Une «délicate» prise en main(s)



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Transcription:

Marie-Christine Pasche Diplôme «Artitude» 2008 Une «délicate» prise en main(s) La question physiologique dans l enseignement du piano : Entre théorie et pratique, une synthèse «synesthésique» par le biais d exercices adaptés à l élève débutant

SOMMAIRE Introduction 3 Page PREMIERE PARTIE : THEORIE 6 Chapitre I : Eléments de physiologie (descriptive) 7 Inné et acquis Les morphotypes Chapitre II : Eléments de physiologie (fonctionnelle) 10 Les clés d une bonne «artitude» (!) au piano, principes généraux DEUXIEME PARTIE : PRATIQUE 12 Chapitre I : Les problèmes le plus couramment rencontrés 13 1) Problèmes de constitution 2) Problèmes «comportementaux» 3) Problèmes «psychomoteurs» 4) Symptômes polymorphes Chapitre II : Les solutions 19 Exercices «synesthésiques» Bonus : quelques astuces Conclusion : Un type morphologique du pianiste? 39 Bibliographie 42-2 -

Introduction *** Le présent travail ne propose en aucun cas une étude systématique sur la question de la physiologie dans le jeu et la pédagogie pianistiques, mais constitue plutôt une synthèse personnelle entre les connaissances théoriques et empiriques que j ai eu l occasion d acquérir en la matière depuis plusieurs années. Il est donc le fruit et l aboutissement de plusieurs idées m étant apparues non seulement dans le cadre de mon expérience pédagogique de professeure de piano, en privé et au sein d un Conservatoire, mais aussi -et je dirais même d abord, chronologiquement en tout cas- tout au long de mon parcours pianistique comme élève, étudiante, et enfin comme pianiste professionnelle. En effet, présentant moi-même des caractéristiques morpho-physiologiques assez éloignées du modèle de ce que l on peut appeler «un(e) pianiste-né(e)» 1, il m a bien fallu, devant certains problèmes techniques laissant mes professeurs perplexes, trouver mes propres solutions et réponses, en déployant tous les trésors d intuition, d inventivité et de persévérance (non sans un certain acharnement) que me permettait heureusement ma vocation musicale sans faille. Cette indispensable recherche personnelle m a été d un grand secours dans ma formation -il me paraît aujourd hui évident que, malgré un réel talent musical, le modeste «arsenal mécanique» dont je disposais ne m aurait jamais permis d atteindre le niveau que j ai atteint 2 sans avoir suivi tout ce cheminement-. Mais c est aussi, peut-être encore plus, comme pédagogue que j ai pu en mesurer toute l utilité, réalisant combien cette connaissance empirique me permettait d expliquer clairement de nombreux gestes techniques. Néanmoins, plusieurs questions demeuraient sans réponse, car il me manquait une base scientifique et théorique. C est pour cette raison que j ai entrepris la formation «Artitude». Cette formation, alliée à l extraordinaire travail individuel avec Aude Hauser-Mottier, ainsi que la lecture de plusieurs ouvrages de référence (cf. bibliographie), m ont fourni d indispensables connaissances en anatomie, physiologie et analyse du geste fonctionnel à l instrument ; ceci m a permis de résoudre rapidement et très efficacement certains problèmes physiques (équilibre musculaire si précieux, notamment), ainsi que de vérifier, de trouver une explication scientifique et, en quelque sorte, de «valider» ce que j avais pressenti depuis longtemps, et appliqué dans de nombreux cas avec succès. Ainsi, la théorie est venue éclairer et éclaircir mon expérience et ma pratique personnelles, me permettant de mettre au point la série d exercices qui va suivre. Le but de ce travail réside donc avant tout dans le désir d allier connaissance et expérience pour aborder les questions physiologique et morphologique dans l enseignement pianistique, en particulier l enseignement aux enfants. Je suis en effet convaincue qu un grand nombre de problèmes rencontrés par des élèves plus avancés -voire des pianistes «chevronnés»- trouvent leur cause, et donc leur solution, au tout début de 1 Concept toutefois assez vague, j y reviendrai dans ma conclusion... 2 Diplôme de concert, mention très bien, Hochschule für Musik, Zürich - 3 -

l apprentissage pianistique ; et qu il est dès lors primordial, pour le professeur, d être très attentif à ne pas laisser s installer des défauts extrêmement difficiles à enlever par la suite. Ce dernier point semble d ailleurs intimement lié à la persévérance des élèves dans l étude du piano ; en effet, j ai pu remarquer que des défauts acquis (ou non résolus) au début de l apprentissage étaient fréquemment une cause de découragement et donc d abandon du piano, peut-être même autant que la simple «crise d adolescence» que l on évoque toujours, lorsque l élève a plus tard le sentiment -légitime alors- de ne plus pouvoir avancer sans beaucoup travailler. Je suis pourtant convaincue que cela peut être évité dans de nombreux cas, si l on s efforce de développer chez l élève certains réflexes physiologiques de base dès ses premiers pas au piano. Beaucoup moins de travail et surtout de lutte lui seront alors nécessaires (particulièrement à l élève amateur) pour faire des progrès tout en ayant du plaisir. Mais encore faut-il avoir soi-même pu, en tant que professeur, prendre conscience de ces différents problèmes et obstacles physiologiques, différents chez chacun, et pouvoir leur apporter une solution Et encore faut-il, dirais-je, pouvoir aborder cette délicate question avec toute la délicatesse requise en pédagogie! Ce sont ces derniers points qui me paraissent manquer cruellement, dans la formation des pianistes et des professeurs, à tous les étages ; il existe bien sûr de nombreux ouvrages remarquables écrits par des médecins et physiothérapeutes spécialisés, et le domaine de la médecine des arts devient de plus en plus vaste et de plus en plus connu. Cependant, il s agit justement d ouvrages à caractère plutôt thérapeutique ou médical, s adressant principalement à des musiciens professionnels ou futurs professionnels, qui rencontrent le plus souvent déjà des problèmes physiques handicapants. Bien que d un très grand secours pour un tel public -j en ai moi-même profité et les consulte régulièrement-, ils ne sont pas adaptés (et ne prétendent d ailleurs pas l être) à la réalité de l enseignement telle qu elle est aujourd hui dans les sections non professionnelles de nos Conservatoires et Ecoles de Musique 3. En effet, les exercices qui y sont proposés, par ailleurs excellents, sont souvent assez complexes et présentés de manière technique. Ils demandent d autre part une pratique soutenue qui est rarement au cœur de la démarche d un élève amateur, et il est dès lors impossible de les utiliser tels quels dans l enseignement des enfants débutants. En marge de ces ouvrages médicaux (ou du moins écrits par des auteurs de formation médicale), l on trouve d autre part quantité d ouvrages sur l art de «la technique», rédigés par des musiciens et pédagogues de toutes les époques. D une richesse et d un intérêt culturel inestimables, ils reflètent le plus souvent une formidable compréhension intuitive de la physiologie, mais ne sont pas toujours très précis ni, à ma connaissance, vraiment adaptés aux problèmes des enfants 4. 3 Suroccupation des enfants par de trop nombreuses activités, manque de persévérance, de soutien des parents, lacunes en solfège, temps d enseignement trop court, Eléments avec lesquels il faut «composer» (!). Comme nous sommes musiciens et donc créatifs, ce n est heureusement pas complètement impossible 4 Par exemple : M. Long, Le Piano, ou les Principes rationnels de la technique pianistique d A. Cortot, etc., cf. bibliographie, ou encore de nombreuses considérations sur la technique, tirées de la correspondance de grands musiciens. - 4 -

Enfin, je ne parlerai pas ici des très nombreux et fameux exercices «de pianistes» (Hanon, Czerny et tous les milliers d autres) qui visent quant à eux principalement l acquisition d un vocabulaire pianistique (gammes, arpèges, etc ) général, ainsi que la «force», la vélocité et l indépendance des doigts en soi, bref la «virtuosité» 5 ; mais ne se préoccupent que rarement de la morphologie propre à chacun et des problèmes qui en découlent 6. Il semble plutôt, à la lecture de plusieurs ouvrages de musiciens-pédagogues, que cette question ait longtemps fait l objet d un certain fatalisme dans l esprit des gens, avec une forte tendance à penser qu «il y a des mains faites pour le clavier, d autres non» 7. Cependant, certains firent souvent preuve d une intuition extraordinaire aussi en matière de physiologie. 8 Pour ma part, je souhaite modestement proposer des exercices simples, ciblés, amusants, résolvant autant que possible précocement et «l air de rien» 9, les différents obstacles physiologiques rencontrés par les enfants débutants. Dans ce but, les exercices feront appel à tous leurs sens, en les développant par le biais d images, d analogies et autres métaphores. En effet, l enfant a un fabuleux potentiel synesthésique, encore faut-il qu il soit stimulé et éveillé! C est du moins sur cette conviction que se fonde le présent travail. Cependant, puisque ces lignes ne s adressent pas directement aux enfants, mais bien à leurs professeurs 10, et que mes exercices constituent une synthèse entre théorie et pratique 11, ce mémoire débutera par une partie théorique présentant les principes de physiologie ayant étayé mon expérience. Ces derniers se révèlent en effet indispensables à une meilleure (com)préhension du geste pianistique comme à sa transmission (aussi bien physique que pédagogique!) Toutefois, par souci d intelligibilité, j utiliserai un langage plus général et imagé que technique, limitant l usage des termes médicaux au strict nécessaire. *** 5 Combien de ces recueils ne s intitulent-ils pas «Le petit Virtuose», etc 6 A l exception de Czerny, dans ses très bons «exercices pour les petites mains», op. 748, dont je recommande d ailleurs l utilisation. 7 Cf. conclusion 8 Chopin, entre autres 9 Résoudre le problème avant qu il n en devienne un, en quelque sorte 10 sous l œil attentif et bienveillant desquels les exercices seront pratiqués! 11 Comprendre : théorie connue et apprise, et réalité de l enseignement, des cas concrets, expérience. - 5 -

Première partie: Théorie - 6 -

Chapitre I : Eléments de physiologie (descriptive) Inné et acquis Comme chacun sait, nous sommes tous uniques, et bien que toute personne «normalement constituée» jouisse de 2 bras, 2 jambes, 2 mains, 10 doigts mais une seule tête (!), beaucoup de choses varient, et notamment à l intérieur de nous, dans les parties invisibles du corps. Ainsi, chacun, de par son hérédité mais aussi son vécu, a des caractéristiques morpho- et physiologiques qui lui sont propres. L hérédité, c est-à-dire l inné, détermine bien sûr la taille, la constitution générale de l individu, et en particulier la laxité 12. Ce dernier élément joue un rôle clé dans la disposition -le plus souvent identifiable par l indisposition, malheureusement- de chacun à jouer de tel ou tel instrument. Tous ces éléments varient grandement d une personne à l autre. Cela va d ailleurs plus loin qu on ne l imagine, puisqu on peut lire dans les ouvrages d anatomie des choses telles que : «les muscles lombricaux (muscles intrinsèques de la main) sont généralement au nombre de quatre», ou «chez 50% des gens, les [muscles] interosseux dorsaux se terminent à la [ ] base des 1ères phalanges et chez les autres sur le mécanisme extenseur» 13 La manière dont les tendons sont liés entre eux peut également varier d une personne à l autre, ce qui n est évidemment pas sans conséquence sur le jeu instrumental (indépendance des doigts). Quant à l acquis, il est évidemment la «marque» corporelle de notre caractère et de notre vécu, et se traduit (ou trahit) notamment par la posture et la souplesse musculaire. Mais je ne m étendrai pas sur le vaste sujet de la morpho-psychologie, qui ferait à elle seule l objet d un tel travail. Toutefois, les rapports entre le vécu de l élève et son attitude corporelle sont souvent flagrants (un blocage psychologique amenant presque toujours un blocage corporel) ; il est donc primordial pour le professeur d en prendre conscience afin de pouvoir au mieux aider l élève ; d autant que ces éléments acquis ont l immense avantage, sur ceux qui sont innés, de pouvoir évoluer, changer, surtout chez les enfants! Là encore, on gagne énormément en détectant les problèmes le plus tôt possible. De surcroît, très souvent, la résolution de blocages au premier abord physiques a des conséquences positives bien au-delà des progrès pianistiques l élève, dans sa vie sociale et affective 14. 12 Définition : «souplesse» articulaire et ligamentaire, déterminant notamment la solidité et l amplitude de mouvement des articulations. 13 In : Caironi, B. (Dr), Les pathologies de la main et du poignet, éd. De Boeck Univers 14 A noter que c est là un des nombreux aspects thérapeutiques pouvant justifier en soi la poursuite de l enseignement instrumental, lorsque les capacités musicales de l élève semblent manquer. - 7 -

Ainsi, les éléments innés et acquis forment en quelque sorte le «terrain physiologique» de l élève, la frontière entre les deux n étant pas toujours très nette 15. Comme en psychologie d ailleurs, hérédité et vécu sont interdépendants et l on devrait peut-être plutôt parler de «transgénérationnel». C est bien sûr une question ouverte, autant que cette parenthèse doit bien vite être fermée, sous peine de m écarter de mon sujet En résumé, non seulement la taille des membres et des mains, la souplesse musculaire, mais aussi la laxité et la posture varient grandement d un individu à l autre, ce qui peut exiger d aborder certains problèmes techniques de manière radicalement différente suivant les cas. Une grande diversité, dans laquelle il est parfois difficile de se repérer. C est pourquoi il est souvent commode de parler de types morphologiques, ou morphotypes, comme le fait P. Chamagne 16 : Les morphotypes L on entend par là regrouper dans la mesure du possible ces caractères morphologiques et leurs conséquences dans la physiologie fonctionnelle. On peut distinguer deux grandes catégories : les types longiligne et bréviligne. a) Le type longiligne Comme son nom l indique, le type longiligne a une morphologie longue et fine, et il est plutôt laxe. Une grande, voire une hyper- laxité que l on repère notamment par l hyperextension (capacité de «plier à l envers») du coude ou des phalanges. On parle de longs segments (ex. bras = segment entre articulation de l épaule et du coude, avant-bras entre coude et poignet, etc.) Les muscles sont développés plutôt en longueur. De manière générale, ce type présente une importante souplesse dont le revers sera un manque de stabilité. Pour mieux comprendre, on peut facilement imaginer que mécaniquement, l énergie se transmet de manière moins optimale plus les segments sont longs et souples ; elle sera transmise moins directement et aura tendance à «se diluer» par le manque de fermeté des articulations qui «plient». On trouvera aussi fréquemment un manque de tonus musculaire (longs bras qui «pendent»), notamment dans les muscles posturaux qui maintiennent l omoplate. Je reprendrai ce point primordial dans le résumé des principes ergonomiques, au chapitre 2. 15 Exemple : la souplesse musculaire qui, contrairement à la laxité -contre laquelle on ne peut presque rien-, est à la fois un élément hérité et le reflet de notre psychologie (tensions musculaires, blocages, etc.). 16 in : Education physique préventive pour les musiciens, Alexitère, Dijon, 1998-8 -

b) Le type bréviligne A l inverse, le type bréviligne possède des segments plus courts, des articulations plus rigides que le précédent, avec un système ligamentaire dense et serré. Sa musculature est également plus courte et volumineuse. De manière générale, il fera preuve de plus de puissance que de souplesse, présentera un meilleur maintien des articulations et un tonus musculaire élevé. Mais il manquera facilement de flexibilité et de légèreté. Sa capacité d extension et de mobilité latérale (notamment des doigts) sera plutôt faible, ce qui posera problème lors de grands intervalles, si la main est petite. Alors qu à l inverse, une petite main longiligne peut, elle, compenser sa petite taille par la souplesse. Mise en garde : Cette classification n est pas à ériger en règle, car elle est forcément quelque peu caricaturale. L on rencontre le plus fréquemment des types mixtes, par exemple un type bréviligne hyperlaxe, et bien d autres combinaisons des deux. Néanmoins, elle permet de mettre un nom sur un ensemble de caractéristiques qui reviennent toujours lorsqu on tente de décrire la physiologie de quelqu un, et facilite la compréhension comme la résolution des problèmes fréquemment rencontrés. A ce titre, il est donc utile au professeur de pouvoir identifier le morphotype, ou plutôt la tendance morphotypologique de l élève. On observera surtout: - L aspect général : Membres, cou, buste allongés ou plutôt courts, souplesse ou raideur généralisée. - La laxité : Par exemple, hyperextension du coude et/ou du métacarpe, des phalanges, (fréquent chez la jeune fille), ou l inverse, articulations peu flexibles. Cela fait, on pourra mieux cibler les exercices à pratiquer, et de ce fait prévenir bon nombre de problèmes. Mais tout d abord, il nous reste à voir comment ces différentes entités corporelles se comportent fonctionnellement dans le geste musical. - 9 -

Chapitre II : Éléments de physiologie (fonctionnelle) Les clés d une bonne attitude 17 au piano, principes généraux L ensemble de la physiologie fonctionnelle du musicien est décrite et expliquée en détail, figures à la clé, dans la littérature spécialisée, notamment dans les ouvrages de P. Chamagne (cf. Bibliographie) ; dans le cadre de ce travail, je me limiterai donc aux éléments me paraissant les plus utiles et importants, car souvent peu clairs chez les professeurs, donc chez les élèves, et donc chez les futurs professeurs («quadrature du cercle vicieux!»). Puisque c est si compliqué et pour en faciliter la lisibilité, il me semble judicieux de citer ces éléments le plus succinctement possible sous forme de règles ou principes généraux 18 : - La liberté d un membre, ou d un segment, dépend de la solidité du maintien de sa racine. Que les mathophobes se rassurent, il ne s agit pas de la racine carrée, mais bien des attaches du membre dont la main est l extrémité Ainsi, la liberté et donc l efficacité de mouvement de la main dépendent-elles de la stabilité de l épaule et de la bonne coaptation (du bon «arrimage») de l omoplate à la cage thoracique. 19 - La transmission optimale de l énergie se fait dans la recherche d une «solidité flexible» par le maintien souple des différentes articulations, la recherche du bon tonus et de l équilibre musculaire (eutonie). Ces éléments sont déterminés respectivement par la laxité mais aussi par la posture et l attitude (psychologique) générale, plus ou moins favorables. - La position physiologique de l avant-bras se trouve dans une légère inclinaison du côté cubital (extérieur, côté du 5 ème doigt, en «supination»). C est un des points les plus faciles à obtenir instinctivement ; en effet, l avant-bras se met naturellement dans cette position si on le pose détendu sur une table, par exemple. - La position physiologique de la main se trouve en légère extension par rapport à l avant-bras (poignet «creux») et également en légère inclinaison cubitale. Cette dernière est en général plus naturelle que l extension du poignet, pourtant également facile à obtenir (cf. exercice 3) - La voûte métacarpienne, plus particulièrement sa stabilité et son maintien jouent un rôle primordial dans le jeu pianistique. C est en quelque sorte la «colonne vertébrale» de la main. De même que tout défaut de la colonne a des incidences dans les membres supérieurs -et bien au-delà-, de même tout défaut ou affaissement du métacarpe se manifeste immédiatement par un manque d égalité, de rapidité, par un défaut de transmission des forces, et occasionnera de la fatigue par le travail de compensation qui s en suivra. 17 Ou plutôt d une bonne «artitude»! 18 Par hasard (?) au nombre sacré de 7 19 Sans entrer dans les détails, il est indispensable de relever ici l importance d un bon fonctionnement de la ceinture scapulaire ; en effet, il s agit là du point d ancrage du bras, et tout défaut à ce niveau se ressent immédiatement à l extrémité de la chaîne, c est-à-dire au niveau de la main à l instrument. Ce point est difficile à comprendre, mais pour simplifier, on pourrait simplement dire qu un membre mal attaché au tronc ne peut pas fonctionner de manière optimale. Ainsi, si les muscles faisant tenir cette structure suspendue sont insuffisants, cette dernière s affaisse et s en suivent une lourdeur, un manque de liberté et d agilité du membre. - 10 -

- La conscience, la perception des différentes entités anatomiques (proprioception) et de leur amplitude de mouvement est primordiale et doit être développée le plus tôt possible. Les enfants apprennent cela très facilement si on sait le leur transmettre dans un langage imagé et vivant (cf. exercice 1). Pour les adultes et les «retardataires», la technique Alexander ou autre démarche similaire offrent un très bon rattrapage - Le pouce fonctionne indépendamment des autres doigts (dits doigts longs) et doit pouvoir être utilisé comme tel dans toute son amplitude de mouvement, sans l aide de l avant-bras. Son opposition aux autres doigts 20 doit aussi être travaillée (cf. exercice 2), car elle permet une prise de conscience du fonctionnement des phalanges et du métacarpe, et garantit la formation et le maintien des précieuses voûtes et arches métacarpiennes (rondeur des doigts). *** 20 Obtenue en tenant le pouce pulpe à pulpe avec les autres doigts - 11 -

2 ème partie : Pratique - 12 -

Chapitre I : Les problèmes le plus couramment rencontrés La pratique d enseignement révèle une grande diversité de problèmes morpho- et physiologiques engendrant autant d obstacles techniques à surmonter. Si ces problèmes concernent en général l ensemble du corps, c est bien de leur incidence directe sur la pratique pianistique dont il est question ici; je me concentrerai donc sur leur localisation dans la région du tronc, des membres supérieurs et des mains. Les problèmes le plus couramment rencontrés peuvent être présentés de la manière suivante : Il peut s agir soit de problèmes strictement de constitution, comme dans le cas de l hyperlaxité et des défauts qui lui sont liés, soit de problèmes que j appellerais plus «comportementaux», comme les nombreux déséquilibres dus à de mauvaises postures et/ou au simple manque de développement de la musculature (enfants, débutants). Contre les premiers, qui sont le fait de la nature, on ne peut agir directement ou d une manière qui reste limitée, sauf si l enfant est très jeune (le problème peut alors n être qu une caractéristique enfantine et disparaîtra partiellement ou totalement par la suite, surtout si l on pratique des exercices appropriés). Dans le cas contraire, on doit alors trouver différentes astuces pour compenser les manques résultant du problème. 21 Contre les seconds, très fréquents, on peut par contre facilement agir, notamment par les exercices proposés plus loin. Enfin, je citerai brièvement les problèmes de coordination, d ordre plutôt psychomoteur ; s ils ne sont pas l objet de ce travail, ils sont fréquents chez les jeunes enfants dont la coordination n est pas encore maximale, et doivent être distingués des problèmes strictement physiques, auxquels ils viennent souvent s ajouter. On peut par ailleurs en résoudre une bonne part par les exercices, qui développent aussi la dissociation et la coordination. 22 1) Les problèmes de constitution : Ils sont assez clairement définis : - Laxité, hyperlaxité. Déjà évoquée et définie (note 12, p. 7). Rappelons-le, on constate ses effets néfastes surtout au niveau du métacarpe (plus précisément de l «articulation métacarpo-phalangienne», séparant les doigts visibles de la main), et des phalanges. - Manque de laxité, raideur. Surtout présente chez les types brévilignes, en particulier chez les garçons. La main est souvent très musculeuse, ramassée, et montre une tendance à fonctionner en force, tout d un bloc, avec une adaptabilité et une amplitude de mouvement faibles. Avantage : le métacarpe est en général naturellement solide, parfois même presque trop (figé). De même que les épaules, la posture est le 21 Cf. «Bonus» : quelques astuces, p. 35. Le plus souvent, on peut trouver des solutions satisfaisantes pour un niveau amateur ; les cas ou l hyperlaxité est telle qu elle empêche complètement tout progrès pianistique sont rares. 22 Tout comme le fait la pratique musicale en soi, d ailleurs! - 13 -

plus souvent bonne, stable. Par contre, la capacité d extension est faible, l élève a tendance à forcer. - Diverses malformations légères peuvent se rencontrer, par exemple un doigt anormalement court ou long. Ces cas restent exceptionnels et, le plus souvent, l élève lui-même développe ses propres astuces. Cela demande bien sûr une adaptation de la part du professeur ; mais je ne m attarderai pas sur ce sujet marginal. 2) Les problèmes «comportementaux» : De formes et manifestations diverses, ils sont tous liés, de près ou de loin, à des dysfonctionnements de base qu on retrouve très souvent : - Manque de conscience corporelle et mauvaise dissociation des différents segments et articulations (mauvaise proprioception) : Les sensations proprioceptives nous donnent en quelque sorte l image sensorielle de notre posture et de nos mouvements. Très souvent, le plus souvent même, cette image est insuffisante (floue), ou faussée par les mauvaises habitudes 23. L élève identifie et ressent mal les différentes parties de son corps, ainsi que les contractions musculaires (ex : il a l impression d être détendu sans l être effectivement, tant la tension en question est habituelle pour lui). Il dissocie souvent mal le bras de l avant-bras et n utilisera que pas ou peu les possibilités de mouvement articulaires. Ses mouvements s opèrent plutôt «tout d un bloc». Dans les cas les plus sévères, les progrès techniques sont souvent ralentis et entravés par ce défaut, surtout parce que l élève garde insuffisamment, «fixe» mal, dans sa bibliothèque d images sensorielles, les sensations nouvelles. Et comme c est précisément par l inscription de ces sensations nouvelles que l on apprend, que l on avance techniquement, tout le processus d apprentissage sera ainsi parasité par ce problème. Par exemple, il arrive souvent que l élève comprenne intellectuellement comment faire («je dois avoir le poignet souple») voire parvienne à ressentir le bon geste ou le bon mouvement sur le moment, à la leçon, mais ne puisse le «fixer» durablement, l oublie et ne parvienne pas à le reproduire de lui-même. Il s en suit fréquemment une impatience, un énervement voire un découragement de sa part, qui ne feront qu aggraver les crispations et blocages déjà présents. C est pourquoi cet aspect proprioceptif mérite qu on y prenne garde avant tout autre, ainsi que je le propose dans mon premier exercice. Les autres problèmes décrits ci-après ne sont d ailleurs, en fait, que des conséquences plus ou moins directes de ce problème de base : - Mauvaise ou inexistante conception du relâchement musculaire, déséquilibre musculaire : Il s agit d un problème aussi complexe que fréquent, rarement identifié par les professeurs et donc rarement résolu. Je tenterai tout d abord de le définir : on entend par là aussi bien un problème de tonus musculaire qu un simple déséquilibre dans le développement des différents muscles, souvent dû à une mauvaise conception de la détente. Dans la pratique, il se manifeste généralement par une contraction trop 23 Nous sommes tous, dans notre société du moins, plus ou moins «déficients» proprioceptivement, et chacun, musicien ou non, gagnerait certainement beaucoup en développant ces facultés tout au long de la vie. - 14 -

forte, ou à l inverse insuffisante, des muscles posturaux ou statiques 24, en particulier dans la région scapulaire (épaules, omoplates). Plus précisément, on constate une contraction trop forte de certains et trop faible d autres. En général, le déséquilibre se remarque à un excès de raideur, une hypertonie de certains muscles (très souvent les trapèzes) lié à une hypotonie d autres muscles, en particulier les fixateurs de l omoplate 25. La tension musculaire se trouve en quelque sorte à la mauvaise place, le bras n est pas arrimé de manière harmonieuse, et les muscles plus en aval de la chaîne (plus près des mains) auront tendance à manquer de tonus. L élève compensera donc en crispant ces muscles et les articulations dans une recherche de stabilité. S en suivront fatigue, manque de précision et mauvais contrôle du son. En réalité, le tonus est simplement mal réparti. Très souvent observé à partir de l adolescence, ce problème est dû en partie à des tensions et conflits psychologiques (trapèzes tendus), mais aussi, largement, à une mauvaise conception du relâchement musculaire : puisque l on est trop tendu à certains endroits, on tente de se détendre, et on a alors souvent tendance à abaisser, à laisser tomber les épaules et relâcher la posture dans son ensemble, de sorte qu on se retrouve dans une attitude molle presque «de soumission», en tout cas de passivité. Or un tel relâchement est très nocif à l instrument. Il faudrait plutôt chercher le bon tonus, l équilibre entre les différents muscles, tonifier les uns pour libérer l hypertonicité compensatoire des autres. Malheureusement, il s agit d un problème impossible à résoudre par la seule volonté ; en effet, on ne peut contracter ou détendre volontairement ces muscles posturaux dont on n a même rarement conscience (partic. les fixateurs de l omoplate). D autre part, ce problème ne survient pas du jour au lendemain mais petit à petit ; cela peut typiquement être le résultat de tensions psychologiques associées à de mauvaises habitudes posturales non identifiées et donc installées. Ainsi, s en débarrasser demande presque toujours une démarche en profondeur, de type rééducatif 26. Or bien souvent, les élèves amateurs n ont pas le courage d entreprendre une telle démarche, donc le problème demeure. Pourtant, je suis convaincue que l on peut éviter une telle situation, et cela sans effort particulier. En effet, s il est vrai que ce problème apparaît très fréquemment, il est tout aussi vrai qu on le rencontre rarement en tant que tel chez les enfants débutants. Certes, ces derniers peuvent bien sûr présenter des inégalités musculaires, mais c est alors surtout parce qu ils ne sont pas encore formés, et non à cause de mauvaises habitudes, dont ils sont encore fort heureusement «vierges»! Il s agit donc là bien plus de modeler les masses musculaires que d enlever de mauvaises habitudes, et il va sans dire que c est une tâche beaucoup plus aisée! 24 Bref rappel : nos muscles se distinguent en deux catégories : Muscles statiques ou posturaux = muscles de soutien, utilisés en permanence (de manière involontaire) pour toute position contre gravité. Se contractent durablement. Muscles dynamiques = de mouvement, à contraction rapide et consciente, mais de courte durée. 25 cf. note 19. 26 L eutonie ou autre technique psycho-corporelle sont utiles, mais sur ce point précis, les exercices de base de la méthode Artitude d A. Hauser-Mottier constituent de loin la plus efficace approche que j aie pu tester (quelques semaines ont suffi, il faut bien sûr entretenir par la suite). - 15 -

Mon expérience montre qu une bonne prise en main dès le début suffit à ce que les choses s arrangent naturellement dans la plupart des cas. - Plus spécifiquement, mauvaise conception du fonctionnement du pouce par rapport au reste de la main : Assez fréquent et lourd de conséquences pour être décrit séparément, ce problème est la cause de bien des maladresses pianistiques. Comme mentionné plus haut, la particularité fonctionnelle du pouce est d être complètement indépendant du reste de la main et des autres doigts, appelés doigts longs. Il se meut dans toutes les directions et joue en outre le rôle de pivot, permettant à notre main humaine d égrener de manière égale bien plus de notes que ses cinq doigts en seraient capables si l un d entre eux n avait pas les spécificités du pouce 27! Ceci semble peut-être évident ; pourtant, la pratique montre que ça ne l est que partiellement. En effet, trop souvent, les élèves ne savent pas utiliser leur pouce dans toute son amplitude et ses fines possibilités de mouvement. Pire encore, ils ne le conçoivent parfois que comme un sorte de bloc non articulé, et l utilisent avec une rotation de tout l avant-bras. Si cela peut s avérer utile dans certains -rares- cas, le plus souvent cela n apporte que lourdeur, maladresse et fatigue. Découvrir toutes les possibilités dont ce doit «lourd» est capable fait donc bien plus que nous faciliter la tâche ; c est tout simplement la clé d une main épanouie au piano! 3) Les problèmes «psychomoteurs» : - Incoordination générale - Mauvaise dissociation des doigts (mentale, à différencier de la simple maladresse du débutant) entre eux. Incapacité de bouger n importe quel doigt seul, etc. - Problèmes de synergies, doigts «anarchiques», réflexes incontrôlables Comme mentionné plus haut, ils accompagnent fréquemment d autres difficultés chez les enfants, sans qu il soit toujours possible de déterminer s ils sont dus à un vrai problème psychomoteur ou au statut même d enfant débutant. Toutefois, dans ce dernier cas, on constatera une nette amélioration au fil de la pratique des exercices, alors que, dans le cas contraire, ces derniers n auront qu un effet limité. 28 Ici aussi, l expérience m a montré que l on pouvait agir positivement dans de nombreux cas, pour autant qu on y consacre le temps nécessaire et qu on insiste sur la détente. 27 Que les sceptiques essaient donc de jouer un large arpège sur 2 octaves sans le pouce :o) 28 Dans ce cas, l élève présentera alors certainement des difficultés scolaires associées; il est donc toujours utile de se renseigner auprès des parents. - 16 -

4) symptômes polymorphes Enfin, au-delà du classement ci-dessus et afin de décrire encore plus clairement ce que la réalité révèle au professeur, voici une liste (non exhaustive) de symptômes polymorphes souvent rencontrés, accompagnés de leurs causes respectives et de quelques illustrations. - Symptôme : Affaissement général de la main et des arches (le métacarpe est plat, voire creux), phalangettes (dernières phalanges, tout à l extrémité du doigt) qui «plient à l envers», n arrivent pas à se fixer dans une position Cause : Hyperlaxité - Symptôme : Crispation (volontaire 29 ou réflexe) du pouce Cause : Déséquilibre musculaire, mauvaise dissociation du pouce - Symptôme : Manque de tonus et de maintien, relâchement nocif (main «molle», coude qui «pend», poignet fléchi, bras flasques) Cause : Déséquilibre musculaire, souvent avec problème postural général - Symptôme : 5 ème et/ou 4 ème doigt(s) levés (parfois en griffe) involontairement, par réflexe Cause : hyperlaxité, mauvais équilibre de la main 30 - Symptôme : Doigts raides, phalanges en extension, pas d arches entre le pouce et les autres doigts (cf. «Exercices», no 2), exemple : «yeux de loup»). Cause : Raideur, crispation, conscience articulaire insuffisante (surtout type bréviligne) - Symptôme: Equilibre instable de la main, fonctionnement «anarchique» Cause : Combinaison de toutes les causes énumérées + éventuel problème de coordination 29 «volontaire» = dans ce cas :«Que l on peut enlever si l on y prend garde». «Volontaire» n est peut-être pas le terme idéal car on ne fait pas directement «exprès»: idem lorsque l on parle de «conception» du relâchement, p. 14. Plus justement: un phénomène involontaire ou inconscient que l on peut influencer par la volonté. 30 Attention! Chez les professionnels ou élèves avancés, il peut s agir d une dystonie de fonction, problème grave à traiter spécifiquement. - 17 -

Quelques exemples typiques : 1 2 3 Hyperlaxité : phalangettes qui Crispation du pouce Affaissement général, main «molle» «plient» 4 5 6 Fonctionnement «anarchique» 5 ème en griffe, pouce crispé Affaissement général 7 8 Hyperlaxité, hyperextension du métacarpe (5 ème ) Doigts plats et raides Ici s achève le premier chapitre de cette partie pratique ; les problèmes ainsi identifiés, nous pouvons maintenant nous consacrer à leur solution, en abordant les exercices proprement dits. - 18 -

Chapitre II : Les Solutions Exercices «synesthésiques» Ces exercices visent aussi bien la prise de conscience des différentes entités anatomiques entrant en jeu (!) -du bout des doigts aux épaules-, une position correcte de la main à l instrument dès les premières leçons, que l indépendance des doigts et la coordination générale. En d autres termes les principaux obstacles rencontrés par les enfants (ou débutants) au début de la pratique instrumentale. Conçus progressivement, ils nous mèneront de la prise de conscience corporelle générale au mécanisme particulier du passage du pouce, qui peut en effet être «compris» 31 complètement dès les premiers pas de l élève, nous verrons comment. Si mon intitulé fait allusion à la synesthésie, c est que le «travail» combiné, en correspondance, des cinq sens et de l imagination est au cœur de ma conception de la pédagogie musicale et donc des exercices qui vont suivre. Combien de fois en effet, le recours à des images, analogies et métaphores ont permis de trouver une solution, une explication sensitive à tel ou tel problème, quand les mots ne suffisaient pas. 32 Chez les enfants 33 particulièrement, l efficacité de cette manière de transmettre a montré des résultats bien au-delà de mes espérances, même chez les moins doués. Cependant, je ne fais pas pour autant fonctionner tout de suite tous les sens en même temps, et plusieurs de ces exercices de base sont conçus pour être pratiqués d abord «hors clavier», cela dans un souci d assurer en premier lieu une bonne proprioception de la main et des doigts, indépendamment de leur place précise sur le clavier et des questions de solfège. Cela permet aussi de mieux focaliser la concentration du jeune élève. Avertissement : les exemples photographiques proposés dévoilent des mains clairement longilignes et laxes, donc une forte amplitude de mouvement ; toutefois, j ai testé tous les exercices sur des physiologies brévilignes. Pas d inquiétude donc, ils ne sont pas moins efficaces, même si le résultat visible semble moins marqué que sur les photos. Exercice 1 : «Panorama-éveil» But : mise en condition et en sensations de l «appareil à jouer», différenciation proprioceptive, éveil des cinq sens Toucher et mobiliser chaque élément anatomique entrant en jeu, du bout des doigts jusqu aux épaules, après avoir demandé à l élève de les identifier (pulpe des doigts, phalanges, métacarpe -insister!-, poignet, avant-bras, coude, bras, épaule, omoplates, colonne, cou, tête). Les mobiliser au besoin par des mouvements passifs opérés par le professeur pour faire ressentir à l élève une liberté de mouvement dont il n a peut-être pas conscience. Faire remarquer que le bras est amarré au corps par l intermédiaire de l épaule et de l omoplate, 31 Non seulement intellectuellement mais surtout sensitivement, kinesthésiquement, «saisi» en qque sorte 32 A noter que l intellect n est évidemment pas pour autant laissé de côté ; «comprendre par tous les bouts» (encore une image!) serait en quelque sorte le but ultime recherché. 33 Mais aussi chez les ados ou adules, il suffit d adapter les images choisies. - 19 -

dont la stabilité est primordiale à la liberté de mouvement de la main et du bras (cf. principes généraux, p. 10). Insister sur les différentes articulations et leur mobilité «dans tous les azimuts» : Exemple, poignet : non seulement flexion-extension mais aussi mobilité latérale. Idem pour les doigts, qui peuvent décrire de petits cercles en l air ou sur une surface, s adapter sous différents angles, gratter ou caresser et non seulement frapper comme des marteaux. Essayer toutes ces manières de toucher le clavier, éventuellement en montrant soi-même exemples et contre-exemples, rendre l élève attentif à la différence de son, dès les 1ères leçons. J ai pu constater l immense avantage de cette prise de conscience précoce de la grande adaptabilité de la main, dont découlent la finesse de toucher et la future palette sonore de l élève. Au lieu de restreindre son horizon sonore par souci de simplicité (les doigts frappent, articulent, et les finesses sont censées «venir plus tard»), cette démarche aiguise aussi la sensibilité de l élève et l entraîne à ne pas envisager la technique comme quelque chose d isolé, rigide et purement physique, mais comme un élément vivant au service du son, de l expression, du Beau. De plus, cette étape a aussi l avantage de fournir au professeur une sorte de «diagnostic» de la souplesse et de la laxité de son élève, comme de sa disponibilité et son aisance corporelles ; il pourra alors adapter plus finement son enseignement aux besoins de l élève. Ajouter enfin quelques «chutes libres» du bras sur le clavier, en faisant bien prendre conscience du poids du bras et du besoin de solidité de la main pour transmettre au mieux cette énergie à l instrument, sans dureté. Lui faire essayer, montrer, comparer la sonorité, (exemples/contre-exemples), lui demander son avis, observer, insister aussi sur la souplesse indispensable du bras pour «absorber le choc», ressentir comme tout l appareil participe jusqu au dos. Assez de temps consacré à cet aspect dès le début est vraiment un bon investissement pour l avenir. Idée-enfants : utiliser l image d un pantin articulé, dont on peut régler les boulons et vis ; différencier les articulations plus proches du corps, de la tête («proximales» en jargon), équipées de gros boulons, de celles, plus éloignées («distales»), de plus en plus nombreuses et fines, dont on peut régler les multiples petites vis afin de s adapter au mieux au clavier. Cette image drôle et ludique fonctionne à merveille avec les enfants, même si son caractère trop mécaniste risquerait théoriquement de faire ombrage à une vision organique et vivante du jeu pianistique. Mais on aurait tort de se priver de son utilisation si utile à la prise de conscience proprioceptive, et le risque de «robotisation» de l élève est minime si on insiste parallèlement sur le fait qu on ne joue pas pour autant «comme une machine» (bien au contraire) et que c est l élève lui-même, avec sa tête et son âme, qui guide et tient les ficelles du pantin!! - 20 -