UN CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE



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Transcription:

UN CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE Hélène Maurais, Romain Godbout et Hélène Pilon Bureau de la traduction, Gouvernement du Canada Il y a trois ans, le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral a entrepris de changer ses façons de faire et ses façons d être pour s adapter à un changement radical de son environnement. Du jour au lendemain, cette organisation bureaucratique et monopolistique dans le domaine de la traduction au gouvernement fédéral a reçu le double mandat de mener ses activités selon un modèle d entreprise et de faire ses frais, en concurrence avec le secteur privé. Pour un groupe de mille fonctionnaires, dont une grande majorité oeuvrait dans l organisation depuis 15, 20 ou 25 ans, relever ce défi de taille n était pas chose évidente! Derrière l histoire de ces quelques années de turbulence, on découvrira l aventure vécue par les membres de l équipe de projet qui a contribué à faciliter ce changement et les leçons que l on peut tirer de toute cette expérience. LE BUREAU DE LA TRADUCTION : UN NOUVEAU CONTEXTE Le Bureau de la traduction est le seul organisme fédéral qui offre des services de traduction et d interprétation au gouvernement fédéral. Jusqu en avril 1995, le Bureau offrait ses services gratuitement aux ministères et aux autres organismes fédéraux et il était en quelque sorte en situation de monopole. En avril de la même année, le Bureau a reçu le statut d organisme de service spécial (OSS) et du même coup la responsabilité de rentabiliser ses opérations en vendant ses

210 CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE services à ses clients. À ce moment, en plus du budget qu ils ont reçu du Conseil du Trésor pour acheter leurs services de traduction, les ministères et organismes ont aussi obtenu le droit de se procurer des services de traduction directement sur le marché privé, plaçant ainsi le Bureau de la traduction en situation de concurrence. En outre, notre organisation s était vue donner un délai de cinq ans pour atteindre le seuil de rentabilité. Bien que ce changement la force alors à évoluer vers un modèle d entreprise, les règles de fonctionnement souvent lourdes de l administration publique continuent de s appliquer, notamment en ce qui a trait à la gestion de l affermage, la gestion financière et la gestion des ressources humaines. Au cours de sa première année d existence à titre d OSS, le Bureau a commencé à mettre en place les divers mécanismes essentiels pour s adapter à son nouvel environnement. C est ainsi qu ont été créés de toutes pièces un service de marketing, la première équipe de vente, une politique de produits et services, une grille tarifaire et un système de facturation. Tout cela peut sembler assez simple pour le monde de l entreprise privée, mais pour une bureaucratie professionnelle établie en une grande famille depuis plus de 60 ans, ce changement allait toucher des façons de faire ancrées profondément dans sa culture. D un seul coup, les professionnels que sont les traducteurs n avaient plus comme unique mission d être les nobles gardiens de la qualité de la langue dans l administration fédérale; ils devaient dorénavant livrer des services de façon à rentabiliser l organisation et ainsi assurer sa survie à long terme. Quand on parle d un changement en profondeur dans les façons de faire et les façon d être, en voici un bel exemple. LE SECTEUR DE L EXPLOITATION : C EST LÀ QUE LES CHOSES SE PASSENT... Dans le secteur de l Exploitation, là où se trouvent les équipes de production des services de traduction et les traducteurs, soit la grande majorité de l effectif de l entreprise, la première préoccupation a été de réduire les coûts de production. Première difficulté : les systèmes d information en place étaient beaucoup axés sur le contrôle des volumes de travail et pas du tout éclairants sur les inducteurs de coûts et les pourcentage de temps consacrés à l activité génératrice de INTERACTIONS vol. 3, n o 1 et 2, printemps automne 1999

CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE 211 revenus. Néanmoins, en attendant mieux, des mesures sont prises pour amincir la structure de gestion et réduire les coûts d administration, tant ceux à l interne que ceux engagés pour se procurer des services extérieurs comme la gestion financière, la gestion des ressources humaines et l appui technologique. Deux études sont commandées pour mieux évaluer la situation. La première porte sur la qualité des produits et services et révèle que si la qualité du produit est satisfaisante pour les textes de nature générale, elle est évaluée supérieure pour les textes spécialisés. Par contre, les clients se plaignent du service qu ils perçoivent comme impersonnel et avouent que dans les situations critiques, ils préfèrent faire affaire avec un traducteur pigiste du privé qui leur semble plus à l écoute de leurs préoccupations! La seconde étude porte sur le fonctionnement interne des services et vient confirmer ce que les gestionnaires soupçonnaient déjà, soit que la productivité est basse en raison d un processus de travail très lourd, mais surtout en raison du fait que les traducteurs consacrent beaucoup de temps à des activités non génératrices de revenus. Bref, il y a beaucoup à faire pour réduire les coûts et augmenter la productivité et ainsi accroître les revenus. Nous en sommes à nos premiers balbutiements dans la gestion des revenus, puisque jusque-là, nous n avions que des budgets de dépenses. Petit à petit, le vocabulaire change. On parle dorénavant dans nos rangs de rentabilité, d activités facturables et non facturables, de coûts directs et indirects, de coût d obtention d un dollar de revenu, de ratios, de tableaux de bord de gestion. Les gestionnaires doivent apprendre à gérer autrement tout en maintenant un service de haute qualité aux clients. On se sent un peu comme si l on devait changer les roues d un autobus pendant qu il continue de rouler! LE PROJET À NOUS L AVENIR OU COMMENT RELEVER LE DÉFI À partir de toutes ces études et des premiers constats sur les besoins de changement, la vice-présidente à l Exploitation a réuni ses directeurs pour travailler au développement d un nouveau modèle organisationnel plus efficace. Le premier modèle jeté sur papier prévoit des équipes multifonctionnelles et autonomes où l on envisage une réduction du personnel administratif, et ainsi, une réduction des coûts. Le modèle n est pas très détaillé, mais un certain vol.. 3, n o 1 et 2, printemps-automne 1999 INTERACTIONS

212 CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE nombre de calculs et de ratios permettent de croire que nous avons là une bonne piste de solution. La vice-présidente a alors pris deux décisions très importantes pour la suite des événements. D abord, le modèle serait mis à l essai dans des sites pilotes avant d être étendu à l ensemble des services et ensuite, un des directeurs serait affecté à temps plein à la coordination de ce projet. Ces deux décisions en soi marquaient déjà un grand changement dans une organisation traditionnellement très hiérarchisée où les décisions se prenaient à un haut niveau et étaient ensuite appliquées de façon la plus uniforme possible, et à grand peine, dans toute l organisation. En confiant le projet à un directeur, la vice-présidente donnait à la fois à cette démarche toute l importance qu il fallait et priorisait deux objectifs très clairs du plan d entreprise du Bureau qui nous guident encore aujourd hui : améliorer le service à la clientèle et améliorer la rentabilité en réduisant les coûts. CRÉATION DU GROUPE DE COORDINATION Une fois choisi l agent de changement responsable du projet, le choix des membres de son équipe s est fait de façon très spontanée et sans processus formel. L intuition a bien guidé ces choix car l équipe a travaillé très étroitement tout au long du projet, ce qui s est révélé fort utile dans les passages plus difficiles du changement organisationnel. L équipe est dirigée par Romain Godbout qui, à titre de directeur, continue de siéger au comité de gestion de la vice-présidente à l Exploitation, ce qui confirme la priorité constante de ce projet pour la vice-présidente et l équipe de gestion. Romain a une longue expérience de gestion dans l organisation et est reconnu pour ses qualités de gestion des ressources humaines. Les deux autres membres de l équipe ont chacune un profil très différent. La première, Hélène Maurais, chemine dans l organisation depuis plus de 20 ans et a occupé différents postes, tant dans la gestion des opérations de traduction que dans d autres secteurs dont les systèmes d information de gestion, les services INTERACTIONS vol. 3, n o 1 et 2, printemps automne 1999

CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE 213 contractuels, le marketing et les services à la clientèle pour n en nommer que quelques-uns. Hélène possède donc une connais-sance globale de l organisation. La deuxième, Hélène Pilon, psychologue du travail (diplômée de l Université de Sherbrooke), a une expérience de plusieurs années dans différents secteurs des ressources humaines comme la formation, la planification de carrière et le service d aide aux employés. Elle agit aussi à titre de conseillère en développement organisationnel. Le groupe de coordination reçoit donc le mandat de mettre le modèle à l essai en vue de l améliorer et de le raffiner avant de l étendre dans toute l organisation. Pour ce faire, il doit travailler en étroite collaboration avec les gestionnaires des cinq sites pilotes identifiés, organiser des activités, des rencontres, des discussions en groupes de travail, pour faire avancer les travaux. Et la description des tâches s arrête là. Tout ce que nous avons fait par la suite, nous l avons inventé à mesure que les besoins étaient identifiés ou que des stratégies étaient élaborées au fil des étapes parcourues. LA RÉINGÉNIERIE : POUR ALLER TOUS DANS LE MÊME SENS Après quelques mois d essai dans les sites pilotes, il devenait évident qu il y avait lieu de mieux coordonner les efforts, car on courait le risque de se retrouver avec cinq modèles différents plutôt qu un seul modèle amélioré. Avec l aide d un expert-conseil de l extérieur, nous avons suggéré de créer un groupe de réingénierie composé de représentants des cinq sites pilotes, soit des traducteurs et des employés de soutien administratif, mais sans gestionnaires. Il y avait aussi un représentant des ressources humaines, un des services à la clientèle et un autre des services d appui technologique. Ce groupe d une quinzaine de personnes s est alors attelé à la tâche de revoir systématiquement les processus de travail en vue de trouver des moyens d atteindre les deux objectifs de départ, soit d améliorer le service aux clients et de réduire les coûts. Le travail du groupe de réingénierie a été une expérience fascinante et très riche en apprentissages pour tous les participants. Le processus systématique adopté vol.. 3, n o 1 et 2, printemps-automne 1999 INTERACTIONS

214 CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE pour analyser le processus de travail actuel, évaluer les coûts d obtention de la qualité et faire du balisage auprès d autres organisations a amené le groupe à se forger une image très claire de ce que le nouveau processus devait avoir l air. Pourtant, pendant toute cette période d analyse du problème, il était interdit de proposer des solutions tant que l analyse de la situation n était pas complétée et que l on ne s était pas entendu sur la définition de tous les problèmes soulevés. Ce travail d analyse a pris environ treize jours. Puis, lorsque le groupe a été convaincu qu il avait bien fait le tour du problème, il n a fallu que deux jours pour développer de façon très détaillée un tout nouveau processus de travail, dans lequel pourtant on retrouve des changements importants dans la façon de traiter avec les clients et dans la répartition des tâches entre les traducteurs et les employés d administration. C est la preuve que lorsque l on prend le temps d analyser un problème à fond, les solutions s imposent d elles-mêmes. Depuis deux ans, ce nouveau processus a été mis à l essai dans les sites pilotes et les résultats, confirmés par le personnel participant, sont concluants. Libérés de tâches administratives (répartition du travail et affermage) qui sont confiées à des conseillers à la clientèle, et secondés dans le quotidien par des agents d appui professionnel (recherches documentaires, traitement des demandes de renseignements et tenue des bases de données) et des correcteurs d épreuves (relecture finale), les traducteurs peuvent mieux se concentrer sur leur travail professionnel générateur de revenus et en assurer la haute qualité. Les clients avec qui les nouvelles conseillères à la clientèle ont établi de véritables relations d affaires sont rassurés et sont plus confiants d obtenir les services de qualité pour lesquels ils sont prêts à débourser le prix demandé. Des possibilités d avancement sont offertes au personnel administratif par la création de nouveaux postes aux fonctions stimulantes. En somme, la bonne personne fait la bonne chose au bon moment, et le processus se déroule rondement. INTÉGRATION DU MODÈLE : AVEC LES EMPLOYÉS Nous en sommes maintenant à l étape de l intégration du modèle dans tous les points de service. L approche préconisée est très souple et fait appel à une grande participation des employés. Plutôt que d imposer un modèle à tous les INTERACTIONS vol. 3, n o 1 et 2, printemps automne 1999

CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE 215 services, chaque équipe doit déterminer comment elle mettra en oeuvre le nouveau modèle, compte tenu de sa réalité propre. De toute manière, par le passé, lorsqu un changement était imposé à tous, bon nombre de gestionnaires ou d équipes trouvaient le moyen de dire que ceci ou cela ne pouvait pas s appliquer chez eux, parce que leur service était trop différent des autres. Cette fois-ci, en raison de l approche participative adoptée, chaque équipe peut tenir compte de ses différences et démontrer comment elle peut intégrer les meilleurs éléments du modèle qui selon ses membres lui permettra d atteindre les deux objectifs de départ qui n ont pas changé : améliorer le service au client et réduire les coûts. Ce qui est imposé, c est avant tout la démarche à suivre pour déterminer comment le modèle sera intégré dans chaque service. La première étape consiste à faire le diagnostic du service, c est-à-dire à examiner tous les aspects du travail et des relations avec les clients. Cette analyse permet inévitablement de relever toutes les difficultés que connaît un service. À ce stade, le personnel peut sentir qu il doit investir du temps dans la consolidation de l équipe qu il constitue avant d aller plus loin et la direction lui fournit l appui nécessaire pour le faire au besoin. La deuxième étape, c est le développement par l équipe d un plan d action qui intègre les solutions retenues (redistribution des tâches, création de nouveaux postes, etc.) tout en améliorant l environnement de travail du service. Enfin, la troisième étape consiste à gérer la partie administrative de la mise en oeuvre du plan, soit la réorganisation du processus de travail et la dotation des nouveaux postes, et après quelque temps, à assurer le suivi des résultats obtenus. Il importe de remarquer que dans cette démarche, l alignement qui s exerce de la part de la direction sur le personnel se fait uniquement sur la méthode et non sur le contenu, car les équipes de travail sont fortement encouragées à s approprier ce dernier. vol.. 3, n o 1 et 2, printemps-automne 1999 INTERACTIONS

216 CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE IMPACT SUR L ORGANISATION : UN CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE Impact sur la culture Nous savons maintenant que nous avons fait des choix qui ont eu un impact considérable sur la culture de l organisation : en impliquant les employés professionnels et administratifs dans la recherche de solution et la prise de décision, nous avons engendré une ouverture plus grande au changement ; en déplaçant vers le personnel d administration des tâches ayant une valeur hiérarchique qui étaient traditionnellement confiées à des professionnels, nous avons provoqué un choc culturel et démontré qu un changement profond bien orchestré transforme les façons de faire et suscite un apprentissage précieux à ceux qui le vivent ; en responsabilisant un grand nombre d employés et en revalorisant les rôles à tous les niveaux, nous avons accéléré le développement de l esprit d entreprise tout en respectant une valeur organisationnelle fondamentale : la haute qualité du produit livré au client. Impact sur la gestion Dans tout cet exercice, les cadres intermédiaires et supérieurs ont également eu à s adapter, et c est pour eux que le changement a été le plus difficile. La viceprésidente avait une vision : développer une entreprise qui pourrait dans l avenir faire face à n importe quel changement ; et pour ce faire, elle a impliqué les employés dans la prise de décision et forcé une nouvelle façon d exercer le pouvoir. Elle a ainsi suscité une réflexion sur le rôle des gestionnaires par les gestionnaires, qui ont développé leur propre profil de compétence qui sert aujourd hui à leur perfectionnement et au développement de leurs capacités de gestion. Ceux-ci ont appris en cours de route à partager leur vulnérabilité et à demander de l aide. Dans notre organisation, on applique de moins en moins des directives, on suit plutôt des orientations. INTERACTIONS vol. 3, n o 1 et 2, printemps automne 1999

CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE 217 Leçons apprises Le projet À nous l avenir a permis à de nombreux employés de se familiariser avec une démarche structurée de gestion du changement, ce qui permet à l organisation de se mieux préparer pour faire face à tous les autres changements qui surviennent déjà dans l environnement de l industrie de la traduction qui est en pleine croissance : globalisation, démographie des langues, gestion de projets de communication, localisation (services Internet)... Nous avons aussi appris que le succès de la mise en œuvre d une solution passe par la participation des employés à l analyse et à la résolution de problèmes. Nous savons aussi maintenant que le projet de réingénierie est terminé, mais que le processus d amélioration qu il a engendré ne cessera plus - on se demandera toujours si «la bonne personne fait la bonne chose au bon moment?». Nous avons également constaté que lorsque la formation développée pour les titulaires des nouveaux postes est pertinente et surtout «sur mesure», cela a un impact direct sur le succès de la mise en œuvre d un changement. Enfin, rien de plus sûr que d utiliser l intelligence de tous les membres d une équipe dans une démarche structurée pour l amener à consolider la complicité qui doit y régner. RÔLE DE L ÉQUIPE DE PROJET Tout au long du déroulement du projet, l équipe de coordination a dû définir son rôle. Nous avons appris à appuyer les gestionnaires, mais sans se substituer à eux. À l image de notre vice-présidente, nous n avons jamais perdu de vue nos objectifs, même dans les moments les plus difficiles. Nous avons toujours cherché à présenter une vision claire de l avenir sans minimiser la difficulté de vivre le changement dont nous avons été les catalyseurs. Pour gérer un changement avec succès, il faut avoir le sens du «moment opportun»; nous sommes restés constamment à l écoute de notre environnement pour choisir le bon moment de mener une activité, de susciter une discussion ou simplement de passer à une étape suivante. Les gens résistent au changement, c est une réaction bien naturelle; il faut leur laisser le temps de le vivre et de vivre les émotions qui les habitent. Nous avons donc été attentifs à l aspect humain du changement. Enfin, nous avons aussi eu un rôle de gardien : gardien des apprentissages et gardien de l esprit du projet. Au-delà de la réingénierie, des changements vol.. 3, n o 1 et 2, printemps-automne 1999 INTERACTIONS

218 CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE structurels, de la création de nouveaux postes, petit à petit, s implantait une nouvelle culture d entreprise, une culture de gestion. FACTEURS DE SUCCÈS Pour qu un projet de changement de cette envergure réussisse, il faut des objectifs clairs et de la constance dans l approche retenue, l appui de la haute direction, une marge de manœuvre souple, des communications tant informelles que formelles. Il faut aussi que les rôles de chacun soient bien définis. Au-delà d un ingrédient comme l ouverture à des idées nouvelles, il faut aussi que les agents de changement, que l on choisit pour guider l organisation, soient euxmêmes ouverts au changement... Et on sait que ce sont souvent ceux qui font la promotion du changement qui parfois résistent le plus à ce même changement... Les choix que nous avons faits sont garants de l avenir parce qu ils portent en eux les conditions de succès qui permettent de faire reposer les forces de l organisation sur des bases différentes. L intelligence des employés constitue, dans notre organisation, notre richesse la plus précieuse, et tout au long du projet À nous l avenir, nous n avons eu de cesse de la mettre en valeur par opposition à l autorité traditionnelle et alignante qu exercent trop de patrons coincés dans une hiérarchie traditionnelle qui valorise l obéissance aux directives et le respect des règles établies autour d une table de gestion. Ce faisant, nous avons commencé à encourager le développement des capacités de leadership de nos gestionnaires en leur donnant un milieu propice à la mise en valeur de leur rôle de motivateurs, de personnes ressources, de rassembleurs, d animateurs et de facilitateurs du travail précieux accompli en équipe. LES FORCES DE L ÉQUIPE DE COORDINATION Aux prises avec un travail nouveau et stimulant, mais parsemé de nombreux défis, et pour lequel ses membres ne cumulaient aucune expérience, notre équipe de projet a rapidement développé ses propres valeurs. Lorsqu on gère un projet de changement à trois, on devient rapidement une cible, ou un modèle... Nous avions de notre côté une complémentarité qui nous a été précieuse. Et nous avions ainsi davantage confiance en nous-mêmes et en la force de notre équipe. INTERACTIONS vol. 3, n o 1 et 2, printemps automne 1999

CHANGEMENT INTÉGRÉ DANS UNE ORGANISATION APPRENANTE 219 Nous étions toujours à l écoute des intuitions et des émotions de nos collègues, et nous prenions le temps d échanger sur ce que nous vivions, chaque jour, tant les succès remportés que les revers décourageants ou frustrants. Avec le temps, nous avons appris à retourner les obstacles de tous les côtés, jusqu à les transformer en avantages pour faire avancer encore plus le projet de changement. Et nous avions tous trois le goût d apprendre, de se développer, d innover et de cheminer personnellement pendant cette période. Chaque jour, nous apprenions et comprenions encore mieux ce que nous faisions. Nous avions aussi le goût du risque, des réserves inépuisables d enthousiasme et énormément de passion pour la cause. Mais au-delà de tout ce qui précède, nous avions surtout, et nous avons toujours, un immense plaisir à travailler et à rire ensemble. vol.. 3, n o 1 et 2, printemps-automne 1999 INTERACTIONS