouvernement, bien qu elles perturbent de façon diffuse les membres historiques de l OTAN. Nombreux sont ceux qui prétendent que l intégration de la Slovénie, de la Slovaquie, éventuellement des trois États baltes et peut-être même de la Bulgarie et de la Roumanie transformerait l Alliance en une version armée de l OSCE ou juste en un simple forum de discussion sur des thèmes sécuritaires divers. 28 Il va sans dire que l élargissement ne se fera pas sans heurts, mais nous devons garder à l esprit les bénéfices indiscutables que ce processus va engendrer. La présence de nouveaux membres dans l Alliance garantira la poursuite des réformes sur le plan militaire et ces pays se verront offrir un soutien immédiat si leur souveraineté se trouve menacée. La préservation du lien transatlantique et le renforcement du leadership américain en Europe, la concrétisation dans les faits de la nouvelle raison d être de l Alliance et une stabilité et une sécurité accrues pour l espace géostratégique transatlantique sont autant d avantages indéniables. Chaque fois que l Alliance s est élargie, elle s est renforcée. Lorsque la Grèce et la Turquie ont rejoint l OTAN en 1952, la RFA en 1955 et l Espagne en 1982, leur adhésion a rendu l Alliance plus forte. De nouveaux membres pourraient eux aussi contribuer de façon optimale aux missions actuelles de l Alliance mais aussi aux nouveaux défis sécuritaires transnationaux. L élargissement incite également les pays candidats à réaliser un maximum d efforts dans la perspective de leur intégration. Ils règlent leurs différends frontaliers et apportent des solutions aux problèmes des minorités ethniques et religieuses. De telles actions engendrent une stabilité accrue et créent de ce fait également un environnement plus propice aux investissements et au commerce international. En outre, les nouveaux membres intégreraient une organisation qui a d ores et déjà prouvé son potentiel d adaptation à l environnement sécuritaire de l aprèsguerre froide. En Bosnie, les Alliés et les pays partenaires du PpP ont accumulé une expérience considérable au travers d un travail commun sur le terrain. Un élargissement important verrait l intégration de pays offrant une certaine stabilité politique mais peut-être quelque peu immatures au niveau économique et militaire. Le Conseil Atlantique Nord passerait de 19 à environ 30 membres avec un impact non négligeable sur le processus décisionnel. La partie 27 On lira avec intérêt l excellent débat intitulé «L OTAN peut-elle demeurer une alliance militaire et politique efficace si elle continue à s agrandir?» entre Ronald D. Asmus et Charles Grant paru dans la Revue de l OTAN, Printemps 2002. 28 The future of NATO: A Moment of Truth, The Economist, 4 mai 2002.

militaire de l OTAN devrait accueillir des officiers n ayant qu une compréhension limitée de l Alliance et des systèmes militaires nationaux en passe de réformes. Bien sûr, l Alliance aurait donné vie à sa politique de la porte ouverte et la question d une autre vague d élargissement ne se poserait plus avant dix ans au moins. En revanche, l OTAN serait dès lors obligée de revoir son fonctionnement interne et ne pourrait remettre cela à plus tard. Un élargissement médian présenterait sans doute le plus d avantages. Il permettrait de contenter les candidats les plus prometteurs tout en laissant de côté les pays les plus faibles et les plus instables. Quant au fonctionnement interne de l Alliance, il ne devrait pas en être réellement affecté. Un petit élargissement verrait l exclusion d un nombre plus important de candidats et obligerait l OTAN à considérer une nouvelle vague d élargissement à court terme. Quelle que soit la décision finale, il s agit d une opportunité sans précédent. Nicole Gnesotto estime à juste titre que «dans son déroulement, le processus d élargissement de l OTAN pourrait même être plus déstabilisateur que ne le serait le maintien pur et simple du statu quo atlantique actuel. Toutefois si l enjeu a bel et bien l ampleur d une réconciliation profonde et durable entre l Est et l Ouest, ces risques doivent être encourus, ces difficultés, assumées et surmontées». 29 29 Nicole GNESOTTO, Élargissement de l OTAN : une responsabilité européenne, Politique étrangère, Printemps 1997, Ifri, Paris.